Nefolwyrth
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Chapitre 43 – Nobles et imposteurs
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-1-

Mes yeux s’ouvraient lentement. Je ne savais pas où je me trouvais. Tout juste revenu d’un songe, je ne savais plus rien de cette réalité du monde éveillé. L’espace d’un instant, je ne savais pas quel genre de plafond se trouvait au-dessus de moi, ni à quelle époque j’étais. Cette impulsion me poussa à me frotter les yeux pour mieux apercevoir ce qui m’entourait. C’était le palais de Port-Vespère. Mes deux amis se trouvaient dans les chambres voisines. Hier encore… Hier encore…

Je me souvenais de toute cette expédition. Elle paraissait moins réelle que la veille, tout en continuant de m’inspirer toutes sortes de sentiments. Pour une raison qui m’échappait, la voix de Noïron me revint en tête. Dans la salle d’attente, il avait répondu à la question qui me taraudait tant.

Noïron : « Le mage ? Si je me souviens bien, il a dit qu’il s’appelait Dulce. Il n’a rien ajouté de spécial, à part qu’il était un mage-héros qui voulait débarrasser tout le duché de son banditisme. …Ah si ! Il a parlé d’un certain Casque-joie. Je crois qu’il disait faire ça pour lui, ou quelque chose comme ça… »

Dulce, hein… ?

J’avais au moins pu obtenir son nom, à moins que ce ne fût qu’un pseudonyme. Un mage-héros avait tout intérêt à préserver son anonymat, car certains pouvaient être tentés d’attenter à sa vie pour ce simple titre. C’était a fortiori vrai pour un spécimen comme lui, particulièrement radical.

Plus je me souvenais de ce combat, plus il m’apparaissait comme une simple humiliation. Je n’avais même pas été une cible d’entraînement à son niveau.

Forcément. Ma magie ne me permet que de compenser mes aptitudes physiques. Je pourrais éventuellement battre un adversaire comme Léonce avec quelques sorts, mais contre n’importe quel mage, je suis perdant d’avance.

J’aurais pu y laisser la vie, comme si j’avais été un bandit parmi tant d’autres. Sans l’intervention de mes amis, je n’aurais rien pu faire. Ce constat amer me poussa à me lever.

Quand la nouvelle année sera venue, je devrais m’entraîner bien plus dur. Je dois parvenir à tenir tête à des ennemis de la trempe de ce Dulce.

Après m’être changé, j’ouvris énergiquement la porte de ma chambre.

À quelques mètres se trouvaient Brynn, Talwin, ainsi qu’Eilwen.

Ils discutaient. Ou plus précisément, deux d’entre eux dialoguaient sous les yeux de la troisième. Elle semblait s’être mêlée presque malgré elle à cette conversation.

Je m’approchais d’eux. Le comportement d’Eilwen m’avait surpris hier, mais peut-être s’expliquait-il par sa fatigue. Il fallait qu’en j’en aie le cœur net.

Lucéard : « Bonjour à vous ! »

Ils me sourirent et me firent une place parmi eux. Même la dernière se tenta à feindre une mine réjouie.

Brynn : « As-tu pu récupérer de cette palpitante exploration ? »

J’appréciais l’intérêt que l’aîné de la cousinade avait manifesté pour notre découverte de Haven Gleymt.

Talwin : « Tu tombes à pic ! Maintenant que tu es là, le Quatuor du Pouvoir est au complet ! Après tout, dans quelques années, il y aura ici un roi, deux ducs et une comtesse ! Voire plus par alliance ! »

Lucéard : « C’est vrai, oui… On ne dirait pas comme ça. »

Pour être honnête, je suis incapable d’imaginer un tel futur. Je n’arrive pas à m’imaginer duc pour commencer.

Brynn : « Nous n’y sommes pas encore. Heureusement pour nous, nos prédécesseurs ont encore de beaux jours devant eux. Mais il est vrai qu’il n’est jamais trop tôt pour consolider nos relations avec la haute noblesse. »

Je voyais où il voulait en venir.

Brynn : « En particulier pour Talwin et moi, la réception où nous sommes conviés est essentielle. Il y aura pratiquement tous les comtes du duché vespérien. »

Talwin : « Aaah, à quand remonte la dernière fois où on est allés tous ensemble à Faillegard ? »

Faillegard, chef-lieu du comté au nord de celui-ci, était célèbre dans tout le royaume. Cette réception annuelle faisait office de réunion de toutes les personnes les plus influentes du duché.

Brynn : « Je te vois venir, Talwin. La dernière fois où nous avons été conviés au Fort-Aniline, tu as réussi à nous faire dormir tous dans deux chambres, alors que c’est la résidence comtale la plus grande du royaume. J’espère que ma tante ne laissera pas une telle bévue se reproduire. »

Talwin : « Comme tu le dis, ce château est immense, tout comme ses chambres. Et quel gâchis ce serait de ne pas profiter de l’occasion pour dormir tous ensemble comme une famille unie. Sache que c’est d’ores et déjà une tradition. »

Brynn ne l’entendait pas de cette oreille. Il me parut même contrarié.

Brynn : « Vous rendez vous seulement compte que vous affaiblissez l’autorité royale en vous comportant de la sorte ? Votre laxisme pourrait être associé à de l’incompétence et d’aucuns pourraient chercher à vous éloigner du pouvoir. Si ce genre de choses s’apprend, vous pourriez bien faire l’objet de conspiration. Pire encore, vous pourriez aussi impliquer la famille royale dans son intégralité. »

Talwin était totalement hermétique aux mises en garde de son plus vieil ami. Il était pourtant le premier visé par les accusations du dauphin.

Talwin : « Tu n’as pas à t’en faire. Les Vespère sont passés maître dans l’art de la bienséance. Parfois, il m’arrive même d’avoir peur que la perfection de nos manières fasse des jaloux. »

Le problème avec eux, c’est qu’ils considèrent que bien se tenir est un jeu. Sans cette dimension de compétition, ils seraient démasqués depuis longtemps, si ce n’est pas déjà le cas.

Une voix hésitante prit la parole.

Eilwen : « Y aura t-il beaucoup de monde ? »

La jeune fille fixait le sol. Elle s’était faite si discrète que nous l’avions pratiquement oubliée. La Eilwen que nous connaissions tous avait pourtant une présence du niveau de Brynn et Talwin. Sa voix pouvait porter aussi loin que les leurs, sa confiance en elle et son charisme illuminaient tous ceux à qui elle s’adressait. En y réfléchissant, parmi ce quatuor, j’étais la seule brebis galeuse.

Les deux jeunes adultes prirent peine et oublièrent aussitôt leur querelle.

Brynn : « Eh bien, entre 110 et 130 personnes de ce que m’a dit tante Luaine. Comme je le disais, notre participation est forcément souhaitée, mais si tu préférais ne pas venir rien ne t’empêche de décliner l’invitation. Et si tu hésites, tu peux toujours nous accompagner, mais repartir dès que tu le désires. »

Le fils du Roi se montrait prévenant. Pas que cela soit si surprenant en soi, mais il semblait mettre un point d’honneur à s’assurer qu’Eilwen soit à l’aise, ce que j’appréciais beaucoup.

Talwin : « Deryn a proposé de faire une grosse partie de Bestiaires en équipe, cet après-midi. Il paraît que tu es devenue une armée à toi toute seule. »

Ce changement de sujet était habile. Il n’était pas difficile de cerner Eilwen, dont le péché mignon était sans aucun doute les jeux de société. En particulier celui-ci. Mais Talwin n’obtint pas la réaction escomptée.

Eilwen : « Je… Je ne sais pas si je jouerai… »

La respiration de la jeune fille s’était légèrement accélérée. Bien qu’il n’y avait aucune raison particulière, elle semblait paniquée. Talwin constatait de ses propres yeux la gravité de l’état de sa cousine éloignée, et grimaça.

Brynn fronça les sourcils. Le dauphin n’avait toujours pas accepté qu’un tel incident ait pu avoir lieu à Lucécie, en pleine journée, dans un quartier assez fréquenté. Il se blâmait presque de l’impuissance des forces de l’ordre.

Brynn : « Navré de vous fausser compagnie, mais nous sommes conviés par le comte de Bertigues pour le déjeuner. Nous ne reviendrons sûrement que tard ce soir. »

Le dauphin et sa fratrie étaient bien occupés de leur côté. Bertigues se situait dans le duché voisin. C’était pour lui une occasion en or de s’y rendre.

Talwin : « Amuse-toi bien, mon petit roi ! »

Sans même lui répondre, Brynn s’en alla. Mais croisa aussitôt Ellébore, qui sortait de sa chambre, encore mal réveillée.

Brynn : « Oh. Eh bien, bonjour Ellébore. »

La demoiselle était déstabilisée de se retrouver si tôt confrontée à la personne la plus importante du royaume qu’elle connaissait.

Ellébore : « B-bonjour, mon prince ! »

Elle lui montra un sourire suffisamment courtois pour qu’il lui réponde. Depuis le début du séjour, Brynn était extrêmement satisfait des manières de la roturière. Après ce court échange, le jeune homme s’en alla.

Ellébore : « Bonjour, vous trois ! »

Elle s’approchait de nous, la voix un peu rauque. Nous avions passé une longue nuit. On la salua et échangea quelques mondanités.

Lucéard : « Je pense que Brynn l’a en travers de la gorge, Talwin. Tu aurais sûrement mieux fait de te taire. »

Le jeune homme ricana silencieusement, puis plus fort, insistant sur le côté dramatique de cette performance.

Talwin : « Moi qui te pensais clairvoyant. Quelle déception. À quoi bon avoir ces yeux si tu ne t’en sers pas ? Pourquoi diable crois-tu qu’un homme occupé comme Brynn passe autant de temps avec ses cousins ? Qu’est-ce qui l’obligeait à venir dans notre palais pour un mois ? »

Il avait réussi à attirer notre attention, même si je n’attendais rien de transcendant de sa part.

Talwin : « Pour pouvoir rendre visite en personne à toute la haute noblesse du coin ? Par obligation envers sa famille ? Que nenni. Bien sûr que non ! »

Il mit ses mains sur les épaules d’Eilwen et d’Ellébore.

Talwin : « Il vient pour nous tous ! Pour toi, pour moi ! Pour Kana, pour Aenor, pour Mel… Non pas lui. Pour Goulwen, pour Léonce ! »

Il y avait plusieurs points discutables dans cette énumération.

Talwin : « Il a plus besoin de nous que qui que ce soit. Il n’y a qu’avec nous qu’il peut échapper à la pression terrible qu’on lui inflige et qu’il s’inflige lui-même. Il n’y a que parmi nous qu’il peut prétendre à une vie normale. S’il ne pouvait pas profiter de sa jeunesse au sein de notre famille, le stress l’aurait déjà emporté ! À chaque fois qu’il feint de râler, je n’entends que des remerciements émus ! Il nous est infiniment reconnaissant, en particulier à moi, son plus vieil allié, d’alléger le fardeau terrible qu’il porte en son sang ! »

Cette tirade nous amusa, Ellébore et moi. Eilwen aussi me parut plus détendue.

Lucéard : « Si tu veux mon avis, il se fait encore plus de cheveux blancs à chaque fois que vous manquez à l’étiquette en public. »

Ellébore : « Mais il faut bien reconnaître que ce que dit Talwin tient la route. »

L’aîné des Vespère appréciait la sollicitude de mon amie. Un sourire machiavélique se dessinait sur ses lèvres.

Talwin : « En effet. Et cette réception à Faillegard est l’occasion rêvée de le divertir comme il se doit. »

Ellébore leva les sourcils, surprise.

Ellébore : « Faillegard ? Tu veux dire, comme la forteresse imprenable de Faillegard ? »

Talwin : « La seule et l’unique, oui. »

Je faisais aussitôt le rapprochement.

