Nefolwyrth
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Chapitre 41 – Le plus précieux des trésors
Chapitre 40 – La grande leçon d’Absenoldeb Menu Chapitre 42 – Coexistence

-1-

Le prince venait de fermer les yeux, et son corps semblait se détendre. Plutôt qu’une éventuelle hémorragie, une profonde fatigue semblait avoir précipité cette perte de conscience. Mais même après avoir constaté que sa vie n’était pas en danger, je ne pouvais refréner une profonde inquiétude. Ses derniers mots m’avaient troublée, pour plusieurs raisons. Même si plus personne ne pouvait voir mon visage, je me retrouvais embarrassée au point de le cacher derrière mes mains.

Perdue… Deux fois… ?

Outre ces énigmatiques propos, ce sort dont j’ignorais l’existence, l’aura ténébreuse qu’il avait déployé, et cette force prodigieuse me laissaient pensive. Je mettais bien évidemment en cause le démon en lui. Mais je n’aurais pas su dire ce qui lui était arrivé.

Léonce : « Même dans son état, il ne se laisse pas faire ! »

J’entendis le cri de frustration de mon ami, ce qui me rappela à la réalité. L’épreuve n’était pas encore terminée. Ses adversaires restants auraient pu en dire autant de Léonce : il n’avait à aucun moment cessé de lutter.

Il s’était débarrassé des morts-vivants restants, et frappait vainement la jambe unique de ce géant ennemi à l’aide d’une lame brisée, au milieu de ce charnier.

Ellébore : « Léonce ! »

Face à une telle bravoure, je ne pus rester assise, et me hissai sur mes jambes pour accourir vers lui, je tirai mon bras en arrière, prête à lui envoyer un projectile qui attira son attention.

Avec un mouvement particulièrement gauche, je jetai Caresse dans sa direction. Si lancer n’était pas dans mes aptitudes, rattraper était heureusement l’une des siennes, et d’un mouvement expert, il sut réceptionner l’arme avant d’esquiver l’ancre qui venait de se planter au sol. La chaîne au bout de laquelle elle se balançait avait fini par rompre.

Léonce : « Merci ! Et bon retour parmi nous, Ellébore ! »

Plutôt que m’égosiller à lui répondre, je levai le pouce. Il leva le sien en réponse, puis se tourna vers notre ultime obstacle.

Cet ogre des profondeurs brûlait d’un courroux plus terrible encore qu’avant. Tout monstre qu’il était, il avait su reconnaître la menace de ce simple humain qui se dressait face à lui, au milieu des victimes de ses coups dévastateurs.

Malgré la pénombre, la créature pouvait voir la lueur dans le regard de Léonce. Cette lueur de vie que jalousaient les revenants était ce qui causerait sa perte.

Dans les yeux du guerrier, une silhouette se dessinait, comme projetée de ses souvenirs.

Léonce : « …Je peux enfin voir le dénouement de cette histoire ! »

Le garçon me fit une frayeur, l’espace d’un instant, avant d’éviter un coup de poing qui lui aurait été fatal. Voir enfin une issue à ce combat bien trop long lui avait permis de trouver de nouvelles ressources en lui.

Il lacéra la jambe restante de cet ogre des mers, et put enfin l’entailler assez profondément pour le déséquilibrer.

Léonce : « Y a pas à dire, c’est bien mieux que toutes les autres armes que j’ai eu jusque là ! »

Il frappa encore, faisant plier le genou à l’immense horreur couverte d’algues. Le tranchant de Caresse était digne des meilleures lames, mais après quelques coups, Léonce réalisa que ce qui en faisait une arme légendaire était sa faculté à ne pas s’émousser.

Après un coup maladroit, et une vaine tentative de se relever, l’aberration vit son tendon se faire taillader par son tenace adversaire.

Il bascula en arrière en un cri, tandis que Léonce bondissait sur son torse. Avant même que l’abomination ne s’aperçoive être en mauvaise posture, le garde du corps de Lucéard était au-dessus de lui.

En un cri triomphal, il planta le cimeterre dans le crâne du capitaine des grands fonds.

Un hurlement d’un autre monde repoussa Léonce qui s’écrasa quelques mètres plus loin, amorti par la boue.

Malgré la force qu’il avait insufflée dans sa voix, ce géant laissa ses derniers membres tomber au sol, mettant fin à ce dernier effort. C’était l’annonce d’une victoire aussi méritée qu’éclatante.

Dos au sol, Léonce fixait le plafond de roche, et put enfin reprendre son souffle.

Léonce : « Fiouh ! Je suis vidé… »

Une vision floue apparut dans son esprit.

Léonce : « Allez… Encore un effort, et j’aurais une épopée épique à raconter… ! »

Le son de bottes qu’on extrait à répétitions de la boue se rapprochait de lui, attirant son regard.

Léonce : « Oh, zut, on dirait que j’ai épargné un de ces zombies plein de gadoue. »

Je ris jaune.

Ellébore : « Une omission qui pourrait bien te coûter la vie, Léonce ! »

Ma répartie le rassura. J’étais probablement celle de ce trio qui en avait le moins bavé. Après m’avoir suffisamment dévisagé, la stupéfaction colora son visage.

Léonce : « Oh ! Mais d’ailleurs, comment tu t’en es sortie ?? »

Je m’esclaffai avec fierté avant de lui répondre.

Ellébore : « Je vous raconterai ça tout à l’heure. Pour l’instant, on devrait partir d’ici. J’espère que c’était la dernière épreuve… »

Il se hissait sur mon bras pour pouvoir se relever. Si je n’avais pas été enfoncée dans la bourbe, je serais tombée avec lui.

Ellébore : « Il nous faut un endroit où passer la nuit, maintenant. »

Léonce : « Passer la nuit ?! Mais ça fait combien de temps qu’on est là ? »

Ellébore : « Je l’ignore, cependant, je dirais que nous sommes en fin d’après-midi. Mais la dernière fois où Lucéard a eu des soucis avec son démon, il s’est réveillé le jour d’après, donc on devrait peut-être en rester là pour aujourd’hui… »

Léonce : « Hmm, vu comme ça… Dans le doute, nous ne devrions pas continuer sans lui. Je ne serais pas étonné qu’il y ait une dixième épreuve. »

Après avoir lancé un regard vers le garçon en question, je me retournais vers Léonce, et clignai des yeux à répétition, l’air angélique. Il répondit d’un visage perplexe.

Léonce : « Quoi ? Oh, tu veux que je le porte c’est ça ? Tu aurais pu simplement demander. »

Mon large sourire lui confirma mes intentions.

Avec le prince sur son dos, on gravit les escaliers lentement.

Léonce : « J’aurai des questions à lui poser à lui aussi, dès son réveil ! »

Une odeur semblait avoir attiré son attention. Le passage de ces marches s’était rapidement réduit jusqu’à arriver à une lourde porte de fer. Après l’avoir ouverte, nous étions dans une pièce ronde. Je sentais à présent la même chose que lui. Un air frais et apaisant.

Nous étions en bas d’un escalier en colimaçon d’une blancheur terne.

Il fallait une vingtaine de marches avant de tomber sur une autre porte, cette fois-ci de bois. Tous nos sens nous indiquaient qu’il s’agissait d’une sortie.

Mais les marches continuaient de se succéder, accompagnées désormais de petites ouvertures murales, semblables à des meurtrières, qui servaient de fenêtres, et suggéraient l’épaisseur conséquente du mur circulaire tout autour de nous.

D’un air entendu et satisfait, nos regards se croisèrent. Nous décidions de sortir avant de poursuivre l’ascension.

Je poussais sur la poignée, et le vent puissant de l’extérieur s’engouffra par l’interstice créé.

Ellébore : « Enfin ! Ça fait du bien d’être dehors ! »

Avec un minimum de prudence, on s’avançait de quelques pas, confirmant qu’il n’y avait plus que le ciel au-dessus de nos têtes.

Ellébore : « Je me sens déjà bien plus en sécurité ! »

Léonce : « Tu l’as dit. »

La bourrasque fit virevolter mes longs cheveux blonds, comme si ceux-ci pouvaient se confondre avec les vagues paisibles qui dansaient tout autour de nous.

Je fis quelques pas de plus, émerveillée, pour contempler au mieux cette vision onirique.

Les flots se heurtaient à des roches sous mes pieds, protégeant la plateforme blanche sur laquelle nous nous trouvions. Le soleil peignait lentement la voûte céleste d’un orange éclatant. Quelques rares nuages roses tentaient de rejoindre l’horizon où s’étendait l’immensité de cette mer. Et pourtant, la côte ne nous apparaissait pas encore, couverte de cette brume matinale qui semblait s’être figée depuis.

Léonce lui, s’était rapidement retourné, et levait les yeux vers l’imposante structure dont nous étions sortis.

Léonce : « Alors il existait vraiment, lui aussi… »

Je lançais un coup d’œil vers l’imposant phare de Haven Gleymt qui nous dominait d’une cinquantaine de mètres. Pour une raison que j’ignorais, il mettait Léonce mal à l’aise.

J’écartais les cheveux qui me gênaient le long de mon visage. Ce temps toujours quelque peu maussade n’était pas dénué de poésie, et c’était avec cette même fascination qu’en début de journée que je vis apparaître des formes au milieu de la purée de pois. Le port oublié était juste en face de nous. D’ici, on ne décelait rien d’autre que de la nature à ses alentours. Et ce n’était pas du tout le désert cérulescent.

Tandis que j’apportais lentement mes doigts jusqu’à mon menton, je remarquais la crasse qui les avait noircis. Mon corps tout entier était dans cet état, et mes vêtements étaient pratiquement bons à jeter. Il n’était cependant pas question de prendre un bain dans cette curieuse étendue d’eau.

Ellébore : « Léonce, ne rentre pas dans le phare jusqu’à mon signal s’il te plaît, je vais me changer. »

Le garçon venait de s’asseoir à côté de Lucéard qu’il avait déposé sur le dos, faisant de son sac un oreiller pour le prince.

Léonce : « Tu perds pas de temps. »

Affirmait-il en s’étirant. Pour lui, profiter de la vue était la priorité actuelle. Je ronchonnais en rouvrant la porte de bois.

Ellébore : « Tu devrais en faire autant. Et pas que pour te sentir propre. Tu vas attraper froid si tu restes trempé. »

Il bailla en première réponse.

