« Que fait-on de Sœur aînée Qing ? » Qin Mu se releva avec difficulté. Il regarda Sœur aînée Qing qui n’avait pas encore repris connaissance.
« Pourquoi pas… » Les yeux de mamie Si s’illuminèrent alors qu’elle réfléchissait. Elle poussa Qin Mu du coude, faisant presque tomber le jeune garçon épuisé. Puis elle lui dit avec un regard malicieux : « Pourquoi ne pas la laisser en vie pour qu’elle devienne ta fiancée ? Tu étais si mignon quand tu étais tout petit. Maintenant que tu es grand, tu n’es plus aussi beau. Mais tu pourrais avoir un bébé potelé avec cette jeune femme. Il serait sûrement adorable lui aussi. Tu sais, mamie adore toujours les enfants… »
Qin Mu jeta un regard à Sœur aînée Qing dont la tête ressemblait à celle d’un cochon.
« Mamie, je pense que je préfère ne pas… »
Tchak !
« Dans ce cas, nous devrions la tuer. » dit Boiteux.
À l’insu de tous, Boiteux était apparu derrière Sœur aînée Qing. Il la poignarda en plein cœur, un sourire innocent sur le visage.
« G-grand-père Boiteux… Pourquoi… tu l’as tuée ? » bégaya Qin Mu.
Boiteux retira son couteau, un sourire confus sur les lèvres. « Tu as dit que tu ne voulais pas d’elle, du coup elle devait mourir. »
Qin Mu était en colère. Non parce qu’il voulait avoir un bébé avec Sœur aînée Qing, il n’avait que onze ou douze ans après tout, mais hormis ces vieux monstres qu’il voyait tous les jours, les habitants des villages voisins menaient aussi des vies difficiles. Il rencontrait rarement quelqu’un de son âge.
Même s’il n’avait pas de camarades de jeu, son cœur était toujours celui d’un enfant.
« Rentrons à la maison », décréta le chef du village en regardant les ruines de la vallée.
« Nous sommes tous estropiés, alors personne ne pourra te porter. » Apothicaire sourit à Qin Mu, puis il lui dit : « Ah, c’est vrai ! Nous avons préparé le sang des quatre esprits. Comme tu n’es pas rentré la nuit dernière, j’en ai encore avec moi. »
Qin Mu hocha la tête. Il prit les quatre bols de porcelaine qu’Apothicaire lui tendit et en but le contenu. Il s’efforça ensuite de marcher alors qu’il faisait circuler la technique des Trois élixirs du corps impérial et qu’il assimilait la puissance du sang des quatre esprits. Pendant ce temps, il leur raconta les événements étranges qui avaient eu lieu dans les ruines.
L’impression de calme qui émanait du visage de mamie Si s’effaça : « Des démons et des dieux ? Les ténèbres qui prennent la forme d’un visage gigantesque et des jeunes filles squelettes ? Intéressant… »
Les autres villageois trouvaient également le récit de Qin Mu intrigant, mais aucun n’émit de commentaires.
Qin Mu ne put alors s’empêcher de demander : « Mamie, toi et les autres n’avez-vous pas envie de connaître l’histoire des ruines ? »
Apothicaire soupira : « Le royaume des dieux autrefois prospère… a été réduit en cendres il y a longtemps. Et aujourd’hui tu nous dis que les squelettes des dieux ont bougé et dansé cette nuit. Refuseraient-ils donc de mourir ? »
Sourd fixait Apothicaire pour lire sur ses lèvres, puis il prit la parole : « Même s’ils n’en ont pas envie, pour quelle raison continueraient-ils d’exister après leur mort ? L’histoire de cet endroit n’a aucun intérêt. »
« Es-tu vraiment sourd ? » lui demanda Apothicaire d’un air soupçonneux tout en regardant ses oreilles. Forgées dans du fer blanc comme neige, les oreilles de Sourd étaient complètement métalliques. Elles remplaçaient celles de chair et de sang qui auraient dû s’y trouver, et couvraient aussi le canal auditif.
Sourd se les arracha de la tête. Des bouchons en fer de sept centimètres en dépassaient. Insérés dans ses conduits auditifs, ils maintenaient en place ces substituts d’oreilles sur sa tête.
