Au-delà du Mur | Across the Wall
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Chapitre 2 : Une rencontre inattendue
Chapitre 1 : Quel est ce monde ? Menu Chapitre 3 : l’Elfe chasseuse

 

Quelque part, situé dans une contrée lointaine, à la terre inerte et infertile, où le silence avait ôté le chant aux oiseaux, un être vêtu d’une armure ébène se tenait impassible face au vent soufflant. Deux lueurs pâles à l’intérieur de son casque fixaient l’horizon quand elles vacillèrent subitement, éveillant la machine endormie de son sommeil.

Il sentit une fluctuation dans l’harmonie du monde. Il n’en connaissait pas les raisons, mais il savait d’où elle provenait. Il tourna la tête dans une direction précise et ne la quitta pas un seul instant.

“Hmm…”

Soudain, une énergie sombre et brumeuse surgit de son corps par les interstices de son armure, repoussant sauvagement l’air autour de lui. Et puis, dans un éclair assourdissant, il disparut, ne laissant qu’une trace noire comme le charbon.

***

Nous avancions dans la canopée luxuriante, gagnés par un mélange d’appréhension et de curiosité mais, parce que nous ne savions pas où aller, ces sentiments s’étaient amplifiés avec le temps. Quand ce rugissement s’était fait entendre, nous n’avions pris aucun risque et étions partis dans la direction opposée.

En ce moment, nous nous dirigions entre les arbres aux cimes si hautes qu’elles recouvraient le ciel et plongeaient la forêt dans la pénombre. Pourtant, il ne faisait pas aussi sombre au sol. Les rayons solaires parsemaient mon champ de vision d’une myriade de colonnes lumineuses.

Depuis notre départ, je ne pouvais m’empêcher d’être épaté par l’étrangeté de ce monde. Si certains arbres avaient des tailles relativement normales, d’autres nous surplombaient de plusieurs centaines de mètres par moments. Leurs racines, larges comme dix hommes mis côte à côte, sortaient de terre tels des serpents enragés et se tordaient dans tous les sens avant de revenir dans le sol meuble, créant de longs tunnels à travers lesquels nous pouvions passer sans peine. Face à eux, nous n’étions que des insectes insignifiants.

Cette scène aurait pu sortir tout droit d’un film fantastique, mais une chose manquait à ce décor idyllique : où étaient les animaux ? Où que nous allions, pas un chant d’oiseau dans les arbres, pas un chevreuil ou lapin en vue, juste le bruissement du feuillage et le ronronnement du moteur.

Pour quelles raisons étions-nous seuls ? Était-ce dû au bruit assourdissant de ma moto ? Pire, se pouvait-il que nous soyons ici les seuls êtres vivants ? Cette dernière pensée me fit frissonne, pendant que nous enfoncions toujours plus loin dans la forêt. J’avançais à l’aveugle et c’était pareil pour le Saint-Es…

Toussotements.

Hum, je voulais bien sûr dire que c’était pareil pour Nyfeirg. Nous n’avions pas échangé un seul mot depuis notre départ. Pourtant, il n’y avait aucun malaise, je n’étais simplement pas bavard ; elle non plus. Quelque part, on se ressemblait. Néanmoins, cela ne signifiait pas qu’il n’y avait pas d’échanges. Ce n’était pas flagrant, mais par moments, je sentais le véhicule bouger de lui-même. Cela se produisait surtout quand je manquais d’attention ; sans que j’aie à faire quoi que ce soit, mon guidon tournait légèrement dans une direction ou une autre afin d’éviter un obstacle.

Puisque nous partagions un lien tous les deux, je supposais qu’elle devait percevoir mes pensées et anticiper alors les actions à mener. Les premières fois m’avaient déconcerté, car je n’étais alors plus le seul maître à bord, mais à y regarder de plus près, c’était assez pratique en fin de compte. Cela me faisait penser à ces véhicules bardés de capteurs, capables de se mouvoir sans aucune action humaine. C’était une véritable avancée scientifique. Et même si je n’y comprenais pas grand-chose, j’en étais bluffé.

“On n’arrête pas la technologie,” pensai-je.

Toutefois, elle était différente. Outre son apparence peu commune, elle était plus qu’une simple motocyclette ; elle était un être vivant à part entière, pas un simple ordinateur répondant à une programmation. Malgré tout, assis sur la selle, je la définissais plus comme une extension de moi-même.

