Le loup massif se trouvait juste devant l’entrée Est de la ville et bloquait complètement le passage du jeune homme. Le poil grisonnant aux reflets de feu donnait une impression de majesté à cette créature qui n’en était pas une.
Son museau portait des traces de sang, preuves d’un affrontement antérieur à son arrivée sur la scène du combat de Marlon et des lieutenants.
Ses yeux, eux, étaient rouges, luisants d’un éclat profondément mauvais, comme possédés par un démon venu tout droit d’outre-tombe.
Il s’agissait en fait de l’une des transformations de Niclos, l’Incarnateur, une des premières qu’il avait maitrisé lors de son arrivée dans cette dimension.
Face à lui, Marlon était dans un bien piteux état, portant Luna sous son bras droit, le bras gauche pendu le long de son corps et brisé en deux ou trois endroits différents, totalement inutilisable.
« Gamin, ce loup vient de parler à tes adversaires. J’en suis certain maintenant, il s’agit d’un joueur, et très probablement de Niclos, l’envoyé de l’Impérator. C’est sûrement lui qui t’a envoyé l’assassin dans l’Arène… »
Marlon ne pouvait en aucun cas être plus rapide que cette bête monstrueuse, aussi essaya-t-il de gagner du temps, les soldats dispersés derrière lui ayant momentanément stoppé l’assaut des trois lieutenants.
Kallum était en posture de défense, patientant calmement en attendant que les hommes de la cité ne l’attaquent. Dejros était prostré contre un mur, souffrant le martyr mais ne pipant mot en attendant que la situation se dénoue quelque peu.
Aguénor, de plus en plus nerveux, pointait la lame de son épée longue vers plusieurs soldats, alternant entre eux pour les obliger à se méfier et à ne pas relâcher la pression qu’ils avaient sur les épaules.
« Tu es donc Niclos, l’envoyé de l’Impérator ? »
La question surprit le loup, qui sembla se figer alors qu’il comprenait les implications de ce que demandait Marlon. Il savait, et il le connaissait. Le poulain de l’Impérator était persuadé de tomber sur une cible facile, et il avait fait les choses en grand pour être sûr de ne pas se louper, mais la scène à laquelle il avait assisté en arrivant l’avait profondément surpris.
Il était donc encore bien plus dangereux que tout ce qu’il avait supposé jusque-là. Peut-être avait-il même encore un atout dans sa manche que Niclos n’attendait pas et lui permettant de s’échapper.
Son envie d’attaquer Marlon fut contrebalancée par le doute que ce dernier ne dispose d’une carte maitresse, et la raison l’emporta. Il parla pour gagner du temps, pour déceler un improbable piège qu’il aurait eu le temps de mettre en place. Sa voix était gutturale due à sa transformation, profonde et animale.
« Tu as l’air bien informé, mais cela ne change rien. Tu ne pourras pas nous résister si l’on se met tous contre toi, et ça serait plus simple si tu te laissais faire. Je ne te ferais pas souffrir inutilement. Par contre si tu résistes, mes lieutenants pourront s’amuser bien plus longtemps avec toi que je ne l’aurais fait… »
Marlon surveillait sa barre de mana, qui remontait bien trop lentement à son goût, et pensa à la potion qu’il avait enfouie dans son paquetage avant de quitter l’Arène. Il ne pouvait pas l’utiliser ici, Niclos ne le laisserait jamais la boire sans l’attaquer, et il lui faudrait encore quelques secondes avant de pouvoir activer un simple sort de soin.
Il était hors de question qu’il abandonne Luna, et lui pouvait encore courir…il lui fallait une diversion efficace.