Léonce : « Pas faux. »

Puis enleva sans préavis tout ce qui constituait son haut, révélant son torse musclé à Haven Gleymt.

Je fermais la porte d’un claquement.

Il pourrait se montrer un peu plus pudique…

Avant de sortir des affaires sèches, je m’aperçus que je n’avais pas envie de plonger mes mains dans mon sac en l’état.

Je fis couler de l’eau sur mes propres mains pour les laver.

Ellébore : « Brr, c’est froid ! »

Cette courte complainte m’ouvrit les yeux. Je fixai mes mains.

Ellébore : « Mais peut-être que… ? »

Avec beaucoup de concentration, j’essayais de faire de mon idée un éclair de génie. Après quelques secondes, mes mains se lavèrent d’elles-mêmes.

Ellébore : « Oh, ce que ça fait du bien ! »

De la vapeur qui émanait de ma peau, on pouvait déduire que j’avais réussi pour la première fois de ma vie à combiner deux magies élémentaires. L’eau que j’avais créée était plus que tiède, et c’était déjà une victoire.

Ellébore : « Quel dommage que ça refroidisse aussi vite… »

Néanmoins, si je me séchais aussitôt, je pouvais me laver localement sans trop craindre le froid.

Ellébore : « Gnihihi… »

Fière de moi, un rire discret m’échappa.

-2-

Ellébore : « Me revoilà ! »

En ressortant du phare, je fus accueillie par cet envoûtant et silencieux paysage de crépuscule.

Léonce qui s’était entièrement changé me regardait, puis soupira.

Léonce : « Eh ben, c’est pas trop tôt… Si je ne t’entendais pas chantonner, j’aurais pensé qu’il t’était arrivé quelque chose. »

Il remarqua néanmoins que j’étais toute pimpante, comme si j’avais eu le droit à un bain.

Léonce : « Oh, c’était donc pour ça. »

Après s’être mis à l’abri du vent, je sortais quelques bûches de mon sac.

Léonce : « Qu’est-ce que c’est pratique… Je le dirai jamais assez. »

On lança un feu de camp, et après avoir constaté que l’intérieur du phare était assez bien aéré pour qu’on puisse se le permettre, on installa un camp provisoire devant la porte. Pendant notre dîner, Léonce me narra toutes leurs péripéties.

Léonce : « Ce n’était pas exactement ça l’énoncé, mais allez, à ton avis, qu’est-ce qu- »

Ellébore : « Un phare ! »

Cette déduction trop rapide l’agaça.

Léonce : « Forcément ! C’est facile de penser à la bonne réponse quand on est dedans ! »

Ellébore : « Honnêtement, c’est plutôt la façon dont tu as posé l’énigme qui m’a mise la puce à l’oreille. »

Après quelques éclats de voix, qui résonnèrent dans le grand escalier, on considéra qu’il était temps de se préparer à dormir.

Léonce : « Bref, tout ça pour dire que je ne comprends toujours pas pourquoi il avait quatre hanses ! »

Ellébore : « Tu es encore sur ça ? C’est vraiment ce qui t’a le plus marqué aujourd’hui ? »

On continuait ces triviales discussions tout en posant des couvertures au sol. On y installa Lucéard en premier, après l’avoir emmitouflé dans un cocon de laine.

Léonce : « Je ne sais pas si j’arriverai à dormir sans savoir comment tu as survécu au plafond piégé. C’est pas trop tard pour m’avouer que tu es un fantôme, tu sais ? »

Ellébore : « Demain, j’ai dit. Mes paupières sont plus lourdes encore que ce plafond. »

Quoi qu’il ait pu dire, il s’endormit avant moi, à mon grand désespoir. Ces pensées incessantes qui écourtaient mes nuits demeuraient mon plus vieux fardeau. Cependant, je ne fis pas long feu non plus.

Le prince dormait entre nous deux, bien droit, couché sur le dos, comme à son habitude. La jambe de Léonce reposait sur son torse, et annonçait la position chaotique du garçon. Quant à moi, je leur faisais dos, et m’étais recroquevillée en boule, seuls mes cheveux dépassaient de ces épaisses draperies.

Nous ne fîmes pas de tour de garde. Et pour cause, nous n’avions tout d’abord aucunement l’énergie de veiller. Et qui aurait pu se rendre ici cette nuit-là ? Personne, sans l’ombre d’un doute. Et je n’imaginais pas qu’on puisse être attaqué par des monstres hors d’une salle d’épreuve. Enfin, pour toutes ces raisons, nous restions vulnérables, mais la nuit se passa bien.

Je ne pouvais pas non plus affirmer qu’elle fut tranquille. En effet, l’atmosphère de cet endroit semblait s’être infiltrée en nous, comme si la brume de Haven Gleymt avait pénétré nos cœurs et nourrit nos rêves.

Dans ce songe qui, je pense, était partagé par mes deux compagnons, j’étais dans un village de pêcheurs. Pour être exacte, je n’étais pas moi. Si j’avais dû trouver un sens à tout cela, je me serais tentée à croire que j’étais une enfant de ce port, jouant dans les pattes des marins, sur un quai animé par les va-et-vient de la population locale et de quelques voyageurs.

Quand j’ouvris les yeux, ces images demeuraient toujours dans mon regard. Prête à me recoucher, plutôt qu’à laisser le froid pénétrer sous ma couverture, je lançais un rapide coup d’œil à notre feu de camp. Léonce avait dû s’en occuper pendant la nuit. Ce n’était que le petit matin, mais cette vision chaleureuse raviva en moi des envies insatiables de découverte.

Toujours enroulée dans ce qui me tenait chaud, je me levai en silence. Je sortis face au vent glacial de l’aube. Mais voir ainsi le soleil se lever était un privilège que je ne retrouverais peut-être plus.

Dans ce ciel où se mourraient lentement les étoiles, apparut un point rouge, dépassant les plus hautes collines de l’horizon. Leurs ombres se retiraient lentement du port oublié, et je vis luire pour la première fois ce village, qui me parut plus fantastique que jamais. Ce paysage époustouflant satisfaisait ma vue, mais mon esprit y trouva une source de réflexion.

Si le soleil se lève ici… alors cette mer est à l’ouest de la côte.

Ce constat était troublant en ce que, d’après mes connaissances cartographiques, aucune côte n’était aussi nettement à l’est de la mer blanche. Ma déduction était donc la suivante : la mer autour de nous n’était pas la mer blanche. Et pourtant, puisque tous les mots que j’avais pu lire ici étaient en deyrneillais, le mystère s’épaississait.

Dans ce cas, ce pourrait être, pour une raison ou une autre l’Océan de Brune.

Les vagues étaient bien plus conséquentes qu’elles ne l’étaient dans le désert cérulescent, mais était-ce suffisant pour affirmer que l’on se trouvait face à l’océan qui longeait notre royaume sur l’ouest ? Rien n’était moins sûr.

Je me retournais rapidement face au village. À chaque fois qu’il était dans ma vision périphérique, j’avais l’impression d’y voir déambuler des gens, comme s’il ne s’agissait pas d’un port fantôme.

Mais aussitôt que je le fixai, il n’y avait plus que ces bâtiments ternes et sans vie.

Après quelques minutes, je me décidais à rentrer. Néanmoins, ma curiosité n’étant pas assouvie, je tournais rapidement le regard vers les escaliers en colimaçons.

Aussi imprudent que ce fut, ma curiosité me piquait au point de m’avoir poussée à monter ces marches en compagnie de Caresse.

Je tentais de justifier mon comportement irresponsable en inspectant chacune des marches dans l’espoir d’y déceler un piège. Une fois au sommet, je pus affirmer que ces escaliers étaient sans danger.

Aucun mécanisme ne pouvait m’empêcher de repartir de la pièce qui se trouvait tout en haut.

J’observais malgré tout, la tête dépassant à peine, ce qui nous attendait ici.

Une dizaine de stères de bois étaient prêts à brûler dans cette immense lanterne.

J’aperçus enfin la stèle. C’était la toute dernière. L’imposante pierre cachait derrière elle tout Haven Gleymt depuis mon point de vue, et le soleil se levait, projetant son ombre jusqu’à moi.

Je ne parvenais pas à voir le texte initial qui avait été manifestement vandalisé. Une écriture moins soignée était gravée juste en dessous, et on pouvait y lire :

«Perdre, c’est avoir échoué une fois. Abandonner, c’est avoir échoué pour l’éternité. »

Plutôt qu’une dernière épreuve, ce message me fit penser que nous avions surmonté le défi du temple de Haven Gleymt.

Ce dernier étage était ceint d’un balcon où le vent soufflait en bourrasques. Après m’être aventurée plus loin que de raison, j’aperçus de petits échelons rouillés qui menaient au-dessus de cette pièce que je croyais être la dernière.

Après réflexion, un éventuel gardien de phare aurait dormi au- dessus du grand feu. Avant que je n’y monte, un raisonnement me poussa à rebrousser chemin.

Quoi qu’il y ait là-haut, nous avons tous mérité de le voir en même temps.

Et ainsi, je redescendis à pas lent.

-3-

Lucéard

???: « …N’oublie pas… …N’oublie jamais ce qui t’attend… …N’oublie jamais ce qui les attend… …N’oublie jamais que c’était ton choix… »

Ces mots que l’on susurrait à mon oreille se dissipaient. Ils étaient déjà si loin, et mon esprit se concentrait à présent sur les sensations tout autour de moi.

Il y avait une chaleur agréable, une faible lumière, des rires, mais surtout, une odeur alléchante. Je me sentais léger, et en sécurité.

Ellébore : « Lucéard ! »

Ce visage rassuré m’apparut enfin. Léonce et elle étaient en train de faire cuire quelque chose sur un feu de camp. Le garçon à la chevelure ardente se tourna vers moi peu après, constatant qu’il n’avait plus de raison de s’inquiéter.

Lucéard : « Ellébore… Léonce… »

La voix rauque, comme si j’étais loin d’être remis d’hier, je me levai et m’adossai contre le pilier central de cet étroit bâtiment.

Après quelques secondes à contempler leurs sourires, les couleurs revinrent sur mon visage, comme si tous les malheurs de la veille étaient déjà loin.

Lucéard : « …Vous vous en êtes sortis ! »

Cette angoisse m’avait quitté aussitôt qu’elle m’était revenue. Mes amis étaient en parfaite santé.

