Qin Mu garda le lingot d’or et dit : « Concentre-toi sur ta cultivation, mon grand. Je reviendrai te voir demain. N’entre pas dans la salle, ce démon est très rusé ! »
Le singe démon hocha la tête en signe d’acquiescement.
Qin Mu retourna immédiatement au Village des Vieux Estropiés. Au loin, il aperçut deux bateaux en papier. Ils étaient ancrés dans le ciel devant la porte du village tandis que les grues en papier étaient sous les arbres à l’extérieur. Plus personne ne se trouvait ni à bord des bateaux ni sur les oiseaux de papier. Les voyageurs devaient déjà être sur place.
Tandis qu’il marchait au milieu des maisons, il vit le vieil homme qui avait parlé sur le bateau assis en face du chef du village. Il s’entretenait avec lui : « J’ai entendu dire que dans votre village il y avait une couturière remarquable : mamie Si. Alors, nous sommes venus lui demander de nous aider à confectionner des vêtements. »
Le chef du village le questionna : « Puis-je vous demander quel genre et quelle taille de vêtements vous voulez ? »
Le vieil homme répondit : « J’ai besoin de tenues funéraires, neuf en tout. En ce qui concerne la taille, prenez celle des villageois. On m’a aussi affirmé que Vieux Ma s’y connaissait en menuiserie, alors je voudrais lui demander de fabriquer neuf cercueils. Pour leur longueur, qu’il prenne les gens d’ici comme référence. »
Soudain, le vieil homme vit Qin Mu avancer vers lui. Il marqua un temps de surprise : « Je me suis trompé, il me faudra dix tenues funéraires et dix cercueils. Qian Qiu, apporte l’argent. »
Le dénommé Qian Qiu approcha et agita la main. L’un des bateaux en papier à l’extérieur du village flotta et atterrit à côté du chef du village. Qin Mu s’aperçut que le vaisseau transportait en réalité des objets de funeste augure, des lingots en papier, des bougies, un drapeau funéraire blanc ainsi que d’autres articles mortuaires.
Le vieil homme lui ordonna d’arrêter le bateau dans le village et dit : « Voici pour les dix tenues funéraires et les cercueils. Puis-je savoir si mamie Si et Vieux Ma les auront terminés aujourd’hui ? Pour être honnête, je suis pressé de les utiliser. »
Boiteux, Muet, Apothicaire, jusque-là occupés à leurs activités respectives, se figèrent d’un seul coup. Mamie Si trottina d’un pas chancelant et dit en souriant au visiteur : « Dix tenues funéraires pour aujourd’hui ? Le délai est plutôt court, cher client. »
Vieux Ma approcha et répondit sèchement : « Je travaillerai assez rapidement pour livrer les cercueils aujourd’hui. Pourriez-vous patienter un instant ? »
Le vieil homme sourit : « C’est sûrement un peu précipité, mais vous êtes talentueux. Alors, vous devriez être capables de tout faire dans la journée, non ? »
Mamie Si jeta un regard en direction des lingots et des bougies. Elle sourit d’un air froid : « Si vous êtes si pressé, je vais m’y mettre tout de suite. Quelle heureuse coïncidence, je viens justement d’acheter du tissu. »
Le vieil homme se leva de sa chaise : « Je vous remercie pour vos efforts, mamie. »
Mamie Si repartit vers sa maison afin d’y prendre les étoffes. D’un geste de la main, les rouleaux de tissus se déroulèrent dans les airs et une paire de ciseaux apparut. Leurs lames s’agitèrent et en un rien de temps, le patron des vêtements était découpé.
Puis, des aiguilles d’argent s’élevèrent de son panier, des fils passés au travers de leur chas. Tandis qu’elles se déplaçaient dans le ciel, les tenues funéraires furent bientôt terminées.
De son côté, Vieux Ma se dirigea vers des saules immenses. Il libéra du Qi vert de ses doigts pour les scier. Peu de temps après, les énormes troncs blancs des arbres étaient découpés en forme de cercueils.
Ces bières de bois blanc s’envolèrent ensuite jusqu’au village.
Les tenues confectionnées par mamie Si étaient également prêtes. Elle agita doucement les mains et chacun des vêtements funéraires se posa sur un cercueil.
