LiangZhu | 良渚
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Volume 2 / Chapitre 12
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Une fois façonnées, ils laissèrent leurs pièces sécher au Soleil. À la lumière du jour, ainsi alignées sur le sol, on eut dit de petits enfants sortant de terre – comme la cristallisation de l’eau et de l’argile, et sur le point d’être fécondées par le feu. 

Comme ils étaient nombreux ce jour-là, ils en fabriquèrent un grand nombre et, une fois sèches et durcies, en descendirent une première flopée dans les fosses, pour les empiler sur les plateformes. 

Puis, suivant les instructions du sorcier, ils allumèrent des feux de chaque côté, de façon à rendre la chaleur homogène et éviter que l’argile ne se déforme ou ne se fissure pendant la cuisson. 

« Ce soir, surtout, restez bien auprès du feu pour surveiller tout ça », exhorta le vieil homme. « Et priez l’Esprit du Feu, qu’il nous accorde de belles poteries bien solides. » 

« Et si on faisait un peu de soupe de poisson, grand-père, tant qu’on y est », proposa Zhu, qui savait toujours s’y prendre pour l’amadouer. « Sans oublier de la viande grillée. » 

« Toi ma parole ! », s’exclama-t-il, « tu sembles lire dans mes pensées. » 

« Et tu sais quoi ? J’ai fait une découverte moi aussi », lui glissa-t-elle d’un air malicieux. 

« Toutes les découvertes sont bonnes à manger », dit-il et, rien que d’y penser, il en avait déjà l’eau à la bouche. 

« Liang ! » s’écria Zhu. « Va donc nous pêcher quelques brochets, toi et les autres. Nous, on s’occupe du feu. » 

« Vois plutôt ça avec Caillou », rétorqua Liang. Il voulait rester à ses côtés et s’occuper d’allumer des feux pour éloigner les animaux. « Pour la défense du village, cette nuit », ajouta-t-il, en s’adressant au groupe, « laissons au chef le soin de l’organiser. On aura assez à faire, nous autres, à surveiller la cuisson. » 

« Ne laissez surtout pas les flammes s’éteindre », insista le sorcier. « Le pire serait que des bêtes sauvages viennent tout bazarder. Allumez-en aussi par là-bas, tant que vous y êtes… Oui, là-bas, tout autour. Ça les tiendra à distance. » 

« Dis grand-père, je viens de réaliser un truc », dit Liang de but en blanc « La dernière fois, après avoir fini ta soupe de gibier, y avait du sable au fond de la jatte. En fait, ce sable, il venait de la terre cuite. » 

« Alors comme ça, petit malin, tu voudrais profiter de ma soupe sans toucher à ma poterie ? », plaisanta le vieil homme. 

« Nan, mais par contre, la prochaine fois », dit Liang, en riant à son tour, « je laisserai un fond de soupe, pour éviter d’avaler des grains. » 

« Maintenant que j’y pense », dit le sorcier, réfléchissant à voix haute, « je me demande si, avec cette nouvelle flopée, la haute température de cuisson ne va pas régler le problème. » 

« Tu veux dire que, une fois liquéfiés par la chaleur, les cristaux du sable vont aider les grains à rester gentiment dans la terre cuite ? », demanda Liang. 

« Plus ou moins, oui », répondit-il et, poursuivant sa réflexion : « de toute façon, il doit bien exister quelque chose qui, une fois mélangé à l’argile, rende nos poteries ignifuges et incassables. » 

« Sûr que oui ! », s’écria Zhu. « On n’a pas encore trouvé, voilà tout. » 

« Grand-père, t’as remarqué ou pas ? Dans les montagnes, on trouve des pierres toutes salées. J’ai vu plein de petits animaux les lécher. Il doit y avoir un truc dedans. En les faisant brûler, on peut peut-être en tirer des matériaux pour nos poteries », suggéra Liang. 

« Bien observé, mon garçon. Mais voyons d’abord ce que cette nouvelle flopée va donner. Voir si notre piste est la bonne. » 

« En voici, en voilà ! », s’écria Caillou en s’approchant à grandes enjambées. De retour du lac, il tenait une grosse brochette de poisson à la main et il avait l’air tout content de lui. « Je les ai embrochés sur du bambou, pour changer un peu. Ça relèvera un peu le goût. » 

Zhu ne se fit pas prier. Aussitôt, elle attrapa un poisson et, à l’aide d’une lame de jade tranchante, le découpa en menus morceaux, tout en piochant dare-dare dans deux petits paniers en osier – l’un rempli de baies sauvages, l’autre de sel –, s’affairant à préparer sa nouvelle trouvaille. Sous les yeux brillants du sorcier… 

« Ô ho ho… En voilà une idée… », s’exclama-t-il, « mélanger les saveurs des fruits et du poisson salé. Je n’y avais pas pensé. » 

… … … 

Quand la nuit tomba sur le rivage, tout était déjà prêt. 

