LiangZhu | 良渚
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Volume 2 / Chapitre 14
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C’était le genre de nuit où, plus que jamais, il fallait rester sur le qui-vive et ne pas se mettre à rêvasser, bercé par le doux clapotis des vagues sur le rivage. Ne pas se laisser envoûter par la voûte étoilée. 

Après un bon dîner de soupe et de poisson frais, ils s’étaient répartis les tâches. À tour de rôle, chacun veilla devant les feux et la cuisson de l’argile – deux à chaque feu, les autres montant la garde de tous les côtés –, de peur qu’ils ne s’éteignent et ne laissent place à l’obscurité – et aux prédateurs, qui maraudaient dans la broussaille…

« Pas trop fatiguée ? », lui demanda Liang. Zhu était assise à ses côtés, fascinée par les flammes dansantes et vacillantes. « Repose-toi un peu sur mon épaule, si tu veux. »

« J’ai pas sommeil », dit Zhu. Elle se demandait à quoi allait ressembler leurs poteries, en train de cuire sous les bûchers. 

Du soir à l’aurore, engloutis par une multitude de brasiers, ils en brûlèrent du bois cette nuit-là, tâchant de ne pas fermer l’œil et, tous à leur poste, de s’assurer que cette longue nuit blanche s’achève sans incidents. 

… … … 

« Je n’en reviens pas », s’écria le sorcier au réveil, ravi de constater qu’ils avaient tenu la distance. 

« Les Esprits vont être fiers de vous, les enfants. Prions qu’ils nous récompensent avec de belles poteries. » 

« Cessez de nourrir les feux, maintenant », lança-t-il. « Allez donc vous débarbouiller la figure au lac, et profitez-en pour attraper quelques poissons. » 

… … … 

Assis sur le rivage, le visage radieux, le vieil homme semblait se délecter à les regarder s’affairer – poser des grilles au-dessus des braises, cuire de la soupe, griller du poisson, puis se régaler. « Comme ils savent bien y faire, tous ces petits », pensa-t-il. 

« Tu m’as l’air de bonne humeur ce matin, grand-père ? », fit remarquer Zhu, en soufflant sur sa soupe. 

« J’ai plaisir à vous regarder manger, voilà tout », répondit-il. « C’est si agréable quand tout est simple et naturel. Pas comme tout à l’heure, n’est-ce pas, quand tu te débattais dans l’eau à essayer d’attraper un ou deux misérables petits poissons… » 

« Oui mais moi, grand-père, contrairement aux poissons, je n’ai pas dormi de la nuit. Alors évidemment… » « J’aurais au moins appris quelque chose », ajouta-t-elle, « on peut les harponner à coup de bambou. Ça marche plutôt bien. » 

« Après avoir bien mangé », lança-t-il, en s’adressant à tous, « allez vous dégourdir les jambes sur le rivage, ou faites un petit somme en attendant que les feux s’éteignent », puis, en aparté : « J’ai hâte de pouvoir enfin jeter un œil à nos poteries. » 

« Que les Esprits soient avec nous », murmura Zhu, partageant son impatience. 

« Où est passé Liang ? », demanda-t-il. « On n’entendait que lui hier soir. »

« La-bas », dit-elle, en lui montrant du doigt l’un des bûchers. 

« Ah ! Ils se sont écroulés de fatigue, on dirait. » 

À la douce clarté matinale, Liang, Caillou et quelques autres se trouvaient allongés près d’un feu vacillant. Ils avaient l’air de dormir à poings fermés. Sans doute avaient-ils baissé la garde quand, à l’aurore, l’astre du jour fit graduellement pâlir les flammes qu’ils surveillaient. 

« Laissons-les donc roupiller un peu », dit le sorcier. « Laissons-les rêver aux poteries. » 

« Et si on leur préparait du poisson en papillote, pendant ce temps-là ? », proposa Zhu. Avec nostalgie, elle se souvint du jour où, en compagnie de Liang, elle s’était essayée à cette recette pour la première fois. 

« En papi quoi ? »

« En papillote. On fait cuire le poisson dans de la terre. Ça le rend plus tendre et plus savoureux qu’en grillade. On pourrait aussi le badigeonner de sel et de fruits rouges, pour relever un peu. »

« Mais allez, allez ! Qu’attends-tu ? » Il en avait déjà l’eau à la bouche. 

« Ah et pendant que j’y pense. », ajouta le sorcier, « Tu m’as fait pitié ce matin, à t’acharner pour rien après trois sardines. Tiens, essaie un peu avec ça », et il lui tendit une petite boule granuleuse et malodorante. « Jette-en dans l’eau et attend un moment avant de lancer ton filet. Les poissons vont venir à toi, tu verras. » 

« C’est quoi ? » À l’odeur, elle eût dit un mélange de plusieurs viandes. « Dis, grand-père, depuis quand te balades-tu avec de la viande hachée ? Toute pourrie en plus. » 

Pour autant, elle ne se fit pas prier et, de ce pas, s’en alla vers la rive. Suivant ses conseils, elle saupoudra la surface de l’eau de ces résidus de bidoche, jeta son filet et patienta. Elle n’eut pas à attendre bien longtemps. En quelques minutes, il était plein à craquer. 