Lucéard : « Mais oui, c’était à Faillegard que tu comptais te rendre pour ton enquête, Ellébore ! »

Elle hocha la tête, enjouée.

Ellébore : « La réception dans trois jours sera là-bas alors ? J’en profiterai pour m’y rendre avec vous ! »

Talwin prit un air détaché, ce qu’il avait tendance à faire pour dissimuler de façon trop évidente son intérêt.

Talwin : « Enquête, dis-tu ? »

Ellébore : « Oui, une histoire sordide à Oloriel m’a mise sur la piste de Casque-joie, un héros local si je ne me trompe pas. »

Casque-joie… ?

Talwin : « Certes, on peut dire que c’est un héros local, mais sa renommée va plus loin que les murailles de la cité. Tout le monde dans notre duché a entendu la légende de celui qui se fait appeler le protecteur de Faillegard. Enfin, ça n’a pas toujours été ainsi. Pendant longtemps, il se faisait arrêter systématiquement parce que son visage faisait peur aux enfants, et tout le monde pensait que c’était un déséquilibré. Son fameux casque n’a pas arrangé les choses, mais il avait fini par avoir la côte. »

Son choix de mot nous interpella.

Ellébore : « Avait ? Il lui est arrivé quelque chose ? »

Talwin : « Des bandits l’ont zigouillé. Classique pour un héros, hélas. »

Ellébore : « … »

Rien qu’en quelques mots, Ellébore s’était attaché à cet étrange personnage.

Talwin : « Oh allez, ne fais pas cette tête ! »

Ellébore : « Mais… »

Ses yeux humides mirent Talwin dans l’embarras. C’était à se demander comment une fille aussi sensible avait pu supporter toutes les épreuves qu’elle avait traversé.

Talwin : « Ce n’est pas comme s’il n’avait rien laissé derrière lui. On raconte que sa fureur de faire le bien était si pure qu’il était parfois comparé à nos héros mythiques. Sauf que lui aidait les grands-mères à porter leur courses et ce genre de tâches ingrates. Et il a inspiré tellement de monde que ça ne m’étonnerait pas qu’il ait déjà un successeur ! »

J’en ai bien peur, oui.

Ellébore sortait son carnet pour prendre des notes.

Talwin : « Si tu veux plus d’informations, il va falloir nous accompagner à la grande réception de la comtesse de Faillegard ! »

La détective sursauta.

Ellébore : « M-mais je ne peux pas, enfin ! Je ne suis qu’une roturière, tu te souviens ? »

Un sourire torve déformait le visage de mon cousin.

Talwin : « On peut toujours te faire passer pour une enfant de baronne de ton duché, je suis sûr qu’ils n’y verront que du feu. »

Lucéard : « Pas moyen que le carré royal vous laisse faire une telle chose… »

Ellébore : « Et puis, ce serait mentir ! »

Talwin était nullement attendri par sa bonne foi.

Talwin : « Tu ne fais de tort à personne en te faisant passer pour une noble. Ce sera seulement pour le bien de ton enquête. Et avec un tel rang, tu pourras te déplacer librement, et obtenir plus de réponses que jamais. Ruser fait partie du métier, non ? »

Ellébore était plus que sceptique.

Ellébore : « Si je peux éviter de recourir à de tels stratagèmes… »

Les mots empoisonnés du futur duc n’atteignaient pas sa proie, à son grand regret.

Talwin : « Ma petite Ellébore, si tu fais carrière, tu ne rencontreras pas que des gens aussi bien intentionnés que toi. Ceux qui troublent l’ordre public ne reculent devant rien pour accomplir leurs méfaits. Si tu ne te montres pas plus maligne qu’eux, tes enquêtes n’aboutiront jamais. Ce n’est pas comme si je te demandais de faire des coups bas, non plus. Je dis juste que tu ne devrais pas mettre un point d’honneur à être transparente en permanence. »

Ellébore : « Je comprends bien… Mais ce n’est probablement pas la peine pour une affaire comme celle-ci… »

Talwin secouait la tête, déçu. Son plan tombait à l’eau.

Eilwen semblait agitée, elle se préparait à prendre la parole.

Eilwen : « Hm, et si tu y allais à ma place ? Ça me rendrait service. »

Cette idée étonna toutes les personnes présentes. C’était inquiétant de la voir craindre autant les interactions sociales, néanmoins, elle avait pris son courage à deux mains pour faire cette proposition. J’en déduis qu’elle avait tenté de donner satisfaction à Talwin tout en déculpabilisant Ellébore.

Eilwen…

La princesse jouait nerveusement avec une mèche de ses cheveux.

Ellébore pesait le pour et le contre.

Ellébore : « Je devrais peut-être consulter madame Luaine… »

Talwin considérait sa réponse comme une victoire.

Talwin : « Parfait ! Je m’occuperai de tout ça moi-même, mais pour l’instant, suis-moi ! »

Il attrapa la détective par le poignet et la traîna derrière lui. Celle-ci me lançait un regard, perdue. Je haussais les épaules en la voyant s’éloigner.

Eilwen partait de son côté, sans un mot.

Lucéard : « Merci du coup de main, Eilwen. »

Elle ralentit le pas, mais ne se retourna pas vraiment.

-2-

Ellébore

Contrairement au palais de Lucécie, la disposition des pièces et des couloirs ici était chaotique. Je commençais à peine à prendre mes marques.

Talwin m’avait traîné dans le plus long corridor de l’étage. Il y avait deux rangées de cinq portes de chaque côté. Le bois était légèrement teint, affublant une couleur représentative à chaque enfant Vespère. Quand on approcha de la chambre rose, je devinai immédiatement qui l’occupait.

Talwin toqua comme une brute. Peut-être me faisais-je des idées, mais cela pouvait être un code secret.

Kana vint finalement nous ouvrir. Elle venait à peine de nouer ses cheveux, et nous dévisageait avec curiosité.

Kana : « Bonjour tous les deux ! Qu’est-ce qui vous amène ? »

La demoiselle était ravie de voir son frère, mais aussi enchantée que je sois en sa compagnie. C’était la première fois que je me rendais devant leurs chambres.

Talwin : « Ellébore va nous accompagner pour la réception. Il faut que d’ici trois jours, elle soit une princesse parmi les princesses. Je compte sur toi pour lui apprendre les rudiments, et lui choisir une tenue adéquate. »

Je ne me souvenais pas avoir accepté, mais maintenant que les yeux de Kana brillaient ainsi, je ne pouvais tout bonnement plus refuser.

Kana : « C’est génial ! Entre Ellébore, je t’en prie ! Je vais te montrer ce que j’ai ! »

Talwin : « Excellent. »

L’aîné Vespère repartit glorieusement, il semblait avoir du pain sur la planche.

Je me retrouvais dans l’embarras, mais Kana m’agrippa par les bras, et le serra contre elle avant de me traîner dans son antre.

Cette chambre était coquette et particulièrement colorée. Je n’avais jamais été aussi sûre d’être dans une chambre de fille.

La première chose qui me sautait aux yeux était le nombre ahurissant d’animaux en peluche qui recouvraient meubles et moquette. Sur son lit devait se trouver ses préférés.

Je mourrais d’envie de les voir plus en détail, mais me retins, de peur d’être impolie.

Ellébore : « C’est trop mignon ! »

Son mobilier aux teintes pastel et l’usage abusif de dentelles dans sa décoration seyait parfaitement à mes propres goûts, ce qui réjouissait aussi mon hôte, qui s’asseyait sur son lit pour m’observer faire le tour de la pièce.

Kana : « Heureuse que ça te plaise, Ellébore ! Depuis toute petite, je suis passionnée par les peluches ! Ma mère m’en achetait tout plein avant, mais désormais, c’est moi qui les fabrique ! »

Je ne parvenais pas à dire lesquelles avaient été faites par sa main. Elle devait avoir un très bon niveau. Je me déplaçais dans la pièce comme si j’enquêtais. Mon regard s’arrêta sur une commode à l’angle de la chambre. La lumière du jour atteignait à peine cet endroit. Il y était entreposé des poupées de tissus. Une d’entre elles avait piqué mon intérêt.

Je lui montrai du doigt sa collection dans la globalité.

Ellébore : « Je peux ? »

Ravie que je demande, le sourire de la princesse s’élargit encore.

Kana : « Oh, mais bien sûr ! »

J’avais une légère préférence pour toutes les énormes peluches au pied du lit, mais je soulevais la poupée qui avait retenu mon attention.

Ellébore : « Tu leur donnes énormément d’amour, ça se voit au premier coup d’œil. »

La jeune fille rougissait. Néanmoins, quelque chose l’avait manifestement intriguée.

Kana : « Hihi, ça me touche beaucoup. Dis, tu as pris cette poupée au hasard ? »

Contrairement à ces belles demoiselles de coton, la poupée que je tenais en main était plutôt terne. Ses cheveux sombres étaient grossièrement disposés. Les boutons qui lui servaient d’yeux avaient quelque chose d’inquiétant. Son esthétique d’un autre temps n’avait pas de quoi faire rêver les enfants d’aujourd’hui, mais aurait bien pu les terroriser. Pourtant, elle me fascinait.

Je levais finalement les yeux vers Kana, curieuse de savoir ce qui la surprenait.

Kana : « Celle-ci se transmet de génération en génération. Mère me l’a confiée il y a quelques années. Elle a beau savoir que je prends grand soin de tous mes amis de tissus, elle tient à ce que je manipule cette poupée le moins possible. Elle est extrêmement vieille, il faut dire. »

Je n’osais presque plus la reposer, réalisant à quelle point elle semblait fragile.

Kana : « Je trouverais ça triste qu’elle soit plus rafistolée qu’elle ne l’est. »

Elle avait beau dire ça sur le ton de la plaisanterie, je me mis à culpabiliser.

Ellébore : « Ow, mais oui… Tu as raison. Ça se voyait pourtant, je n’aurais pas dû la toucher… Je suis désolée ! »

Avant même que je ne la remette en place, Kana m’interrompit.

Kana : « Tu n’as pas à être désolée. Je ne pense pas comme Mère. Il a fallu un siècle d’affection pour qu’elle ne se retrouve dans une tel état. Ce serait encore plus triste que personne ne la serre dans ses bras de temps à autre. Elle finirait par se sentir seule. »

Sa façon de voir les choses m’attendrit. Je m’en voulais presque d’avoir douté du sourire indécrochable de la poupée. Il avait quelque chose d’effrayant, certes, mais c’était tout ce qu’elle avait à offrir à la famille qui avait pris soin d’elle pendant aussi longtemps. Son apparence ne changeait en rien le fait qu’elle avait autant besoin d’amour que toutes les autres.

Ellébore : « Moi, c’est Ellébore. Et toi, quel est ton nom ? »

Cette présentation tardive amusa la princesse.

Kana : « Nyriée. Elle s’appelle Nyriée ! »

Ellébore : « C’est rudement joli ! »

Kana se réjouissait de mon attitude.

Kana : « Je suis contente que tu sois venue. À part Klervi, Efflam, et Nojùcénie, personne ne s’est jamais trop intéressé à ça ! Et je suis convaincue que quelqu’un qui respecte autant les peluches ne peut qu’être une bonne personne ! Je suis sûre que tu prendras aussi grand soin de mes robes, et qu’elles t’iront à merveilles ! »

Sur ces mots, elle se releva, et accéda à son garde-robe. La demoiselle avait suffisamment de tenues de soirée pour enchaîner les réceptions les plus prestigieuses.

Je reposais prudemment Nyriée et rejoignis Kana, qui me tendait ses vêtements, ce qui l’aidait visiblement à m’imaginer dedans.

Elle me les montra, encore et encore, sans pouvoir obtenir un verdict de ma part.

Hélas, faire des choix m’était difficile, et plus je tardais, plus mon inquiétude croissait.