Léonce : « On peut rien t’cacher ! Et tout ça c’est grâce à toi et ton intervention miraculeuse ! »

Ellébore : « Oui ! Tu as été rudement impressionnant ! »

Je rejetais vivement leur gratitude.

Lucéard : « Oh non ! Tout ça c’est grâce à vous deux ! Si vous ne m’aviez pas soutenu comme vous l’avez fait, je serais sans doute devenu fou, et j’aurais certainement fini par vous tuer moi-même. »

Cette dernière information n’était pas indispensable et je regrettais aussitôt de leur en avoir fait part.

Ellébore laissa échapper un rire forcé.

Léonce : « Euh, et ben merci à nous alors. »

Je m’éclaircis la gorge.

Lucéard : « Bon, tout ça pour dire que vous m’avez été d’un précieux secours, plus que vous ne pouvez l’imaginer. Je me doute que vous avez eu votre lot d’émotions vous aussi, mais de mon côté, j’ai vécu un véritable enfer, et je suis toujours étonné que ce soit bel et bien terminé. »

Ellébore : « Oh, tu t’en sortiras pas comme ça ! Tu en as trop dit, maintenant on veut les détails ! »

Léonce hochait furieusement la tête, visiblement peu soucieux de se montrer indiscret.

Lucéard : « Je sens que je pourrais pas y couper cette fois-ci… »

Tandis que je profitais de ce tardif petit-déjeuner, je leur narrais ma propre expérience dans le palais mémoriel d’Absenoldeb, éludant les détails traumatisants.

Mes deux amis semblaient difficilement digérer ces informations. Quand ce fut fait, Léonce fut le premier à pousser un cri.

Léonce : « T’es en train de dire que tu as passé un pacte avec un démon ?! »

Je comprenais sans nul mal qu’il voit les choses ainsi, et me retrouvai gêné.

Lucéard : « Je dirai que c’est plutôt l’inverse… »

Léonce : « C’est carrément la même chose ! »

N’ayant rien à répondre à cet argument, je gonflais les joues.

Lucéard : « Oui, bon, peut-être. Le fait est que j’ai pu lancer un sort au-delà de mes capacités grâce à lui, et déployer autant d’énergie dans un corps qui n’est pas le sien l’a forcé à sommeiller de nouveau. C’est une victoire provisoire, d’accord ? »

Ellébore avait quelques doutes, mais paraissait satisfaite du dénouement dans l’ensemble.

Ellébore : « C’est super ! Mais à propos de cette nouvelle attaque, tu avais l’air pensif à l’instant, quand tu l’as mentionnée. »

Je lui souris en coin.

Bien vu, Détective Ystyr.

Je venais de revoir au travers du prisme de mes souvenirs ce moment énigmatique où j’avais pour la première fois entendue cette incantation.

Lucéard : « Dans cette illusion, alors que tout allait au plus mal, quelqu’un est apparu. Quelqu’un qui savait utiliser ce sort. Quelqu’un qui ne semblait pas être un produit de ma mémoire. Je ne me l’explique toujours pas, mais elle était différente des autres personnes présentes. Dans ce monde, au moment où j’avais le plus besoin d’elle, ma mère est apparue. »

Sur cette révélation, mes compagnons me fixaient avec attention. L’évoquer produisait en moi un étrange sentiment.

Ellébore : « Tu penses… que ta mère était réellement là ? »

J’aurai été tenté d’y croire, mais je conservais les pieds sur terre.

Lucéard : « Non, il ne devait s’agir que d’un souvenir d’elle. Mais, ce ne pouvait pas être l’un des miens. C’était plutôt comme si… Comme si c’était l’un de ses propres souvenirs. Un souvenir appartenant à ma mère elle-même, qui résidait pourtant en moi. Nul doute que s’il y a une explication à cela, elle se trouve dans la magie de ce collier. »

Je montrais la pierre à mon cou à mes deux amis. Plus que cette théorie, ce qui étonna Ellébore fut ma perspicacité.

Ellébore : J’étais loin de faire une telle déduction. Et dire que c’est moi qui suis censée être le cerveau du groupe…

Sa maigre confiance en elle venait d’en prendre un coup. Léonce aussi était pensif, pour d’autres raisons.

Léonce : Je me demande ce que fait maman. Vu l’heure, elle doit être en train d’insulter les brocanteurs de la ville pour avoir des rabais.

Lucéard : « C’est la première fois que j’apprends un nouveau sort. Et je n’aurais jamais deviné qu’il me viendrait de ma mère. »

Ellébore : « Ça doit être une sensation incroyable d’apprendre un nouveau sort ! »

En tant que mage, Ellébore rêvait de sentir un jour en elle un nouveau pouvoir s’éveiller. La plupart des sorts s’apprenaient par ce qu’on nommait communément l’illumination. On finissait par savoir les utiliser pour des raisons parfois obscures et peu précises. Ce qu’il y avait de plus stupéfiant était que même en connaissant l’incantation et tous les autres paramètres permettant de le lancer, le sort en question ne pouvait rien évoquer à l’utilisateur, et il ne pouvait pas l’employer avant l’illumination.

Je rangeais mon collier sous mes vêtements. Ce n’était que maintenant que je réalisais que l’essentiel de ma tenue avait disparu. Elle était pliée à côté de moi, sèche, et relativement propre.

Malgré mon soudain embarras, je réalisais une chose.

Lucéard : « Oh, d’ailleurs. Où sommes-nous ? »

Un long silence se fit.

-4-

Après avoir pu observer Haven Gleymt depuis le phare, je rentrais pour rejoindre mes compagnons, prêts à gravir les dernières marches. En montant, Ellébore nous avoua sa petite escapade en solitaire.

Ellébore : « Je pense que tout se finit en haut de cette échelle. »

Nos cheveux se faisaient malmener par les bourrasques du sommet de cette tour. Après une courte visite, on gravit les échelons menant à la pièce la plus élevée du phare.

On alluma une lampe à huile une fois à l’intérieur. Il n’y avait que de vieux hublots opaques qui peinaient à révéler les formes confuses d’une sorte de cabine. La pièce était assez basse, comme si le concepteur avait fait en sorte que la chaleur puisse s’y conserver au mieux.

La porte en bois derrière nous était restée grande ouverte pour faire entrer le plus de lumière possible. De tous les meubles, certains nous tapèrent immédiatement dans l’œil, faisant rougir de bonheur mes deux amis.

Léonce : « Des coffres ! »

Ellébore : « Des trésors ! »

Les raisons qui poussaient énormément d’aventuriers à se jeter à corps perdu dans l’inconnu se résumaient à ces deux mots.

Léonce : « Trois coffres chacun, et le gros on l’ouvre ensemble ! »

Après une courte analyse, Léonce rendit son verdict. En effet, parmi les dix boîtes de bois, il y en avait une sensiblement plus massive que les autres, au fond, baignant dans la pénombre.

Ellébore choisit les trois plus jolis, sans se soucier de ce qu’ils pouvaient contenir. Léonce quant à lui, essayait de deviner lesquels dégageaient quelque chose de plus “rare et précieux” que les autres. Je me retrouvais avec les trois derniers.

Ce fut Ellébore qui ouvrit le premier sous nos yeux, toute guillerette. Nous étions aussi enthousiastes qu’elle.

Ellébore : « Une coupe ! Une broche ! »

Ces objets scintillants qu’elle déposait à l’extérieur de la boîte avaient surtout de la valeur pour des collectionneurs. La demoiselle comptait aussitôt les revendre. Il était vrai que certains d’entre eux étaient jolis, mais ils ne lui seraient pas d’une grande utilité. Ce qu’ils pouvaient lui rapporter lui permettrait à elle et son père d’acheter de quoi vivre mieux.

Ellébore : « Oh ! Et tout ça ! »

Dessous tous ces bibelots se trouvaient une pile de pièces. Elle en sortit une et nous la montra, toute fière.

Ellébore : « Ce sont des doublons des Septar’ ! »

Cette large monnaie utilisée auparavant dans les échanges commerciaux maritimes devait son nom aux sept archipels de la mer blanche, bien que ces doublons étaient aussi utilisés ailleurs. Cette monnaie circulait encore un peu sur ces îles, et de toute façon, la valeur de leur or en faisait toujours une belle surprise.

Lucéard : « Oh ! Si je ne me trompe pas, chaque pièce vaut bien 300 unidors ! »

Ellébore : « C’est bien ce qui me semblait, c’est énorme ! »

On comptait tous les trois les pièces de son coffre. Il y en avait environ 200.

Ellébore : « 60000 unidors ! C’est ce que gagne mon père en un mois ! »

Aussi peu ?

C’était malgré tout, je le concevais, une belle somme à recevoir d’un coup, pour ne pas dire sans effort.

Léonce : « Oh, allez, à moi ! »

Il n’en pouvait déjà plus d’attendre, et se jeta sur son coffre quand il en eut l’occasion.

La première chose qu’il en sortit fut une paire de ballerines. Elles étaient noires et ouvragées. Outre le côté néfaste de la vie de pirate qui émanait de ces chausses, elles étaient d’une certaine façon assez mignonnes.

Ellébore : « Je crois que c’est ma taille ! »

Après les avoir examinée elle-même, la demoiselle commençait à enlever ses bottes. Léonce paraissait déçu.

Léonce : « Bah, même si c’était ma pointure, je les aurais jamais mises. »

…Sans blague.

Le prochain butin qu’il sortit était un grimoire magique de contrôle des courants marins. Il suffisait d’une lecture pour inculquer le secret du sort contenu. Néanmoins, d’une manière ou d’une autre, l’ouvrage se viderait de ses pages juste après. Mon garde du corps rechigna à le céder à Ellébore.

Léonce : « On dirait que j’ai pris le mauvais coffre… Y a que des trucs pour Ellébore ici ! Où est mon hachoir ? »

Désolé, mais il n’y a pas de trésor assez gros pour contenir une telle arme…

Il y avait malgré tout presque 400 doublons dans ce coffre, ce qui apaisa la frustration de Léonce aussitôt.

Lucéard : « Ton flair a encore frappé. »

Léonce : « Disons que ça fera l’affaire pour un premier coffre. »

Ellébore était visiblement heureuse pour son ami.

