Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 105 – Vérification
Le cœur de Klein fit un bond :
Ses plagiats… je veux dire son manuscrit créatif doit être considéré comme un livre très précieux… Ce marque-page pourrait-il être une Carte du Blasphème ?
Il activa silencieusement sa Vision Spirituelle mais ne vit rien d’anormal.
Il balaya ensuite du regard les autres signets : rien.
Et puis, si c’était si facile à détecter, il ne m’aurait pas fallu jusqu’à ce jour pour avoir cette pensée… Se dit le jeune homme en désactivant sa capacité.
Une fois de plus, il procéda par élimination à partir de ce qu’il avait appris dans le journal et de la personnalité apparente de l’Empereur.
D’après ce qu’il savait, si Roselle avait dit que le livre contenant la Carte du Blasphème avait de la valeur, il ne pouvait s’agir de quelque chose de trop ordinaire sous peine de ne pas coller avec son sens de l’humour douteux. Recourir à une foule de connaissances précieuses pour servir de faire-valoir à un discret marque-page devait être une manière de taquiner le destinataire du livre.
Je peux donc éliminer tous les livres qui, quoi qu’ayant de la valeur, ne sont pas particulièrement précieux. Dans ce cas…
Il regarda autour de lui en s’efforçant de donner un sens à tout cela, totalement sourd à ce que disait la guide.
En résumé, le seul livre dans ce bureau qui remplisse ces conditions est ce manuscrit créatif. Les autres n’ont qu’une valeur ordinaire et connaissant la personnalité de Roselle, il ne les aurait certainement pas choisis. Il était bien du genre à se dire : Je vais cacher mon secret dans un endroit si évident que vous ne le trouverez jamais…
Il imaginait très bien la scène et l’Empereur en train de rire dans sa barbe.
Il n’avait bien sûr aucun moyen d’être certain que ce marque-page était bien la Carte du Blasphème maquillée dans la mesure où parmi les livres précieux que possédait Roselle, il y avait bien évidemment ceux traitant d’occultisme. Or jamais l’Église du Dieu de la Vapeur et des Machines ne les aurait exposés !
Voyons, je vais d’abord devoir m’assurer qu’il s’agit bien de la Carte du Blasphème avant d’envisager de passer à l’action… Malheureusement, je ne peux pas utiliser la date du 20 janvier pour procéder par élimination. Nul ne sait quel marqueur à été placé dans quel livre et quel jour…
Klein se tourna vers la guide et demanda en souriant :
– « Y a-t-il aussi des papiers glissés dans les livres rangés sur les étagères, comme par exemple un petit mot qu’aurait écrit une noble dame à Roselle ? »
Cette question fit glousser bon nombre des hommes présents.
– « Non, répondit la dame. Les livres qui en contenaient ont tous été sortis et placés ici afin que tout le monde puisse les voir.
« Il s’agit d’une simple restauration du bureau de l’Empereur Roselle et de la reconstitution d’un moment particulier dans le temps. Il n’était donc pas nécessaire de le maintenir dans un état particulier. »
Klein eut un sourire :
– « Je comprends, c’est vraiment décevant… »
Mais c’est génial ! Pensait-il. Un seul signet à vérifier dans toute cette exposition, cela réduit de beaucoup la difficulté…
Pendant que la guide présentait “Les livres préférés de Roselle”, notre détective observa la disposition générale de la salle.
Afin de restituer l’atmosphère qui régnait dans la pièce plus d’un siècle auparavant, on n’avait pas installé de lampes à gaz.
L’éclairage reposait principalement sur des oriels à barreaux de fer à quelques mètres de lui et sur les énormes lustres en cristal suspendus au plafond.
Quant au chandelier de laiton posé sur le bureau, il ne contenait aucune bougie et n’était là que pour la décoration.
En regardant par la fenêtre en encorbellement, Klein aperçut une pelouse jaunâtre, flétrie ainsi qu’un réverbère noir.
Il prit note de leur emplacement et reporta son attention sur le livre que présentait la guide tout en évaluant mentalement la possibilité d’un cambriolage.
Partons du principe que compte tenu des intentions de Roselle, les différentes églises et anciennes familles royales ne souhaitent pas qu’il répande les Cartes du Blasphème et détruise l’ordre en place depuis plus de mille ans.