« Tu bluffes, Niclos. On voit bien ce qui est arrivé à l’assassin que tu m’as envoyé, hahaha, sa mission a été si bien remplie que sa tête orne les murs de l’arène dorénavant. Je ne pensais pas l’Impérator lâche à ce point. L’on m’avait dit qu’il n’était qu’une moitié d’homme, cela se confirme ! Son laquais est de la même trempe ! »
Le loup rugit, ou aboya plutôt, avec une agressivité non contenue et il se mit en position d’attaque, plus par réflexe que par véritable intention d’attaquer. La colère venait de l’envahit alors qu’il avait confirmation que le runiste était bien derrière la mort de Palnia. La confiance aveugle qu’il avait en lui-même vola quelque peu en éclat et il se mit à craindre le runiste, connaissant parfaitement les compétences de Palnia et ce dont elle était capable.
« C’est donc bien toi qui as tué Palnia ! Ta mort n’en sera que plus douloureuse. J’ai créé une diversion assez importante pour que la majorité de la garde ne rapplique pas avant des heures. Ces quelques soldats ne changeront rien et tu n’arriveras pas à passer au-devant de ma forme actuelle… »
Le canidé s’arrêta en pleine diatribe, ses yeux envoyant un flash rouge alors qu’un grondement sourd provenait de son poitrail et résonnait dangereusement dans la rue. Les soldats qui s’apprêtaient à attaquer les trois lieutenants s’interrompirent et jetèrent un regard inquiet vers le monstre derrière eux.
« Je vois…tu as presque failli m’avoir, Revenge. Cela ne te sauvera pas, tu sais. Rien ne pourra te sauver, maintenant. »
Alors que le loup parlait au runiste, ce dernier souffla une phrase audible uniquement pour Luna.
« Quand tu seras soignée, ne cherches pas à te battre. Attends-moi à l’Ecluse, je serais derrière toi. »
Le familier ne fit pas un geste, souffrant abominablement de ses blessures, mais Marlon savait qu’elle avait compris ce que désirait son maître.
Cinq secondes, et il pourrait la soigner, sans se retrouver entièrement à sec de mana et en subir le contrecoup.
« Et on peut savoir comment tu vas faire pour esquiver ce loup qui doit bien faire trois mètres au garrot ? »
Le problème était bien entendu là. Marlon ne savait absolument pas comment faire. Il avait jeté son épée pour réussir à fuir les deux lieutenants qui l’assaillaient sans interruption et s’était retrouvé bloqué devant Niclos. Il n’aurait pas assez de mana pour lancer un deuxième sort après avoir soigné Luna, et s’il ne la soignait pas et lançait un sort, il n’aurait pas assez de vitesse ou de force pour devancer la rapidité du loup qu’incarnait l’envoyé de l’Impérator.
« Je peux essayer quelque chose, mais je ne peux rien promettre. Et si cela réussit, j’aurais surement épuisé toute l’énergie dont je dispose, ce qui veut dire que soit je mourrais, soit je rentrerais dans une période de sommeil prolongée. »
Un élan de panique prit possession de Marlon alors qu’il s’imaginait sans Loki, qui l’avait sauvé de bien des galères, mais il ne voyait aucun autre moyen à disposition pour s’en sortir. Il était prêt à se sacrifier pour le jeune homme, et c’est quelque chose qui le toucha bien plus qu’il ne l’aurait cru.
Son cerveau cherchait désespérément une alternative, une solution miracle qui apparaitrait devant lui comme par magie, mais il avait beau se creuser les méninges, rien ne venait. Et les secondes défilaient bien trop vite.
Derrière lui, les soldats étaient de plus en plus nerveux et ordonnaient de plus en plus agressivement aux lieutenants de poser les armes, ce qui n’avait bien entendu aucun effet. Et comme Marlon récupérait du mana en gagnant du temps avec Niclos, eux en récupéraient en attendant l’assaut des soldats.