« C’est du génie, grand-père ! », s’écria-t-elle en revenant, son panier chargé de perches, de truites et de brochets. « D’où tu les sors, toutes ces astuces ? Ça marche à merveille. » 

« Quant à moi, pendant que tu nous prépares ton fameux poisson en papillon… » 

« En papillote. » 

« … Passe-moi donc ton couteau de jade – le bien tranchant là… oui, celui-là –, que j’aille faire un p’tit tour dans la forêt, voir ce qu’on peut trouver pour accompagner tout ça. »

Tandis qu’elle le regardait s’éloigner, la lame à la main, et disparaître à l’orée de la forêt, elle se demanda, un peu inquiète, ce qu’il allait encore lui dégoter cette fois-ci. « Pourvu que sa dernière trouvaille ne vienne pas gâcher mon poisson », pensa-t-elle. Elle ne voulait surtout pas rater son effet : faire plaisir à Liang à son réveil. 

Quand il réapparut, les mains pleines d’une sorte de plante un peu étrange, elle lui trouva quelque chose de changé. Après l’avoir examiné de la tête aux pieds, il y avait quelque chose d’inhabituel dans son aspect, sans qu’elle ne sache le décrire exactement. 

« Regarde un peu ce que j’ai trouvé », s’écria-t-il, visiblement ravi de son excursion. Depuis qu’il connaissait la forêt de bambou, il s’y aventurait régulièrement pour arracher des pousses – ce gourmand invétéré de grand-père –, sans se soucier des dangereux fauves qui y rôdaient. 

C’est alors que, soudain, elle réalisa : il ne portait plus son pardessus. 

« Elle est passée où ta veste, grand-père ? », demanda-t-elle.

« Ma quoi ? »

« Ta fourrure de léopard. » 

« Je portais une fourrure ? »

« J’en suis certaine. » 

« Ça alors, c’est vraiment bizarre. Je ne sais vraiment pas ce que j’en ai fait. »

« Raconte-moi, ou tu peux toujours courir pour mon poisson… » 

« Ah si, attends… Ça y est… Ça me revient… » 

« … Je l’ai donnée à une femelle singe », concéda-t-il, un peu gêné. « Avec son gros ventre, elle avait vraiment l’air de peiner, la pauvre, à se traîner dans la forêt. Ça m’a fait pitié. » 

« Ah ! Ah ! Ah ! » s’esclaffa Zhu, tant la vision d’une mère-singe se trimballant avec la veste du vieil homme sur le dos était hilarante. « Mais grand-père, tu perds la tête. Tu les as pris pour des humains. » 

Ça, c’était grand-père Rivière tout craché. Tantôt capable de coups d’éclat qui épataient toute la tribu, tantôt se comportant comme un enfant de cinq ans – comme courir après une chèvre des montagnes pour lui demander du lait, ou ordonner à un éléphant de s’agenouiller pour lui monter dessus. Oublieux des risques, il se mettait souvent en danger et, si lui-même n’en avait que faire, tous étaient très inquiets pour lui.

« Je ne vois pas ce qui t’amuse », dit-il, le plus sérieusement du monde. « Avec cette peau de léopard, elle fera fuir les prédateurs. Ça l’aidera à protéger son petit. » 

« De toute façon, comment savoir ce qui leur passe par la tête, à ces singes ? », dit Zhu. 

« C’est parfaitement clair », répondit-il sur le même ton, « ils veulent être les rois de la forêt. » 

« Pfff… », et, s’efforçant de réprimer à nouveau un fou rire : « … Bon, et tu les veux comment, tes bambous ? »

« Hache-les en menus morceaux, ajoute une pincée de sel, puis fourre-les dans le ventre des poissons », dit-il sans hésitation. 

« Ça alors… », dit-elle, très impressionnée, « c’est exactement ça. » 

Une fois vidés, Zhu remplit les brochets de baies sauvages et de pousses de bambou. Puis elle les enveloppa dans de grandes feuilles et, pour finir, tartina le tout de terre humide. 

« Avec de la boue… ? », s’étonna-t-il, à la fois curieux et un brin rebuté. 

« C’est pour la cuisson. Le poisson est à l’intérieur, protégé par la feuille », répondit-elle impassible, continuant sa tambouille sans s’offusquer. 

Le feu presque éteint, elle se servit des braises pour faire cuire le poisson, s’imaginant déjà – et avec délice –, la tête que ne manquerait pas de faire Liang à son réveil, quand il verrait tout ça. 

« On va bien voir », murmura le sorcier, « on va bien voir… » 

 



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