Cloudhawk voulait jeter le crâne. Les feux étaient comme de l’huile visqueuse, grimpant le long de ses bras et le remplissant de trépidation. Au cours des derniers mois, il avait souvent vu des choses étranges, mais là, il avait vraiment l’impression d’être face à face avec un fantôme !
Les feux continuaient à l’envelopper, mais il ne dégageait aucune chaleur.
En fait, c’était même le contraire. Ce n’était pas du tout comme du feu, mais comme des entraves de glace glissant sur son corps. C’étaient d’affreuses vipères nées dans les profondeurs de la terre qui lui ôtaient lentement la vie. Il ne pouvait pas bouger, et les poils de son corps se hérissaient.
Lorsque les flammes écarlate avaient enveloppé la moitié de son corps, elles étaient aussi dures que du ciment. Alors qu’il commençait à craindre d’être enfermé à jamais, les flammes rampantes avaient semblé sentir quelque chose. Elles s’étaient regroupées autour de sa poitrine et, au contact de la pierre de phase, avaient été aspirées à l’intérieur.
La pierre d’apparence ordinaire les attirait comme une éponge, ou plus exactement, comme un trou noir insatiable. Il ne restait pas une seule lueur du feu du crâne noir. Il avait été dévoré par la pierre de phase jusqu’à ce que même les feux éternels de ses yeux s’éteignent.
Les yeux de Cloudhawk s’étaient tournés vers le crâne et il avait vu un changement s’opérer. L’éclat brillant avait disparu de sa surface semblable à du jade. Tout à coup, c’était comme si mille ans s’étaient écoulés en un instant. Le crâne était devenu rugueux. Certaines parties s’étaient fissurées. Les fissures se poursuivaient le long de l’os ancien jusqu’à ce que, dans un fracas, il se brise en plusieurs morceaux et tombe sur le sol.
Lentement, il retrouva sa capacité de mouvement. Il tituba de quelques pas en arrière dès que ses pieds le lui permirent. Le son de son cœur battant la chamade était assourdissant.
Quelque chose lui semblait différent maintenant, une sensation centrée sur sa poitrine. Il baissa les yeux et vit la pierre se teinter progressivement d’un rouge écarlate. Elle était aussi lisse et luminescente qu’une pierre précieuse, et un pouvoir énigmatique émanait de son intérieur.
S’est-il passé quelque chose ? Le crâne avait-il brisé sa précieuse relique ?
Il la toucha et fut récompensé par un choc intense. Une douleur aiguë traversa son esprit et le prit au dépourvu, puis sa vision s’assombrit. Des souvenirs, des fragments de pensées, mélangés et chaotiques, l’inondèrent dans une procession sauvage. Des scènes de guerre défilaient dans son esprit. Des éclairs de sang et de mort, toutes sortes de sons contradictoires, des milliers de couleurs mélangées. Les scènes étaient impossibles à différencier.
Quel cerveau humain pouvait gérer autant d’informations ? Cela menaçait de le mettre en pièces ! Si ça ne le tuait pas, ça le rendrait certainement fou.
« Sortez ! Sortez de ma tête ! »
Sa réponse aux images et aux sons accablants était une résistance furieuse. Dans son esprit, une pluie de météores s’était abattue sur sa mer de conscience, provoquant des raz-de-marée. Lorsqu’ils avaient sombré dans les profondeurs de cette mer sombre, il pensait pouvoir trouver la paix, mais ce n’était pas la fin. Les pierres qui tombaient brillaient d’une lumière intense. Un champ d’énergie planait sur tout.
Les images évoquées par son esprit s’agitaient comme une rivière en colère.
« Ça… On dirait que les pouvoirs de la pierre s’activent. »
Le pouvoir phasique venait de la pierre et non de lui-même, il n’avait donc pas la possibilité de l’arrêter. Son corps s’était tordu de façon erratique comme s’il était fait d’argile, puis il disparut en clignant des yeux.
Un sentiment familier l’envahit. C’était la sensation de passer dans une autre dimension.