« Il n’y aucun moyen de s’entendre, je suppose, Niclos ? »
« Aucun, non. Je ne serais tranquille que quand tu seras mort, et l’Impérator en sera grandement soulagé également ! Il donnera une récompense équitable à ton mentor, tu peux en être certain… »
« Hahaha, j’aimerais bien voir comment il s’y prendra…tu es prêt ? »
« Quand tu… »
« Ta gueule, Niclos, je ne m’adressais pas à toi. »
« C’est quand tu veux, gamin. Quand tu lances ton sort, ferme les yeux pour ne pas être ébloui, et fonce. En espérant te revoir bientôt. »
« Je l’espère bien. Tu n’as pas intérêt à crever pour quelque chose d’aussi basique. »
Tout en disant cela, Marlon sortit un parchemin sur lequel était tracé [Soin] et y injecta le peu de mana qu’il avait récupéré. Cela s’avéra cependant suffisant et le morceau de papier se consuma alors que l’aura de magie verte s’enfonça dans le corps de Luna, réparant les blessures, plaies et os brisés causés par le précédent combat.
Faisant totalement confiance à Loki, le runiste ferma les yeux pendant le processus et ne vit donc pas ce qui se passait autour de lui.
Loki produisit un effort incroyable et détourna tout le mana alentour pour le dériver dans les roches magiques servant de catalyseur aux quelques lampadaires encore intacts qui les entourait.
Un cri artificiel résonna dans la rue, une voix robotique et hachurée s’imposant pendant quelques secondes alors que la lueur des lampadaires s’intensifiait. Ils se surchargèrent en mana et devinrent rapidement aussi brillants que des mini soleils, obligeant tous les témoins de la scène à plisser les yeux.
Dans un dernier flash qui brûla la rétine de tous les êtres vivants dans la rue, en particulier du loup géant, les lampadaires explosèrent et projetèrent des éclats dans tous les sens.
La douleur provoquée par les flashs intenses arracha un hoquet de surprise à Niclos qui ne put s’empêcher de reculer alors que ses yeux brûlaient comme si des fers rouges avaient été posés dessus.
Les soldats crièrent de douleur ainsi que les trois lieutenants, tous ayant portés leurs mains au contact de leurs globes oculaires irradiés par la lumière aveuglante.
Marlon ne perdit pas une seconde et posa Luna, ignorant le mal de tête refaisant une percée dans sa boîte crânienne alors que son mana se retrouvait à un niveau dangereusement bas.
La chimère s’élança aussitôt en avant et dépassa le loup sans que celui-ci ne se rende compte de quoi que ce soit.
Marlon lui emboîta le pas et un sourire vint chatouiller ses lèvres alors qu’il passait sur la droite de la créature qui couinait de douleur et maudissait dans des grognements terrifiants le runiste pour avoir trouvé un moyen de repousser encore l’inéluctable.
Chaque membre du runiste lui faisait mal et il avait le pas bien plus lourd qu’en temps normal, aussi ne fût-il pas aussi discret que la chimère lorsqu’il passa devant Niclos.
Ce dernier entendit le bruit des pas de Marlon, par-dessus les cris de douleur poussés par le reste de l’assistance et lui-même, tout cela grâce aux sens surdéveloppés procurés par sa forme lupine.
Sans se poser de questions, il balança sa patte en direction du bruit, ne pouvant plus se fier à sa vue pour le moment, et une délectation jubilatoire prit possession de lui quand il sentit que ses griffes aiguisées comme des rasoirs arrachèrent quelque chose du corps qui tentait de se faufiler devant lui.
Marlon ne cria pas, même lorsqu’il sentit les griffes du loup géant s’enfoncer dans sa chair, sectionnant chair, tendon et os comme s’il s’agissait de beurre.
Il ne cria toujours pas lorsque son bras gauche, déjà sévèrement amoché, tomba sur le sol et qu’un jet de sang incroyable jaillit du trou béant qu’était maintenant son membre.
Il continua à courir, ignorant les larmes qui se mirent à couler le long de ses joues et le sang qui imbiba toute la partie gauche de ses vêtements alors qu’il s’échappait à gros bouillon de son corps.