Aux quatre coins brûlaient de grands feux saupoudrés d’herbe angélique moulue – aux vertus anti-moustiques –, et dont le bois lui-même, avant d’être enflammé, avait été couvert de poudre de moisissure, dégageant une odeur qui faisait fuir les rôdeurs. 

« Alors ? Vous en pensez quoi ? », demanda Caillou en tournant ses brochettes. Le bois de bambou exhalait un parfum frais et de plus en plus prononcé. « Ça sent plutôt bon, non ? » 

« Ça sent surtout le poisson grillé », dit l’un d’eux, l’eau à la bouche, en se frottant les mains. Quand, soudain… 

PAM !!! 

Pris de panique, tous se mirent à courir dans tous les sens… 

PAM !!! PAM !!! 

Quand, de loin – pantelants, effarés –, ils se retournèrent pour observer, ils s’aperçurent que, sur la broche, les poissons avaient pour ainsi dire éclatés et, en se détachant, étaient tombés en lambeaux au milieu des flammes. Il en émanait une âcre odeur de chair calcinée. 

« Ça alors ! Vous avez vu ça ? L’Esprit du Feu nous demande un morceau », s’écria Liang. Sous le choc, il n’en croyait pas ses yeux. Ni ses oreilles d’ailleurs. 

« Mais quelle est donc cette force ? », bredouilla le sorcier désemparé. 

« Le feu… ? », dit Liang. 

« Impossible », répondit Zhu, « t’as déjà vu du feu faire exploser du poisson, toi ? »

« T’as sans doute raison », concéda-t-il. « Mais alors quoi ?! » 

« Tiens donc… Le poisson a d’abord éclaté en lambeaux… Puis… Sous l’effet de… », murmura le vieil homme, déconcerté par ce phénomène qu’il observait pour la première fois. 

« Et si c’était le bambou ? », suggéra Caillou. 

« Mais oui ! », s’écria le sorcier. « Jetons-y un autre morceau pour vérifier. »

L’un d’eux brava sa peur, s’approcha du feu et y jeta une tige, puis courut dans l’autre sens, pour se remettre à l’abri. À distance, le cœur battant, tous observèrent avec effroi le bois se faire engouffrer par les flammes. Il brûla d’abord en silence, puis soudain… 

PAM !!! Projetant des étincelles de tous les côtés. 

« C’est ça ! », s’écria-t-il à nouveau. 

« Ça fait un bruit épouvantable », expira Zhu, une main sur la poitrine. 

« Caillou, passe-moi ta machette, s’il te plaît », dit le sorcier. « Voyons un peu ce qu’il manigance, ce bambou. » 

De plusieurs coups de machette, il sectionna une tige en plusieurs tranches, puis les jeta aux flammes. Ils entendirent d’abord un petit chuintement, suivi de quelques crépitements ; mais cette fois, pas d’explosion… Cette expérience concluante, il la renouvela avec une tige non sectionnée ; et, sans surprise… 

PAM !!! PAM !!! 

« Cette fois, c’est clair », conclut le sorcier. « Sous l’effet du feu, le bois de bambou éclate, sauf s’il est coupé en morceaux. Une chance qu’on ait mis nos poteries à cuire sur des feux séparés. »

« Oui, mais pourquoi ça ? », demanda Zhu. 

« Alors là, je ne sais pas. À l’avenir, souvenons-nous simplement qu’il est dangereux de faire brûler une tige de bambou brute, et que ça peut toujours servir à effrayer les animaux. Ça fait un sacré boucan. » 

« Caillou, tu peux embrocher le poisson qui reste avec du bambou sectionné », ajouta-t-il. Passé cette petite frayeur, il avait une faim de loup. « Cette fois-ci, ça devrait aller. »

« Sûr que ça ne va pas nous éclater à la figure ? », demanda Caillou, peu rassuré. 

« Évite seulement de mettre l’Esprit du Feu en colère… », glissa le sorcier d’un air narquois. 

« Voyons voir ça… », marmonna Caillou, en s’approchant du feu avec appréhension. 

« Éloigne-toi un peu, Zhu », dit Liang, en se postant devant elle pour la protéger. 

… … … 

« Plus aucun doute, grand-père », s’écria Caillou, fasciné par le feu. 

Léchée par les flammes, la brochette cuisit sans encombre, exhalant une délicieuse odeur de poisson grillé. « C’était bien le bambou. Et comme tu le disais, avec un truc pareil, on va leur faire une peur bleue aux animaux. »

« Ce bambou, quel bois extraordinaire ! », s’extasia grand-père Rivière. « On peut le manger, en faire des chaumières, en fabriquer toutes sortes d’ustensiles ; et on peut même le faire exploser. » 



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