Je suis en train de donner l’impression que rien ne me plaît alors que j’ai envie de toutes les porter… ! Décide toi Ellébore, la chance de pouvoir être une princesse d’un soir ne se représentera peut-être jamais !

Voyant que je prenais cette décision avec beaucoup trop de sérieux, la jeune fille vint me réconforter, me disant que je pouvais toujours me prononcer plus tard.

En sortant de la chambre, quelques minutes plus tard, on croisa Klervi, qui se rendait elle aussi au petit déjeuner.

Ellébore : « Bonjour ! »

La timide enfant s’apprêtait à adresser la parole à Kana, jusqu’à ce qu’elle ne m’aperçoive. Elle préféra alors détourner le regard. J’étais pourtant sûre qu’elle avait quelque chose à dire à sa grande sœur.

Kana : « Quelque chose ne va pas, Klervi ? »

Constatant que toute notre attention était sur elle, celle-ci dut se résoudre à répondre.

Klervi : « Mh-mh, non, rien… »

Et ainsi, elle repartit aussi sec, d’un bon pas. Je soupirais, devinant être la raison qui l’avait poussé à nous fausser compagnie.

-3-

On entendit le cristal du verre de la duchesse tinter.

Luaine : « C’est officiel ! Ellébore et Léonce nous accompagneront à Faillegard en tant que fille et fils du baron d’Azulith ! »

Cette annonce ne fit pas l’unanimité mais fut accueillie par une ovation honorable.

Yuna : « Youpi ! »

Lucéard : Heureusement que le carré royal n’est pas là…

Talwin avait clairement tourné mes propos à son avantage. Je me sentais trompée.

Ellébore : « Mais, Madame Luaine ! Je pensais qu’il n’était question que d’y aller à la place d’Eilwen… »

La sœur du roi rit à gorge déployée en constatant que je n’étais pas prête à me lancer dans cette folle aventure qu’était une réception de la haute noblesse.

Luaine : « Serais-tu vraiment prête à mettre la réputation de la famille Nefolwyrth en jeu ? »

C’est pourtant vrai… J’attirerais des ennuis au comte et à la comtesse à la moindre erreur. Ce ne serait pas responsable d’agir ainsi…

Talwin cachait son sourire triomphant de ses deux mains, les coudes sur la table. Une lueur inquiétante émanait de ses yeux.

Talwin : « Tout se déroule selon mon plan. »

Léonce croisait les bras, je me demandais fortement ce qu’il s’apprêtait à dire.

Léonce : « Quoi ? C’est qui ce baron ? Et qui vous accompagne où ? »

Il n’avait aucune idée de ce dont il était question.

Quelqu’un aurait pu le mettre un peu au courant…

Talwin : « Ne t’en fais pas, la noblesse manquait d’un élément comme toi, Léonce. Non seulement tu auras le droit à une de mes tenues de soirée, mais je t’apprendrai tout ce que tu dois savoir pour devenir l’incarnation même de la haute-société. »

Léonce n’avait l’air ni convaincu, ni rassuré.

Kana : « Quant à moi, je m’occuperai d’Ellébore ! Même si elle est déjà merveilleuse comme elle est ! »

Outre le fait qu’elle se comportait aussi gentiment avec moi, l’idée de subir un apprentissage condensé pour devenir une véritable lady étirait un sourire sur mes lèvres.

Goulwen : « Désolé de vous interrompre, mais pour en revenir à cette histoire de bruits dans les couloirs, je ne pense pas que c’était une des inventions de Jagu cette fois. »

Ce nouveau sujet de conversation rendit plus confus encore ce pauvre Léonce.

Efflam : « Personnellement, j’ai dormi comme un loir ! »

Klervi écoutait la discussion avec beaucoup d’intérêt. Elle avait manifestement était témoin de ces mêmes sons.

Meloar : « Comment ça ? Ce n’était pas l’un d’entre vous ? »

Talwin : « Le mystère s’épaissit… »

J’écoutais passionnément leurs propres interprétations. Il y avait eu selon eux quelqu’un dans le corridor de leurs chambres cette nuit. C’était typiquement le genre d’histoire qui m’intéressait. Je buvais chacun de leurs mots jusqu’à la fin du repas.

Après celui-ci, je me retrouvai dans le salon de thé, en compagnie de Talwin, Kana, et Léonce. On consacra les deux jours suivants à devenir de parfaits imposteurs. Mon faux demi-frère et moi nous amusâmes beaucoup. Et tous les intervenants rendirent cette expérience fort enrichissante, et particulièrement instructive. J’eus d’ailleurs l’occasion de me rendre compte que Léonce connaissait bien plus de choses que moi sur le sujet. Derrière l’apparence qu’il donnait, il y avait en fait un gentilhomme qui avait déjà énormément de notions de savoir-vivre, et de connaissances sur l’univers de la noblesse.

Outre le plaisir d’y participer, je n’oubliais pas non plus que tout cela était nécessaire, et pouvait me permettre une audience auprès de la comtesse de Faillegard. Les informations qu’elle détenait pouvaient nous en apprendre énormément sur le groupe de Musmak. Je ne pouvais que l’espérer.

Quand le jour J fut venu, une armée de carrosses nous attendaient dans la grande avenue.

Kana attendait patiemment devant la porte de ma chambre. J’y étais seule, avec une gouvernante qui finissait d’ajuster ma tenue. Quand la poignée se tourna, la princesse trépignait d’impatience. Ses yeux s’illuminèrent quand elle m’aperçut.

Kana : « Ellébore, tu es ravissante ! »

Je portais une superbe robe aux tons verts, quelques bijoux et accessoires scintillants, y compris dans mes cheveux. J’avais d’ailleurs troqué ma simple queue de cheval pour une coiffure plus raffinée, qui mettait en avant l’éclat blond de mes mèches.

Kana serra ses deux mains au niveau de sa joue, elle était sous le charme.

C’était plutôt embarrassant d’être toisée de la sorte, mais j’avais eu l’exacte même réaction qu’elle en me voyant dans le miroir quelques instants plus tôt.

Ellébore : « C’est gentil, mais ces robes ne sont pas les tiennes pour rien. Celle-ci te va à la perfection. »

C’était la première fois que je la voyais ainsi, et réalisai pleinement qu’elle était une princesse.

En effet, toutes les robes de Kana étaient faites sur-mesure, et aucune ne lui allait aussi bien que sa plus récente qui sublimait ses formes voluptueuses. Celle que j’avais choisie devait être une de ses plus anciennes, puisque avec un corps moins développé comme le mien, je n’avais pas l’impression de nager dans ces atours. Que ce soit la couleur ou les détails de sa tenue, tout était en adéquation avec la personnalité de Kana.

Talwin : « Pas mal du tout, Ellébore. »

À quelques mètres de nous, Talwin attendait de son côté. Son grand sourire et sa barbe taillée soulignaient le chic de ses propres vêtements. Ce costume brun foncé était accompagné d’une cravate de soie rouge. Les nuances sombres de ces couleurs collaient aux style du jeune homme. Et à l’inverse, on oubliait presque son comportement habituel, tant sa tenue de soirée lui conférait l’allure d’un souverain.

La porte de la chambre de Léonce s’ouvrit à son tour, attirant notre attention.

Mais il en sortit un beau garçon, dans une tenue qui comme je l’imaginais était impeccable, lui qui négligeait le plus souvent ce genre de choses. Ses cheveux étaient plaqués en arrière, et semblaient souffrir d’être retenus captifs de la sorte.

Ellébore : « Léonce ! »

Dans mon intonation, il comprit immédiatement que je comptais le complimenter. Son costume était assez semblable à celui de son propriétaire, tout en étant plus adapté au teint de Léonce.

Il était tout aussi surpris de me voir, et finit par lever son pouce comme pour me féliciter.

Léonce : « Mais qui donc est cette princesse ? Je vous prierai de ne pas être si familière, mademoiselle. »

Cette plaisanterie nous amusa, et l’on se réunit pour partager nos impressions, laissant de côté nos manières nobles pour un temps.

Quelques instants après, un léger grincement se fit de nouveau entendre. Mon regard se tournait lentement vers l’origine de ce son.

À un mètre de moi venait d’apparaître Lucéard. Je restais aussi ébahie que lui. Voir l’autre dans une telle tenue était une première.

Dans mon cas, je l’avais déjà vu dans de beaux atours, mais son costume de ce soir était d’un tout autre ordre. Il avait aussi opté pour le vert, mais aussi l’or, et portait un magnifique jabot blanc au dessus de sa chemise. Il avait vraiment tout d’un prince charmant de conte.

Si ce n’est qu’il semblait avoir perdu ses mots, et que le silence se poursuivit jusqu’à ce qu’il ne trouve quoi dire.

Lucéard : « Eh bien, je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que ça t’aille aussi bien ! »

Je ne savais pas non plus quoi lui répondre, mais constatais la maladresse de ses propos. Il finit par regarder derrière mon épaule, et un sourire espiègle lui échappa.

Lucéard : « Mais qui est donc ce beau prince derrière toi ? »

Léonce le gratifia d’un rire qui n’était pas princier du tout.

Léonce : « Je viens de faire la même ! »

Lucéard : « Zut ! On peut dire que les grands esprits se rencontrent. »

Léonce : « Peut-être qu’être habillé comme moi a surélever le niveau de ton humour. »

Lucéard : « Ce ne serait pas plutôt à moi de dire ça ? »

Ellébore : « Cessez donc de vous comporter comme des goujats devant des princesses ! »

Mon intonation avait réussi à faire rire l’assistance.

Talwin : « Excellent ! Imprégnez-vous bien de votre rôle, vous allez y avoir droit toute la soirée ! »

On finit par descendre dans le hall, pendant que je guettais l’opportunité de complimenter la tenue de Lucéard.

Les autres enfants de la famille royale étaient déjà tous en bas, prêts pour le départ. Chacun d’entre eux était métamorphosé. Je ne savais plus où donner de la tête, mais ils furent les premiers à s’attrouper autour de moi et se montrèrent particulièrement dithyrambiques.

Talwin annonça très peu de temps après que la répartition des carrosses serait aléatoire.

-4-

Après avoir pioché un numéro, j’enfilai le manteau qu’un domestique me tendait et me rendis à l’extérieur. Notre départ était matinal, mais le soleil tirait déjà sa révérence lorsque nous arrivions dans une grande plaine.

Il y avait des vignes à perte de vue, et une colline étrangement régulière en son centre. On pouvait apercevoir au loin l’immense forteresse qui la couronnait. Ces grands murs sombres s’élevaient sur une centaine de mètres, et le diamètre de cette cité devait faire une demi-douzaine de kilomètres.

Plus on s’approchait, et plus la muraille semblait haute. L’immense pont-levis s’était baissé.

Les pavés semblaient aussi d’anthracite, et la couleur noire dominait chacun des bâtiments, donnant à cette ville fortifiée une étrange atmosphère. Le carrosse montait la longue pente. Je n’avais jamais vu une rue aussi escarpée, et m’étonnais que nous montions encore après quelques minutes. Une fois au sommet, je m’aperçus que nous étions pratiquement au niveau du haut des murs. Ce constat me donna le vertige.

Face aux chevaux, l’avenue redescendait aussi sec, et un autre kilomètre nous séparait de la partie la plus basse de la ville qui se trouvait être un lac parfaitement circulaire d’un bon kilomètre de diamètre lui aussi. Un pont ridiculement large, fait de bois et de métal, traversait de part en part cette étendue d’eau.

Je comprenais à sa forme qu’il s’agissait du pont-en-croix dont Lucéard m’avait parlé. Au centre s’y trouvait la grand-place et autour de nombreux commerces. Les parties du lac non couvertes par le pont étaient cachées par d’immenses vitraux colorés qui rendaient ce paysage d’autant plus surréaliste.

