Des yeux brillants fixaient le pendentif en jade. Même si Qin Mu n’avait que onze ou douze ans, il comprenait déjà beaucoup de choses.
Un jour, Qin Mu avait accompagné mamie Si partie aider une femme à accoucher. Contrairement à l’épisode tragique qu’il avait vécu précédemment, tout s’était bien passé cette fois-là. La vue de la famille heureuse lui avait réchauffé le cœur.
Qin Mu avait alors eu envie de connaître les circonstances de sa naissance et l’endroit où vivaient ses parents. Mais mamie Si n’en savait rien. Elle avait seulement pu lui raconter qu’elle l’avait trouvé dans la rivière, le pendentif en jade emmailloté avec lui.
C’est ce qui rendait ce bijou si cher aux yeux de Qin Mu. Il espérait pouvoir, un jour, retrouver ses parents grâce à lui et leur demander pourquoi ils l’avaient abandonné.
Qin Mu le rattacha ensuite autour de son cou. Son visage se radoucit alors qu’il mémorisait cet incident bizarre en plus du mystère du pendentif. Mamie Si, qui était restée à l’écart, rentra chez eux juste avant lui.
Le lendemain, Vieux Ma, Aveugle, Boiteux et Muet continuèrent de chasser des bêtes afin de raffiner le sang des quatre esprits pour Qin Mu. Ces quatre hommes dangereux s’étaient surtout concentrés sur la zone autour du village, plus précisément sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Ils devaient donc s’aventurer plus loin s’ils voulaient capturer les bêtes spirituelles qui fourniraient du sang pour le raffinement.
Le chef du village avait du mal à se déplacer seul. Apothicaire s’absentait souvent pour aller cueillir des herbes. Boucher était toujours glacial et se comportait parfois comme un cinglé. Quant à Sourd, il ne s’intéressait qu’à la calligraphie et à la peinture.
Par conséquent, seule mamie Si pouvait tenir compagnie à Qin Mu quand il se perfectionnait.
Cependant, mamie Si n’était pas non plus tout le temps au village. Comme elle était couturière et sage-femme, les villages voisins lui demandaient souvent des vêtements ou son aide pour les accouchements.
Tôt dans la matinée, mamie Si quitta le village et Apothicaire partit à la cueillette. Boucher et Sourd déposèrent le chef du village à l’entrée du village. Puis ils partirent chacun de leur côté, le premier pour aiguiser ses couteaux, le second pour peindre.
Qin Mu s’ennuyait à mourir. Il se rendit donc sur la rive du fleuve. Depuis que sa vache s’était transformée en femme et que Boiteux l’avait poignardée à mort, il avait beaucoup moins de corvées pour l’occuper.
Debout près du fleuve, il prit une profonde inspiration et gonfla ses poumons d’air. Il fit ensuite circuler son Qi vital et sa poitrine retrouva lentement sa taille normale.
Il n’avait pas encore expiré. Au lieu de cela, il utilisa son Qi pour alimenter ses poumons et les rendre extraordinairement durs. Puis il comprima l’air qu’ils contenaient. Il le comprima encore… et puis encore… encore et encore… et cela dix fois.
Qin Mu continua d’inspirer, mais sa poitrine ne se dilatait plus. Au moment où il atteignit sa limite, il s’élança et fonça comme une flèche !
Qin Mu courut sur le fleuve tel un ouragan. Sa vitesse divisa l’eau en deux vagues qui jaillirent dans son sillage.
Puis, d’un seul coup, du métal étincelant apparut au-dessus du fleuve. En pleine course, Qin Mu sortit son couteau Tueur de cochon. La lame scintillait et ressemblait à un dragon nageant dans les airs.
C’était la technique du couteau Tueur de cochon de Boucher ! À l’image de son créateur, cette compétence au couteau était glaciale et possédait une aura sauvage et dominatrice qui refusait de s’incliner devant les cieux et la terre. Le couteau brillait alors que sa lame dansait d’avant en arrière, capable de tout détruire sur son passage.
Sans prévenir, la lueur du métal disparut alors que Qin Mu rangeait le couteau Tueur de cochon dans le fourreau qu’il avait dans le dos.
Passant à la compétence de poing de Vieux Ma, il concentra son Qi vers ses bras et ses mains avant de serrer le poing. Qin Mu ressemblait au Yangtsé qui se déversait sur les plateaux et se précipitait dans le ciel avant de jaillir dans la mer, semblable à un torrent d’eau sans fin.
La Première forme des Huit attaques du coup de tonnerre, le Tonnerre printanier sur la Mer solitaire de l’Est !
Coup de poing après coup de poing, l’esprit de Qin Mu visualisait la scène d’un fleuve déchaîné s’écoulant dans les vagues tonitruantes d’une mer gigantesque. Une essence similaire à celle de son poing se forma également.
