Marlon rentra dans sa chambre aussitôt après son combat, ignorant presque brutalement les félicitations de Jacob, ne répondant que par un hochement de tête et un grognement qui aurait pu venir d’un ours.
Heureusement, son mentor ne chercha pas à comprendre la raison de son humeur, comprenant que la compétence de son adversaire avait dû le secouer quelque peu. Une fois au calme, Marlon s’assit à même le sol et caressa Luna, qui se mit à ronronner comme à son habitude.
« Bon, je crois qu’il faut qu’on en parle, Loki. »
« Tout à fait d’accord. Je connais les explications théoriques de la folie et du dédoublement de la personnalité, gamin, et c’était autre chose… »
« Qu’est-ce-que tu as vu, toi ? »
« J’ai vu une vague de mana se concentrer autour de toi lorsque la voix, que j’ai également entendu, au passage, s’est adressée à toi. Puis une autre, bien plus forte, lorsqu’elle a pris le contrôle de ton corps. Mais ce mana ne venait pas de toi, ni de l’air autour de toi. C’est comme s’il était apparu de nulle part… »
Il sentit un frisson courir le long de son dos et dans un accès d’angoisse soudain il utilisa un [Soin de l’esprit] pour calmer ses pensées vagabondes. L’aura rosâtre le pénétra et apaisa immédiatement son esprit.
« Et ça veut dire quoi, d’après toi ? »
« Le problème, c’est que je n’en ai aucune idée…et je pense que nous avons dépassé de loin le stade de la folie classique. Le fait que du mana apparaisse veut dire que la magie est impliquée…et avec tout ce que nous avons vu jusque-là… »
« Je vois ce que tu veux dire…il pourrait tout aussi bien me pousser des bras supplémentaires avec ce que nous en savons… »
Il ne sentait plus la présence qu’il avait ressenti lors du combat, comme si elle s’était tapie au fin fond de son être pour ne ressurgir que dans des moments critiques où il ne pourrait lui faire opposition.
« Le côté positif de la chose, c’est que cela m’a sauvé la vie tout de même. Si j’était juste un schizophrène basique, cela n’aurait rien changé, non ? »
Il essaya d’en rire plutôt que de s’apitoyer sur son sort, et il sentit presque le soupir intérieur que poussa Loki devant sa tentative désespérée de dédramatiser la situation.
« Ce n’est pas parce que le scorpion ne t’a pas piqué cette fois-ci qu’il ne le fera pas le prochain coup. Si jamais ta conscience propre ne pouvait s’y opposer et que tu finissais à jamais spectateur de ton propre corps…tu y as pensé ? »
Marlon ne voudrait cela pour rien au monde. Il se revoyait encore projeté au fond de son esprit, voyant le monde extérieur comme au travers d’une fenêtre sans pouvoir agir sur quoi que ce soit. Une sensation qu’il n’avait pas hâte d’expérimenter à nouveau.
« Je pense que la personne la plus à même d’avoir un semblant de réponse serait un mage. Un mage spécialisé de l’esprit serait un plus, mais je ne sais même pas si cela existe. »
« Mais quelqu’un pourrait peut-être nous renseigner…je vais aller voir Djilany, peut-être pourra-t-il m’aider et indiquer un de ses collègues mages à même de nous aider. »
« C’est une solution valable, étant donné le peu d’alternatives que nous avons pour le moment. Mais tu dois prévenir Jacob. »
Après s’être lavé et reposé un peu, il alla donc trouver son mentor et lui expliqua la situation, mettant juste de côté le fait que sa folie avait franchie un nouveau cap. Ce dernier se montra très compréhensif envers son disciple.
« Pas de souci, Revenge. De toute façon, il reste uniquement à passer les demi-finales, et elles auront lieu demain. En ce moment ce sont des combats d’exhibition, sans réel enjeu. Le dernier combat des quarts de finales aura lieu plus tard dans la journée, et tu n’en feras pas partie vue que tu viens de te qualifier pour la prochaine étape. »
« Donc je peux faire ce que je veux jusqu’à demain ? »
« Oui, mais sois prudent tout de même. On ne sait toujours pas pourquoi cette femme a tenté de t’assassiner. Même si je doute que qui que ce soit ait les tripes de tenter quelque chose en pleine ville. »
Marlon hocha la tête et remercia Jacob avant d’aller manger un morceau dans la partie commune des coulisses.