Tout autour de ce lac, le relief s’élevait de manière vertigineuse, et en face de nous, contre le rempart gargantuesque, se trouvait l’imposant château noir dont les tours à ses quatre angles dépassaient la plus haute muraille de la ville. Ce joyau d’architecture était disproportionné, et je ne pouvais qu’imaginer que même la capitale du royaume devait être moins impressionnante. Les deux villes faisaient environ la même superficie, mais Lucécie ne ressemblait aucunement à cette si fameuse forteresse imprenable.

Négligeant mon rôle de princesse, je gardais mon visage collé contre la vitre depuis déjà quelques minutes, les yeux emplis d’étoiles. Des réprimandes finirent par me rappeler à mes obligations.

Eira : « Mademoiselle d’Azulith ? »

La jeune femme me fixait d’un air sévère. Sous le manteau qui accompagnait sa tenue, il y avait une robe bleue comme l’abysse, et étonnamment sombre considérant qu’il s’agissait de la demoiselle la plus importante du royaume.

Il me fallut quelques instants pour réagir à ce pseudonyme. Je me retrouvai confuse.

Ellébore : « Je vous prie de me pardonner, ma princesse. Je ne voulais pas me montrer sous un tel jour. »

Eira soupira avec légèreté. Elle avait bien fini par se faire une raison, comme toute sa fratrie, mais semblait moins amère que les trois autres.

Eira : « Nous n’allons pas tarder à arriver, il va falloir que tu sois bien attentive à partir de maintenant. Votre imposture ne me dérange pas aussi longtemps qu’elle passe inaperçue. Cela dit, si la vérité venait à éclater, tout le royaume saurait en quelques jours que la famille royale a trompé son monde, et permis à des roturiers de participer à une réception de cette envergure. »

Je déglutis. J’avais été briefée sur ce point plusieurs fois déjà, mais cette fois-ci, il était trop tard pour reculer.

Eira : « Tu apprendras bien assez tôt que les nobles ne manquent jamais l’occasion de dénigrer les autres pour se mettre en valeur. Et même s’ils le feront discrètement, ils n’hésiteront pas à s’en prendre à la famille royale. »

Tout mon corps se raidissait.

Eira : « Enfin, bon. Je suis sûre que tu feras une noble charmante. »

Conclut-elle en me souriant. J’avais l’agréable impression que le carré royal m’acceptait de plus en plus.

Ellébore : « La famille royale est pourtant sacrée dans pleins de pays, et jusqu’à peu, c’était encore le cas à Deyrneille. C’est triste de se dire qu’on puisse se comporter ainsi envers vous. »

Eira : « Ça n’est pas plus mal, en toute honnêteté. »

La première princesse de sang me fixait avec ce même sourire docile qu’elle avait perfectionné au fil des années.

Eira : « Notre grand-père était un roi comme aucun de ses prédécesseurs, tout le monde pense qu’il avait comme modèle le roi fondateur de Deyrneille. Et dans ce même esprit, il redoutait que le peuple ne craigne leur souverain ou qu’il lui voue un culte exempt de toute raison. Il nourrissait l’idéal de se rapprocher du peuple, quitte à perdre du pouvoir. Mais ce fut en ignorant les travers des Hommes. La quête avide de pouvoir de certains et l’opportunisme des plus vils pourraient finir par renverser le régime. La déchéance de toutes les dynasties commencent par une simple concession de ceux qui sont aux pouvoirs, et le roi actuel n’est pas sans ignorer l’Histoire. Aujourd’hui, c’est à mon père qu’il revient la tâche de défendre avec fermeté la hiérarchie qui maintient un royaume en place. »

Je ne m’attendais pas à une réponse aussi élaborée. On sentait parfois dans les mots d’Eira un charisme presque terrifiant, loin de la coquette demoiselle qu’elle était d’habitude.

Klervi ne semblait pas intimidée par les propos de sa cousine. Et pour cause, elle ne l’écoutait pas. Elle agitait ses jambes sous sa robe avec vivacité en regardant par la fenêtre.

Meloar, le dernier à être monté dans notre carrosse, croisait les bras, écoutant jusque là nos discussions en silence.

Ellébore : « J’ai toujours été admirative de l’ancien roi. De ce que j’ai toujours entendu dire, la lutte qu’il menait pour ses idéaux était tout aussi respectable. Et j’en pense autant de votre père qui réussit tant bien que mal à concilier les rêves de son prédécesseur et la dureté de la réalité. Vous devez être très fiers de lui ! »

La langue de Meloar claqua.

Meloar : « Notre roi est peut-être bien la seule personne avec les pieds sur terre dans cette famille. »

Ce n’était pas tous les jours qu’on entendait sa voix. Il ne haussait jamais le ton et finissait toujours par ne pas être écouté par ses frères et sœurs. Ses paroles à l’instant sonnaient plus comme un reproche qu’autre chose, ce qui agaça Eira.

Eira : « Et pourtant, notre roi a fait sien les idéaux de notre grand-père, quoi que tu puisses en dire. Il les a juste proposés autrement. »

Meloar : « Imposer, tu veux dire. Cette utopie que l’ancien roi souhaitait n’a pas lieu d’exister à si grande échelle. Il serait temps de vous en rendre compte. »

Une tension pesante se faisait sentir dans ce véhicule. Les gens qui m’avaient entourés durant ce séjour n’étaient pas conflictuels pour la plupart, et ce genre de litige était particulièrement rare dans la famille royale.

Je tentais de communiquer du regard avec Klervi, qui n’avait pu que ressentir l’atmosphère électrique dans cet habitacle. Mais quand elle me vit à son tour, elle détourna la tête pour regarder à l’extérieur de nouveau.

Elle ne s’ouvre toujours pas à moi…

Désespérai-je. Moi qui faisais tout pour m’entendre avec elle.

Eira : « Je sais où tu veux en venir, mais j’en resterai là. Quoi que je dise, tu t’en serviras pour tenter de démontrer que le royaume courre à sa perte à cause de notre incompétence. »

J’étais de plus en plus nerveuse. Je n’avais aucune idée qu’il y avait une telle hostilité entre ces deux-là.

Meloar : « Brynn est quelqu’un de fiable, je n’en ai que rarement douté. Mais peux-tu seulement imaginer un duché dirigé par Talwin ? Ce serait honteux. »

Le silence qui suivit fut intenable. Je ne savais plus où me mettre. Ces deux-là se regardaient en chiens de faïence.

Heureusement, le carrosse finit par ralentir puis s’arrêter. Quand on m’ouvrit la porte, je sortis aussitôt.

Il y avait une vaste place où s’alignaient des carrosses vides. Leurs formes, leurs couleurs, leurs matériaux, et leurs attelages étaient très variés, et renseignaient sur la grande diversité qui existait dans ce duché.

Je levais la tête pour apercevoir la fumée des cheminées qui s’élevait au-dessus des sombres habitations, et se mêlait à cette grisaille, pareille à un dôme pour cette forteresse.

Je me retournais pour voir l’immense château au pied duquel nous étions. N’y avait-il pas plus de cinq étages ? Un autre pont-levis, trop étroit pour un véhicule, se faisait le seul accès à cette bâtisse. Les douves autour n’étaient pas si larges, mais on n’en voyait pas le fond.

Lucéard : « Fort-Aniline, le château d’anthracite. Dans tous les royaumes du continent, on raconte que c’est l’endroit le plus sûr du monde. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on l’appelle la forteresse imprenable. »

Son explication réveillait aussitôt en moi la curiosité que j’avais dû refréner.

Ellébore : « C’est rudement impressionnant ! Mais dis-moi, pourquoi cette cité n’est pas le chef-lieu du duché ? »

Je lui avais visiblement posé une colle.

Lucéard : « Bonne question… Sûrement que l’ancien roi préférait l’image que renvoyait Port-Vespère. À moins que la puissance commerciale du port ait motivé un tel choix. »

Je hochais la tête avec satisfaction, puis, en croisant le regard de membres de la noblesse, me rappelai d’ajuster mon langage.

Ellébore : « Merci pour ces éclaircissements, mon prince ! »

Je lisais dans son expression que lui non plus ne s’y faisait pas.

Pendant que nous nous rassemblions, je remarquais une fois de plus l’omniprésence de la garde. Dans la grande avenue qui coupait la ville en deux, je n’avais vu qu’eux. Ils me semblaient particulièrement robustes et étaient sûrement la fierté de la forteresse. Néanmoins, je n’imaginais pas les grands-mères locales parler de la pluie et du beau temps avec ces hommes en armure, comme on pouvait le faire à Lucécie.

Nous n’étions pas moins de vingt à nous présenter à l’entrée des grandes marches qui précédaient le pont-levis.

Un homme se tenait droit devant nous, vêtu d’un beau costume noir. Son air sévère était quelque peu inquiétant, et ses cheveux grisonnants rappelaient la pierre qui composait cette ville.

???: « Madame la duchesse. »

Il s’inclina humblement, avec la grâce d’un majordome de premier ordre.

La duchesse effectua une courbette à son tour. La tenue qu’elle portait assurait à quiconque l’apercevait qu’elle était la personne la plus importante du duché.

Luaine : « Monsieur Melnais. »

Il y avait un protocole à respecter et ce vieil homme nous invita tour à tour à entrer dans le château. Les premiers furent les enfants du roi, puis les Vespère, ensuite ce fut Lucéard, et les deux sœurs Nefolwyrth après lui. Puis…

Melnais : « Mademoiselle d’Azulith, monsieur d’Azulith. C’est un honneur de faire votre connaissance. »

Cette fois-ci, je me sentais réellement comme une princesse. Après nous avoir inspecté de son œil avisé, il avait fini par nous saluer dignement. Léonce était aussi tendu que moi. Les autres attendaient beaucoup de notre imposture.

J’imitais néanmoins la réponse des princesses avant moi. Le majordome semblait satisfait et nous indiqua le chemin.

Tout autour de nous suggérait que le Fort-Aniline était prêt à faire face à une attaque-surprise à tout moment. Les imposantes installations de sécurité et le sérieux des gardes avaient certainement dissuadé toute tentative d’invasion depuis des décennies.

Je me rendais seulement compte maintenant que les infrastructures de cette cité, comme de ce château, avait laissé peu de place à la végétation pour s’épanouir.

-5-

Le hall était immense, à l’image de toute la forteresse imprenable de Faillegard. Des portes à doubles vantaux menaient un peu partout. On voyait les escaliers de pierre monter dans toutes les directions. Rien de ce qui se passait dans ce hall ne pouvait échapper au regard de la garde qui le parcourait.

Finalement, ça ne m’étonne plus qu’il y ait assez de chambres pour cent invités.

Le personnel se montrait discret, mais grouillait tout autour de nous. Il fallait un monde fou pour entretenir un tel endroit. Et malgré le volume de pièces comme celle-ci, il ne faisait pas froid. J’eus même l’impression qu’une douce chaleur émanait du sol et caressait mes jambes.

Il y avait face à nous, au centre de ce prodigieux édifice, une grande dame dont la présence ne manqua pas de m’intimider. Je devinais aussitôt que nous avions à faire à celle qui tenait au creux de sa main une telle cité fortifiée.

Elle s’avançait sur ses talons dont le claquement résonnait tout autour d’elle.

Ses atours étaient somptueux, et les teintes de noir qui s’y succédaient étaient comparable à un ciel étoilé. Ses yeux étaient d’un gris froid, ce qui était aussi rare qu’impressionnant. Un simple regard de sa part aurait pu me pétrifier. Elle s’arrêta à quelques mètres de la duchesse, comme si elle était son égale.

On m’avait renseigné sur tous ceux qui seraient présents ce soir, en particulier sur notre hôte, la comtesse Melanéa de Faillegard.

Melanéa : « Ma duchesse, je vous suis reconnaissante de vous être déplacée, vous et votre famille, pour notre modeste réception. »

Contre toute attente, elle montra d’entrée de jeu une humilité qu’on n’attendait pas d’un personnage aussi imposant.