Mais au même instant, son poing s’ouvrit à moitié, ses doigts et sa paume tremblant de manière incontrôlée. L’air devant sa paume se comprima rapidement, puis explosa vers l’extérieur, perturbant la surface du fleuve en envoyant des gerbes d’eau alentour.
« Je n’y arrive pas » pensa Qin Mu alors qu’il courait. « Je ne maîtrise toujours pas le tonnerre dans la paume. »
Les épaules de Qin Mu s’affaissèrent sous le poids de sa déception. Pour réussir le niveau le plus bas des Huit attaques du coup de tonnerre de Vieux Ma, il devait maîtriser le tonnerre dans la paume. Chaque coup de poing devait faire éclater le fracas du tonnerre, lequel possédait un pouvoir inouï et pouvait s’emparer des âmes.
Il deviendrait alors un art divin capable d’être entraîné au plus haut niveau où il était possible de contrôler le tonnerre et la foudre avec les mains. Mais Qin Mu était loin d’atteindre ce niveau.
Alors que Qin Mu continuait de courir, il attrapa un bâton de bambou qui était sanglé dans son dos. Même s’il donnait des coups tout autour de lui, il n’exécutait pas une compétence de bâton ordinaire. Ce qu’Aveugle lui avait enseigné était en réalité une compétence de lance. Son bâton de bambou ressemblait à une grande lance qui barattait l’eau du fleuve, semblable à un dragon enragé. Chaque remous, chaque coup et chaque pique s’accompagnait d’une gerbe d’eau.
Satisfait, Qin Mu remit le bâton de bambou dans son dos et le remplaça par un énorme marteau de fer. Puis il frappa plusieurs fois, exécutant par là même la compétence au marteau que Muet le forgeron lui avait enseignée. Cette technique était simple et rudimentaire, mais sa puissance équivalait à une pression de plusieurs tonnes. L’intensité des coups portés par Qin Mu associée à sa course agile incarnaient deux niveaux extrêmes de capacité martiale !
Après avoir couru et pratiqué chacune de ses techniques pendant des heures et des heures, Qin Mu sentit son Qi commencer à s’épuiser. Il était éreinté et sa force l’avait presque entièrement abandonné. Lorsqu’il regarda autour de lui, il se rendit compte qu’il avait parcouru plusieurs dizaines de kilomètres en aval, très loin du Village des Vieux Estropiés.
« J’ai vraiment couru aussi loin sans m’en rendre compte ? » se demanda-t-il.
Qin Mu continua d’inspecter les environs et aperçut une île au milieu du fleuve. Les eaux tumultueuses se jetaient furieusement sur sa rive. Intrigué, il s’y précipita immédiatement.
Il fallut peu de temps à Qin Mu pour poser le pied sur l’île, enfin sur la terre ferme.
Cette île n’était pas très grande. Son emplacement au milieu du fleuve la faisait ressembler à une petite colline à la végétation luxuriante d’environ mille mètres de diamètre et haute de cent trente mètres.
L’île abritait une forêt dense de laquelle s’échappaient seulement des bruits d’eau. Au plus profond de cette forêt, non loin de Qin Mu, se trouvait un temple ancien et délabré.
Qin Mu marcha dans la forêt, en direction du temple. Il pouvait voir la structure en ruine et envahie de toiles d’araignée. Le lieu était clairement à l’abandon. Malgré cela, il pouvait quand même s’y reposer.
Qin Mu s’arrêta devant le temple. L’une des portes d’entrée s’était effondrée, et une faible lumière filtrait à l’intérieur. Il y aperçut une imposante statue de Bouddha couverte de feuilles dorées et de laquelle une lueur ocre émanait.
Mais comme personne n’était venu depuis très longtemps, la plupart des feuilles d’or s’étaient décollées, laissant le cuivre émaillé à nu. On pouvait y lire une écriture étrange et biscornue. Elle ressemblait à des dessins de têtards.
Des chaînes gigantesques et épaisses s’enroulaient autour du corps du Bouddha, le maintenant en place. Qin Mu suivit les chaînes du regard et vit qu’elles s’étendaient du petit temple jusqu’au rivage de l’île avant de plonger profondément dans le fleuve déchaîné.
« C’est étrange… Pourquoi ce Bouddha géant est-il enchaîné ? » se demanda Qin Mu. « Grand-père Aveugle m’a parlé d’une règle à respecter quand on entre dans un temple. Il faut allumer de l’encens. Mais comme je n’en ai pas, je vais me reposer devant l’entrée. »
Qin Mu se racla la gorge, s’inclina puis rendit hommage à Bouddha.
« Ce jeune garçon vient du Village des Vieux Estropiés qui se trouve près du fleuve. Je viens de découvrir votre temple et j’aimerais m’y reposer un moment. Je demande pardon au propriétaire des lieux si je l’ai effrayé. »
Il hésita ensuite quelques minutes avant de poursuivre avec une prière qu’Aveugle lui avait apprise.
