Livre 2, Chapitre 14 – Passer à l’étape suivante
Cloudhawk n’avait pas quitté sa chambre.
Pendant ce temps, l’armée avait commencé son enquête.
Les hommes du capitaine de la garde avaient été explicitement avertis de ne pas mettre Cloudhawk dans leur rapport. Il avait été effacé. Squall avait eu l’honneur d’être celui qui avait découvert les espions, et on avait dit que c’était Barb qui avait dirigé leur équipe. C’était le capitaine et ses hommes qui avaient exécuté l’opération.
Il était également prudent. Comme il n’était jamais allé à Skycloud ou n’avait jamais rencontré le gouverneur Arcturus, il ne pouvait pas révéler son identité. Sinon, il ne ferait que se créer plus de problèmes. Démanteler un réseau d’espionnage était certainement un acte méritoire, mais comparé à ce qu’il avait déjà accompli, cela ne méritait pas d’être mentionné.
Il avait décidé d’attendre un peu avant de repartir.
Une clameur venue de l’extérieur le réveilla. Quelqu’un criait dans les rues du Sandbar,
« Brûlez-le ! Brûlez le blasphémateur ! »
Il était parti à la recherche de la source du grabuge avec plusieurs autres. Un groupe de soldats escortait un homme âgé avec une barbiche, dont les vêtements en loques ne lui laissaient que peu de dignité. Ils l’avaient fait défiler autour de l’avant-poste avant de s’arrêter au centre de la ville où un pieu était sorti du sol.
S’agissait-il de son exécution ? Il n’y avait pas de combustible autour du bûcher.
Une foule de toutes sortes avait commencé à se rassembler. Excitée, celle-ci désignait les condamnés, car un tel spectacle était rare. Parmi les autres, il y avait une figure particulière qui était vêtue d’un long manteau noir. Il était grand et imposant, ce qui le rendait facile à repérer dans la masse. Physiquement, il n’était pas très différent des autres, mais son allure avait quelque chose qui faisait que les gens autour de lui gardaient inconsciemment leurs distances.
Adder. Il était venu se joindre à la fête ?
« Hé mec, tu te montres enfin. » Squall avait repéré Cloudhawk et avait trotté. « Ce n’est pas quelque chose que tu voulais manquer, hein ? »
« Qu’est-ce qui se passe ? »
Il soupira. « C’est un vieux dur. Ils l’ont interrogé pendant trente heures, mais il n’a jamais dit un mot. Ils ont peur qu’il ne dure pas longtemps, alors ils ont décidé de l’exécuter publiquement. »
Cloudhawk se retourna vers le vieil homme et vit les marques de torture partout sur son corps desséché. Tous ses ongles avaient été arrachés, et ses mains étaient gravement mutilées. Les blessures le couvraient de la tête aux pieds, et le sang avait rendu sa robe grise marron.
Ils n’avaient rien eu, alors ils allaient juste le tuer ? C’était un dangereux criminel. Ne devraient-ils pas l’amener devant un juge ? Est-ce qu’ils allaient vraiment exécuter des gens ici ? Cela semblait extraordinaire, mais il ne posa pas de questions.
Un homme en manteau rouge s’était avancé en portant un livre. D’un air solennel, il regarda le vieil homme qui tenait à peine debout. Devant la foule enthousiaste, il annonça les crimes de l’homme, révélant qu’il était membre de l’organisation terroriste Dark Atom. Il avait été accusé d’avoir espionné pour eux ici au Sandbar pendant des années et de leur avoir fourni des armes ainsi que d’avoir planifié des attaques terroristes contre la population.
Alors que l’homme en rouge prononçait son jugement, l’expression du vieil homme n’avait jamais changé. Du début à la fin, il avait gardé le sourire, alors que le sang coulait des coins de sa bouche. Il n’avait pas peur, même face à une mort imminente.
Le saint homme se tenait devant le rebelle et criait d’une voix tonitruante, au-dessus du vacarme : « Te repens-tu de tes péchés ?