Niclos, enragé, continuait de balayer l’air de ses griffes, donnant des coups de crocs haineux pour essayer d’achever sa proie et de mettre fin à cette traque.
L’écluse n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres de là, et il pouvait voir la silhouette de Luna qui disparaissait dans l’édifice qui abritait les rampes d’arrivée et de départ de l’outil magique.
Ignorant encore un peu la douleur ignoble qui lui tenaillait le corps entier, il mit ses dernières réserves d’énergie dans ses jambes pour aller le plus loin possible avant de s’écrouler.
Il n’osa pas se retourner, mais s’il l’avait fait, il aurait vu que les soldats avaient retrouvés la vue et qu’ils avaient commencé à affronter les lieutenants de Niclos, se faisant tailler en charpie contre les deux colosses qu’étaient Aguénor et Kallum.
Il ne connaissait pas ces soldats, mais il les remercia intérieurement de lui avoir donné un peu de temps pour s’enfuir.
Niclos, lui, était toujours aveuglé, sa vision animale étant bien plus sensible que lorsqu’il était sous sa forme humaine, et cela permit à Marlon d’arriver rapidement au bâtiment de l’écluse.
Sa vision se troublait de plus en plus, son teint devenait de plus en plus blafard, et sa course n’était plus tout à fait droite alors qu’il franchissait le portail en bois de l’édifice.
Il ne prit pas non plus le temps de s’émerveiller de la beauté du bâtiment alors qu’il se retrouvait devant ce que l’on aurait pu prendre pour un tapis d’usine dans le monde terrien.
Les sortes de radeaux qui arrivaient des hauteurs de la montagne arrivaient vides, mais cela n’était pas étonnant vu l’heure, et continuaient leur route dans une progression tranquille mais stable.
Luna attendait en position d’attaque devant la plateforme qui permettait d’accéder aux radeaux propulsés magiquement et se détendit très légèrement lorsqu’elle vit que son maître avait réussi à parvenir jusqu’ici, comme il l’avait promis.
Marlon trébucha et s’effondra sur le sol, la bordure de sa vision devenant noire et sa conscience commençant à perdre pied alors que son corps était de plus en plus exsangue.
Avec des mouvements très lourds, il retira son paquetage qui avait tenu sur ses épaules malgré le fait qu’il lui manque un bras.
Il l’ouvrit et en sortit une bouteille bleutée qu’il avala d’un coup, avant de ramper difficilement sur un des radeaux qui s’avançait au ralenti devant la plateforme, Luna le suivant sans rechigner et s’allongeant à ses côtés.
La potion de mana qu’il venait d’ingérer augmentait le taux de régénération, mais ne donnait pas une quantité de mana immédiate à utiliser, ce qu’il aurait largement préféré.
Au loin retentit un hurlement dont la fureur aurait fait tressaillir n’importe qui. Niclos venait surement de retrouver la vue, au grand dam de Marlon qui pensait avoir encore quelques secondes devant lui.
Surtout que vu la quantité impressionnante de sang qu’il avait perdu, sa piste était tout sauf difficile à suivre.
Les radeaux avançaient rapidement lorsqu’ils progressaient sur les canaux magiques de l’écluse, mais lorsqu’ils pénétraient dans le bâtiment, ils ralentissaient à une vitesse presque nulle, pour permettre aux travailleurs présents en temps normal de les décharger sans risquer de se blesser ou d’abîmer la marchandise.
Mais présentement, alors que le sang coulait encore abondamment de sa blessure béante, Marlon aurait souhaité avancer beaucoup plus vite.
Il était sur le point de perdre connaissance, son mana n’était pas encore suffisant pour pouvoir se soigner, et il sentait le sol trembler sous son corps alors que Niclos, ou plutôt le loup monstrueux en lequel s’était transformé le protégé de l’Impérator, se précipitait vers l’écluse pour l’empêcher de fuir.