Si j’étais un archevêque chargé de gérer cette affaire, je brûlerais tous les objets liés à Roselle. La destruction totale des Cartes du Blasphème satisferait totalement les dessins des divinités. Et s’il s’avérait qu’elles soient difficiles à détruire, elles révéleraient à coup sûr leur spécificité une fois que l’on aurait tenté de les brûler.
Si les objets ayant appartenu à l’Empereur sont toujours là, cela signifie qu’il a réussi à faire croire à tout le monde – y compris aux divinités – qu’il a envoyé toutes les cartes de blasphème sans en garder une seule.
Cela dit, il n’est pas exclu que certaines Églises ou familles anciennes aient tenté d’utiliser ces cartes pour compléter certaines de leurs voies Transcendantes, mais c’est peu probable. Cela aurait donné à Roselle l’occasion de mettre au point une stratégie de front uni et il n’aurait pas eu besoin d’aller jusqu’à détruire l’ordre établi en répandant les Cartes du Blasphème.
Son journal révèrerait alors un certain niveau de confiance et d’inquiétude à ce sujet et non un pessimisme au point de ne penser qu’à s’appuyer sur cette antique organisation secrète.
Par ailleurs, plus de cent ans se sont écoulés depuis et L’Église du Dieu de la Vapeur et des Machines, qui a conservé ces reliques, a dû faire de nombreuses recherches. Par conséquent, personne ne pourrait croire que la Carte du Blasphème est toujours cachée ici.
En d’autres termes, le niveau de sécurité de cette exposition ne doit pas être trop élevé.
De plus, et c’est le point essentiel, Backlund est actuellement en proie à la terreur suite aux meurtres en série perpétrés par le Diable. Les Transcendants des trois églises sont certainement en train de passer la ville entière au peigne fin. Le nombre d’hommes que l’équipe de la Conscience Collective des Machines a pu affecter à cette exposition sans importance doit être extrêmement limité.
En effet, la seule chose ici qui nécessite une surveillance est le journal de Roselle. De nombreux Transcendants sauvages, qui vouent un grand culte à l’Empereur, sont convaincus que ce livre écrit avec des symboles originaux renferme de profonds mystères. Ils ont à la fois le mobile et la capacité de le voler. C’est donc sur cette salle que seront certainement focalisés les gardes.
Sitôt rentré, je procéderai à une séance de divination pour vérifier si mon analyse est bonne. Mais d’abord, je dois m’assurer qu’il s’agit bien d’une Carte du Blasphème car je ne prendrai pas ce risque et ne ferais pas tous ces efforts pour m’apercevoir au final que ce que j’ai volé n’était qu’un marque-page ordinaire. Autant retourner dans la tombe !
Mais comment le vérifier ? Cela ne peut pas attendre que je m’infiltre à nouveau ici et je n’ai pas l’opportunité de le faire maintenant… Je vais devoir trouver quelqu’un pour m’aider… Je me dois de rester prudent ! Se dit Klein en suivant la guide, feignant d’être particulièrement attentif à ses explications.
Melle La Magicienne est une Apprentie. Elle est capable de traverser murs et portes comme si elle possédait un Passe-Partout. Elle fait donc une bonne candidate… Cela dit, elle n’est que Séquence 9. Cette mission d’infiltration pour vérification est bien trop dangereuse pour elle…
Mlle Xio ? Non, elle ne serait pas à la hauteur… Qu’elle se fasse aider par un voleur ? Non, ça ne marchera pas. Il y a ici des gardes Transcendants. Celui-ci se ferait sûrement prendre sur le champ et l’on saurait que quelqu’un s’intéresse au signet de Roselle…
Mlle Sharron ? Elle est assez puissante et sa condition tout à fait adaptée à ce genre de quête, mais la Carte du Blasphème est un objet divin pour lequel la plupart des Transcendants seraient prêts à tuer. Je n’ai pas suffisamment confiance en elle…
…
A mesure que Klein réfléchissait, une candidate lui vint à l’esprit : Melle Justice !
Lui serait-il possible d’utiliser sa fortune et son pouvoir d’aristocrate pour toucher le signet, en prétextant qu’elle est intéressée ? Hmm, de nombreuses opportunités s’offrent à elle. De plus, cette manière de procéder n’alertera personne, ce qui me sera profitable pour, par la suite, m’immiscer dans les lieux et le voler…
Plus il y pensait, plus il trouvait cela faisable.