Vieux Ma avança de plusieurs pas et dit sans ambages : « Vous avez apporté une grosse somme d’argent, par conséquent, j’ai fabriqué deux autres cercueils gratuitement. Cela fait un total de douze cercueils, tous aux mesures demandées. Mon savoir-faire vous satisfait-il, cher monsieur ? »
Mamie Si sourit : « Moi aussi, je vous ai cousu deux tenues funéraires supplémentaires gratuites qui vous conviendront. »
Le vieil homme ricana : « Je suis satisfait, je suis satisfait. »
Qin Mu sentit l’ambiance devenir de plus en plus bizarre. Discrètement, il dénombra les visiteurs et se rendit compte qu’ils étaient précisément douze, si on ajoutait les gens vêtus de vert et le vieil homme !
Apothicaire s’avança, l’air inquiétant. Pourtant, sa voix était très douce : « À en juger par votre accent, vous n’êtes pas de la région. Je dirais que vous venez de la frontière méridionale. »
Le vieil homme répondit avec un léger sourire : « C’est vrai. Nous sommes de la frontière méridionale, là où coule le fleuve Li. »
Boiteux approcha, le visage illuminé d’un grand sourire : « Il paraît qu’il existe une secte importante aux abords du fleuve Li, la Secte du fleuve Li, et qu’elle compte de nombreux experts. J’ai entendu dire que son maître s’appelait Mu Beifeng. Son art divin aurait atteint la perfection et il serait capable de neutraliser le courant du fleuve d’un simple geste de la main. »
Le vieillard s’empressa de répondre : « Je suis flatté. Je ne mérite pas tant de louanges. Effectivement, je m’appelle Mu Beifeng. Notre Secte du fleuve Li est en réalité une secte mineure qui vit des bienfaits du fleuve. J’avais de jeunes frères qui étaient respectés et connus sous le nom des Cinq aînés du fleuve Li. »
Le cœur de Qin Mu se serra et son visage se figea légèrement. Les Cinq aînés du fleuve Li n’étaient-ils pas les cinq maîtres tués par mamie Si ?
Mu Beifeng et les siens étaient-ils venus au village dans le but de venger les Cinq aînés du fleuve Li ?
Il avait justement commandé dix cercueils et dix tenues funéraires, lesquels étaient clairement destinés aux habitants du Village des Vieux Estropiés. Après avoir tué les villageois, il comptait les revêtir de ces vêtements, les allonger dans les cercueils pour les enterrer sur place, avant de brûler les lingots et les bougies comme offrandes.
Les bateaux et les grues en papier avaient également été fabriqués pour les villageois après leur mort !
Mu Beifeng tourna l’anneau de jade qu’il portait au pouce et, d’un ton calme, il narra les événements suivants : « Il y a deux ans, la famille impériale a édicté un ordre impérial. Cet ordre nous a été personnellement délivré par le précepteur impérial. Lorsqu’il est venu à la rencontre de la Secte du fleuve Li, il s’est assis avec moi afin de parler de la voie à suivre. Le temps nécessaire à un seul bâton d’encens pour se consumer lui a suffi à me convaincre d’accepter l’ordre impérial. J’ai remercié l’empereur pour cela. Je lui suis redevable ainsi qu’au précepteur impérial de me tenir en si grande estime et de m’avoir octroyé le titre de gouverneur de la Préfecture des Cinq bourgeons à la frontière méridionale. Je suis devenu fonctionnaire de second rang à la tête des Cinq bourgeons. Puis, le précepteur impérial a offert aux Cinq aînés du fleuve Li les postes de vice-gouverneurs. Ils sont devenus officiers de troisième rang. Toutefois, nous sommes des nomades, et malgré ces fonctions officielles, nous avons continué de nous déplacer.