Et il n’avait plus de carte maitresse. Plus de Loki, plus de magie suffisamment puissante pour repousser son adversaire, et une plaie capable de le terrasser peut-être plus rapidement que Niclos s’il n’en prenait pas soin.
Il se rappela alors son aventure près du lac et serra les dents, sortant un parchemin vierge de son sac ouvert au milieu du radeau et traçant avec des traits incertains deux runes sur le papier, des taches de sang venant parsemer les espaces vierges du parchemin sans qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit.
Alors que le parchemin se consumait et qu’une flamme jaunâtre vint se coller sur son épaule pour cautériser la plaie, une douleur insoutenable envahit l’esprit de Marlon, lui faisant perdre contact avec la réalité pendant un quart de seconde.
Seulement, par un effort de volonté incroyable, il réussit à ne pas sombrer dans le néant et à ramener son esprit à la surface du monde réel, ignorant l’odeur de chair grillée qui s’élevait dans l’air et empuantissait l’air ambiant.
Les souvenirs de l’embuscade près du lac refirent surface et il dut se mordre les lèvres jusqu’au sang pour ne pas se laisser aller dans une sorte de délire semi-conscient qui le perdrait certainement.
Il n’était pas encore à l’abri. En aucun cas.
Son mana était de nouveau au plus bas, mais se régénérait avec une constance rassurante, et il savait que d’ici quelques heures si tout allait bien il pourrait utiliser un sort de soin pour retrouver un état plus normal.
A l’instant même où il se dit cela, la porte de l’édifice vola en éclats, des morceaux de bois gros comme la main de Marlon volant dans tous les sens alors que la tête ensanglantée de Niclos apparaissait à travers le trou qu’il venait de faire.
« REVENGE ! JE VAIS TE TUER ! RAAAAAAAAA !!!!! »
La tête du loup ressortit et des coups de pattes tranchantes vinrent rapidement mettre en charpie le reste de la porte. Heureusement, la stature du loup étant bien trop imposante, il ne pouvait toujours pas réussir à passer à travers l’encolure qu’il venait de créer.
Marlon, lui, regardait la scène d’un air absent alors que Luna rugissait contre celui qui venait de blesser son maître à un tel point.
« Reste tranquille Luna, on y est presque. »
En effet, il ne manquait plus que dix mètres à parcourir à la plateforme de bois avant qu’elle ne se retrouve à l’extérieur du bâtiment et qu’elle ne reprenne de la vitesse, mettant Marlon et Luna à l’abri, temporairement.
Avec angoisse, le runiste regardait son mana se remplir bien trop doucement à son goût, sentant une pointe de panique traverser son cœur alors que le loup creusait un passage dans le bois massif de l’édifice abritant la structure magique millénaire.
Il n’avait plus la force de se battre contre lui, un de ses bras manquait et il était presque exsangue. N’importe qui d’autre à sa place se serait déjà laissé aller à l’évanouissement, mais pas lui.
Pas après la douleur qu’il avait endurée, pas après l’espoir qu’on lui avait fait miroiter quant à sa vengeance.
Loki s’était sacrifié et aucun signe de lui n’était décelable depuis qu’il avait déclenché le flash aveuglant ayant permis à Marlon de s’enfuir.
Luna pourrait se sacrifier pour lui permettre de gagner quelques secondes, mais il ne voulait pas accepter cette solution, s’étant bizarrement attaché à cet animal crée par magie.
Puis tout s’accéléra d’un coup, encore une fois.
Deux cercles de glaces se formèrent sur chacun des cotés du bâtiment, opposés l’un à l’autre, transformant le bois massif en quelque chose de beaucoup plus fragile, brisables facilement.
La couleur sombre et terreuse du bois massif devint blanchâtre et pâle, contraste saisissant avec son état d’origine, et un froid saisissant s’infiltra dans le bâtiment.