« Depuis l’enfance, ce petit n’a pas les reins solides et son corps est fragile. Mon yang primordial s’est depuis longtemps dispersé. Si une sœur déesse se trouve dans ce temple, qu’elle me laisse tranquille. »
Aveugle était un vieux vagabond qui avait vécu beaucoup de choses et Qin Mu croyait tout ce qu’il lui disait. Il lui avait donc été facile de réciter la prière telle qu’Aveugle lui avait enseignée.
Qin Mu s’assit ensuite sur les marches de pierre du temple. Il ôta ses bottes en fer et les poids en fer de ses mollets. Puis, grâce à sa sa technique de respiration, il commença à régénérer son endurance.
Il avait porté ses bottes et les poids pendant toute sa traversée du fleuve. C’est Muet le forgeron qui les avait forgés et ils pesaient beaucoup plus lourds que les précédents.
Soudain, un rire doux résonna derrière Qin Mu.
« Tu as dit quelque chose de très intéressant » fit remarquer une voix féminine. « Hum… Je crois que je ne vais pas te manger finalement. »
Qin Mu se retourna immédiatement pour voir qui avait parlé.
Qin Mu aperçut une petite fille qui semblait avoir son âge, assise sur la paume du Bouddha et se moquant de lui. Elle était pieds nus et portait une robe simple. Trois tresses ornaient sa tête. Deux fines se balançaient sur sa poitrine et la troisième, plus épaisse, lui tombait dans le dos.
Ses jambes pendaient sur le bord de la main du Bouddha et se balançaient d’avant en arrière. À chaque mouvement, ses bracelets dorés tintaient autour de ses chevilles. Le son produit embellissait son rire et faisait penser au soleil au début du printemps.
Qin Mu se leva rapidement et dit : « Comment dois-je m’adresser à sœur déesse…? »
« Quelle sœur déesse ? » La jeune fille sauta de la main du Bouddha et lui fit un large sourire, révélant ses petites canines. « Je m’appelle Xian Qing’er et je vis près d’ici. Je n’ai jamais vu de sœur déesse dans le coin. Comment t’appelles-tu ? »
En voyant le beau sourire de la fille, Qin Mu se dit qu’elle ne pouvait pas être méchante et soupira de soulagement. « Je m’appelle Qin Mu, ce qui signifie le garçon qui élève des vaches. Qin est mon nom de famille. Les anciens du village me laissent m’occuper du troupeau. »
« Oh ? » Xian Qing’er se dirigea vers la porte du temple encore debout et l’ouvrit pour le voir de plus près. Elle regarda ensuite derrière lui et gloussa : « Bah alors, elle est où ta vache ? »
Qin Mu hésita quelques secondes puis répondit : « Elle s’est transformée en femme. Alors il n’y a plus de vache. »
« C’est encore possible de voir une chose aussi intéressante ? » dit Xian Qing’er, stupéfaite. Puis, tout excitée, elle lui demanda : « Comment s’est-elle transformée ? Tu sais te transformer ? »
Qin Mu secoua la tête. « J’en suis incapable, mais ma mamie sait le faire. »
« Je pensais que tu savais ! » rétorqua Xian Qing’er, déçue. « Qu’as-tu vu d’intéressant à part ça ? Vite ! Viens, tu vas me raconter ! »
Juste au moment où Qin Mu allait entrer dans le temple, son regard passa devant Xian Qing’er et il aperçut des os blancs qui dépassaient derrière la statue de Bouddha. Il eut un mauvais pressentiment et s’arrêta net. Il lui dit avec hésitation : « Grand-père Aveugle m’a dit de toujours allumer de l’encens et de rendre hommage à Bouddha avant d’entrer dans un temple. Comme je n’en ai pas, il vaut mieux que je reste ici. »
« Viens ! » répéta Xian Qing’er d’un air cajoleur.
« Je crois que je ferais mieux de rester dehors. » Qin Mu cligna des yeux puis recula. Il lui adressa un sourire bien plus sincère que ceux de Boiteux. « Pourquoi tu ne veux pas entrer ? Allez, comme ça je pourrais te raconter des choses amusantes et intéressantes. »
Le regard de Xian Qing’er hésita légèrement, puis elle se mordit les lèvres et gloussa. « Je connais des choses honteuses que seuls un garçon et une fille peuvent faire. Viens, je vais te montrer. »
Contrairement à tout à l’heure, où elle s’était montrée intelligente et juvénile, son sourire enjôleur et charmeur semblait maintenant légèrement aguicheur.
Le rouge monta aux joues de Qin Mu. Sa respiration devint courte et irrégulière.
Il s’obstina : « Depuis l’enfance, ce petit n’a pas les reins solides… »
« Viens ici tout de suite ! » Un rugissement guttural sortit de la bouche de la petite fille.