Le chef du village sourit : « L’empire de la Paix éternelle est une secte déguisée en empire. Grâce au mortel le plus puissant après les dieux comme bras droit de l’empereur, l’empire a pu prospérer et accumuler d’immenses richesses, au point que de nombreuses sectes se sont agenouillées devant lui. Il a même permis à leurs disciples d’intégrer l’armée pour conquérir de nouveaux territoires. Frère Mu, au début, vous étiez totalement libre de tous vos faits et gestes. Mais après avoir reçu votre charge de fonctionnaire, vous avez dû respecter la loi imposée par la famille impériale. C’est compréhensible que vous ayez eu du mal à vous y soumettre. »
Mu Beifeng poursuivit : « Mes cinq jeunes frères ont donc pris une pause et sont partis en emmenant les cinq disciples du fleuve Li dans les Grandes Ruines. Ils étaient tous très talentueux, et mes cinq jeunes frères avaient décidé de les entraîner. »
Aveugle s’avança avec sa canne en bambou et dit : « Les Cinq aînés du fleuve Li sont allés dans les Grandes Ruines pour s’entraîner ? Et ils ont emmené leurs disciples ? Les Grandes Ruines sont très dangereuses. Cela m’inquiète de les savoir là-bas. »
Mu Beifeng soupira : « C’est vrai. Les Grandes Ruines sont vraiment très dangereuses et sont peuplées de gens démoniaques. Ils étaient partis depuis deux mois déjà. Comme je ne les ai pas vus revenir, je me suis douté qu’un malheur leur était arrivé. Je suis alors parti à leur recherche et, par hasard, j’ai découvert l’endroit où mes cinq petits frères étaient morts. Leur trépas a vraiment été épouvantable. D’après l’état de leurs os, complètement brisés, ils ont sûrement été tués par un maître du Culte du mal céleste, de petit gabarit, similaire à celui de mamie Si. »
Il secoua la tête et poursuivit : « Ensuite, j’ai trouvé l’endroit où leurs disciples étaient morts eux aussi. C’est dans une vallée. Les bêtes sauvages ont mutilé leurs corps. Ah… Quelle mort horrible… Au vu de leurs blessures, celui qui les a tués est sûrement un jeune pratiquant, comme notre petit frère ici. J’avais entendu dire qu’une couturière et qu’un menuisier vivaient dans votre village, alors je suis venu leur commander des tenues funéraires et des cercueils pour les assassins de mes jeunes frères et de leurs disciples. Il ne reste plus qu’à les trouver pour les y allonger. »
Son visage arbora une expression de dédain : « Je suis peut-être un fonctionnaire de la cour, mais j’ai gardé ma liberté. Je ne suis pas habitué au bla-bla de la famille impériale, alors réglons ce différend en adeptes dignes du monde martial. Je suis venu venger mes jeunes frères et leurs disciples. Qian Qiu. »
Son récit terminé, le vieil homme cessa de parler.
Derrière lui, un jeune pratiquant s’avança et regarda Qin Mu. C’était le jeune homme qui lui avait jeté un lingot d’or pour son aide.
« Mon jeune frère Qu est mort après avoir été victime d’une technique au couteau exécutée avec un bâton. Petit frère, je vois que tu portes un couteau dans le dos. Peux-tu me montrer ta compétence au couteau en combattant contre moi ? »
Qin Mu hésita. Il se tourna vers mamie Si, le chef du village et les autres.
Mamie Si ne put s’empêcher de l’avertir : « Mu’er, à la frontière méridionale, les gens suivent une coutume bestiale : ils font preuve de cruauté et ne connaissent pas la pitié. Comme il t’a demandé de lui montrer ton couteau, tu devrais t’exécuter… »
« Tais-toi ! »
Le chef du village cria à Mamie Si de ne rien ajouter, puis, calmement, il reprit : « Ils sont venus ici en suivant les règles du monde martial et n’ont pas utilisé le pouvoir de la famille impériale ni celui du précepteur impérial pour faire pression sur nous. Par conséquent, nous devons, nous aussi, nous conformer aux règles. Personne ne doit donner de conseils à Qin Mu, ni l’aider. »
D’un regard empli d’une volonté farouche, le chef du village posa les yeux sur Qin Mu et lui dit froidement : « Qin Mu, les cercueils et les tenues funéraires sont juste là. Si tu te laisses guider par tes bons sentiments, tu finiras dans l’une de ces boîtes ! Soit c’est lui qui crève, soit c’est toi ! Il vient de te défier en duel. Alors tu peux me dire ce que tu fais encore là avec me regarder avec tes yeux de merlan frit ? »