Il continua à trainer toute la journée, profitant de ce temps mort pour renouveler ses parchemins runiques et tenter de nouvelles combinaisons avec les Runes nouvellement acquises, Ombre et Projectile, entre autres.
Il cessa ses tentatives quand Jacob vint le sermonner après que des bruits d’explosion aient résonnés dans toute la structure et que tous cherchèrent la cause de ce vacarme avant de comprendre que cela venait de la chambrée de Marlon.
« Veux tu vraiment faire brûler l’Arène juste avant la finale, Revenge ? Ha, je pensais que tu en aurais assez avec l’Ordre, mais tu veux les faire revenir, semble-t-il ! »
« Je…Excuse-moi, Jacob, je ne pensais pas…arriver à ce résultat. Promis, je ne ferais plus d’expériences dans ma chambre… »
L’homme gigantesque explosa de rire et donna une tape dans le dos du jeune homme qui aurait pu lui décoller la plèvre s’il n’avait pas été aussi robuste.
Dans l’après-midi, il assista à l’affrontement entre les deux dernières paires de combattants et fut surpris de voir que les vainqueurs n’étaient pas forcément ceux qu’il aurait cru.
L’invocateur, qui semblait être faible au corps-à-corps, s’était révélé être un terrible adversaire capable de se défendre dans toutes les situations et avait défait son adversaire très rapidement, mais vu qu’il avait offert un joli spectacle la foule ne lui en avait pas tenu rigueur.
Quant à l’autre, c’était le mage de Lumière, invaincu comme lui et l’invocateur depuis le début du tournoi grâce à ses illusions et aux terribles rayons concentrés de lumière qu’il pouvait invoquer et manier à sa guise.
D’après ce qu’il avait compris des explications de son mentor, Jacob, la finale serait un affrontement multiple où le dernier survivant serait celui qui gagnerait le tournoi. Marlon s’estimait en bonne position comparé aux autres pour remporter cette phase du Tournoi, car il pouvait facilement s’en prendre à plusieurs adversaires à la fois, sans pour autant devoir se replier ou se résoudre à s’allier avec l’un d’entre eux.
Une fois les combats terminés, il prit un autre bain, se prélassant dans l’eau chaude et reposant son esprit grâce à un sort de [Soin de l’Esprit] supplémentaire, peinant maintenant à sentir une réelle différence quant à sa sérénité mentale avant ou après l’usage du sort, ce qui n’était pas sans l’inquiéter.
Dès que le soleil fut couché, il signala à Jacob son départ pour la tour des Mages, en espérant que Djilany n’était pas déjà parti en voyage.
« Très bien, mais sois prudent. Après ce qui s’est passé l’autre fois, je ne suis pas rassuré jusqu’à la fin du tournoi. Ça pourrait être un de tes adversaires voulant éliminer la concurrence… »
« Il y a peu de chances que ce soit cela, Jacob. Mais ne t’inquiètes pas, je serais prudent. »
Dans le pire des cas, il demanderait conseil à un autre mage. Mais il préférerait de loin s’adresser à son ami plutôt qu’à un inconnu.
Il prépara son paquetage et le mit sur son dos, si jamais il devait passer la nuit à la tour avec Djilany à expérimenter de nouveaux sorts. Il commanda également à Luna de le suivre et il sortit de l’Arène par la porte de service, saluant les gardes qui se mirent au garde à vous en reconnaissant l’homme qui avait éliminé l’assassin deux jours auparavant.
Ils se rappelaient encore vertement du sermon que leur avait administré tout d’abord Jacob, puis l’interrogateur de l’Ordre qui avait été encore plus sec et brutal quant au loupé qui leur avait été incombé.
La nuit était sombre à l’extérieur, seuls les quelques lampadaires magiques dispensant une lumière artificielle et claire dissipant les ténèbres environnantes. Les passants étaient rares, et quelques carioles éparses filaient encore à vive allure le long des rues de la capitale.
Il se mit en route sans traîner la patte, ne remarquant à aucun moment que des silhouettes, disposées dans des rues différentes et assises comme si de rien n’était, se mirent soudainement à le suivre.
L’une de ces silhouettes activa un parchemin runique qui se consuma dans sa main, envoyant un signal pour signaler que la traque commençait, avant de se fondre dans les ombres et de partir à la poursuite du runiste sans éveiller ses soupçons.