Il avait commencé à maîtriser les capacités de la pierre qui lui permettaient de traverser la matière. En substance, le principe était qu’il plaçait une moitié de lui dans une dimension et l’autre moitié dans une autre. Il était toujours présent mais délogé. Le champ d’énergie de la pierre était le facilitateur.
Si un tissu élastique était utilisé pour représenter le concept du temps, alors la capacité de déphasage revenait à placer une pierre sur ce tissu. Il était manifestement toujours d’un côté du tissu qui s’étirait, mais en même temps, il n’était pas dans son propre espace.
Ou comme deux ponts, l’un au-dessus de l’autre. Quel que soit le flux de circulation au-dessus, ces conducteurs n’allaient jamais apparaître sur la route en dessous. Même s’ils pouvaient se voir, ils n’étaient jamais que des projections de l’autre. Grâce à la capacité de la pierre à utiliser pleinement l’espace, il avait pu échapper au danger.
Mais c’était loin d’être le seul pouvoir de la pierre. Entre les mains d’un vrai maître, la pierre de phase pouvait pénétrer complètement les dimensions. Pour en revenir à la métaphore du tissu, avec ses capacités actuelles, il pouvait étirer le tissu, mais pas le traverser. Si quelqu’un d’assez fort essayait, il passerait à travers.
Pour l’instant, la capacité à parcourir les dimensions le dépassait. Les rares fois où il avait réussi, c’était parce qu’il avait résonné correctement avec le pouvoir stocké dans la pierre. C’était très difficile pour lui de faire ça sur un coup de tête.
Maintenant, après avoir absorbé ce qui se trouvait dans ce crâne, la pierre reprenait vie.
Comment n’avait-il pas pu prendre Cloudhawk par surprise ?
La puissance qui l’avait envahi, l’avait découpé en morceaux infiniment petits, plus qu’un homme ne pourrait en concevoir. Il avait ensuite été reconstitué ailleurs, dans une autre réalité.
Ce n’était pas une expérience agréable.
Cependant, après quelques expériences de ce genre, il avait appris à s’en accommoder. À présent, il se trouvait quelque part, drapé dans l’obscurité et le silence. C’était un monde en ruine.
Il avait été découpé en bloc de terre vaguement assemblé et flottant les uns autour des autres, dont certains étaient aussi grands que le domaine de Skycloud. Ils flottaient tous dans un espace vide et troublant où il n’y avait rien d’autre que les étoiles jumelles autour desquelles ils gravitaient. Au-delà, il n’y avait que la vaste étendue du néant et les étoiles qui se cachaient au-delà.
C’était un monde mort poussiéreux. Cela ne pouvait pas être l’endroit d’où il venait.
Il avait été dans quelques endroits maintenant et ils avaient tous l’air de mondes typiques. Mais cet endroit ? Il n’avait jamais rien vu de tel ! N’importe qui avec le minimum d’éducation aurait su que c’était l’espace. Il était sur un morceau de roche recouvert de poussière d’étoiles. Les restes fracturés d’une planète flottaient tout autour de lui, ayant été déchirés par une puissance cauchemardesque. Maintenant, ils dérivaient lentement à travers le vide éternel jusqu’à la fin.
Heureusement pour lui, sa pierre était toujours active. Son champ d’énergie était la seule chose qui l’empêchait de mourir sur place dans cet environnement inhospitalier. Il n’y avait pas d’air et il faisait un froid glacial, ses poumons auraient été instantanément vidés, ses tympans se seraient rompus ; un humain normal ne tiendrait pas 5 secondes, il pourrait tenir quelques secondes de plus au mieux.
Alors que se passait-il ? Pourquoi la pierre l’aurait-elle amené ici ?
La dalle sur laquelle il flottait était de la taille du domaine de Skycloud. En regardant dehors, il vit des abris. Ils avaient dû être bricolés après la calamité. Rien de tout cela n’aurait survécu à ce qui est arrivé à ce monde.
En levant la tête, il trouva des champs d’épaves. Une section ressemblait étrangement aux docks flottants utilisés par les Élyséens. La ruine de ce qui ressemblait beaucoup à un vaisseau de guerre était à proximité. Il y en avait un autre à proximité qui faisait facilement mille mètres de long. D’après ses expériences, ils semblaient très similaires.