Quant à la vérification, la Carte du Blasphème possédant des caractéristiques anti-divination et anti-prophétie, la seule solution qui lui venait pour le moment était de tenter de détruire le marque-page !
Si l’on se risquait à utiliser la prophétie ou la divination sur un objet dissimulant une Carte du Blasphème, l’échec ou l’interférence qui en découlerait ne reviendrait-il pas à s’exposer ?
En réalité, tenter une divination sur cette carte déguisée donnerait les mêmes résultats que si c’était un signet ordinaire.
Quoi qu’il en soit et comme je n’ai aucun moyen de connaître le “mot de passe” défini par l’Empereur, je vais devoir recourir cette méthode aussi simple que rudimentaire. Si vraiment je parviens à détruire la carte, je ne pourrai qu’en conclure que je suis ne temporairement pas en phase avec elle. Si je me base sur les goûts de l’Empereur, je peux peut-être tenter une incantation d’activation…
Un jour, il écrivait en plaisantant : “Ma fortune est à votre disposition, mais vous aller devoir la trouver. J’ai laissé tout ce que je possède aux confins de la Mer de Brume” et la Carte du Blasphème est l’un de ces trésors !
L’incantation d’activation pourrait-elle être réglée sur “One Piece” en Hermès ancien ? Non, ça ne va pas. Nul n’en tirerait quoi que ce soit à moins qu’une seconde personne ne transmigre. Ce n’est pas conforme à l’intention de l’Empereur de créer le chaos et de détruire l’ordre. Le mot correspondant à “Roi Pirate” aurait-il été écrit en Hermès ou en Hermès ancien ?
À mesure que Klein réfléchissait, il prêtait de plus en plus attention à la disposition de la salle d’exposition.
Sous la direction de leur guide, ils quittèrent cette reconstitution du bureau et passèrent à une autre salle.
La visite terminée, le jeune homme étant enfin libre d’aller et venir à sa guise, il demanda, un peu gêné :
– « Excusez-moi, où se trouvent les toilettes ? A l’étage ? »
– « Non », répondit aimablement la guide. « Là, c’est notre bureau. Suivez ce chemin jusqu’au bout puis tournez à gauche. »
Profitant de cette occasion, Klein esquissa un plan approximatif des toilettes et de plusieurs grandes salles d’exposition.
À midi, il quitta le Musée Royal et retourna au 15 rue Minsk.
Au départ, il souhaitait instruire Mlle Justice en tant que Fou et lui dire que son adorateur avait besoin d’aide. Mais après mûre réflexion, il s’était dit que ça desservirait l’image du Fou.
Personnage insondable, il se doit de paraître calme et posé. Il ne peut pas toujours aider son adorateur. Au moins ne peut-il pas continuellement et personnellement soulever de telles questions…
Il réfléchit et trouva aussitôt une solution : il transmettrait directement l’image et la voix de son “adorateur” à Justice. Ainsi, Le Fou ne serait pas impliqué.
Soulagé, Klein tira les rideaux, se frotta les joues et s’invoqua lui-même :
Fou qui n’appartenez pas à cette époque,
Mystérieux Souverain élevé au-dessus du brouillard gris,
Roi du Jaune et du Noir qui conférez la chance,
Je sollicite votre aide, espérant que quelqu’un pourra toucher pour moi le signet du manuscrit créatif de Roselle.
Aidez-moi à lui infliger d’imperceptibles petits dommages et faites m’en connaître le résultat. Ce faisant, on peut réciter le terme correspondant au ‘Roi Pirate’ en Hermès ou en Hermès ancien.
Quelle que soit la personne qui me viendra en aide, je suis prêt, même s’il n’y a pas de réaction, à la payer 500 Livres qui pourront être déduites des 5 000 qui restent à payer.
Dans le cas où il y aurait une réaction, je suis disposé à donner plus. »
…
Cela fait, le jeune homme attendit un moment avant de se transférer au-dessus du brouillard où il se vit prier sur l’écran de lumière.
La divination lui ayant révélé que “le vol du marque-page au Musée Royal” présentait un certain danger somme toute relatif, il isola la prière, y ajouta un effet de “mosaïque”, modifia légèrement sa voix et la lança en direction de l’étoile qui symbolisait Justice.