Luaine : « Je ne vois rien de modeste dans la grandeur de votre cité. C’est toujours un honneur pour moi d’être acceptée par les pont-levis de Faillegard. »

Les deux femmes avaient manifestement des atomes crochus et semblaient apprécier la présence de l’autre.

Melanéa : « Comme vos enfants ont grandi ! …Pour la plupart. Ils sont ravissants. »

Elle observait les Vespère un à un, et portait pour eux un intérêt douteux. Son regard s’arrêta sur Aenor qui la dévisageait, visiblement vexée par ce qu’elle venait de sous-entendre.

Après avoir salué toute la famille royale, ce fut à mon tour d’être toisée, tandis qu’une gouvernante ôtait mon manteau.

Melanéa : « Hmm, je vois. 163. »

Dit-elle, avec une certaine excitation. Elle se rapprocha de moi et murmura d’autres chiffres tout aussi cryptiques.

Melanéa : « Mademoiselle d’Azulith, n’est-ce pas ? C’est un réel plaisir de faire votre connaissance. J’ai quelque chose qui vous conviendrait à merveilles, mon enfant. »

Ellébore : « Q-quelque chose ? »

Je peinais à répondre à son regard. Je la croyais presque capable de lire dans mes pensées.

Elle sortit d’on-ne-sait-où un éventail plus noir que l’encre, et cacha avec grâce le bas de son visage à l’aide de cette dentelle sombre. Un doux rire se fit entendre, plus soigné qu’authentique.

Melanéa : « Pour votre première visite du Fort-Aniline, j’aimerais vous montrer mes précieuses créations. »

Elle fit signe à ceux qui le souhaitaient de la suivre. La famille royale savait déjà de quoi il était question.

Je restais à côté d’elle, puisqu’elle avait jeté son dévolu sur moi, et que j’étais sa principale interlocutrice.

Après avoir marché longtemps en ligne droite, on finit par monter un grand escalier en colimaçon.

Melanéa : « Bien des gens négligent leur apparence en extérieur. Je ne critique en rien les manteaux du palais Vespère, mais je regrette le peu d’importance qu’on accorde à l’esthétique de ces vêtements qui font partie à part entière d’une belle tenue. S’il ne s’agissait que d’en porter pour se réchauffer, alors cela vaudrait aussi pour les autres vêtements. Mais c’est bien entendu faux, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce qu’on met par-dessus une tenue de soirée ne doit pas simplement la couvrir, cela doit la sublimer, mademoiselle ! »

Je hochais la tête avec intérêt, même si je n’étais pas particulièrement emballée par un tel sujet.

Melanéa : « Voilà pourquoi je conçois moi-même des manteaux. Et ce dans la tour Sud-Ouest où nous nous rendons. »

Léonce réfrénait un bâillement.

Melanéa : « Pourquoi ? …me demanderez-vous ? Eh bien, il est de coutume lors des réceptions au Fort-Aniline de prendre un moment pour apprécier la vue imprenable, excusez ce jeu de mot, du sommet de cette tour. Hélas, il y fait bien froid, en particulier par une nuit d’hiver, ce pourquoi nous entreposons de quoi se couvrir au dernier étage de cette tour. »

Elle dégage une toute autre aura quand elle parle de ce qui la passionne.

Melanéa : « Voilà pourquoi j’en suis venue à proposer des modèles que moi-même je conçois, avec l’aide de mes couturières, bien entendu. Et au vues de vos mensurations, je pense avoir trouvé celui qui vous conviendrait le mieux. »

C’était donc ça… Et elle a vraiment réussi à deviner mes mensurations juste en me regardant ?

Melanéa : « Je prie pour que ce soit à votre goût. Un vêtement n’est bien porté que quand on se sent soi à l’intérieur. »

Ellébore : « Je suis sûre qu’ils sont tous ravissants. »

Mon attitude la fit sourire. Nous arrivions au dernier étage.

L’escalier continuait néanmoins de monter jusqu’au toit, mais une ouverture donnait sur un couloir menant à quelques pièces.

Melanéa : « D’un côté de cet étage se trouve mon atelier, et de l’autre la salle des rolliers. »

Lors de mon apprentissage, Kana m’avait appris que chaque comté utilisait une espèce d’oiseau qui leur était propre pour faire parvenir leur courrier. Parfois même, certaines baronnies faisaient exception. Les rolliers géants dont il était question étaient le symbole postal de Faillegard.

Les oiseaux messagers desservaient toutes les baronnies et les lieux-dits importants de leur comté, ce qui incluait les “perchoirs” de chaque habitation noble. Ils desservaient aussi les chef-lieux de duchés qui pouvaient ensuite faire parvenir la lettre aux autres duchés.

En tant que prétendue noble, je me devais de connaître au moins les cygnes nains d’Oloriel, et les petit-ducs de Lucécie.

Il y avait malgré tout une troisième pièce au fond de ce couloir, plus petite que les autres. La comtesse suivait mon regard et comprit l’objet de ma curiosité.

Melanéa : « Ce que vous voyez là-bas est un accès à la tuyauterie. Vous l’avez certainement remarqué, même dans une partie aussi excentrée du château, on ne ressent nullement le froid de cette saison, et ce grâce à toute l’énergie thermique que nous produisons en sous-sol, et qui est reconduite dans tous les sols et les murs du Fort-Aniline. Je me targue de croire que ce système de chauffage centralisé deviendra incontournable chez toute la noblesse du royaume. »

Ceci explique cela. J’aurais aimé avoir ça chez moi…

Sur ces mots, elle ouvrit la porte face aux escaliers, et révéla fièrement ce qui s’y trouvait.

Un lustre de bougies blanches éclairait toute la soirée cette salle que tout le monde appelait le “garde-manteau”. Je remarquais d’abord la symétrie de cette première vision. À ma gauche, cinq armoires munies de miroirs se tenaient bien droites contre le mur et étaient séparées par des porte-manteaux, et à chacun d’eux pendaient quatre vêtements longs et noirs. Il s’agissait sans doute des créations de la comtesse. À ma droite se trouvait exactement la même chose. Et face à moi, à l’autre bout de la pièce deux autres meubles se tenaient de chaque côté de la porte qui menait sans doute à l’atelier.

Il y avait pourtant au centre de cette pièce une table de bois massive, et devant elle une table basse en métal noir sur laquelle se trouvait un long parchemin plié. Il devait s’agir d’un patron.

La grande dame entra la première, et me fit signe de la suivre. Je remarquai que contre le mur de notre côté, il y avait deux longs porte-manteaux sur roulettes où l’on pouvait pendre une dizaine de hauts le long de la barre. D’aussi près, je pouvais enfin comprendre ce que la comtesse appréciait tant. Je n’aurais pas été tentée de porter chacun de ces modèles, mais je reconnaissais qu’il y en avait pour toutes les morphologies, et qu’on pouvait presque imaginer à qui conviendrait tel manteau selon sa personnalité.

Léonce et quelques-uns d’entre nous me suivirent à l’intérieur. Nous aurions été à l’étroit si tout notre groupe y pénétrait en même temps.

Melanéa : « Il y a des étiquettes sur certains modèles, puisqu’ils sont réservés, mais n’hésitez pas à regarder dans les placards, ceux fermés sont vides pour l’instant, et ceux du fond ne servent qu’à ranger des patrons. »

Sur ces mots, elle s’approcha d’un d’entre eux, et tira sur la poignée pour ouvrir la porte grinçante. Elle en sortit dans l’instant d’après un long vêtement noir, me confirmant qu’elle connaissait l’emplacement exact de chacun des modèles.

Melanéa : « Me feriez-vous l’honneur de l’essayer, mademoiselle ? »

Tandis que je l’enfilais, elle passa en revue toutes les raisons pour lesquelles ce manteau était fait pour moi. Je hochais la tête, ne comprenant que la moitié de ce dont il était question.

Bien assez vite, on vint l’interrompre, lui rappelant que tous les autres invités étaient déjà dans la salle de réception.

-6-

Notre groupe arriva finalement au cœur de cette soirée. Il y avait du beau monde. Face aux trois tables du repas se trouvait un buffet garni de mets raffinés et particulièrement exotiques de mon point de vue, ce qui attira immédiatement mon attention.

Comme annoncé, des personnes importantes se tenaient debout, verre en main, et discutaient calmement. On entendait des éclats de rire, ça et là, ce qui me rassurait. J’ignorais à quel point ce genre d’événement était formel, et je craignais une atmosphère beaucoup plus tendue.

Avant même que l’on se disperse, un homme vint vers nous. Ses cheveux sombres laqués en arrière, le sourire lumineux, et la barbe taillée au millimètre. De sa peau bronzée émanait le souvenir nostalgique de l’été. Sa tenue avait pourtant quelque chose de lugubre qui jurait avec la blancheur de ses dents. Cet homme d’une quarantaine d’années m’était décidément familier.

???: « Bien le bonsoir ! »

Malgré un accent à peine assumé, sa présentation était parfaite. Il s’approcha le dos bien droit, dignement, en direction de Yuna qui souriait jusqu’aux oreilles en le voyant arriver.

Quand il passa à côté de moi, je remarquais les quelques cheveux blancs qui s’immisçaient dans sa coiffure, et l’odeur d’huile d’olive qui semblait l’accompagner en permanence.

De manière suspecte, l’homme regardait à droite et à gauche, comme pour s’assurer que personne ne l’observait, puis, s’accroupit au niveau de Yuna.

???: « Gouzigouzigouzi ! »

Il tirait les joues de l’enfant tout en accompagnant ses grimaces de bruits idiots, mais discrets, ce qui amusa énormément la princesse, qui se retenait difficilement de s’esclaffer trop fort.

De ce qu’on m’a dit, la plupart des nobles ne feraient pas ce genre de choses, ce qui veut dire que cet homme…

Kana : « Oncle Rosaire ! »

En quelques secondes, il se retrouvait entouré par ses neveux qui étaient aussi excités de le voir que la petite dernière.

Rosaire : « Alors, les mouflons, vous allez bien ? »

Quelques secondes après, j’entendais à nouveau ces onomatopées débiles tandis qu’il malaxait les joues de Kana.

Kana : « Mon oncle… C’est gênant… »

Soupirait la fille de 17 ans.

Rosaire : « Tu adorais ça quand tu étais petite ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »

Il ne s’interrompit pas pour autant.

Rosaire : « Vé, je suis sûr que tu aimes encore ! »

La demoiselle détourna le regard, le sourire embarrassé, ce qui donnait raison à son oncle.

En apercevant mon regard insistant, l’homme finit par se calmer, l’air coupable.

Ellébore : « N-ne vous en faites pas… Je… »

Je ne savais pas comment lui expliquer qu’il pouvait agir comme bon lui semblait en ma présence.

Rosaire : « Oh mais tu es la jeune fille dont m’a parlé Evariste ! Ellébore, c’est ça ? Enchanté ! Je suis son frère, le comte Rosaire Grimosa. »

De ce côté-là de la famille, ils semblaient tout aussi insouciants, ce qui me soulageait.

Léonce vint à son tour se présenter au comte de Grimosa, qui se montra aussi chaleureux.

Je m’éloignai un peu, saluant certains convives qui s’intéressaient à ce nouveau visage dans leurs réceptions.

À la fin d’une brève conversation, j’aperçus Klervi. Elle tenait sur le dos de sa main une espèce de phasme gris, pareil à un éclat de pierre, et le dévorait du regard. Elle avait dû récupérer cet insecte à l’extérieur du Fort-Aniline, et l’avait transporté jusqu’ici pour avoir plus de temps pour l’observer.

La princesse si bien vêtue se tenait volontiers à l’écart de la foule pour éviter qu’on ne lui fasse des remarques.

