La nouvelle déséquilibra Huang Yu qui faillit tomber à terre :
– « C’est une peinture du maître ? »
Dans le passé, le Maître Lu Chen leur apportait des peintures pour qu’ils les évaluent, ça faisait partie aussi du test. Toutefois …il n’avait jamais présenté ses propres créations! Alors, pourquoi cette fois ? Si Zhang Xuan en avait vanté les mérites, ça aurait peut-être passé, le maître aurait été ravi! Mais là, comment pouvait-il dire une chose pareille ?
Ne m’aviez-vous pas dit que vous ne me causeriez pas de problèmes ? Qu’est-ce que vous essayez de prouver? Vous voulez me pousser de la falaise ? Elle regrettait d’avoir emmené Zhang Xuan!
Maître Lu Chen favorise les jeunes apprenants humbles, il ne fait aucune discrimination entre les personnes et il aime enseigner.
La jeune fille pensait que le professeur Zhang avait de l’instruction et qu’il était honnête. Si les choses s’étaient bien déroulées, elle aurait saisi l’occasion pour achever ses objectifs. Mais elle n’y croyait plus! Elle regrettait vraiment d’avoir rencontré ce jeune homme. Cela lui aurait évité bien des problèmes!
Elle était au bord de la crise de nerf tandis que Bai Xun se retenait de rire aux éclats!
Zhang Xuan avait osé une telle appréciation. Il avait dû offenser le Maître! Celui-ci ne manquerait certainement pas de lui donner une bonne leçon.
Bai Xun taquina Huang Yu en lui ricanant à l’oreille :
– « Est-ce le savoir et le talent dont tu parlais ? Doué en cithare, aux échecs, en littérature et en peinture ? »
Elle venait d’encenser Zhang Xuan, n’était-ce pas une situation risible ?
Savait-elle reconnaître une personne douée ?
– « Silence! »
Contrairement au majordome qui demeurait anxieux, à Huang Yu qui regrettait amèrement et à Bai Xun qui jubilait, le Maître Lu Chen restait impassible. Il stoppa l’agitation et regarda ce dernier calmement :
– « Jeune frère, pourquoi dites-vous cela ? Il y a un problème avec ma toile ? »
Zhang Xuan feignit d’éprouver du regret et s’inclina :
– « Je ne savais pas qu’il s’agissait de l’œuvre du Maître. Veuillez pardonner mon effronterie! »
Le livre compilé par la Bibliothèque permettait de connaître les défauts de la peinture mais aussi le nom de l’artiste. Naturellement, Zhang Xuan savait qu’il s’agissait du travail de Lu Chen, mais il fit comme s’il l’ignorait!
– « Ne vous inquiétez pas de cela. Ce n’est qu’une peinture. Pouvez-vous m’en dégager les faiblesses et les forces! » Dit Lu Chen.
– « Je suis rassuré Maître! » Zhang Xuan retrouva le sourire. De nouveau devant la toile, il la caressa délicatement et il dit :
– « Donc, pour parler de cette peinture, et même si elle est l’oeuvre du Maître… je n’ai que ces mots qui me viennent à l’esprit : C’est complètement insensé, qu’est-ce que cette croûte ? »
Huang Yu et le majordome qui étaient calmes en apparence, paniquaient intérieurement.
Mais il est totalement inconscient !
Zhang Xuan marqua une pause :
– « Toutefois … »
– « Toutefois quoi ? »
– « Cette toile n’est vraiment rien de plus. N’importe quel artiste de rue pourrait en faire autant. C’est déjà la surestimer que d’en parler en ces termes! Pourtant, si l’on parvient à regarder au-delà de cette peinture, on aperçoit une création très étonnante qui laisserait pantois les plus grands amateurs! »
Maître Lu Chen sourit gentiment :
– « Regardez au-delà ? Comment s’y prend t-on? »
– « Eh bien c’est très simple. » Zhang Xuan regarda le majordome :
– « Pourrais-je vous demander de m’apporter un couteau ? »
– « Oui! » Répondit le majordome après avoir reçu l’approbation du Maître. Il s’absenta quelques instants et remis le couteau à notre jeune professeur.
L’instrument de torture en main, Zhang Xuan s’avança près de la toile pour la taillader!