Ellébore : « Tu as pratiquement de quoi te payer l’inscription à l’école de Lucécie avec ça ! Ce serait génial que Lucéard, Miléna, toi, et moi étudions tous au même endroit ! »

Le jeune homme semblait être dans un autre monde après avoir considéré cette perspective d’avenir. Il finit néanmoins par se ressaisir.

Léonce : Cet argent n’est pas pour moi, de toute façon.

Je lus un certain dégoût dans son expression, tandis qu’il fixait cette fortune.

Mon tour vint. J’ouvrais mon premier coffre.

Deux anneaux de métal ornés de lames m’apparurent. Ils me rappelaient le charme d’un bâtiment d’explorateur. Une paire de bracelets assortis les accompagnaient. C’était encore un objet de valeur qu’on aurait pu vendre néanmoins…

Lucéard : « Se pourrait-il que ce soit des chakrams ? »

Je trouvais moi aussi des doublons, et d’autres équipements.

Après notre deuxième série de coffres, on mit notre butin en commun. Puisque les doublons ne m’intéressaient pas, Léonce proposa de les répartir équitablement. Il s’était trouvé le plus chanceux en matière d’objets précieux, et, par égard pour Ellébore, préférait que chacun ait le droit à une part égale. En ne comptant que la monnaie dont on pouvait clairement estimer la valeur, ils en avaient déjà pour 210000 unidors chacun. De quoi vivre aisément pendant quatre mois en somme.

Après avoir ouvert le septième coffre, je me retournais vers Léonce qui ouvrait le dernier des siens. Ellébore préférait assister à chacune des découvertes avant de découvrir son propre butin.

Léonce : « Ahah ! »

Il dégagea fièrement une pièce d’armure qui semblait enfin lui convenir.

Léonce : « Des mitaines, génial ! Et elles ont l’air robustes, malgré leur légèreté. »

Je m’approchais, et avec son autorisation soupesa la récompense.

Lucéard : « Je peux me tromper, mais ce ne serait pas du mythril ? »

Léonce : « Oh, rien que ça ? Je sais pas ce que c’est du mythril, cela dit. »

Je soupirai.

Lucéard : « Un métal magique dont la rareté est telle que la plupart des chevaliers ne peuvent pas s’enorgueillir d’en porter. »

Par contre, quel gâchis que ce ne soit que des mitaines, même si elles couvrent aussi les avant-bras…

Il ne restait plus qu’un coffre, destiné à Ellébore, mais celle-ci regardait une sorte de couronne noire sous tous les angles. Le matériau n’avait pas l’air précieux, mais il ne me disait rien.

Ellébore : « Je n’arrive toujours pas à deviner ce que c’est que cette chose, il y a une ouverture ici. »

Elle répétait ce même mouvement, comme si cette fonctionnalité pouvait lui révéler la nature de l’objet.

Léonce finit par nous partager une de ses tant attendues déductions.

Léonce : « On dirait un collier pour chien. »

Nous n’étions pas du tout convaincus par cette théorie.

Lucéard : « Si c’est un collier, je l’imagine sur quelque chose de plus imposant qu’un chien. »

Léonce : « Bon, eh bien, il faut croire que c’est juste le dernier élément de ta panoplie de la parfaite petite pirate. »

Conclut-il en fixant Ellébore, qui rougissait de gêne.

La demoiselle avait en effet collecté dans chacun de nos coffres des éléments pour former un costume de pirate dans son intégralité. Néanmoins, j’associais plus cette tenue à ce qu’on pourrait retrouver dans une pièce de théâtre édulcorée plutôt que sur un véritable corsaire.

Ellébore : « Je n’en reviens pas moi-même, mais tout semble à ma taille. J’aurai au moins était chanceuse pour ça… »

Ellébore : Et aussi pour être tombée moi-même sur les sous-vêtements de cette panoplie…

soupirait-elle.

Léonce : « Tiens, d’ailleurs, comment ça se fait ? »

Cette question m’était évidemment destinée. J’avais certes quelques connaissances, mais c’était beaucoup me demander.

Lucéard : « Que ce soit dans des donjons ou non, beaucoup de trésors apparaissent un peu partout dans le monde. D’aucuns pensent que ce sont des dieux qui les placent ici. Ils attirent aussi bien les créatures intelligentes que les monstres, ce qui donne lieu à se demander si ces divinités cherchent réellement notre bien. Surtout qu’ils apparaissent dans des endroits dangereux ou bien cachés. »

Je me tournais vers mes amis, poussant la réflexion un peu plus loin que ce qu’ils attendaient.

Lucéard : « Est-ce que leur contenu est déterminé d’avance, ou varient-ils en fonction de ceux qui les trouvent ? Je n’en sais rien. Je pense juste que certains butins, en particulier les vêtements, ne pourraient pas être dans un aussi bon état s’ils étaient là depuis longtemps. Mais la taille de tous les équipements qu’on a trouvés nous donne un indice, et je suis au moins sûr d’une chose… »

Pendus à mes lèvres, mes compagnons se rapprochèrent.

Lucéard : « …Ces récompenses sont pour nous. »

C’était certainement une évidence à ce niveau-là, mais de me l’entendre dire les mirent en joie.

Léonce : « Ah ça, on les a pas volés ! Même si je m’étonne que des novices comme nous soient venus à bout de ce donjon. »

Il n’a pas tort… Même si nous sommes certainement un peu plus aptes que le commun des mortels, nous sommes loin d’être exceptionnels. Ce n’est pas avec mon niveau actuel que je déjouerai la prophétie d’Absenoldeb… Je dois devenir encore bien plus fort… !

La grimace sur mon visage inquiétait Ellébore. Son regard insistant finit par me ramener parmi eux.

Lucéard : « Eh bien, tu n’ouvres pas ton dernier coffre ? »

La demoiselle se grattait la joue en rougissant.

Ellébore : « Héhé… Vous allez me trouver bizarre, mais il est si coquet que je voulais le garder pour la fin. Si ça tenait qu’à moi je ramènerai le coffre entier pour l’avoir dans ma chambre. »

Je fixais le trésor en question. S’il rentrait dans le sac de Thornecelia, c’était de justesse. Néanmoins, je lui accordais qu’outre son charme désuet, il était joliment serti de pierres, et le travail de l’or pour les pieds et la fermeture était soigné.

Léonce : « Peut-être que tu ne devrais pas l’ouvrir. »

La portée de cette intervention nous échappait. Léonce fixait ce coffre d’un air perplexe.

Ellébore : « Ce serait dommage. Et puis, ce n’est pas comme s’il allait me manger ! »

Plaisantait-elle.

Manger… ?

Quelque chose m’était venu en tête, je l’avais sur la bout de la langue, mais mes réflexions n’aboutirent pas.

Ellébore s’accroupit devant son butin, et fit glisser ses doigts le long de l’ouverture. Il n’y avait apparemment rien pour y mettre un cadenas. C’était un coffre que l’on ne pouvait verrouiller.

Les mots de Léonce avaient rendu Ellébore méfiante, et alors qu’elle s’apprêtait à l’ouvrir…

Elle recula ses deux mains précipitamment pour éviter une morsure.

Ellébore : « L-le coffre, il est- »

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

Ça m’était revenu. Et au premier mouvement brusque, je lançais mon sort de défense, qui se brisa instantanément.

Ellébore avait pu éviter une autre attaque de cette créature. Malgré sa petite taille, elle était surpuissante.

Une épaisse langue sortit du coffre, ainsi que des dents acérées. Cette horreur montrait une forme cauchemardesque, loin de ce que son apparence originale suggérait.

Ellébore : « Q-qu’est-ce que c’est que ça ?!! »

Avec une vitesse impressionnante, ce qui n’était jusque là qu’un objet inanimé bondit sur mon amie, qui s’esquiva précipitamment. La chose se heurta si fort dans le mur qu’il se fissura, nous donnant un autre indicateur de sa force colossale.

Lucéard : « Une mimique ! »

Léonce : « Je le sens pas, celui-là, on fuit ! »

Répondant à son instinct, Léonce nous ouvrit la voie, et bondit du haut de l’échelle.

Ellébore, qui avait laissé encore quelques babioles hors de son sac, les attrapa rapidement en tentant de rejoindre la sortie.

Je préparais ma flûte-double pour être en mesure de la couvrir pendant notre repli.

La trajectoire de la mimique réussit pourtant à me surprendre, et tandis qu’elle tenta de mordre Ellébore, celle-ci chuta au sol pour pouvoir l’éviter.

La bête se jeta une fois de plus sur elle, la gueule grande ouverte. Sa mâchoire pouvait tuer mon amie instantanément.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Dans un sifflement, un bouclier apparut, et malgré les efforts que j’y avais mis, l’auxilia se brisa après n’avoir retenu l’horreur qu’un court instant. Nous réalisions tous les deux qu’il s’agissait là du monstre le plus fort qu’on ait jamais rencontré.

Alors que ses dents se rapprochèrent de la demoiselle, celle-ci eut le mauvais réflexe de fermer les yeux, se protégeant de ses bras.

Un claquement métallique lui fit rouvrir les yeux. Ce qu’on avait identifié comme un collier s’était accroché autour de la langue de la bête, et son matériau s’était manifestement contracté.

La mimique semblait prise de court, et s’agita vainement quelques instants avant de s’immobiliser.

Ellébore ne sut pas comment réagir.

Lucéard : « Tant pis pour cet objet, fuis, Ellébore ! »

D’un vif hochement de tête, elle se releva pour prendre la fuite, bondit, et tomba dans les bras de Léonce.

Avant de descendre à mon tour, je me retournais une dernière fois.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Même si cette décision aurait pu s’avérer regrettable, je lançais une lame de lumière sur le dernier coffre, histoire de ne rien avoir à regretter.

Quelques instants plus tard, des yeux luisants s’y ouvrirent, et je fermai aussitôt la porte derrière moi.

J’entendais un hurlement de l’autre côté, et soupira en descendant les échelons.

Léonce : « Bon, on peut au moins s’estimer chanceux d’être tombés sur eux à la fin. »

Ellébore : « Aaaah… J’ai perdu mon collier… »

Lucéard : « Peut-être que la morale derrière tout ça est quelque chose du genre “abandonnez votre convoitise”. »

Conclus-je en menant la marche vers l’intérieur du phare.