Au moins, elle a l’air de s’amuser…

Un bruit de canne attira mon attention. Face à certains des enfants Vespère s’avançait un vieil homme. Sa moustache blanche avait du panache, et son visage rond avait quelque chose de paisible qui me mettait immédiatement en confiance. Il n’était pas aussi opulent que son visage le laissait penser, mais ses vêtements étaient un peu trop larges pour lui.

???: « Jagu ? Qu’est-ce que tu as grandi, ma parole ! Ça ne fait pourtant qu’un an ! Tu ne tarderas pas à me dépasser à ce rythme là ! »

Le garçonnet était enchanté d’entendre ce genre de louange et après s’être frotté le crâne d’embarras se tourna vers Aenor avec un air malicieux. Celle-ci lui répondit d’un regard froid.

La voix de cet homme mûr était toute aussi sereine, et m’aida à réaliser à qui j’avais affaire. Il était comme Kana et Talwin me l’avait décrit. Ce ne pouvait être que le baron Irvald de Romarthin.

Irvald : « Mais toi aussi, qu’est-ce que tu pousses, Aenor ! Tu deviens une charmante demoiselle ! »

La fillette était à présent tout sourire elle aussi. Les enfants Vespère semblaient affectionner unanimement monsieur de Romarthin.

Je vis derrière eux les deux frères originaires de Grimosa réaliser une poignée de main complexe qui manifestait leur excitation à l’idée de se revoir. Ils avaient énormément à se dire.

???: « Eh bien ça pour une surprise… »

Une voix familière me fit me raidir en l’entendant. Cet homme derrière moi, je reconnaissais même son parfum. Je me tournai pour confirmer mes soupçons.

S-steran Vulliek ??

Steran : « Alors c’est vous la fille du baron d’Azulith ? Qui l’eût cru ? »

Le Grand Inquisiteur que j’avais rencontré à Lucécie était de la fête, lui aussi. Sa tenue était quelque peu extravagante, ce qui jurait avec son calme tempérament.

Ellébore : « Ah ah… Monsieur Vulliek ? Quelle coïncidence ! »

Steran : « On lit en vous comme dans un livre ouvert, mademoiselle. Mais c’est comme ça qu’on apprend. Vous savez, avant d’être Grand Inquisiteur de Faillegard, j’ai été détective. C’est un jeu dangereux, n’est-ce pas ? Mais je vous couvrirai autant que possible. »

Avoir été grillée aussi vite me couvrait d’opprobre.

Maintenant qu’il le dit, j’avais déjà entendu parler de Faillegard ce jour-là.

Ellébore : « M-merci beaucoup ! »

Il ne m’avait pas fait une très bonne impression la première fois où nous nous étions rencontrés, mais ses intentions étaient sincères, et j’appréciais son soutien.

Steran : « Si je m’attendais à vous revoir de sitôt. Enfin, n’en parlons plus ! »

Il tourna tout son corps de manière dramatique pour accueillir les hommes qui venaient de l’interpeller.

Ils étaient tous les deux grands, et leurs costumes étaient d’un violet bleuté. Même sans cette similarité, ils semblaient être frères, de part leur chevelure sombre, et leurs étranges coiffures. Néanmoins, l’un d’eux dégageait un calme fédérateur, et la lueur améthyste dans ses yeux m’indiquait aussitôt son identité. Il s’agissait du baron Stellio d’Orvande.

Son jeune frère avait le regard mauvais, et la sale habitude de regarder suspicieusement d’un côté puis de l’autre. Si je me fiais à ma mémoire, son nom était Félice.

Félice : « Monsieur Vulliek ! Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu pour de simples réjouissances ! »

Steran : « Comme vous dites. Et je ne saurais vous remercier assez pour tout ce que vous avez fait dans notre affaire. Grâce à vous, le trafic de lavande noir vit ses dernières heures. »

Un sourire torve se dessinait sur les lèvres du cadet des Orvande. Son côté grande gueule et sa manie de cracher ses paroles lui donnaient un air antipathique.

Félice : « Il y a bien des gens que vous devriez remercier avant moi. À ce sujet, qu’en est-il de l’enquête de Ferveuil ? A t-il trouvé qui finançait le trafic ? »

Steran : « À vrai dire… »

Monsieur Vulliek avait aussi un air quelque peu hautain de temps à autre, mais à l’instant, quelque chose semblait assombrir son expression.

Steran : « …Monsieur Ferveuil s’est fait abattre. »

Mes yeux s’écarquillèrent.

Monsieur d’Orvande recula d’un pas, pris de court.

Félice : « Comment ?! »

Son éclat de voix éclipsa les autres dans la salle. Mais je ne pouvais que comprendre sa réaction, qui n’avait pas à être tue.

Steran : « Mon assistant est encore sur place… Quelque chose nous a échappé, et ils ont eu un coup d’avance sur nous… Mais ils n’en restent pas moins dos au mur, et je ferai personnellement en sorte qu’ils soient tous identifiés, et condamnés. »

Avec une affliction certaine, le Grand Inquisiteur clamait sa volonté d’en finir une bonne fois pour toutes avec ce que j’identifiais comme du crime organisé.

Stellio : « Monsieur Vulliek ? »

Le baron prit la parole. Il n’avait pas plus de la trentaine, mais la sagesse se lisait dans son regard. Il obtint l’attention de son interlocuteur et de son frère sans effort.

Stellio : « Nous ne devrions pas ébruiter cette affaire ici. Tout le duché n’a pas besoin de savoir de quoi il retourne. »

Steran : « Oui, vous avez entièrement raison. Mes excuses. »

Félice restait en retrait, le regard furieux. Les quelques curieux qui s’étaient retournés revinrent à leur discussion.

-7-

L’inquisiteur tira sa révérence. Il ne restait que Léonce en ma compagnie.

Léonce : « Dis, tu n’aurais pas vu Lucéard ? Je ne sais plus où donner de la tête. »

Son intervention me sortit de mes pensées. C’était toujours rassurant de savoir que je n’étais pas la seule à jouer à ce “jeu dangereux”.

Ellébore : « Je ne sais pas non plus. J’ai du mal à m’y retrouver moi aussi. Peut-être qu’entre frère et sœur, on devrait rester ensemble. Tu m’accompagnerais pour que je parle à la comtesse ? S’il te plaît ! »

Léonce : « Pas de problème ! »

Ellébore : « Merci ! »

???: « Bonsoir. »

Hélas, avant même qu’on ne puisse aller quelque part, nous fîmes une nouvelle rencontre.

Cette voix féminine appartenait à une demoiselle de quelques années notre aînée. Sa tenue était bien plus légère que les autres. Son décolleté, comme le rouge à ses lèvres, ne passait pas inaperçu. Elle avait souligné son regard de traits sombres qui faisait ressortir ses yeux clairs, et ses cheveux blonds.

Elle s’approchait lentement de nous, ou plus précisément, de Léonce.

???: « Vous vivez en Lucécie, est-ce bien ça ? Splendide région. Tout comme celle de Pélitane. Oh ! Maintenant que j’ai parlé de ma ville, vous devez avoir deviné qui je suis. »

Léonce me lançait un regard paniqué, et je lui répondis le même. Nous l’avait-on seulement présentée ? Notre silence crispa légèrement le sourire de la demoiselle.

???: « L-la famille Roberaix, enfin ! Je suis l’héritière du vicomte de Pélitanie, Flore Roberaix. Quel privilège de faire votre connaissance ! »

Elle tendit le dos ganté de sa frêle main à Léonce qui ne perdit pas un instant pour la lui serrer de sa grosse poigne.

Mes lèvres se pincèrent en constatant la bourde qu’il venait de faire. Mademoiselle Roberaix était choquée, mais tentait d’intérioriser sa stupéfaction.

Léonce : « Je suis Léonce d’Azulith, c’est un privilège partagé ! »

Léonce… Tu le fais exprès, ma parole !

J’étais néanmoins très amusée par cette étonnante présentation.

Flore : « J-je connais toutes les familles de noblesse ancienne. Ce qui est normal pour une Roberaix. Votre nom patronymique ne me sera certainement pas étranger. Mais quand même. Une telle musculature pour un héritier de baronnie. Stupéfiant. N’est-ce pas là le corps d’un chevalier ? Un preux chevalier… »

Cette demoiselle était manifestement aussi tactile que Kana, mais son attitude rentre-dedans fit grimacer mon ami.

Léonce : « …A-ah ? »

Sa réaction fit rire mademoiselle Roberaix, d’un rire que je qualifierai de surjoué et de faux.

Flore : « Vous n’avez pas à être intimidée par mon nom. Je ne vais pas vous manger… Que diriez-vous de nous adonner à une correspondance, vous et moi ? »

Léonce : « Navré de vous demander pardon, mais, votre famille, que fait-elle, au juste ? »

Le fils de jardinier avait décidé de ne pas la prendre au sérieux. Néanmoins, celle-ci gloussa plus fort encore, ce qui commençait à m’irriter.

Flore : « Vous êtes incorrigible ! Depuis des générations, nous régnons sur le vicomté de Pélitanie. Vous ne pouvez imaginer à quel point ces terres sont riches et somptueuses ! Oh, si vous pouviez les voir ! »

Léonce : « Oh, vous m’en voyez confus. J’étais persuadé qu’il n’y avait plus de vicomte dans notre royaume depuis un demi-siècle. »

Le visage de la jeune héritière se décomposa. Il venait de trouver son point faible.

Bien joué, Léonce !

Elle passa très vite cela à la rigolade.

Flore : « Oh, vous, alors ! »

Et sur ces mots recula lentement, avant de se retirer. Elle se dirigea furtivement vers le buffet pour panser son cœur.

Elle engloutissait du raisin par désespoir.

Goulwen était à côté d’elle, et se goinfrait plus avidement encore. Il se tourna dans sa direction, sans une once de sympathie.

Goulwen : « Encore un échec, mademoiselle Roberaix ? »

Méprenant sa question pour de l’intérêt, la jeune femme reprit son rôle de séductrice.

Flore : « Oh, monsieur de Port-Vespère, nous avons tellement en commun tous les deux. Aucun des plats locaux de Pélitanie ne vous est inconnu, mais je pourrais vous faire découvrir des mets dont vous ignorez toutes les saveurs… »

Goulwen mit aussitôt sa main sur l’épaule de l’héritière, et la poussa légèrement, désintéressé par son existence.

Goulwen : « Une telle abnégation est tout à votre honneur, mademoiselle, mais ne restez pas devant la tapenade, vous gênez. »

Sur ces mots, il l’ignora et tartina allègrement une tranche de pain qu’il avala goulûment.

La pauvre demoiselle soupirait, vaincue. Néanmoins, quand elle aperçut Ceilio, elle repartit à la chasse, plus ambitieuse que jamais.

Ce n’est pas tous les jours facile la vie de noble.

M’amusai-je en mon for intérieur. J’éprouvais malgré tout un peu de peine pour cette fille.

D’un regard entendu, Léonce et moi repartîmes en quête de notre hôte.

???: « Bonsoir, mademoiselle. »

Une voix masculine assez aiguë se fit entendre. Mais je n’étais pas la personne visée. Un jeune homme blond, à la coiffure soignée, et au sourire charmeur s’approchait de Klervi.

La demoiselle fit entrer son nouvel ami dans sa manche, et mit son bras derrière elle, l’air de rien.

Le garçon déposa un baiser sur la main de la jeune fille, comme le voulait la tradition. Klervi devint aussitôt rouge comme une tomate.

La pauvre me donne l’impression qu’elle a plus horreur de ce genre d’interaction que n’importe qui… Courage, Klervi !

???: « Vous êtes encore plus belle que la dernière fois où je vous ai vu. Vos manières sont si douces, et votre côté indomptable me laisse en émoi. »

Quel est ce sentiment de dégoût qui monte en moi ?

Klervi avait les yeux humides. Outre sa timidité, écouter ce jeune homme était douloureux pour elle.