Il arriva à la tour des Mages une dizaine de minutes plus tard, ayant forcé le pas plus pour tromper la solitude des rues que parce qu’il était pressé.
Lorsqu’il arriva devant le bâtiment gigantesque, il salua les gardes qui le connaissait maintenant, après des semaines de présence et de vas-et-viens. Ils s’écartèrent et le laissèrent accéder à la porte d’entrée, qu’il s’empressa de franchir.
Il arriva devant Gilna, la femme de l’accueil qui lui fit un grand sourire avant de le saluer d’un hochement de tête.
« Bien le bonsoir, Revenge. Comment-allez-vous aujourd’hui ? »
« Bien, Gilna, merci. Je viens voir Djilany, il s’agit d’une visite importante, j’espère que vous ne m’en voudrez pas de passer à une heure si tardive. »
Voyant le visage de la femme se décomposer lorsqu’il entendit sa demande, il sut qu’il était arrivé trop tard, et il se maudit intérieurement alors qu’elle confirmait ses doutes.
« Je suis désolée, Revenge, mais Djilany est parti il y a de cela trois jours. Je pensais que vous le saviez ? »
« Je le savais, mais j’espérais qu’il avait reculé son départ comme il l’avait fait à de nombreuses reprises.
-C’est ce qu’il comptait faire, mais un homme de l’Ordre de l’œil Draconique est passé, un certain Marcus, et il a rappelé à Djilany l’urgence de la situation sur le front, ne laissant que peu de choix au pauvre homme. »
« Ce type nous aura pourri la vie du début à la fin, décidément…je pense que c’est vraiment une bonne chose que tu ne te le sois pas mis à dos… »
« Gilna, je vais vous poser une question étrange, mais existe-t-il des mages spécialisés dans le domaine de l’Esprit, ici, à Delia ? »
La femme secoua la tête avec un air incrédule.
« Non, très cher. Les Mages de l’esprit sont rarissimes, presque autant que les Runistes, c’est vous dire. Nous avons bien l’un d’entre eux qui nous rend visite de temps à autre, mais sa prochaine venue ne saurait arriver avant plusieurs mois. Mais tout va bien ? J’ai entendu parler d’un homme qui avait une maladie de l’Esprit il y a des décades de cela dans une bourgade de l’Ouest…le village entier a été massacré avant que cet homme ne puisse être arrêté… »
« Oui, tout va bien. Je…je voulais juste me renseigner car Djilany m’a fait lire un ouvrage très intéressant sur ce type de problèmes. »
Il évita le regard de Gilna tout en gardant une intonation ferme et sans aucune hésitation pour ne pas éveiller les soupçons de cette femme adorable mais bien trop curieuse.
« Et savez-vous où réside ce mage qui vient à Delia de temps à autre ? »
« Oui, bien sûr ! Tous les mages d’exception résident à l’île Onirique, voyons ! C’est quelque chose de commun, et si vous cherchez des réponses précises sur la magie et ses divers usages, c’est là-bas qu’il faut se rendre ! »
C’était la deuxième fois qu’il entendait parler de l’île Onirique. Djilany lui en avait parlé comme le lieu où il pourrait trouver des informations sur le peuple des Dragons, maîtres des runes. Et maintenant, les mages les plus rares y résidaient, ce qui semblait être un savoir commun.
« Je pense qu’il va falloir que tu t’y rendes, à un moment où à un autre, et peut-être que le plus tôt sera le mieux. »
Après avoir remercié Gilna, Marlon sortit de la tour et alla s’asseoir sur un banc près de la fontaine de la place, voulant mettre ses idées au clair.
« On sait grâce à Gilna et Djilany que le prochain envoyé de l’île Onirique ne sera pas là avant plusieurs mois, et il semble relativement difficile de s’y rendre. D’après la carte que j’ai vue, elle est au sud d’Akranio, au centre d’une mer à laquelle nous ne pouvons accéder à cause des Brumes Mortelles de Magnus. «
« Et seules quelques villes organisent des transports annuels vers ce lieu. Rester ici n’est pas un problème, mais il va falloir comprendre pourquoi cet assassin voulait te tuer. Sinon tu seras en danger. »
« La solution alternative étant… »
« De partir vers une autre cité où un envoyé de l’île passerait dans moins longtemps. Mais cela demandera plus de travail et surtout exigera de ne pas se louper au niveau du timing. Il va falloir que… »
La discussion entre Marlon et Loki fut interrompue par une explosion gigantesque qui retentit dans la partie sud de la ville, non loin de l’Arène.