« Quels péchés ai-je commis ? » Il restait calme alors que le spectre de la mort s’abattait sur lui. Fermant les yeux, le vieil homme répondit d’une voix glacée : « Je n’ai commis aucun péché ! »
L’homme à la voix rouge était tout aussi insensible. « Tu as recueilli des biens interdits, travaillé avec Dark Atom, effectué des recherches maléfiques, et pourtant tu prétends ne pas avoir blasphémé contre la volonté des dieux ! »
Le rebelle toussa, bien que l’effort le peinait clairement. Son bouc ensanglanté frémit. « J’ai étudié les sciences. Je cherche la vérité ! La science est-elle une hérésie ? La vérité est-elle un péché contre vos dieux ? »
« L’accusé est impénitent ! » La voix de l’homme en rouge était pleine de condescendance. « Les dieux nous ont appris que ce sont nos désirs qui sont la source de la ruine ! Le désir et l’avidité sont les chaînes qui nous enchaînent à un passé de calamité. Il n’y a pas de chemin à suivre, et de chaque côté se trouve une éternité de damnation. Un hérétique sans foi comme toi ne pense qu’à ses propres intérêts. Tu ne te soucies pas de la paix dans le monde. Tu suis un chemin d’autodestruction, et en tant que représentant des dieux, il est de mon devoir de purger cet élément dangereux de notre milieu ! »
« Purifiez-le ! »
« Purifiez-le ! »
La foule éleva sa voix assoiffée de sang, appelant au spectacle.
« Dieux magnifiques d’en haut, écoutez nos prières… » L’évangéliste avait ouvert le grand volume dans ses mains et, avec une voix basse et solennelle, s’était mis à lire. La prose était longue et verbeuse. Finalement, il arriva à la fin : « Que les feux sacrés, nés dans les salles voûtées du ciel, descendent pour purifier l’âme des incroyants ! »
L’homme à la barbiche avait soudainement commencé à se débattre. Son visage se tordit d’agonie et de désespoir alors que les spectateurs le regardaient sans voix.
Le vieil homme avait éclaté dans une colonne de feu blanc. Les flammes ne lui avaient pas été infligées de l’extérieur mais de l’intérieur. Bientôt, l’odeur nauséabonde de la chair brûlée avait envahi la place.
« Pourquoi craignez-vous la science ? Pourquoi craignez-vous la vérité?! »
« Qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes si juste et noble?! »
« Il n’y a pas de dieux ici ! C’est un mensonge. C’est un canular ! Nous n’avons pas de dieux, mais cela ne signifie pas que nous n’avons aucune foi ! »
« J’attendrai dans les feux de l’enfer pour vous et vos dieux. Je regarderai depuis l’incendie pendant que vos magnifiques églises et vos somptueux palais s’effondrent. Mes malédictions seront dans chaque coup de feu, et vous hanteront jusqu’à la fin des jours ! »
Les dénonciations hystériques du vieil homme avaient sonné dans les oreilles de tout le monde et leur avaient fait dresser les cheveux. Mais, quelle que soit la force de sa volonté, son corps ne pouvait pas résister aux flammes affamées. Quand le saint châtiment cessa, il ne restait plus rien qui ressemblait à un homme. Tout ce qui restait était un tas de cendres. C’était comme s’il n’y avait jamais eu personne.
« Que toute âme qui marche sur le mauvais chemin soit livrée au salut. » L’évangéliste avait regardé dans le ciel avec une expression de désespoir pour les péchés de l’humanité. Il avait parlé solennellement aux autres : « L’humanité a fait face à la destruction il y a des milliers d’années. Sans les dieux, il n’y aurait même pas un pouce de terre sanctifiée pour que nous puissions en profiter. Sans les dieux, notre espèce pitoyable se serait effondrée sous le poids du mal. Sans les dieux, nous serions les esclaves des démons. Toute notre puissance, nos villes, notre terre, notre foi, notre gloire, notre nourriture et notre eau – tout cela nous a été accordé par la grâce des dieux ! Mais plus que cela, ils nous ont montré la bonne voie. »
L’homme en rouge continua à exposer la gloire des dieux.
« Les dieux sont grands parce qu’ils n’exigent rien de vous. Ils n’interfèrent pas avec vos vies. Ils sont grands, ils sont légers, ils sont justice et ils sont pureté ! Sa voix était forte et limpide, résonnant dans les airs avec une conviction intrépide. « S’il vous plaît, renforcez votre foi ! Lorsque les croyants tirent leur dernier souffle, leur âme est transportée vers la montagne sacrée où ils se prélasseront pour toujours dans la sainte splendeur de nos bienfaiteurs. Les blasphémateurs, cependant, ne peuvent rien attendre d’autre que la purification par le feu sacré !
Une grande et impénétrable puissance balayait la foule, la faisant frissonner. Beaucoup tombèrent à genoux par dévotion.
Les visages étaient inondés de piété et d’hystérie. Les agnostiques avaient même obéi à la foi par peur des conséquences. Une fois que l’évangéliste avait terminé l’exécution, un groupe de gardes l’avait entouré et il était parti. La foule, cependant, restait pour prier et remercier les dieux.