Ellébore : « Hmm… Bonsoir ? »

Tentant de la sortir de là, j’intervins. Néanmoins, la réaction de cet étrange garçon fut de me montrer la paume de sa main, sans même se retourner entièrement.

???: « Oui oui, bonsoir. Je suis occupé, figurez-vous. »

Il recommença à énumérer les qualités de Klervi comme si je n’existais plus. Il semblait en découvrir de nouvelles à chaque fois qu’il ouvrait la bouche.

Finalement, les Vespère ne sont pas si terribles que ça, en comparaison.

Ellébore : « E-excusez-moi, je suis Ellébore d’Azulith, la fille du baron d ‘Azulith. Je voulais juste me présenter… »

Il s’interrompit pour me regarder du coin de l’œil, d’un air froid.

???: « Eh bien c’est fait. »

Puis ses yeux luisants de passion revinrent sur Klervi.

???: « Votre façon de cacher cet insecte derrière vous. Tant de mystère, tant de gentillesse. Je fonds, mademoiselle, je fonds ! »

Encore un sacré énergumène…

La canne frappa à quelques mètres de nous.

Irvald : « Monsieur de Calcyan, toujours aussi énergique ! Vos sœurs sont en pleines formes, elles aussi. Que c’est plaisant de vous voir ainsi ! »

Ce garçon douteux serait Narcisse de Calcyan ? Ceci explique cela.

Narcisse : « Oh… Bonsoir. »

Son outrecuidance se heurtait à l’autorité naturelle du vieil homme. Il se résigna à interrompre provisoirement son monologue passionné.

Monsieur de Romarthin donnait une chance à Klervi de s’enfuir. J’en profitai pour lui faciliter la tâche. Léonce restait en retrait, réticent à lui adresser la parole.

Ellébore : « Vous êtes le fils du baron de Calcyan ? C’est un honneur de vous rencontrer ! »

Narcisse : « Errh. »

Il me prit de haut, et ses yeux semblaient dire “elle ne me lâche jamais, celle-là ?”.

Le baron repartit d’un pas lent, ménageant sa jambe gauche, visiblement affaiblie.

Irvald : « Oh. »

Un léger craquement se fit entendre. Sans sa réaction, je n’y aurais même pas prêté attention.

Il regarda sous sa chaussure.

Irvald : « Eh bien, quelle maladresse ! Qu’est-ce qu’un insecte faisait ici ? »

Plus surpris qu’autre chose, il reprit son chemin, nonchalamment.

Klervi regardait précipitamment dans sa manche, et réalisa que son ami n’y était plus. Dépitée, elle regardait le vieillard s’éloigner.

Monsieur de Calcyan pleurait en son nom.

Narcisse : « Oh quelle tragédie, mademoiselle ! Mais cette bête aura au moins connu la chaleur de vos mains, et la douceur de votre peau. Je suis sûr qu’elle repose en paix ! »

Oh pitié…

Heureusement, Klervi ne l’écoutait plus. Elle fixait le baron, une expression bien sombre sur son visage.

Ce dernier alla à la rencontre de Talwin, qui avait un succès fou auprès de la gent féminine, qui s’attroupait autour de lui. Elles avaient toutes l’air fascinées par ce qu’il racontait.

Talwin : « Et c’est seulement à ce moment-là que j’ai fait mon entrée ! Mon frère Meloar était déjà en piteux état. Pour être plus précis, quand je suis arrivé- »

Je n’entendis pas la fin de sa phrase, mais il avait provoqué l’hilarité générale.

Il doit les embobiner pour passer le temps…

Yuna et la duchesse vinrent à la rencontre de Klervi, qui était visiblement déprimée.

Yuna : « Ne pleurez pas, soeurette ! »

À quoi bon la vouvoyer si c’est pour l’appeler soeurette, Yuna… ?

Narcisse s’éclipsa en apercevant la fille du roi. Il fut très vite rattrapé par une fille d’une dizaine d’années, aux courtes couettes. Son sourire était si mignon qu’il attira mon attention.

???: « Mon frère, vous avez l’air contrarié. »

Son ton était affectueux. Elle était véritablement inquiète pour le jeune homme. Il devait s’agir de Clélie de Calcyan, la petite dernière.

Clélie : « Que vous arrive-t-il ? Puis-je faire quelque chose pour vous ? »

Tandis qu’il s’approcha, le garçon la rejeta avec dédain.

Narcisse : « Oui, fiche moi la paix. »

Il laissa la pauvre fillette sur le carreau. J’étais d’autant plus abasourdie qu’il se comporte ainsi avec une si adorable petite sœur.

Sans transition, il jeta son dévolu sur Aenor, me rappelant la stratégie d’une autre invitée.

Narcisse : « Oh, mais quel beau minois. Si seulement il m’avait été donné d’avoir une sœur telle que vous. Peut-être pourrions nous cependant- »

Profitant du fait que j’étais la seule à regarder, Aenor l’interrompit d’un coup de pied dans le tibia, et, sans répondre, partit aussitôt.

Sous le regard plein de compassion de Clélie, Narcisse se tenait la jambe comme pour atténuer la souffrance, il avait néanmoins l’air satisfait.

Ellébore : « … »

J’en ai assez vu de ce côté-là.

Madame Luaine et Yuna avaient réussi à remonter le moral de Klervi, qui écoutait à présent la requête de sa mère.

Luaine : « Peux-tu garder un œil sur ta petite sœur ? Elle n’arrête pas de me fausser compagnie. Je ne sais pas comment elle s’y prend, mais elle réussit toujours à s’échapper. »

Yuna était manifestement honorée d’avoir une telle réputation.

Klervi : « Oui, mère ! »

Luaine : « Oh ! Ma puce ! On peut vraiment compter sur toi ! Je suis très très fière ! »

La fillette reçut quelques caresses sur la tête qui ne manquèrent pas d’attendrir mon cœur.

Lucéard : « Mademoiselle ? »

Me faire interpeller d’aussi près me fit sursauter.

Ellébore : « Oh, mon Prince, je vous cherchais ! Accepteriez-vous de m’accompagner ? Je dois me rendre auprès de notre hôte. »

Parce que j’ai perdu Léonce de vue et que je ne veux pas y aller seule…

D’un hochement de tête décisif, on partit à la rencontre de la comtesse.

-8-

Melanéa : « Mademoiselle d’Azulith, qu’y a-t-il ? »

Allez, c’est le moment, on garde son calme.

Ellébore : « J’aurais aimé vous poser quelques questions, si vous avez le temps. »

Melanéa : « Oh, mais bien sûr, je vous écoute, je vous écoute. »

Je me réjouissais intérieurement qu’elle m’ait à la bonne.

Ellébore : « Eh bien, dans mon comté, il y a eu un assassinat récemment, et la malheureuse victime semblait être en lien avec un héros local de votre ville, qui se faisait appeler Casque-joie. »

À la mention d’assassinat, la grande dame ressortit son éventail et dissimula le bas de son visage.

Melanéa : « Eh bien, voyez-vous ça ! Pourquoi ne pas en parler à notre Grand Inquisiteur, monsieur Steran Vulliek ? Devrais-je vous le présenter ? »

Mais quelle tarte je fais ! J’aurais dû y penser plus tôt !

Ellébore : « Vous avez raison ! Il en saura certainement plus que n’importe qui ! »

Après un soupir de nostalgie, la comtesse dévoila à nouveau ses lèvres, l’air solennel.

Melanéa : « Vous savez… Casque-joie était une bénédiction pour Faillegard. Il l’a changée à tout jamais. Ses meurtriers n’ont jamais été attrapés, et nous n’avions même pas de corps à enterrer pour les grandes funérailles qu’il aurait mérité. »

C’était déjà des indices précieux sur lesquels je voulais rebondir.

Ellébore : « Son corps n’a pas été retrouvé… ? »

Melanéa : « Bien hélas, non. D’ailleurs, c’est cet élément qui nous a fait pensé qu’il avait été occis par un mage. Ce bon Casque-joie avait des muscles à revendre et un altruisme sans pareil. Mais rien de cela n’aurait pu lui venir en aide contre un tel adversaire. »

Son regard se perdit dans le passé, l’espace d’un instant.

Melanéa : « Ah. Y a-t-il seulement un jour sans que son nom ne soit prononcé entre ces murs ? Je suis sûre que tous les faillegardois ont de superbes histoires à vous raconter, mais si vous voulez des informations exploitables, monsieur Vulliek est juste là-bas. »

Conclut-elle, pressentant que le baron de Calcyan avait quelque chose d’important à discuter avec elle.

Lucéard restait silencieux. Ce genre d’événement le poussait peut-être à s’enfermer dans sa bulle, à moins que le héros de Faillegard n’attise en lui toutes sortes de réflexion.

Ellébore : « Monsieur Vulliek ! »

Il se tourna lentement dans ma direction, puis refit ce même mouvement une fois de plus, au ralenti, comme pour accentuer l’effet dramatique de son entrée en scène.

Steran : « Vous encore, mademoiselle Ys- Mademoiselle d’Azulith ! Et en compagnie de la personne que nous cherchions à notre première rencontre ! »

Lucéard : « Bonjour monsieur Vulliek. Et merci pour tous vos efforts d’il y a cinq mois. »

Steran : « Je ne puis accepter vos remerciements, mon Prince. Ils furent vains, et le véritable mystère de cette affaire se terre encore dans votre palais. »

L’ancien détective gardait encore cette histoire dans une partie de sa tête, la considérant comme non résolue. J’aurais bien volontiers continué la discussion dans ce sens, mais n’osai pas, vis-à-vis de mon ami. Ce dernier paraissait pourtant intéressé par le sujet.

Ellébore : « Dites, pourriez-vous me parler de la disparition de Casque-joie ? »

Il s’agita pour signifier une surprise feinte.

Steran : « Ne me dites pas que c’est la raison qui vous amène ici ? Il aurait fallu m’en parler dès le début. Une comtesse ne peut pas dire tout ce qu’elle pense. »

Oui, oui, j’ai compris…

Steran : « Faillegard n’est autre que Faillegard, la forteresse imprenable, hermétique à toute attaque extérieure, assidûment protégée par sa garde omniprésente. Un habitant sur cent est en armure, imaginez donc. Et pourtant, ça n’est pas la ville la plus sûre, loin de là. Au contraire, elle était tristement célèbre pour son banditisme. Enfin, il y a deux ans, tout du moins. »

Cette introduction soignée ne manquait pas de mettre en avant ses talents pour l’oralité, qui lui valut sa place à la Cour comtale.

Steran : « Combien de fois ai-je eu vent de l’arrestation de cet homme. Il commençait à se faire appeler Casque-joie pour ce drôle de couvre-chef qu’il portait. Voir ce sourire en métal venu des profondeurs de la cité ne manquait pas d’effrayer ses honnêtes gens. Et pourtant, quel préjudice aurait-ce été de l’avoir finalement emprisonné ? Ce casque rempli de bonnes intentions faisait surtout peur aux plus malhonnêtes d’entre nous. Il fit trembler le crime jusqu’à ses fondations, jusqu’à en déloger la pègre de nos souterrains. Quel haut-fait pour un seul homme du bas peuple. Même aujourd’hui, j’ignore comment un tel miracle a pu se produire, comment a-t-il pu survivre si longtemps, seul contre tous ? »

L’inquisiteur nous emmenait avec lui dans les ruelles sombres de cette époque au gré de ses mots.

Steran : « Dès le printemps 1687, on vendait déjà des bibelots à son effigie au grand marché du lac. Et d’autres justiciers masqués apparurent à leur tour, se voulant des alliés de Casque-joie. Mais il y a de cela un an… Il disparut du jour au lendemain, au sommet de sa carrière. C’était plus que ça d’ailleurs, c’était sa vocation. Je l’ai vu parfois de mes propres yeux, peu d’hommes peuvent affirmer avoir trouvé cette chose qui les font vivre intensément. »

Connaître d’avance la chute de cette histoire ne m’empêchait pas de m’en lamenter. Plus j’entendais parler de lui, plus ce Casque-joie me semblait quelqu’un d’extraordinairement bon.