-5-

De retour dans le cœur du bâtiment, on constatait avec soulagement que les monstres ne s’étaient pas décidés à s’acharner sur nous.

Léonce : « C’est bien beau tout ça, mais maintenant quoi ? On ne va tout de même pas rebrousser chemin jusqu’à Haven Gleymt… »

En effet, l’aventure s’arrêtait là, manifestement. Et sur ce constat, je me plongeais dans l’horizon brumeuse, pensif.

Moi qui croyais que tout serait clair une fois arrivés au terme de cette quête… Je n’ai toujours aucune idée des raisons qui ont poussé le maît0re à m’envoyer ici. Je pensais pourtant avoir été attentif. Oh… S’il me voit revenir de cette expédition dans le temple magique d’un village mirage sans n’avoir rien appris, je suis bon pour des coups de bâtons comme je n’en ai jamais connu.

Pendant que je me perdais dans ces élucubrations, Ellébore allumait le bois rassemblé au centre de la pièce, déduisant que c’était la chose la plus logique à faire pour clore cette épopée.

Je n’irai cependant pas jusqu’à dire n’avoir rien retenu de cette aventure.

Un faible gémissement se fit entendre derrière moi.

Ellébore : « Je me suis brûlée. »

Affirma mon amie, un doigt dans la bouche.

Tandis qu’elle montrait son bobo à Léonce, un bruit semblable au tonnerre distant attira notre attention.

On se retrouvait tous les trois contre la rambarde, en direction de l’horizon. Il n’y avait qu’un fin brouillard au loin. Les vagues s’agitaient de plus en plus en contrebas.

Léonce : « Vous l’avez entendu vous aussi ? »

Ellébore leva les yeux. De lourds nuages s’amoncelaient au-dessus de nous.

Puis encore ce son. Il était plus près, et j’étais en mesure de l’identifier.

Lucéard : « On dirait aussi une corne de brume, comme hier… »

Le vent se levait sur ce paysage de plus en plus sombre.

Tout autour de nous, la brume n’allait qu’en se densifiant. Et devint rapidement d’un rouge inquiétant.

Ellébore : « On dirait du sang… »

La mer se déchaînait. Nous ne pouvions plus que la voir s’abattre contre les parois du phare. Le ciel était étouffé par ses ténèbres.

Je fixais mes mains. Tous nos corps reflétaient le vermeille atroce qui flottait, sans craindre le vent, comme un poison auquel on ne pouvait réchapper.

Qu’est-ce que c’est… ? C’est différent de ce que je ressentais à Haven Gleymt… Cette fois-ci, il y a quelque chose de terriblement… malsain.

Une ombre apparut dans les flots lointains, sa présence attira aussitôt nos yeux écarquillés.

Elle grossissait à vue d’œil, se rapprochant inéluctablement de nous. La corne de brume, dans un son distordu, se mêlait à d’autres voix.

Lucéard : « On dirait… Comme des hurlements de terreur… »

J’entendais en particulier des voix masculines, et la stupéfaction de mes compagnons me laissa constater que je n’étais pas le seul. Des cris de détresse résonnaient au milieu de la brume, là, sur cette ombre.

La silhouette imposante se précisa quelque peu. C’était immense. Plus haut encore que le phare.

Quelque chose attira le regard effarouché d’Ellébore. N’osant pas se tourner entièrement, elle tentait d’apercevoir du coin de l’œil une entité, face au feu qu’elle avait allumé. Cette forme humaine ne bougeait pas, ni ne respirait, et disparut à son tour dans la brume.

Il n’y avait plus rien que ce fluide sanglant tout autour de nous, et la vision cauchemardesque de cette ombre.

Le son de la corne retentit au cœur de cette tourmente, si fort qu’elle nous fit tous sursauter. Elle était là, à quelques mètres de nous. C’était la dernière chose que nous pouvions voir.

Le rouge meurtrier avait finalement recouvert toute la baie, et le phare n’était plus. Ma dernière vision fut la proue d’un bateau titanesque, au milieu des cris d’horreur.

Et la prochaine fut une calme plage. Le soleil était au plus haut, et ni nuage ni brume ne brouillait notre vue. L’air marin emportait avec lui l’étouffante atmosphère d’il y a un instant.

Léonce s’assura dans la précipitation que nous étions tous les deux autour de lui. Il était toujours sur ses gardes, mais la menace nous semblait déjà loin.

Je me tournais vers la côte, et reconnus avec soulagement les sommets rocheux où nous avions passé notre première nuit.

Ellébore, quant à elle, baissait les yeux. Peut-être n’avait-elle pas encore remarqué où nous étions. Elle finit par sortir son carnet et y noter aussi rapidement qu’elle ne le put ce à quoi elle avait assisté.

Celui qui retrouva ses marques le premier prit la parole.

Léonce : « Je propose qu’on fasse comme si rien de bizarre ne s’était passé et qu’on rentre. »

Vaguement amusée par sa remarque, Ellébore répondit au regard de Léonce.

Ellébore : « Mais quand même… Je me demande bien ce que- »

Les yeux grands ouverts, le visage de la détective venait de pâlir.

Ellébore : « O-o-oooh… ! »

Ne sachant pas comment nous alerter, la gorge nouée par la peur, elle pointa de son doigt tremblant derrière Léonce, à une poignée de mètres de lui.

Je déchantai à mon tour en regardant dans cette direction.

Lucéard : « Oh pitié ! »

Ellébore : « L-la mimique ! »

La petite créature de tout à l’heure était en face de nous, l’air aussi vorace que quand nous avions pu lui échapper.

Léonce dégaina la seule arme en état décent qu’il avait pu récupérer de son dernier combat.

Léonce : « Quand y en a plus, y en a encore ! »

Ellébore s’était reculée après l’avoir aperçue, et restait tétanisée face à cet adversaire.

Elle se sentit soudainement s’enfoncer.

Ellébore : « Euh…? »

Ses pieds s’enlisaient rapidement. C’était un lent tourbillon sur la plage qui attirait mon amie vers son point le plus profond. Ce n’était donc pas des sables mouvants.

Un ver monstrueux sortit du centre de ce piège qu’il avait tendu. Cette horreur n’avait pour visage que la bouche ronde et affreusement dentée qu’il utilisait pour dévorer ses proies.

Ellébore : « Oh la poisse ! »

Presque désespérée de se retrouver une fois de plus dans une telle situation, la jeune fille soupira.

Je sortais aussitôt ma flûte-double. Hélas, le coffre factice s’était lui aussi lancé en direction d’Ellébore à toute vitesse. Il me fallait faire un choix instantané qui mettait en jeu la vie de mon amie.

Cependant, mon bras s’immobilisa. La trajectoire que prenait la mimique m’interpela.

Qu’est-ce qu’elle fait ?

Le neuvième trésor bondit au-dessus de la jeune fille, ouvrit sa gueule béante et arracha la tête du ver d’une seule bouchée. Sans lui laisser aucun répit, il l’engloutit en entier à son rythme. Le sable ne coulait plus.

Nous étions tous abasourdi par ce revirement de situation. Ellébore dégagea ses pieds et recula vers nous, sans quitter des yeux la mimique et son repas.

Sans aucune hostilité, le monstre revint vers elle et s’arrêta à ses bottes.

Malgré son inquiétude communicative, Ellébore réalisait progressivement l’explication de ce phénomène. Au bout de la langue sortie de cette aberration se trouvait le collier qu’elle lui avait mis. Peinant à y croire, elle tenta néanmoins de se montrer courtoise.

Ellébore : « Allez, oust ! Va t’en, toi ! »

Timidement, elle le poussa de la jambe, sans obtenir une quelconque réaction de la part du faux-coffre.

Léonce croisa les bras.

Léonce : « Moi qui espérais voir des trucs incroyables pendant cette expédition, ça y est, j’ai mon compte. »

Je me triturais les méninges, essayant d’accepter ce que j’avais sous les yeux.

Lucéard : « On dirait bien que cette mimique te reconnaît comme son maître. C’était vraiment un collier de dompteurs de monstres alors… Eh bien bonne chance pour nourrir ton animal de compagnie, Ellébore. »

Je ponctuais d’une plaisanterie légère qui ne manqua pas de faire grimacer la propriétaire de cette abomination.

Ellébore : « Qu’est-ce que je vais faire…? »

Ellébore gesticulait vainement après avoir reconnu la gravité de la situation.

Léonce : « Ton coffre, ton problème. »

Elle gonflait les joues en se tournant vers Léonce, qui prenait un malin plaisir à la taquiner. Le monstre était prêt à bondir sur celui qui tourmentait sa maîtresse.

Après un soupir, elle se calma, constatant que le monstre était très réactif à ce qu’elle ressentait. Elle s’accroupit à côté de lui, et le fixa, lasse.

Ellébore : « Tu es une mimique, c’est bien ça… ? »

Lucéard : « D’une manière générale, tous les monstres dont la forme originelle imite un objet sont considérés comme des mimiques. Mais la plupart du temps, ils prennent la forme d’un coffre à trésor, comme celui-ci. »

Un râle inquiétant sortit de notre sujet de conversation, ce qui amusa Ellébore.

Ellébore : « Tu es plutôt mignonne, toi ! »

Mignonne… ?

Ses petits yeux à peine visibles dans les rainures du bois auraient pu mettre mal à l’aise n’importe qui. Ses dents aiguisées comme des pics pouvaient transpercer la chair avec une aisance glaçante, et leur disposition chaotique laissait imaginer la souffrance que pouvait infliger sa morsure. Sa langue boursouflée me répugnait, comme s’il s’y logeaient toutes les maladies du monde. L’abysse contenu dans ce coffre était un piège cruel redouté de tous les aventuriers. Sans la moindre nécessité de tuer, cette mimique était née pour semer la mort.

Léonce : « Pourquoi tu ne lui donnerais pas un petit nom tant que tu y es ? »

La railla Léonce, qui gardait néanmoins ses distances avec cette chose. Hélas pour lui, la demoiselle répondit avec sérieux.

Ellébore : « …Hm, ça ne serait pas bien… Je ne peux pas m’attacher à cette mimique. Je dois m’en débarrasser. »

Elle se relevait après nous avoir surpris par sa détermination.

Ellébore : « Merci de m’avoir sorti de ce mauvais pas, mais nos chemins se séparent ici. »

Avec une froideur qui ne lui ressemblait pas, elle tourna le dos à la bête et s’en alla. Après s’être lancés des regards interrogatifs, Léonce et moi nous décidâmes à la suivre.