Ce devait être un champ de bataille.
Son attention se reporta sur la pierre qui, à cet instant précis, libéra une colonne de feu. Elle gronda de colère pendant un moment avant de se rassembler. Comme un moule, elle avait été forcée à prendre une forme humaine. Cependant, peu importe à quel point on pressait le feu, il ne pouvait pas devenir solide. Un vrai corps ne pouvait pas être formé.
Comme il le soupçonnait, sa pierre de phase avait un lien avec le crâne.
L’amalgame de feu avait une forme humaine, mais même de près, il n’y avait aucun trait discernable. Tout ce qu’il pouvait distinguer, c’était une paire d’orbes de feu à la place des yeux et la représentation spectrale d’une gemme incrustée dans sa poitrine. Pour lui, il était en quelque sorte familier. C’était comme s’il se regardait dans un miroir tordu, mais le reflet était tout sauf humain.
« Toi ? Tu n’avais pas dit que tu étais mort ? »
Qui d’autre pourrait être l’ancien propriétaire de la pierre ? Le voir apparaître comme ça tout d’un coup était suspect. « Le crâne que j’ai trouvé t’appartenait-il ? »
Cloudhawk béa1 comiquement de stupeur. Mais il y avait quelque chose de bizarre dans sa façon de parler… « Je suis vraiment désolé. Je crois que je l’ai cassé en morceaux sans faire attention. »
Ce n’étaient pas les mots qui étaient bizarres. C’était l’environnement.
Il n’y avait pas d’air ici, et sans air, il n’y avait aucun moyen de parler. L’être ne pouvait pas l’entendre. Et pourtant, il semblait l’entendre. Ils flottaient l’un en face de l’autre, se regardant. Ici, parmi les étoiles, ils planaient, une grande silhouette et une petite. Pourtant, même s’ils étaient proches, l’image était encore floue. Ils se parlaient à travers le voile de la vie et de la mort.
« Pas besoin de trouver cela étrange, c’est simplement une autre fraction de mon testament que j’ai laissé derrière moi. »
« Eh bien, combien de ces morceaux y a-t-il ? »
« Lorsque je suis tombé, j’ai divisé mon esprit en trois morceaux. Il s’agissait de la pierre dimensionnelle, de mon crâne et de ma relique la plus importante. La pierre portait l’héritage de mon pouvoir, et mon crâne contenait toutes mes connaissances. Quant à ma relique, elle a été scellée avec le reste de mes richesses – mon don de richesse. »
Le pouvoir, le savoir et la richesse. N’étaient-ce pas les choses que tout homme recherchait ?
Leur conversation était très étrange, surtout pour la façon dont la voix de l’esprit murmurait directement dans son esprit. C’était un peu comme la façon dont il communiquait avec Oddball, mais… plus détaillé. Oddball ne pouvait pas communiquer comme ça.
« La pierre est la clé. Sans elle, le crâne serait réduit en poussière. Heureusement, c’est toi qui as trouvé mes souvenirs. »
Dark Atom avait pris beaucoup de risques dans sa guerre contre l’Armée des enfers. Pour tous ces problèmes, ils volaient quelque chose qu’ils ne pouvaient même pas utiliser. Le pouvoir que le crâne contenait ne pouvait être accepté que par une personne spécifique. Cette personne était Cloudhawk.
C’était une incroyable coïncidence. Mais l’était-elle vraiment ?
Il avait l’air incrédule. « Comment est-ce arrivé ? »
« Il y a beaucoup de choses dans cet univers que tu ne peux même pas commencer à saisir, mais ceci est suffisant. Tout ce qui est possible existe, et tout ce qui existe est possible. Tout a une explication. La connaissance dissipe tous les mystères. »
Les mots avaient été murmurés dans les recoins de son esprit.
« Si tu fusionnes avec ma sagesse et mes souvenirs, tu hériteras d’une profonde compréhension du monde dans lequel tu vis. Tu verras que tu n’es qu’un petit grain de poussière insignifiant sur une énorme planète qui n’est qu’une parmi d’innombrables autres. »
1 : fut bouche bée