Le sol trembla, tout comme les murs, Marlon ayant même du mal à garder son équilibre, et le grondement provoqué par l’explosion résonna pendant de longues secondes dans l’obscurité de la nuit, de petites répliques continuant à déferler dans le même secteur de la capitale que l’explosion principale.
Des sons stridents retentirent dans la ville, un peu partout, semblant provenir d’artefacts magiques, et Marlon vit les soldats qui montaient la garde devant la tour des Mages se précipiter vers les lieux de l’incident.
Des étages supérieurs de la tour jaillirent également des mages, volant sur divers artefacts magiques en direction de l’explosion.
L’on pouvait voir une lueur jaune et orangée s’élever au-dessus des bâtiments, malgré la distance qui semblait séparer Marlon de l’endroit d’où avait retenti la déflagration, et le runiste devina facilement la taille du brasier qui devait brûler là-bas.
Il se leva d’un bond et scruta les environs, les sens aux aguets, son instinct lui soufflant que quelque chose n’allait pas.
Il ne vit rien d’extraordinaire, si ce n’était quelques personnes figées dans les rues, semblant regarder au loin les lueurs danser dans le ciel alors que les soldats couraient et affluaient depuis les autres quartiers de la ville pour se diriger en direction de l’Arène.
Il remarqua un homme à l’allure musculeuse le regarder fixement, un sourire malaisant sur le visage. Il sentit clairement une menace venir de cet homme, mais il ne comprit pas pourquoi. Immobile, se tenant à l’embranchement d’une des nombreuses rues permettant de sortir de la place, il ressemblait à une statue menaçante.
Ensuite, il remarqua un autre homme, le regard fixé sur lui, comme le premier. Ses mains se tenaient légèrement éloignées de ses hanches, comme un cow-boy de l’ancienne époque prêt à dégainer. Il était grand, mais plus mince, et à cette distance l’on aurait dit que ses yeux avaient disparu dans la noirceur de ses orbites enfoncées.
Leurs ombres s’allongeaient sur le pavé et leur donnaient une allure imposante, dominatrice, qui fit éprouver à Marlon un inconfort croissant de seconde en seconde.
« Cet homme accumule du mana autour de lui, Marlon. Je ne sais pas pourquoi, mais méfies-toi. »
Il se dirigea doucement vers la tour des mages, sans brusquer ses mouvements pour ne pas éveiller les soupçons, quand il vit quelqu’un s’avancer vers lui.
C’était un géant, une épée gigantesque accrochée dans le dos, et ses yeux transperçaient littéralement Marlon avec intensité, aucune bonne intention ne s’en dégageant. Les lumières des lampadaires semblaient danser autour de sa silhouette massive, ajoutant à l’intensité du moment.
Le runiste se figea, sentant la menace imminente se rapprocher à grand pas.
Se pouvait-il que ces trois hommes lui en veuillent ? Ou bien qu’ils aient été envoyés par la même personne qui avait envoyé cette femme le tuer dans son sommeil.
« Ils s’en prennent à toi juste au moment où cette explosion retentit. Je trouve le timing un peu trop louche, tous les gardes sont partis et les mages également. C’est une diversion. Vas dans la ruelle et dès que tu les perds de vue, cours aussi vite que tu peux ! »
Marlon fit comme Loki lui conseilla et marcha aussi calmement que possible vers une des ruelles menant vers l’est de la cité, une des seules où il ne serait pas obligé de passer devant l’un des trois hommes. Le bruit de ses pas résonnait lourdement dans le silence presque total qui s’était abattu sur l’endroit, et il pouvait presque entendre l’écho de ceux de ses poursuivants se rapprocher doucement dans son dos.
« Que font-ils ? »
Il demanda à Loki d’observer les environs car il ne voulait pas se retourner et leur faire ainsi comprendre qu’il les avait remarqués.
« Ils pressent le pas pour venir vers toi. Tous accumulent du mana autour d’eux. Je te préviendrais si jamais il faut que tu esquives une attaque. En attendant, continues comme ça. »
Le jeune homme arriva dans la ruelle et à peine deux secondes après, soit exactement le moment où il sortit du champ visuel de ses poursuivants, Loki le lui signala et il se mit à courir.