-6-

Quelques minutes plus tard, sur ce chemin que nous avions déjà emprunté à l’aller, la mimique continuait de nous suivre à son rythme. Ses courtes pattes n’étaient pas faites pour les longues distances.

La tournure des événements contrariait la détective.

Ellébore : « Oh, je n’aime pas ça… Mimique, il faut que tu partes. Allez ! Rentre chez toi ! »

Sa douce voix n’affectait aucunement cette créature.

Léonce : « Il suffit de lui enlever ce collier, et elle ne nous suivra plus, si ? »

Lucéard : « Je pense que si, et ce sera pour nous engloutir. Je ne prendrais même pas le risque de mettre les mains dans la bouche de cette horreur. »

Ellébore : « Eh ! Ne lui dis pas ça ! Elle n’est pas une horreur ! »

Affirma Ellébore qui s’interposa devant la mimique, comme pour la protéger.

Toi qui parlais de ne pas t’attacher…

Néanmoins, elle non plus ne souhaitait pas approcher ses mains plus que nécessaire.

Ellébore : « Si on essaye de briser le collier, on risque de lui faire mal… »

Léonce soupira, et tenta de faire preuve de tact.

Léonce : « Eh, Ellébore, c’est un monstre, tu te souviens ? Pas un animal. »

La jeune fille était dans la tourmente, et fixait sa créature.

Ellébore : « Je sais bien, oui… Mais je ne peux quand même pas me résoudre à agir ainsi. Avec cet enchantement, elle ne se défendra pas si je l’attaque, je me trompe ? Elle se laissera tuer lentement parce qu’elle ne peut rien me refuser… »

Cette réflexion était pertinente, et sema le doute parmi nous.

Léonce : « Encore une fois, c’est un monstre. »

Ellébore: « Oui, mais moi je n’en suis pas un. »

Le silence se poursuivit. Nous étions tous à l’arrêt.

Lucéard : « Quoi qu’il en soit, il faut qu’on se décide avant d’être rentrés à Cyrtat. Nous ne pouvons pas rejoindre la civilisation avec une chose aussi dangereuse avec nous… »

On s’assit tous les quatre pour cogiter dans les meilleures conditions.

Léonce : « Et si… »

Après ces mots, Léonce se fit silencieux, comme s’il mettait à l’épreuve sa propre idée. Il s’assurait ainsi qu’il ne trouvait pas lui-même de faille dans son raisonnement.

Léonce : « Et si on l’attachait à un arbre ? »

Cette solution ne fut pas suivie de beaucoup d’approbation, en ce qu’elle ne nous réjouissait pas.

Ellébore : « C’est quand même cruel. Moins que d’autres alternatives cela dit, et puis, il finira par se libérer de lui-même après notre départ ! »

Lucéard : « Admettons qu’on y parvienne, et si l’enchantement lui permettait de te retrouver où que tu sois ? »

On pénétra malgré tout dans la forêt, dans l’espoir d’y trouver l’inspiration. La pinède était calme, et l’après-midi fraîche. Perdus au milieu des conifères, on s’arrêta de nouveau.

Ellébore : « Assis ! Pas bouger ! »

Ellébore : « Rentre dans ton temple ! »

Ellébore : « Fais 500 fois le tour de cet arbre ! »

Avec différentes intonations et des gestes de plus en plus agressifs, Ellébore clarifia que la créature ne répondait pas à ses ordres.

Mains et genoux au sol, elle s’avoua vaincue.

Ellébore : « Elle n’écoute rien… »

Feignant d’être un coffre, la mimique n’avait pas bougé depuis quelques minutes, mais se leva soudain en entendant des bruits venant d’un buisson tout proche.

Dans l’expectative de ce qui allait en sortir, on se tourna tous face à la végétation.

Et ce fut une voix masculine assez fluette qui brisa le silence.

Garçon: « Zut, on est repérés ! »

Puis une voix féminine et nasillarde.

Fille : « Tant pis ! »

Deux jeunes gens de notre âge jaillirent des feuilles, déterminés à en découdre.

Fille : « Filez-nous vos bourses sans discuter, et le premier qui tente de fuir je le trucide ! »

La demoiselle avait une coiffure atypique. Des nœuds de toutes sortes coiffaient sa longue chevelure noire. Ses yeux violets trahissaient sa fourberie, et son assurance se lisait dans le sourire carnassier qu’elle nous montra tout en révélant sa dague.

Le garçon était quant à lui d’un châtain pâle. Ses pupilles étaient teintées d’un bleu profond, avec lequel il nous dévisageait tour à tour. Leurs tenues étaient chaudes, et peu soignées comme l’on pouvait s’y attendre de la part de bandits de cette envergure. Il était moins confiant que son binôme, et pour cause, il venait de remarquer que le trésor à nos pieds n’en était pas un.

Mimique : « UuuUarh… »

Une complainte à faire froid dans le dos émana de ce maudit coffre. Il avait ressenti l’hostilité de nos ennemis, et révéla sa dentition infâme.

Fille : « Hiiih ! »

Quand elle s’en aperçut, notre adversaire blêmit et se cacha derrière son acolyte. Il était aussi effrayé qu’elle, voire plus.

Ellébore : « Non ! Arrête-toi ! »

Juste avant qu’il ne massacre ces détrousseurs, les mots d’Ellébore eurent l’effet escompté, et la bête se calma.

La détective relâcha ses épaules, soulagée.

Garçon : « Malice, on ferait mieux de déguerpir, le monstre est avec eux… ! »

Cette Malice hocha la tête, grimaçant d’effroi.

Malice : « Oui, fuyons, Noïron ! »

Alors qu’ils se retournaient, ils se retrouvèrent nez-à-nez avec Léonce qui croisait les bras, l’air menaçant. Ils purent ainsi goûter au regard impitoyable de bandit qu’ils avaient tenté d’utiliser contre nous.

Léonce : « Pas si vite, vous deux… »

La demoiselle serra les dents de frustration et fouilla une de ses poches dans la panique.

Malice : « A-attendez, prenez ma bourse, et laissez-nous partir ! »

Son complice attrapa sa main pour l’interrompre. Il montrait plus de prestance que ce qu’il n’avait suggéré jusque-là.

Noïron : « Non, toi, fuis. Quant à vous, prenez plutôt ma bourse ! »

L’expression de la demoiselle bandit s’adoucit. L’échange de regard qui suivit était chargé de tendresse.

Malice : « Noïron… »

Ce moment émouvant nous désespéra, Ellébore et moi.

Léonce : « Euh, les gars ? Désolé de vous interrompre dans votre délire, mais si on en voulait à votre argent, pourquoi on ne prendrait pas vos deux bourses tant qu’à faire ? »

Même si elle était effrayée, Malice fixait Léonce, visiblement agacée.

Léonce : « Mais ce n’est pas le cas. Cependant, on ne va pas vous laisser filer alors que vous avez essayé de nous dépouiller. »

Malice : « Et alors, vous voulez quoi, hein ?! »

Elle a du cran de se montrer aussi agressive dans sa situation…

Léonce n’avait pas encore réfléchi à cette question et me lança un regard dubitatif. Je transmis ce regard à Ellébore qui ne savait pas non plus quoi dire.

Ellébore : « Oh si, je sais ! »

Sur cet éclair de génie, elle se tourna vers les deux malfrats.

Ellébore : « Ça vous dirait un monstre ? »

Noïron dévisageait la mimique, et fut pris de sueur froide en la voyant agiter sa langue.

Malice : « Vous êtes tarés ?! Éloignez-ça de nous ! »

Léonce jouait à nouveau le rôle du méchant, et fit craquer ses phalanges.

Léonce : «Je suis au regret de vous dire que vous n’avez pas le choix ! »

Noïron : « C’est d’accord. »

Noïron venait de se prononcer, le ton aussi solennel que tout à l’heure. Il attisa la stupéfaction tout autour de lui.

Noïron : « Mais laissez Malice partir avant ça. »

La scène était encore une fois plus dramatique qu’elle n’aurait dû l’être. Avec douceur et fermeté, la jeune fille lui répondit.

Malice : « Hors de question ! Je ne vais pas te laisser tout seul dans une situation aussi dangereuse ! »

Pourquoi j’ai l’impression que nous passons pour les méchants dans cette histoire ?

Le garçon gonfla la poitrine, essayant de retenir en lui son manque d’assurance.

Noïron : « Ne t’en fais pas pour moi, je reviendrai ! »

Malice n’était pas impressionnée par cette performance.

Malice : « Et puis, je ne peux pas rentrer au village à cette heure-là… Je risque de me faire voir. Et si je ne suis pas en ta compagnie, je ne donne pas cher de moi ! »

Pris entre deux feux, Noïron se retrouvait dans une impasse. J’interrompis rapidement son calvaire.

Lucéard : « Vous venez d’un village de bandit, je me trompe ? »

Malice : « Qu’est-ce que ça peut vous f- »

Léonce : « Répondez ! »

D’un éclat de voix, Léonce remit Malice à sa place. Elle se mura dans le silence pour le contredire.

Noïron : « Oui, c’est exact. »

Lucéard : « Vous avez été enlevés… ? »

Le ton miséricordieux et le contenu de la question affecta mes deux amis qui se rendirent à leur tour compte que c’était une possibilité. Le naturel doux du jeune homme et la simple présence d’une demoiselle dans un tel village m’avait conduit à cette théorie.

Noïron : « Pas du tout. »

Sa réponse me fit hausser les sourcils.

Noïron : « Nous sommes tous les deux nés là-bas. Nous y avons vécu toute notre vie, et nous tentons de ramener de beaux butins pour qu’un jour Malice puisse être reconnue par les autres. »

Malice : « Eh, pas la peine d’en dire autant ! »

Lui tapa du coude Malice qui aurait préféré qu’il garde ça pour lui.

Ellébore : « Qu’est-ce que ça signifie… ? »

Demanda innocemment Ellébore.

Noïron : « Que crois-tu ? Malice est une fille… Elle- »

D’un coup plus fort que le précédent, elle réduit Noïron au silence.