Cloudhawk regarda l’homme partir. « C’est… »
Squall était surpris. « Tu ne sais pas ? Ils sont de l’église Crimson. »
L’Église Crimson était une église dans les régions frontalières qui croyait aux dieux des terres Élyséennes. Dans leur dévotion zélée, ils érigèrent des temples à la gloire du saint panthéon. Afin de soutenir la doctrine religieuse dans ces terres païennes, les Élyséens avaient soutenu leur existence. Tant que l’on n’enfreignait pas certains principes de base, toute organisation pouvait prétendre être affiliée.
Il y avait des églises qui adoraient de nombreux dieux, et il y en avait qui n’en adoraient que quelques-uns. Les fidèles étaient venus dans de nombreuses variétés différentes, de sorte que la plupart des organisations saintes avaient des doctrines différentes. La plupart des fidèles adoraient selon leur profession et leur situation dans la vie.
Par exemple, l’Église des Artisans adorait le dieu forgeron, dieu des artisans. Les membres de cette église étaient des architectes, des charpentiers ou des bijoutiers. Le dieu forgeron était le plus créatif des dieux, et on disait que l’équipement des guerriers saints – de leur armure resplendissante à leurs armes divines – était fabriqué selon les méthodes que leur enseignaient les forgerons. Ainsi, on s’attendait à ce que leurs églises soient remplies de personnes exerçant des métiers connexes.
Une église adorait de nombreux dieux, et un dieu pouvait être adoré par de nombreuses églises. C’était une pratique courante.
L’Église Crimson était une nouvelle organisation ici dans les régions frontalières. Leur évêque s’appelait Crimson un, ce qui avait donné son nom à l’organisation. Les dieux qu’ils servaient étaient des dieux de la punition et de l’absolution, ils préconisaient donc souvent la purification des blasphémateurs chaque fois qu’ils étaient découverts. Ils étaient actifs dans les régions frontalières, répandant l’évangile et infligeant la punition aux hérétiques.
Cloudhawk ne pouvait pas comprendre les méthodes utilisées par ces Élyséens. Quels étaient les dieux, vraiment ?
Il n’en avait jamais rencontré. Bon sang, il pensait que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Élyséens n’en avaient jamais rencontré. La plupart de ce que les gens savaient sur les dieux n’étaient essentiellement que des suppositions. La race mystérieuse des êtres suprêmes était plus une légende qu’autre chose. Aucun n’avait été vu depuis des années. Cependant, il avait rencontré les créatures contre lesquelles ils s’étaient battus : les démons. Il en avait même tué un. Ainsi, en ce qui le concerne, ces dieux et démons n’étaient que des espèces plus fortes.
Quel droit avaient-ils d’exiger une telle foi des humains ?
« Le Crimson un a créé l’Église pourpre il y a environ dix ans, et ils sont déjà devenus l’une des églises les plus influentes des terres saintes. » Squall pressa ses mains l’une contre l’autre devant lui avec révérence. « Ils invoquent le « châtiment » du ciel qui fait brûler spontanément les incroyants. Penser à ça me fait frissonner. »
« Fustigation. »
Cloudhawk ricana derrière son masque. Ces gars-là ridiculisaient le public en rendant une chose simple beaucoup plus mystérieuse qu’elle ne l’était.
Juste avant que le vieil homme ne brûle, Cloudhawk avait senti un flottement. C’était une vibration que les gens ne pouvaient ni ressentir ni entendre. Il était peut-être la seule personne capable de le sentir – c’était une relique !
La chose qu’ils avaient appelée Fustigation, ce feu sacré ? Cela ne venait d’aucun dieu. C’était quelqu’un qui attaquait secrètement le vieil homme. Ce n’était rien de plus qu’un mensonge pour faire croire aux gens qu’ils avaient l’oreille d’un dieu !
En réfléchissant à cela, Cloudhawk leva la tête et regarda à travers la foule. Adder le regardait, et leurs yeux se rencontrèrent sur une distance de plusieurs mètres – se heurtant comme deux épées et crachant des étincelles. L’homme mystérieux hocha la tête et lui lança un sourire intrigant avant de disparaître dans la foule.
Cloudhawk ne voulait pas se mêler de choses qui n’étaient pas son affaire. Dark Atom savait probablement qui il était maintenant, il n’était donc pas sage de s’attarder plus longtemps dans le Sandbar. Plus il restait, plus les assassins de Dark Atom viendraient à la recherche de vengeance. Il ne voulait pas imaginer comment une telle rencontre se déroulerait. Adder était rusé et sage de ne pas s’impliquer directement. Outre la possibilité de faire tomber la colère de la ville sainte sur sa tête, il devait savoir que Dark Atom ferait payer tous ceux qui faisaient partie de cette entreprise.
Les choses étaient devenues dangereuses. Il ne pouvait pas rester ici.
Il était temps de partir, il fallait passer à autre chose !