Steran : « Très vite, la rumeur s’est répandue, et le cœur lourd, je suis remonté jusqu’à sa source. Quelques jeunes enfants l’ayant vu à la sortie de la ville, nous n’avons pu en tirer aucun portrait correct. Le suspect qui les avait le plus marqué était d’une laideur aussi affligeante que subjective. Ils me l’ont décrit comme un monstre, la peau fine sur un crâne rond et dégarni, des yeux globuleux, et un sourire cauchemardesque comme seuls traits caractéristiques. »

Lucéard : « Mandresy… »

Le prince l’interrompit. Les souvenirs que lui évoquait son nom firent se froncer ses sourcils.

Lucéard : « J’ai du mal à croire qu’une description qui lui corresponde autant ne soit qu’une coïncidence. »

En effet, pour l’avoir vu moi-même, je pouvais facilement reconnaître ce Mandresy.

Monsieur Vulliek haussait les sourcils bien trop haut, surjouant sa surprise. Il revint aussitôt à un air naturel.

Steran : « Que le prince de Lucécie nous offre une piste après tant de temps, qui l’aurait cru ? »

Je reconnaissais l’engouement qu’il tentait d’atténuer.

Steran : « J’espère que vous pourrez partager avec moi tout ce que vous savez, monsieur de Lucécie. Quand je vois ce que sont devenus nos rues les plus malfamées, je ne peux qu’espérer qu’il puisse voir ce que Faillegard est devenue grâce à lui. Mais s’il en est capable, je voudrais qu’il voit les responsables de sa mort connaître la Justice qu’il affectionnait tant. »

Lucéard : « Bien entendu, si je peux me rendre utile. »

L’attitude du prince attisait la curiosité de l’inquisiteur.

-9-

La musique que je n’entendais qu’à peine jusque là s’interrompit.

Melanéa : « Mes chers invités ! Si vous voulez bien vous donner la peine de me rejoindre à table. »

La grande dame était déjà à sa place, où elle trônait, en compagnie de Brynn et de madame Luaine.

Steran : « Eh bien, nous pourrons remettre ça à plus tard. La soirée s’annonce longue. En vous souhaitant un bon appétit ! »

Après avoir salué Lucéard qui s’en allait vers une prestigieuse place, je rejoins Léonce. Selon le plan de table, nous étions du côté des barons et de leurs familles.

Je pris place avec lui après avoir trouvé nos noms.

Nous étions l’un en face de l’autre. Lui avait à sa gauche l’antipathique Narcisse de Calcyan qui ne cessait de reluquer les jeunes filles Vespère depuis sa place. De mon côté, il s’agissait d’une femme assez jeune. Je lui donnais la trentaine, mais ses beaux atours opalins, ornés de mille bijoux la rajeunissaient encore. Elle ôta ses gants de soie blanche avant de prendre place. Je vis apparaître derrière elle le vieil homme de tout à l’heure.

Irvald : « Oh, mademoiselle d’Azulith, voilà une charmante compagnie pour ce repas. Mais je n’ai pas encore eu l’occasion de vous présenter mon épouse. Voici Madame Eurydice de Romarthin ! »

Il désignait fièrement sa femme, mais n’eut pas la réaction qu’il escomptait. Je restais coite à l’idée qu’il y ait une telle différence d’âge entre eux.

Eurydice : « Bonsoir mademoiselle. J’espère que mon mari ne vous a pas trop importuné. Il adore discuter ! C’est un vrai garnement quand il s’y met, mais il est pétri de bonnes intentions. »

Je répondais à son sourire, n’ayant pas grand chose à dire. De son côté, Léonce était interrogé par Narcisse, qui voulait à tout prix connaître son secret pour se faire accepter par Klervi. Et, honnêtement, la réponse de mon ami m’intéressait moi aussi.

Narcisse : « Dites-moi tout. Est-ce cette musculature qui délie les lèvres de Klervi ? »

Léonce : « Euh. Si je devais m’essayer à une réponse, je dirais non. »

Mon ami se retrouvait dans l’embarras, ce qui attisa la colère de ma voisine de droite.

???: « Ça commence à bien faire. Vous voyez bien que personne n’a envie de parler à quelqu’un d’aussi minable que vous, Narcisse, que ce soit monsieur d’Azulith ou mademoiselle de Port-Vespère. »

Malgré sa belle robe et son langage châtié, la personnalité sauvage de cette jeune femme ressortait dans son aura, comme si sous ce tissus soyeux se cachait une ogresse. Il s’agissait de l’héritière de la famille : Linon de Calcyan.

Linon : « Vous ferez meilleure impression en vous contentant de manger et de vous taire, mon frère. »

Clélie : « Ma sœur… Narcisse ne pense pas à mal, et ne demande qu’à mieux comprendre comment se comporter avec mademoiselle de Port-Vespère. Il ne fait de tort à qui que ce soit. »

Narcisse : « Silence, Clélie ! Tu me ridiculises devant les enfants du baron d’Azulith. »

La pauvre fillette se tut aussitôt, confuse d’avoir contrarié son frère.

Léonce et moi soupirions face à ce cas désespéré. Mais le faux noble s’apprêtait à dire ses quatre vérités à celui qui crachait sur la compassion de sa petite sœur. Néanmoins, avant qu’il ne le réprimande…

Linon : « Vous n’avez besoin de l’aide de personne pour vous ridiculiser, Narcisse. »

Son regard perçant semblait sous-entendre qu’elle allait lui faire subir toutes sortes de sévices s’il ne changeait pas d’attitude. Le petit frère détourna le regard, feignant l’indifférence, dissimulant vaguement sa terreur.

Après avoir savouré un excellent dessert, je continuais de grappiller la moindre miette, aussi discrètement que possible.

Une soudaine quinte de toux attira mon attention, et celle de Léonce. La moustache de monsieur de Romarthin s’agitait tandis qu’il s’affairait à la cacher d’une main.

Quand son souffle revint à la normale, le baron se leva de sa chaise.

Irvald : « Disons-nous à plus tard, alors. »

Le baron de Romarthin s’adressait à celui d’Orvande, mettant fin à leur conversation. Sa femme se leva à son tour, et salua de la tête ses interlocuteurs, confirmant qu’elle accompagnait son époux.

Félice : « Vous ne restez pas plus longtemps ? »

Reculant bruyamment sa chaise, le jeune homme au regard mauvais était manifestement déçu que cette entrevue ne touche à sa fin, et avait hésité à se lever à son tour.

Eurydice : « Un peu de répit avant les festivités de ce soir nous fera le plus grand bien. »

Par égard pour son mari, elle ne précisa pas que cette pause était pour lui, qui ne se sentait pas au mieux de sa forme.

Elle tira gracieusement sa révérence, puis s’éloigna avec le baron.

Une autre chaise grinça.

Stellio : « Je me vois obligé de vous fausser aussi compagnie, mon cher frère. J’ai quelques urgents messages à confier aux rolliers. Mais nous nous reverrons pour le bal ! »

Félice : « Faites donc. Et puissions nous danser sous les étoiles tout à l’heure. »

Stellio : « Le temps ne s’y prête pas. Et je ne pense pas que le couple de Romarthin sera des nôtres. Ça me navre de voir que le temps ne réussit plus à notre bien-aimé baron. Je serais rassuré qu’il retrouve son célèbre embonpoint d’ici la prochaine fois. »

Félice : « Et moi donc. »

Sur ces mots, l’homme nous salua à son tour et quitta la salle de réception d’un bon pas.

Le cadet des enfants d’Orvande baissait la tête, il n’avait plus grand monde à côté de lui. Quelque chose attira son œil, et le poussa à se pencher sous la table.

Je le fixai, l’air absent. Je digérais difficilement toutes les informations que j’avais accumulées ce soir. Puis, après avoir enfin réalisé les mots du baron, j’approchais mon visage de celui de Léonce pour lui chuchoter ma stupéfaction.

Ellébore : « …Un bal ? »

Léonce : « Je n’y avais pas pensé non plus. Talwin n’a rien dit à ce sujet. »

Je n’osais pas dire devant les enfants Calcyan que je ne connaissais rien en danse de salon.

Ellébore : « Qu’allons-nous faire… ? »

Léonce : « Je connais deux ou trois danses, je pourrais t’y initier si tu y tiens. »

Ellébore : « C’est vrai ? Mais où as-tu appris ça ? »

L’indiscrétion de ma question le fit légèrement rougir. Il préféra détourner le regard.

Léonce : « Bah, c’était y a longtemps… »

Je clignais des yeux, lui demandant subrepticement des détails.

Narcisse : « Ce soir, c’est ma chance pour danser avec Dilys ! Et je sais d’avance que mes pas auront de quoi l’envoûter ! »

Heureusement pour nous deux, la voix de Narcisse avait couvert nos messes basses.

Son visage enjoué se mua en grimace douloureuse. Il se baissa pour attraper sa jambe qu’on venait de frapper. Je connaissais d’avance la coupable.

Linon : « Mon frère, vous devriez garder ces fantaisies pour vous, plutôt que de nous faire imaginer de telles choses. »

Clélie : « Linon, ce n’est pas la peine de l’humilier ainsi… Il- »

Narcisse : « Oh, Clélie, on vous a déjà assez entendu. »

Râla le jeune homme, ce qui ne manqua pas d’énerver Léonce pour de bon. Il tapa sur la table, faisant sursauter Narcisse. Il avait attiré l’attention de nos voisins proches.

Léonce : « Je suis navré, mon bras m’a échappé. »

Son jeu de comédien était toujours maladroit, mais Narcisse n’y avait vu que du feu. Linon, par contre, dévisageait le fils du jardinier avec satisfaction.

Après quelques conversations interminables, les choses se mirent enfin à bouger.

Melanéa : « Bien, ne serait-il pas temps de monter à la tour ? »

Ce rituel dont elle nous avait parlé s’apprêtait à commencer. J’avais suffisamment digéré pour me lever avec entrain. Nous étions plus d’une trentaine dans la salle, et tous suivirent la comtesse jusqu’aux escaliers.

Melanéa : « Mademoiselle, je puis vous assurer que ce nouveau modèle mettra en valeur votre joli minois. »

Expliquait-elle à mademoiselle Roberaix, après avoir atteint la dernière marche, agitant son éventail noir avec engouement.

Melanéa : « N’hésitez pas à me demander conseil. Je n’ai eu de cesse de penser à vous lors de la création de tous ces nobles vêtements. »

Elle s’adressait à nous tous, face à la porte entrouverte de son garde-manteau.

Elle entrait une fois de plus la première, enchantée d’en être enfin au moment de la soirée qu’elle préférait par-dessus tout.

L’éventail noir heurta froidement les dalles à ses pieds.

De là où j’étais, je pouvais à peine apercevoir l’effroi dans ses yeux.

Il y avait un homme au sol, étendu sur le dos. Sous sa chic tenue de soirée se trouvaient de discrètes taches poisseuses. La première chose qu’elle avait pu apercevoir était le visage sans vie du baron de Romarthin.

Les mains de la comtesse se mirent à trembler dès qu’elle le reconnut. Mais son regard terrifié s’en détourna rapidement. Elle fixait la silhouette assise à côté du cadavre.

Les mains couvertes de sang, une jeune fille observait le corps, calmement, avant de se tourner vers notre hôte.

Un cri d’horreur résonna dans tout l’étage.

Lucéard, Léonce, et moi la rejoignîmes dans l’instant pour découvrir à notre tour, sur la scène du crime, le visage penaud de Klervi.

Klervi : « … »



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