Avant même qu’ils n’aient débouchés dans la ruelle, il prenait un autre embranchement, toujours en courant comme si sa vie en dépendait, et il entendit des cris étonnés parvenir de derrière lui, relativement lointains mais plein de colère et de frustration.
Les rues étaient sombres et il se dit pendant une seconde qu’il pourrait tenter de leur tomber dessus par surprise. Sauf qu’ils étaient trois…
Il avait confiance en ses capacités, mais pas contre de multiples adversaires. Luna semblait de son avis car elle grogna ouvertement en tournant la tête vers l’arrière.
« Ne t’arrête pas, Luna ! »
Il serra les dents et se dit que la solution à son problème était de se diriger vers une des sorties de la ville. Certes, les gardes étaient partis, mais il serait étonnant qu’ils laissent la ville ouverte aux quatre vents. Les postes essentiels devaient rester gardés. Aussi continua-t-il sa course effrénée vers l’est, sentant son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine alors qu’il courait au maximum de sa vitesse.
Il n’utilisa aucun parchemin car il ne voulait pas gaspiller son mana, risquant d’avoir besoin de chaque goutte à sa disposition pour affronter ses poursuivants s’ils le rattrapaient.
« Plonge !!! »
Ne se fiant qu’à la voix de Loki, Marlon ne réfléchit pas un seul instant et plongea en avant, roulant par terre pour ne pas se blesser et perdre de temps, alors qu’une pique de glace passait à l’emplacement où se trouvait son crâne quelques secondes auparavant.
Il ne se retourna pas et ignora Dejros qui se contenta de grogner en voyant sa tentative échouer et se remit à courir aussitôt aux trousses de sa cible.
Kallum et Aguénor avaient décidé de prendre les rues parallèles pour tenter de le coincer, mais le runiste semblait vouloir se diriger droit vers les portes de la cité, ce qui n’arrangeait en rien leurs affaires.
Marlon continua, sentant le souffle commencer à lui manquer alors qu’il passait devant un groupe de prostitués qui le regardèrent avec étonnement avant de s’écarter brusquement lorsqu’il en bouscula une sans ménagement.
Des flashs jaillirent devant ses yeux, comme si des néons crépitaient sur les murs, une odeur de détritus apparaissant et disparaissant soudainement. Des silhouettes de personnes n’existant que dans son imagination apparurent et disparurent par intermittence, des nuages de fumée opaques bouchant la vue de Marlon avant de s’estomper aussi vite qu’ils avaient été créés.
Il manqua trébucher alors qu’une voix parvint à ses oreilles comme si elle était à côté de lui.
« Marlon, cours, ne t’arrête pas, chéri ! Ils vont nous rattraper, sinon ! »
La folie de Marlon choisit bien entendu le pire moment pour se manifester, et sans crier gare, il se retrouva presque projeté dans sa course-poursuite dans les rues terriennes, tentant d’échapper aux mafieux qui voulaient les rattraper.
La silhouette de sa mère se matérialisa à côté de lui, haletante et le regard paniqué qu’il avait vu lors de cette fameuse nuit sur Terre. Elle se retournait avec angoisse et trébuchait alors que Marlon tentait de l’aider en soutenant son corps, mais sa main ne rencontra bien entendu que de l’air.
Il sentit son corps faiblir, comme s’il retournait des mois en arrière, et des larmes de peur jaillirent de ses yeux alors que la voix de Loki tentait de le retenir. Son souffle se raccourcit et se cœur se serra alors qu’il eut l’impression de perdre le contrôle progressivement sur sa raison.
« Marlon, ne te laisse pas aller ! Ta mère n’est pas ici, tu es sur Gaïa, pas sur Terre ! Reste avec moi et cours, bordel ! »
Divaguant entre deux mondes, le runiste ne ralentit pas le rythme et les édifices défilaient à vive allure devant ses yeux alors que ses jambes le propulsaient en direction de l’entrée est de la ville.
Luna était devant lui, devinant sa destination, et elle ne se retourna pas, confiante en son maître malgré son accès de folie.
Loki vit de nouveau une accumulation de mana au travers des murs, à gauche de la prochaine intersection entre différentes ruelles que Marlon allait franchir d’ici peu.
« Marlon, une attaque venant de la gauche, prochaine rue ! Esquive ! »
Dans son délire, le jeune homme comprit l’avertissement et il vit en effet un homme en noir débouler avec son fusil énergétique à la main, prêt à tirer une rafale sur lui qu’il esquiva en plongeant une nouvelle fois en direction du sol, se relevant aussi sec et reprenant sa course désespérée.
