LiangZhu | 良渚
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Volume 2 / Chapitre 15
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Après avoir bien déjeuné et s’être débarbouillés au bord du lac, le temps était venu – solennel et tant attendu ; et qui était pour eux comme le début d’un nouveau cycle -, d’extraire des fosses leurs nouvelles poteries. 

À la suite du sorcier, ils prièrent d’abord les Esprits du Ciel et de la Terre, les implorant de leur accorder leur protection ; puis, les mains tremblantes d’émotion, ils commencèrent à déblayer les cendres, révélant une à une au grand jour les précieuses pièces en terre cuite. 

« Ça alors… Elles sont toutes noires. » 

« Et toutes brillantes. » 

« Elles étincellent par endroit. » 

« Et rendent un son clair quand on tape dessus. » 

« Elles ont l’air vraiment solides. » 

« Les Esprits sont avec nous. » 

« Clairement, cette fournée est meilleure que d’habitude ! », s’extasia le sorcier. Une jarre dans les mains, il la tourna dans tous les sens, visiblement ravi du résultat. « Il ne nous reste plus qu’à perfectionner la méthode de cuisson. » 

« Liang, récapitule pour nous les leçons à en tirer. » 

« Si cette fournée est solide », dit Liang, « c’est parce que cette fois-ci, en plus des morceaux de vieilles poteries, nous avons ajouté du sable à l’argile, pour éviter qu’il ne se déforme ou ne se fissure pendant la cuisson. Ses petits cristaux se durcissent sous la chaleur. » 

« Mais grand-père », ne pût-il s’empêcher d’ajouter, « pourquoi sont-elles toutes noires et pas toutes grises comme avant ? » 

« Ça, mon garçon, c’est grâce à l’Esprit du Feu », répondit l’autre sans hésitation. « C’est lui qui, pendant qu’elles cuisaient dans les fosses, leur a donné cette belle couleur brillante. » 

« Si on les cuisait autrement, on obtiendrait une autre couleur à ton avis ? » 

« C’est fort possible. Encore faudrait-il tenter le coup pour le savoir. » 

« Allez ! », s’écria-t-il, « reste à finir de déblayer les cendres. » 

Dans un monde où toutes les créations émanaient du Ciel et de la Terre, seule la poterie était le fruit de leurs propres efforts. Fiers de cette fournée – qui, sous leurs yeux ébahis, étincelait au soleil de sa belle couleur noire brillante -, ils se remirent au travail avec entrain. Ils descendirent dans les fosses une seconde flopée, dont l’argile avait séché à l’air toute la nuit, et disposèrent les pièces sur les plateformes, comme précédemment. 

« Grand-père, pourquoi ne pas les cuire aussi longtemps, mais en dehors des fosses, cette fois-ci ? », proposa Liang. « Voir un peu ce que ça donne. » 

« Ça vaut la peine d’essayer. » Conformément, il leur demanda de remonter les pièces et de les arranger comme il fallait. 

Ainsi, après avoir abattu un nombre incalculable d’arbres dans la forêt, après que les filles aient pêché une quantité incalculable de poissons dans les eaux du Grand Lac, pendant dix jours et dix nuits, de grands feux illuminèrent à nouveau le rivage. 

À leur étonnement (peut-être était-ce dû au vent qui, sans entrave, avait soufflé sur les bûchers ?), la terre cuite prit cette fois une autre couleur, non plus noire, mais rouge foncé ou marron clair ; et bien qu’elle leur sembla moins solide qu’auparavant, du moins avaient-ils appris à égayer leur quotidien de poteries bariolées. 

Chaque famille en reçut une, pour compenser le carnage causé par les sangliers. Par eux-mêmes ou à plusieurs, ils pouvaient ensuite en fabriquer d’autres, avec cette claire conscience que, au-delà des objets, il s’agissait d’une avancée collective ; d’une importante découverte pour la tribu, que grand-père Rivière se chargerait de diffuser parmi eux. 

Il l’enseigna d’abord aux filles, car, selon lui et le chef, elles étaient sources d’enrichissement et de progrès, à travers leur échange contre des filles éduquées d’une autre tribu, dont la venue leur apporterait de nouveaux savoir-faire, qu’ils n’avaient pas développés jusqu’alors. 

Ces échanges, par ailleurs, étaient liés à la question fondamentale de la consanguinité : Il était interdit aux garçons et filles d’une même tribu de s’accoupler entre eux, quand, en revanche, les couples mixtes pouvaient se former librement ; même si, compte tenu des aléas de la chasse, il n’était pas rare, après qu’un homme ait été tué par un fauve, laissant derrière lui femme et enfants, que celle-ci s’accouple à nouveau (librement ou de manière arrangée) à un membre de sa propre tribu, de sorte que certains enfants ignoraient l’identité de leur père (sans que cela n’ait d’influence sur leur destinée : les garçons devenaient des chasseurs, les filles étaient échangées contre celles d’autres tribus). 

Ainsi, de génération en génération, selon des lois qui leur semblaient naturelles, la vie suivait son cours près du rivage du Grand Lac ; et il était très rare que, foudroyés par l’amour, certains individus osent s’extraire de ce carcan. 

Liang et Zhu étaient-ils de ceux-là ? Étaient-ils prêts à tout sacrifier pour accomplir leur destin ? Pas même grand-père Rivière, le perspicace sorcier de la Tribu à Plume, n’eut pu le dire à ce moment-là. 

Mais ceci est une autre histoire… 

Pour l’heure, Liang n’avait pas la tête à badiner. Après avoir rénové les chaumières et fabriqué de la poterie, lui et ses amis ne pensaient qu’à une chose – ce pour quoi ils avaient patienté une éternité. 

« Et si on parlait bambou, grand-père », dit-il, « pour changer un peu ? » 

« Bambou ? », s’étonna le sorcier. « Ses pousses sont excellentes à manger. Voilà. Tout est dit. Il n’y a rien à ajouter », et, les yeux fermés, il fit mine de roupiller. 

« Et si on en faisait des flèches ? », insista Liang. 

« Oh, mais dis-moi, tu en as un beau pardessus », éluda le vieil homme à nouveau, caressant la fourrure que Liang portait sur le dos. « On dirait du daim tacheté, non ? C’est bien lisse en tout cas. Le poil est bien lustré. » 

À l’approche de l’hiver – et depuis qu’il avait offert sa peau de léopard à un singe -, grand-père Rivière n’en perdait jamais une pour les complimenter pour leur veste, et chacun tremblait à l’idée qu’à tout moment, il serait contraint de la lui donner. 

« Ah mais j’oubliais… », dit Liang et, retirant son vêtement : « Maman l’a faite spécialement pour toi. Je l’ai portée en chemin, il faisait un peu frais. Ça m’était sorti de la tête… » 

« Toi alors ! », s’écria le sorcier, « tu ne manques vraiment pas d’air ! », et sans le moindre embarras, s’empressa d’enfiler sa veste. 

Tous le regardèrent sans un mot, en le dévorant de leur regard pressant. 

« Alors comme ça », dit-il plein de malice, « on veut apprendre à faire des flèches ? » 



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