– « Mais que faites-vous ? » Bai Xun fit un pas en avant :
– « Il s’agit de l’œuvre du Maître, chacune de ses toiles est incomparable et certains les considèrent comme inestimables. Êtes-vous sûr de pouvoir le dédommager ensuite ? »
Huang Yu ne savait plus où se mettre!
Pourquoi avez-vous besoin d’un couteau pour évaluer une peinture ?
Zhang Xuan découpa l’œuvre à la perfection.
L’éventration de la bête produisit des échos dans toute la pièce. Le morceau de toile coupée s’enroula vers le haut pour dévoiler une partie cachée qui était imprimée sur une peau de chèvre alors que la partie supérieure l’était sur du papier xuan [1]!.
La peinture était donc représentée sur deux niveaux! Néanmoins, l’esprit et la représentation étaient plus vifs sur la peau de chèvre. On aurait dit que les rochers montagneux, les arbres, le village et les enfants auraient pu en sortir à tout moment!
Après avoir retiré avec soin le papier xuan, Zhang Xuan esquissa un sourire :
– « Si je ne m’abuse, le dessin se trouvant sur le niveau supérieur n’est qu’un leurre, le véritable dessin est imprimé sur la peau de chèvre à travers le papier xuan! Voici le véritable secret qui se cache derrière la toile du maître! »
Huang Yu, le majordome et Bai Xun n’en revenaient pas :
– « Quoi?. »
Imprimer l’encre à travers le papier, sur la peau de chèvre tout en gardant un dessin impeccable en surface, était un exploit, un exploit incroyable!!!
Les deux peintures étaient superposées sans aucun défaut… Comment le professeur Zhang le savait-il?
– « Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas mauvais du tout! » Zhang Xuan venait de découvrir le secret du vieux maître dont le regard s’éclairait. Il allait récompenser ce jeune homme, c’était certain! En même temps, il demeurait encore sous le choc! Comment pouvait-on, ne serait-ce qu’avec une once d’intuition, déceler ce genre de chose ?
Son aptitude à imprimer sur deux couches une représentation picturale, était quelque chose que Lu Chen maîtrisait. Mais il ne l’avait jamais montré à quiconque. Pourtant, le jeune professeur l’avait vu en un instant. Son discernement était hors du commun!
Le Maître se retourna et désigna une autre toile :
– « Et que pensez-vous de celle-là ? »
Elle représentait une bête sauvage géante. Un tigre descendant des montagnes. Son aura féroce en étonnerait plus d’un. Il fallait être courageux pour oser la regarder!
Zhang Xuan s’approcha pour effectuer son contact avec la peinture :
– « Cette peinture n’est pas mauvaise, mais elle manque de naturel! Si je ne me trompe, l’artiste qui l’a peinte n’avait jamais vu cette bête sauvage! Cette œuvre n’est que le fruit de sa propre interprétation! »
Le vieux maître tressaillit et fit de gros yeux ronds :
– « Comment? »
Certains pourraient ne pas saisir la portée des propos de Zhang Xuan, mais Lu Chen le pouvait! Et pour cause, il s’agissait aussi de sa propre création.
La créature était un « Chi Xiong », une espèce extrêmement rare. On disait qu’elle possédait une force sans limite et qu’elle était invincible, au point qu’aucune arme ne pouvait la blesser! Le Maître n’avait jamais croisé une telle bête, mais il avait lu de nombreux ouvrages pour nourrir son imagination!
Cette toile était l’une de ses fiertés et elle était suspendue exactement au beau milieu du mur du salon. De nombreux artistes-peintres étaient venus en faire l’éloge! Ils la trouvaient majestueuse et si vivante. Pourquoi ce jeune homme disait-il qu’elle manquait de naturel ?
Après toutes ces révélations, l’œil de Zhang Xuan démontrait de nouveau sa perfection! Il savait, rien qu’en observant la peinture, que le vieux maître n’avait jamais vu de Chi Xiong. Il en connaissait les raisons!
Lu Chen descendit de son piédestal et demanda précipitamment :
– « Quelle partie manque de naturel, auriez-vous la gentillesse de m’éclairer ? »
– « Ah ? »
De voir l’ancien tuteur de l’Empereur demander conseil à un jeune homme qui n’avait même pas 20 ans, Huang Yu et Bai Xun se regardaient époustouflés! Et tout particulièrement la jeune fille!
Ce type… Comment a-t-il fait ça ?
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[1] papier xuan → un type de papier pour le dessin.