« T’as qu’à te les enfoncer dans le crâne ! » rétorqua Sourd froidement, « Comme ça, tu sauras si je suis vraiment sourd ! »
Apothicaire esquissa un sourire et resta silencieux.
Sourd les remit en place, puis se tourna vers Muet et lui dit : « Ces derniers temps, elles me font un peu mal. Il faudrait que tu m’aides à les ajuster. »
Muet le forgeron hocha la tête pour acquiescer.
Cette famille de vieillards laissa Qin Mu sans voix. Il ne comprenait pas comment les oreilles de Sourd pouvaient les intéresser plus que les ruines.
« Mu’er, les Grandes Ruines dissimulent trop de mystères » dit mamie Si en lui souriant. « Dans cette vallée, en plus du royaume des dieux, il existe d’innombrables énigmes. Si tu y penses tout le temps, tu ne seras plus capable de faire autre chose. »
Tandis que leur groupe marchait en direction du Village des Vieux estropiés, le chef déclara d’un air grave : « Puisque tu as réussi à te battre contre l’épée au trésor de ce jeune homme en te servant d’un bâton de quarante centimètres comme d’un couteau, cela veut dire que tes attaques étaient puissantes. Cette expérience t’a été très profitable. »
« Pourquoi est-ce que je n’ai pas pu contrôler les objets comme eux ? » demanda Qin Mu, le cœur tremblant. « Mon Qi n’a pas pu imprégner plus de quarante centimètres de cette branche de saule. »
Il ressentait une grande jalousie à l’encontre de ses adversaires qui avaient été capables d’utiliser leur Qi pour manier leur épée.
Apothicaire secoua la tête en silence. Le Qi des gens ordinaires ne possédait pas d’attribut. Manipuler des objets leur était impossible car leur Qi ne pouvait pas exécuter une telle technique.
Or Qin Mu était un garçon ordinaire. Il relevait déjà de l’exploit qu’il ait renforcé une branche de saule avec son Qi et qu’elle ne casse pas lors de son combat contre un adepte martial aussi bien entraîné que Frère aîné Qu.
« Tu n’as pas encore éveillé ton corps impérial ni ton Trésor divin de l’Embryon spirituel. Alors ne t’inquiète pas. » Le chef du village regarda Qin Mu d’un air serein. « Avoir vaincu un combattant talentueux du royaume de l’Embryon spirituel alors que tu n’as pas atteint l’état d’éveil signifie que ton niveau dépassera tous les autres lorsque ton corps impérial sera éveillé. »
Mamie Si et ses compagnons étaient également fiers de Qin Mu. Frère aîné Qu était un combattant de haut rang dans le royaume de l’Embryon spirituel. Il pouvait même utiliser son Qi pour contrôler son épée en la gardant près de lui. Cette capacité prouvait qu’il n’avait pas été loin d’atteindre le royaume des Cinq éléments.
En ayant battu à mort Frère aîné Qu avec une simple branche d’arbre, Qin Mu avait démontré que le chef du village n’avait pas menti au sujet du corps impérial dont personne n’avait encore jamais entendu parler !
Les paupières d’Apothicaire tressautaient alors qu’il était plongé dans ses pensées.
« Tôt ou tard, tout le monde découvrira que Mu’er n’est qu’un enfant ordinaire. Quand ce jour viendra, le désespoir leur fera tous perdre la tête. Cependant… je trouve très étrange qu’il ait réussi à tuer un adversaire aussi fort avec son petit bout de bois. Est-ce qu’il possède vraiment un corps impérial ou a-t-il seulement bénéficié de la puissance du sang spirituel ? »
Malgré son vaste savoir, ces questions sans réponse déconcertaient Apothicaire.
La consommation du sang des quatre esprits avait donné un coup de fouet au Qi de Qin Mu. Ses muscles tétanisés se régénéraient, son sang circulait plus lentement alors que son Qi s’écoulait plus rapidement. Sa fatigue disparaissait peu à peu et, inconsciemment, Qin Mu pressait le pas.
Une expression d’étonnement s’afficha sur le visage de Vieux Ma, Boiteux et des autres villageois. Cependant ils demeurèrent silencieux et continuèrent de suivre Qin Mu.
Qin Mu s’était rendu compte qu’il perfectionnait sa maîtrise de la technique des Trois élixirs du corps impérial s’il se concentrait dessus en courant. Grâce aux effets du sang des quatre esprits, il l’améliorait encore plus rapidement, au point qu’il oublia tout ce qu’il l’entourait et se mit à accélérer.