Puis ces deux cercles se brisèrent, l’un sous les assauts de Kallum, qui avait frappé le bois de sa hache, à pleine puissance, et l’autre sous les coups d’Aguénor. Tous deux avaient activés leur compétence ultime, [Surpuissance] pour le Chevalier, et [Berserk] pour le Barbare, multipliant leur force de frappe par dizaines.
Au même moment, Niclos défonça ce qui restait de la structure de l’entrée, maintenant suffisamment élargie pour laisser passer son corps colossal. Les lambeaux de bois s’entassaient autour de lui comme des tas prêts a brûler et cela donna une idée au runiste agonisant.
Marlon aperçut par le trou béant Dejros, à genoux et une main levée vers l’édifice, complètement vidé par le mana que venait d’absorber son dernier sort, [Pétrification givrée]. Efficace mais très gourmand en mana.
Il posa sa main sur le pelage de Luna pour l’empêcher de bondir et jeta un coup d’œil nerveux vers l’ouverture du canal magique qui n’était plus qu’à trois mètres maintenant.
« Je vais tenter le tout pour le tout, Luna. Si je meurs, sauve-toi. Mais vu la chance qu’on a eue jusque-là, espérons qu’on en ai encore ! »
Il se tourna vers ses trois adversaires, respectant intérieurement ténacité dont ils faisaient preuve pour accomplir leur objectif, puis commença à tracer des runes sur le parchemin qu’il avait sorti de son paquetage.
Il s’adressa ensuite aux deux hommes et au loup qui étaient sur le point de se jeter sur lui et de l’achever comme la proie affaiblie qu’il était.
« Messieurs, je vous souhaite bien du plaisir avec mon dernier cadeau. Niclos, un jour on se recroisera, et tu ne pourras plus faire ce que tu as fait aujourd’hui…tu mourras de ma main, et je serais l’empereur de Gaïa ! Hahahahaha ! »
Sa voix, bien qu’affaiblie, parvint aux oreilles du trio et ils purent déceler la rage qu’elle contenait, promesse tenue d’un avenir annoncé.
Le parchemin entre sa main encore valide se consuma et une langue de flammes jaunes jaillit en se dirigeant entre les trois personnages en voulant à sa vie, droit sur le canal magique sur lequel circulaient les radeaux.
Il n’y eut pas d’explosion, mais le feu prit instantanément et des flammes de plusieurs mètres de haut s’élevèrent, augmentant la chaleur de la pièce de plusieurs dizaines de degrés sur l’instant.
Par réflexe, le loup recula de quelques pas, tout comme Kallum et Aguénor.
La chaleur avait fait fondre une partie du pelage du loup, et la peau des deux guerriers s’était mise à cloquer sous l’effet des flammes.
Le bois craquait et flambait de plus en plus, le support des radeaux magique commençant à se déliter à cause de l’incendie, et en quelques secondes un brasier inextinguible était né à l’intérieur de l’édifice.
Marlon passa l’ouverture du bâtiment alors que la chaleur et l’épaisse fumée dégagée par l’incendie commençaient également à le faire suffoquer.
Aussitôt, le radeau magique accéléra exponentiellement et il se retrouva très vite à une centaine de mètres du bâtiment en feu, l’air fouettant son visage meurtri et sifflant à ses oreilles.
Un rugissement de haine retentit plus bas, dans le brasier, et le jeune runiste ne put s’empêcher de laisser un sourire monter sur ses lèvres alors qu’il faisait un geste obscène en direction de ses trois ennemis.
Alors que le sentiment d’angoisse dû à sa mort probable commençait à se dissiper et que la cité de Delia était de plus en plus lointaine, il sentit toute l’adrénaline qui l’avait supportée jusque-là disparaître de son organisme et une faiblesse terrible l’envahir.
La réalité autour de lui devint trouble, les formes se superposèrent devant son regard et ses yeux se révulsèrent alors que sa conscience s’évanouissait pour laisser place au noir absolu de l’inconscience.
Il était vivant. Faible, mais vivant…