Malice : « Il n’y a pas de fille bandit, voilà ce qu’il veut dire. Mais moi c’est la vie qui me convient, c’est tout. »

Léonce me lança un regard lourd de sens. Lui et moi savions très bien quel sort était réservé aux femmes dans de telles communautés. Et l’âge de Malice n’entrait certainement pas en considération.

Ellébore : « Mais vos parents sont d’accord pour que vous fassiez ça ? »

Sa naïveté n’amusait pas les deux bandits.

Noïron : « Les gens comme vous vivez chez vos parents, c’est bien ça ? »

Il semblait aussi curieux de découvrir ce qui pour lui était une drôle de tradition.

Noïron : « Chez nous, il n’y a pas de père ou de mère. Il n’y a qu’une femme ou deux qui s’occupent des enfants. »

Face à l’incompréhension d’Ellébore, Malice laissa échapper un rire condescendant.

Malice : « En ce qui me concerne, je crois savoir qui est ma “mère”. C’est un sac d’os inutile, et je suis de loin l’enfant qu’elle déteste le plus. C’est même à ça que je l’ai reconnue. Et vous, vous vous faites dicter votre conduite par vos parents ? »

Elle fixait Ellébore d’un air supérieur. Néanmoins, Malice semblait intriguée par mon amie. La fille du docteur n’osait pas répondre.

Malice : « Je n’ai que du mépris pour ma mère. Elle est comme les autres, c’est une bête d’élevage docile et inutile. Et j’aurais pu devenir comme elle… »

Une profonde rancœur animait son regard. Et pourtant, une lueur plus douce naquit dans ses yeux quand elle se tourna vers son ami.

Malice : « Mais mon Noïron m’a sauvé. Il me protège depuis des années. »

Quand il s’agissait de vanter les mérites du garçon, la jeune fille prenait le temps de partager plus que nécessaire avec nous. Ces deux-là avaient une drôle de relation. Noïron était embarrassé qu’on parle de lui ainsi.

Noïron : « Ce n’est pas vrai. Sans toi, je serai moi aussi devenu comme les autres, pire encore qu’eux si ça se trouve. »

Avec une délicatesse qui jurait avec son tempérament, Malice attrapa timidement la main de son héros, et lui sourit affectueusement. Cette chipie n’avait de la place dans son cœur que pour lui.

Je jugeais à l’expression d’Ellébore qu’elle avait déjà oublié avoir été menacée par une dague, et soutenait ce couple éhontément.

Ellébore : « Et pourquoi ne pas rejoindre un orphelinat ? Il doit bien y en avoir un à Cyrtat. Vous y serez sûrement mieux, non ? »

Malice n’avait jamais eu l’intention de rentrer dans notre jeu, et nous fixait avec dégoût. Néanmoins, le plus raisonnable des deux avait considéré la proposition. C’était mieux pour elle avant tout.

Noïron : « Si ça se passe mal, on ne sera plus les bienvenus de là où on vient, et on n’est pas sûrs de s’en sortir sans eux… »

Ses inquiétudes étaient difficiles à comprendre de notre point de vue. Ellébore avait raison. C’était la meilleure chose à faire. Et pourtant, du point de vue de Noïron, quitter tout ce qu’ils avaient jamais connu était surtout un risque mortel de plus dans un monde qui n’avait jamais été tendre envers eux. Ils avaient trouvé un certain confort et ce qu’on considérait comme un malheur était pour eux la seule et unique vie qu’ils puissent imaginer. En ce sens, cette perspective les remplissait non pas d’espoir, mais de la peur terrible qui précède un saut dans le vide.

Lucéard : « Vous n’avez pas à vous en faire. On peut s’arranger pour être sûrs que vous soyez placés dans un orphelinat. Et même sans ça, il y a certainement des pêcheurs là-bas qui apprécieraient de prendre sous leurs ailes de jeunes gens débrouillards comme vous. »

Ce n’avait d’ailleurs pas forcément à être à Cyrtat. Dans leur grimace, je lisais qu’ils avaient peur d’être reconnus. Ils avaient laissé partir leurs victimes à plusieurs reprises sans nul doute. Je préférais croire ça plutôt qu’imaginer qu’ils aient pu tuer. C’est pourtant ce que m’avaient suggéré les premiers regards que nous nous étions échangés.

Notre mascotte assistait à cette discussion, la langue tirée.

La demoiselle bandit finit par couper court à la discussion, en ronchonnant.

Malice : « Oh, et puis, qu’est-ce que ça peut bien vous foutre ? Si vous ne voulez rien de nous, alors dégagez ! »

Elle est gonflée, celle-là !

Malice : « Noïron, on part ! »

Le garçon soupira. Lui n’avait pas oublié que Léonce se tenait toujours derrière eux.

Léonce : « Vous ne voulez pas repartir avec un beau coffre à trésor plutôt ? »

La fille lui grogna au visage, retenue par son ami.

Lucéard : « Non, c’était une mauvaise idée après réflexion. »

Mon ton glacial les interpella.

Léonce : Oh. Le prince des baratins est de retour.

Cela ne faisait que quelques mois que j’apprenais les arts martiaux, et ceux des arcanes. Mais durant seize ans, j’avais dû régler mes conflits à grand renfort de verbe. Léonce ne me connaissait pas depuis si longtemps, mais il commençait déjà à reconnaître mes méthodes.

Lucéard : « Hors de question de laisser une créature aussi dangereuse dans les mains de bandits. »

Je m’approchais d’eux, le regard sévère.

Lucéard : « Le plus sage aurait été de laisser notre mimique se déchaîner dans votre village. J’ignore combien vous êtes, mais nous aurions eu le temps de partir très loin, d’ici que le dernier survivant ne succombe à ses morsures. »

Noïron déglutit, soucieux.

Lucéard : « Mais ça n’est juste pour personne. Je suis même confus d’avoir pensé malgré moi à une méthode aussi extrême. Ceci dit… Combien y a-t-il de guerriers dans votre village ? »

Léonce manifesta sa stupéfaction, avant de froncer les sourcils. Il avait compris mes intentions.

Léonce : « Tu n’y penses pas… ? »

Lucéard : « Des attroupements de hors-la-lois, il y en a plus que je ne voudrais y croire. Mais est-ce une raison pour les laisser agir impunément ? »

Ces deux-là devaient savoir que même si on les épargnait, il n’était plus question qu’ils reprennent leur vie d’avant.

Je ne devrais pas me mêler de ça, c’est ce que tu penses, Léonce ? Mais quel est mon but ? Détruire l’organisation qui a tué ma sœur ? M’assurer que ma famille ne fasse plus les frais de pareille tragédie ? Rien de tout ça. Ma priorité, c’est de pouvoir étouffer de nouveaux malheurs à chaque fois que j’en ai les moyens. Enfin, j’ai beau dire ça, mais mes capacités sont basiques, et sûrement insuffisantes. Et pourtant, n’est-ce pas pour des occasions comme celles-ci que je me suis entraîné si dur ?

Mon regard intimidait Malice qui approcha sa main de sa dague, comme si elle se préparait à tenter le tout pour le tout. Mes sentiments étaient forts, mais ma raison m’empêchait de poursuivre dans cette direction.

Si je m’y rendais vraiment, et si j’avais la force de vaincre tous ceux qui se mettaient sur mon chemin, que se passerait-il ? Hélas, je peux aisément le deviner.

Ellébore me dévisageait. Elle savait que je n’avais pas l’intention d’attenter à la vie de qui que ce soit. Mais me connaissait-elle vraiment ? J’avais pourtant déjà manifesté l’intention de tuer.

Lucéard : « Ça ne servirait à rien, n’est-ce pas ? »

Cette question s’adressait aux deux bandits murés dans le silence. Ce soudain revers les perturba.

Lucéard : « Si j’écrasais vos combattants, je ne pourrais pas pour autant les traduire en justice, et ils se remettraient à piller juste après avoir récupéré. Si je sauvais tous les innocents de votre village, ils ne sauraient certainement plus vivre une autre vie, et seraient remplacés par d’autres peu après, ce qui ne ferait qu’ajouter des victimes. Si je vous reprenais tout ce que vous avez dérobé, vous vous en prendriez aux villages alentours, avec plus de hargne et de désespoir qu’avant. Même en traînant votre chef jusqu’à la garde, il serait lui aussi remplacé. Tout ce que je pourrais entreprendre causerait plus tard davantage de chaos. »

Je dégainais Caresse avec agilité, et effleura le cou de Malice, leur laissant comprendre à tous les deux qu’ils n’auraient pas fait le poids.

Lucéard : « Vous l’avez deviné, vous aussi. Le seul moyen de vous empêcher de sévir, vous et tous ceux de votre village, est de vous tuer sans sommation, en s’assurant qu’il n’en reste plus un seul. »

Ellébore avait failli réagir, mais se rappela en voyant mon arme que ma ligne de conduite ne saurait être ébranlée par un tel dilemme. Présenter le problème ainsi m’avait laissé le temps d’y voir plus clair. Et j’étais certain que j’avais fait suffisamment sensation auprès de mon auditoire pour qu’il prenne espoir en une alternative.

Lucéard : « Une tuerie de masse sans distinction est la seule solution viable pour un problème à cette échelle. »

Je m’éloignai lentement, comme si j’avais rendu mon verdict.

Lucéard : « Néanmoins… »

Je me tournais de plus belle vers eux, flûte-double en main.

Lucéard : « La meilleure chose à faire est d’agir au cas par cas. Et en ce qui vous concerne, vous n’avez pas à subir un tel sort alors qu’un bel avenir vous attend. »

Les quatre personnes présentes n’avaient plus aucune idée de ce qui me passait par la tête.

Lucéard : « Promissum Damoclès Fatalis »

Sur cette incantation inquiétante, je me mis à jouer un morceau dont la noirceur et la mélancolie semblaient repousser les limites de la flûte-double. Je fis bien attention à fixer intensément les deux criminels tout en poursuivant cette mélodie troublante.

Lucéard : « À partir de maintenant, vous êtes liés par le destin à un contrat. Quand j’aurai énoncé les termes de celui-ci, il vous suffira de dire “Je promets”, et si vous brisez le rituel d’une quelconque façon, nous mourrons instantanément tous les trois. »

Le ton grave que j’avais pris faisait désormais sens pour eux. Un sort infiniment dangereux venait d’être employé.

Ellébore déglutit. Elle venait de comprendre la supercherie et joua le jeu.