Ses muscles endoloris ne furent bientôt qu’un lointain souvenir alors qu’il courait de plus en plus vite. Son Qi circulait dans tout son corps à une vitesse toujours plus grande, et se répandait dans sa chair, ses os, ses cheveux et ses ongles.
Qi Mu courait aussi vite qu’il le pouvait. Peu à peu, il atteint une vitesse qu’il n’avait encore jamais égalée et la dépassa. Mais il n’en avait pas conscience. Il se sentait simplement de plus en plus serein alors qu’il prenait un plaisir immense à courir.
Des gouttes de sueur commencèrent à perler sur sa peau. Des saletés noires et de la graisse blanche se mélangeaient à sa transpiration.
Mais… Qin Mu ne ressentait aucun changement dans son corps.
Apothicaire et le chef du village échangèrent secrètement des regards stupéfaits.
« Vieux Ma, quand ton Qi a-t-il commencé à agir sur ton corps ? » demanda Apothicaire.
« J’étais au sommet du royaume de l’Embryon spirituel », répondit Vieux Ma avec sérieux. « J’entraînais mes poings quand d’un seul coup mon premier art divin s’est déclenché, l’Art de l’amélioration poing-corps. Mon Qi ressemblait à des dragons azur qui s’enroulaient autour de mes bras. »
Apothicaire regarda alors Boiteux qui lui répondit à son tour.
« Moi aussi, j’étais aussi au sommet du royaume de l’Embryon spirituel. Le jour où c’est arrivé, j’essayais de rattraper le vent. Je voulais me promener dans le ciel et marcher sur le bord de cette bourrasque. Et brusquement, j’ai découvert la merveilleuse amélioration du corps du Qi. Mon Qi a commencé à siffler par tous les pores de ma peau comme siffle le vent. J’étais surexcité. Et puis, tout de suite après, je suis tombé du ciel et j’ai failli mourir. »
« J’ai vécu la même chose », soupira Apothicaire. « J’essayais d’améliorer mon corps en utilisant mon Trésor divin de l’Embryon spirituel. Je m’en suis servi comme d’un four avec mon Qi comme herbes. Grâce à cela, j’ai découvert les merveilles de l’amélioration du Qi. Qin Mu, lui, n’a même pas brisé son premier mur qu’il commence déjà à perfectionner son corps. »
« Un corps impérial est très dominateur. » dit Boiteux en riant. « Nous autres, les corps spirituels, nous ne pouvons pas nous empêcher d’être jaloux. »
Une expression étrange s’afficha sur le visage d’Apothicaire mais il n’ajouta rien.
Un corps impérial ?
Si Qin Mu avait vraiment un corps impérial, cela ne l’aurait pas autant surpris.
Boiteux et Vieux Ma en parlaient comme si Qin Mu possédait un tel corps, mais lui connaissait la vérité. Devancer les possesseurs d’un corps spirituel et atteindre l’amélioration du corps de façon aussi précoce en dépit d’une constitution humaine ordinaire… Qu’une telle chose soit possible stupéfiait le puissant combattant qu’était Apothicaire, malgré tout son savoir.
« Mu’er n’a pas encore éveillé son corps impérial, mais quand il l’aura fait, il pourra en utiliser le Qi pour contrôler des objets, hé hé ! » dit mamie Si avec enthousiasme. « Le précepteur impérial de l’Empire éternel lui-même ne lui arrivait pas à la cheville au même âge, hein ? »
Le cœur d’Apothicaire se serra en regardant le chef du village.
Le chef du village demeura silencieux.
Le corps impérial n’existait pas, alors jamais il n’y aurait de Qi du corps impérial. Le Qi ordinaire n’avait pas la capacité de contrôler les objets. Quand Qin Mu s’en rendrait compte, la vérité éclaterait au grand jour.
Mais avant cela, Qin Mu devait d’abord « éveiller » son « corps impérial », ce qui signifiait qu’il allait devoir briser son Mur de l’Embryon spirituel.
Comment un humain ordinaire pourrait-il briser un tel mur ?
Le chef du village fronça les sourcils.
Boire le sang des quatre esprits avait-il un quelconque effet sur Qin Mu ? Combien de temps pourrait-il encore cacher la vérité aux autres ?