L’homme n’était nul autre que Kallum, et c’est avec sa hache à deux mains qu’il venait d’essayer de trancher en deux le jeune homme, enragé que ce dernier parvienne à esquiver son attaque, comme si quelqu’un l’avait prévenu ou qu’il avait prévu son attaque. La superposition des souvenirs de Marlon et de la réalité brutale donnait un mélange détonnant dans lequel Marlon se sentait perdu.
La barbare s’écrasa dans le mur d’en face à cause de l’élan et c’est en jurant qu’il se dégagea de la pierre dans laquelle il venait de s’encastrer avant de reprendre sa course endiablée.
Mais cette esquive venait de donner à Marlon le temps nécessaire pour reprendre un peu d’avance, ignorant sa vision que se troublait et les accès de terreur qu’il ressentait à l’idée de basculer dans la folie au pire des moments, sentant sa psyché se morceler.
L’entrée est n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres, et il pouvait déjà deviner par-dessus les bâtisses la masse imposante des murailles qui se dessinait déjà devant lui.
La silhouette de sa mère courait toujours à ses côtés, intemporelle et éthérée, le désespoir toujours lisible sur ses traits, et son esprit faisait de son mieux pour ne pas tomber dans l’abîme profond qui s’ouvrait devant sa psyché.
D’une main, et sans stopper sa course le moins du monde, il utilisa un parchemin sur lequel était tracé un [Soin de l’Esprit], mais cela ne fit pas grande différence, si ce n’était l’empêcher de tomber dans la folie. La silhouette ne disparut pas, pas plus que les pleurs désespérés qui en émanaient.
Lorsqu’il déboucha enfin devant le poste de garde et qu’il vit les quatre soldats en poste se tourner vers lui, un immense soulagement le parcourut malgré son état mental plus qu’instable.
« Tu y es, Marlon, plus que quelques mètres ! »
C’est alors que l’un de soldats se transforma sous ses yeux en la silhouette de sa mère, qui disparut de ses côtés, lui faisant signe de venir vers elle en jetant des regards effrayés dans toutes les directions, regardant derrière elle, vers la sortie de Delia, comme elle avait regardé vers la boutique d’injection, sur Terre.
« Viens mon amour, on peut y arriver, on va pouvoir survivre ensemble ! Cours ! »
Marlon tendit les mains vers elle, un sentiment de fragilité immense l’envahissant alors qu’il se sentait presque à même de changer le destin de sa mère, de lui éviter la mort infâme qu’elle avait connu sur terre. Le temps sembla ralentir, presque s’arrêter, comme si l’infini s’étirait devant lui alors que sa vision s’accentuait et qu’il voyait chaque trait, chaque ride présente sur le visage de sa mère.
Un sourire commença presque à se dessiner sur ses lèvres, ignorant les trois autres gardes qui portaient leur main à leur épée en voyant cet homme, semblant être poursuivi par d’autres.
Brutalement, quatre pentacles lumineux apparurent sous les pieds des soldats et de sa mère, et avant qu’il ne puisse faire quoi que ce soit, des piques de glace jaillirent du sol, empalant tous ceux au-dessus des formations magiques, traversant la chair comme si elle était de papier, du sang jaillissant tous azimuts.
Encore une fois, sa mère lui fut arraché, d’une manière encore plus brutale que la précédente, et lorsqu’il vit les corps mutilés reposant à même le sol, l’illusion se dissipa et tout son être résonna de douleur et de peine, une voix intérieure refaisant surface alors qu’il tombait sur un genou.
« Vas-tu les laisser faire ? Vas-tu encore les laisser s’en sortir comme ça ? »
Le visage du runiste se tordit dans une grimace sans équivoque, ses dents visibles dans un simulacre de sourire, ses yeux exorbités et injectés de sang, presque violacés. Chaque muscle de son corps se tendit et les tendons ressortirent sous sa peau. Le temps sembla se figer alors qu’il prit une grande inspiration, jetant sa raison en oubliant la peur qu’il éprouvait et invitant la chose résidant en lui à prendre le contrôle.
Alors un hurlement de rage dans lequel l’on pouvait sentir la mort, la haine et une violence sans pareille, résonna dans les rues de Delia, glaçant l’atmosphère de l’Est de la capitale.
« NOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!!!!! »