Ellébore : « T-tu es sûr ? Pourquoi te mettre autant en danger pour eux ? Et puis, s’ils ne respectent pas les termes du contrat, même au moindre écart, ils mourront, non ? »

Léonce : « Tu m’as caché un sort aussi puissant ?! »

Qu’il ait compris ou non ce que je manigançais, Léonce ne gaffa pas, à mon grand soulagement.

Lucéard : « Si c’est le seul moyen pour au moins en sauver deux, alors ça vaut le coup d’essayer. »

L’intervention de mon amie me permettait de passer pour un bienfaiteur plutôt qu’un tortionnaire. Les deux bandits étaient réduits au silence, ils avaient même peur de bouger le petit doigt. Leurs corps étaient raides et tremblants.

Lucéard : « Vous ne devrez plus jamais mettre les pieds dans un village de bandit de votre plein gré. Vous renoncez immédiatement à la vie de hors-la-loi. Vous vivrez honnêtement, et tout écart bénin à cette règle ne vous coûtera pas la vie. Promettez-vous de respecter les termes du contrat ? »

Involontairement, la mimique joua en notre faveur en happant un papillon floconnaire qui eut le malheur de passer trop près. Ils n’avaient certainement aucun doute sur le fait que promettre engagerait leur vie, mais la possibilité de se rebeller maintenant aurait pu encore leur venir à l’esprit.

Heureusement, leur quotidien en autarcie ne leur avait pas permis d’avoir la culture nécessaire pour flairer l’entourloupe.

Ces deux-là avaient sensiblement pâli. De leur point de vue, ils se résignaient presque à mourir. Ils n’avaient aucune idée de ce que signifiait une vie honnête, et n’étaient pas sûrs de pouvoir s’y tenir.

Tous ceux qu’ils avaient connus dans ce village croyaient dur comme fer que suivre les lois ne leur permettraient pas de survivre. Les deux adolescents s’étaient en conséquence convaincus que tous les moyens étaient bons dans ce combat permanent de leur vie et que ceux qui continuaient de se soucier de l’ordre mourraient les premiers. En jurant auprès de moi, ils s’assuraient une mort plus lente que celle que ma magie pouvait leur apporter.

Ils se concertaient en silence, à l’aide de simples regards. C’était un pari risqué pour moi, mais s’ils prononçaient les mots, c’est qu’ils croyaient en mon sort, et que leur prudence les pousserait à se soucier de ce qui est bon ou non.

Malice : « Je promets. »

Contre toute attente, elle fut la première à répondre. Il n’y avait plus de colère sur son visage, mais une discrète détresse qui ne manqua pas de me faire culpabiliser.

Noïron : « Je promets. »

Un poids m’était aussitôt levé. Vu leur expression, ils prenaient ça plus qu’au sérieux. Ce moment avait été existentiel pour eux. Je lisais dans leurs yeux qu’ils étaient perdus. Que ce qui se rapprochait le plus d’un chez soi pour eux leur était désormais interdit d’accès.

Je claquais du doigt, mettant fin à ce rituel factice.

Ellébore s’approcha d’eux, et mit une main compatissante sur leurs épaules.

Ellébore : « Allez, ça va aller, on vous aidera autant qu’on peut. On vous trouvera un super endroit pour vivre. »

Face à sa nature débonnaire, je ne pouvais que prendre le mauvais rôle, mais je ne m’en souciais pas. J’étais satisfait qu’ils puissent se reposer sur elle. Ellébore ne parvenait pas à se soucier des atrocités qu’avaient pu commettre ces deux-là. Elle ne s’était fiée qu’à ce qu’elle avait vu d’eux, et son intention de les aider était des plus pures et désintéressées.

Léonce : « Problème réglé ! »

Conclut Léonce qui pouvait enfin relâcher toute la tension dans ses épaules. Ce moment avait été intense pour tout le monde ici.

Noïron : « Et maintenant quoi ? »

Ellébore rit jaune.

Ellébore : « Il ne reste que le problème de cette mimique à régler et on pourra rentrer tous ensemble. »

Je soupirai. J’avais presque oublié notre première galère.

Malice : « Et qui a dit qu’on vous suivrait bien sagement ? Vous nous avez bien assez attiré d’ennuis comme ça, vous pensez pas ?! »

La demoiselle bandit avait repris du poil de la bête.

Noïron : « Malice. Tu ne penses pas qu’on a de meilleures chances de survivre en restant avec eux ? Tu as bien vu qu’ils n’avaient pas de mauvaises intentions. »

Merci Noïron, heureusement que tu es là.

Malice : « Quoi ?! Mais t’es de leur côté maintenant ? Tu réalises pas notre situation ? On a plus rien que nos poches pour nous en sortir ! »

Noïron : « Oh, mince, j’avais pas pensé à ça ! »

-7-

Après s’être fait sermonnés, on finit par s’asseoir et discuter. De courtes présentations suffirent pour mettre Noïron en confiance. Je m’étonnais de voir qu’un garçon ait pu devenir aussi calme et tendre après n’avoir connu que des vauriens toute sa vie.

Nous n’avions cependant pas eu la présence d’esprit d’utiliser nos faux-noms à temps.

Noïron : « Dis, Lucéard, nos affaires qu’on a laissé au village, on ne pourra vraiment pas les reprendre ? »

Si j’en crois le contrat, non. Mais c’est du chiqué alors on va dire que c’est bon.

Lucéard : « Eh bien, en tant que l’incantateur de ce sort, je peux faire exception. Si je considère que ce n’est pas une entorse à la règle, il n’y aura aucune conséquence regrettable. »

Noïron : « Dans ce cas, si tu le permets, j’irais à la tombée de la nuit. Vous n’avez qu’à m’attendre ici avec Malice. »

Lucéard : « Pourquoi pas ? Mais pas d’écart, sinon, je ne pourrais pas empêcher que le sort s’active. »

Noïron hochait la tête. Je saluais sa crédulité.

Malice : « Pour votre créature, pourquoi tu n’utiliserais pas ton sort pour lui dire de se casser ? Puisque apparemment vous osez même pas le tuer. »

Malice restait toujours en retrait, ne montrant pas l’intention de sympathiser. Si ça ne tenait qu’à elle, elle aurait abattu la mimique pour régler le problème.

Lucéard : « Quelle riche idée. Si tu arrives à lui faire dire “je promets” d’ici ce soir, on pourra faire ça. »

Malice : « Je rêve ou tu viens de te moquer de moi ?! »

Lucéard : « De plus en plus perspicace. »

On entendit sa voix nasillarde pester contre moi jusqu’aux plus hautes cimes.

Ellébore s’était rendue un peu plus loin dans la pinède, à l’abri des regards indiscrets.

Ellébore : « Qu’est-ce qu’on va faire de toi… ? »

Peinée par ce choix dont la responsabilité lui revenait, la jeune fille s’était persuadée qu’en n’étant pas capable de vaincre un simple monstre, elle retenait tous ses compagnons ici, et les empêchaient de rentrer chez eux.

Sa faiblesse les contraignait à attendre dans cette forêt. Et même en sachant ça, elle ne parvenait pas à se résoudre à agir. Ce n’était un meurtre pour personne, mais pointer une arme sur la bête lui était trop difficile.

Une froide sensation la sortit de ses pensées.

Ellébore : « Hi ! »

Elle recula d’un bond. La mimique venait de lui lécher la jambe. Un insecte avait dû s’y poser. La demoiselle s’attendait presque à ce qu’une substance corrosive lui brûle le mollet, mais il n’en était rien. Elle toisait cette abomination comme si elle n’en était plus une.

Ellébore : « Je ne vois pas le moindre signe d’intelligence en toi. Je ne veux pas que tu le prennes mal, bien sûr. Je suis sûre que tu as tout plein de qualités… Aaah, pourquoi j’essaye de me justifier… ? »

La jeune fille désespérait.

Ellébore : « On dit que les monstres ne ressentent rien. Vous êtes moins sensibles que les plantes, et on ne vous considère même pas comme des êtres vivants. Ce serait comme faire exploser une bulle de savon, alors pourquoi je n’y arrive pas… ? »

Même en tentant de trouver les mots qui la pousserait à agir, elle ne put s’y résoudre. La créature en face d’elle avait des yeux, et une langue. Elle se déplaçait sur ses pattes. Aussi absurde que ce soit, du point de vue d’Ellébore, cette mimique lui était similaire en trop de points.

La détective s’agenouilla lentement, et écarta ses deux bras, inquiète. La mimique ne réagissait pas.

Timidement, Ellébore s’approcha, et enlaça prudemment la créature. Ses craintes se dissipèrent. L’abomination n’avait aucune intention de la tuer.

Elle passa ses doigts sur ce qu’on pouvait considérer comme sa tête, puis se mit à sourire.

Ellébore : « Tu n’es ni douce, ni agréable au toucher. On dirait presque que tu es véritablement de bois, comme il fallait s’y attendre. Mais est-ce que ça te fait plaisir ? »

Plutôt qu’à une créature indifférente, elle avait l’impression de s’adresser à un objet inanimé. Et pourtant, même si elle essayait de se convaincre qu’elle n’avait pas la moindre raison de l’épargner, elle n’y parvenait toujours pas.

Ellébore : « Regarde-moi… Je suis en train de parler à un monstre. Pas étonnant de la part d’une fille qui s’attache au moindre insecte qui pénètre dans sa chambre… »

Sa main descendait lentement jusqu’à la langue pendante de la mimique. Elle effleura son collier, agitée.

Ellébore : « Si je te relâche, tu tueras énormément de monde. Tu causeras beaucoup de dégâts. Avec ta force, il faudra énormément de sacrifices pour venir à bout de toi. Et tu es bien trop dangereuse pour être gardée. Tu sais ce que ça signifie, n’est-ce pas ? Peut-être même que si tu le pouvais, tu le souhaiterais toi aussi. C’est pourquoi… Je dois… »

Mimique : « EuuUaAh. »

Ce râle déplaisant l’interrompit. Et de toute façon, elle n’avait pas le cœur à continuer. Elle n’avait pas réussi à manifester l’intention de la faire disparaître.

En se relevant, grimaçant de frustration, elle aperçut, cachée dans la végétation, une cage rouillée qui servait de piège au petit gibier, puis regarda de nouveau le monstre dompté, après un long soupir.

Ellébore : « Rentrons. »



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