La forêt n’en finissait pas de s’étendre et l’horizon s’arrêtait à une centaine de mètres devant moi. C’est à ce moment que j’entendis mon ventre grommeler.

“J’ai la dalle, mais où vais-je trouver à bouffer ?” pensai-je. “Nyfeirg, avançons un peu,” dis-je.

Nous accélérâmes sensiblement. Peu de temps après, nous arrivâmes près d’un lac aux eaux transparentes, alimenté par une cascade prenant sa source sur les hauteurs d’une montagne aux flancs escarpés et tranchants. Un torrent s’y était formé sur une partie de la berge sableuse et s’échappait en serpentant à travers les arbres.

“Whaou…”  murmurai-je de stupéfaction.

La vue majestueuse était à couper le souffle. Le fait que j’avais peu voyagé dans ma vie passée y contribuait également. Y avait-il aussi de tels paysages sur Terre ?

Ce n’est que lorsque Nyfeirg coupa son moteur que nous fûmes submergés par cette douce mélodie naturelle. Après avoir débarqué, je m’approchai de la rive et examinai l’eau un instant. L’envie d’étancher ma soif était grande. Je m’agenouillai et m’apprêtai à boire quand ma partenaire m’interpella au même moment.

“Fais attention, John. On ne sait pas si cette eau est potable…”

Surpris par son attention, je hochai la tête puis plongeai mes mains dedans. Elle était fraîche et apparaissait propre ; c’était d’autant plus difficile de l’imaginer imbuvable. J’approchai mon visage de la surface et humai l’odeur qui s’en dégageait : rien de nauséabond ; tout semblait sûr. J’apposai alors mes lèvres à sa surface et ingurgitai le liquide d’une traite. Une agréable sensation coula à travers ma gorge et je sentis que ma faim s’atténuait progressivement. Après m’être désaltéré, je me laissai choir sur le dos et soupirai de bonheur.

“Délicieuse.”

Elle possédait un petit arrière-goût parfumé qui contrastait avec les souvenirs de ma vie antérieure.

“Tout va bien, John ?” me demanda Nyfeirg, inquiète.

“J’ai jamais bu quelque chose d’aussi bon,” m’exclamai-je avec délectation. “Par contre, c’est pas avec ça que je me nourrirai…”

Je regardai autour de moi, mais je ne voyais toujours aucun animal à proximité. Je commençai à m’inquiéter. Maintenant que le problème de l’eau était résolu, celui de la nourriture demeurait. Mourir de faim était la pire des choses et cette simple idée m’en donna la chair de poule. Je secouai la tête pour la chasser de mon esprit.

Subitement, non loin de moi, un reflet attira mon attention. Il n’était pas flagrant, mais suffisant pour m’interpeller ; une ombre argentée se déplaçait nonchalamment sous la surface de l’eau.

“Ce serait pas…”

Elle ne semblait pas particulièrement se méfier de moi et s’approchait lentement tout en zigzaguant jusqu’à ce que je puisse en distinguer nettement les contours.

“Un poisson !” m’écriai-je de joie. “Étrange, je pensais qu’ils n’approchaient pas.”

Il nageait tranquillement, à seulement quelques mètres, et hésitant à agir, mon ventre se mit à gargouiller. Il ne me fallut pas longtemps pour me décider. Cela étant, attraper un poisson, sans canne à pêche, était une tâche ardue. N’ayant aucune solution de secours, je décidai de tenter ma chance et ôtai mes affaires avant de m’immerger dans le lac.

“Vas-tu vraiment y arriver ?” ricana Nyfeirg.

“Laisse-moi faire, je l’aurai ! J’en suis certain,” répliquai-je avec audace.

D’un tempérament compétiteur, je résistais mal aux défis. L’assurance me gagnait et l’échec avait disparu de mon vocabulaire. De plus, le poisson continuait à se rapprocher, je ne devais pas le rater.

“Patience… Encore un peu… Viens par ici…” murmurai-je tout en l’observant, immobile.

Tel un aigle se préparant à fondre sur sa proie, j’attendis le moment opportun pour me jeter sur lui. Peu à peu, la tension montait tandis que la distance entre le poisson et moi diminuait. Il ne restait plus qu’un petit mètre…

“Allez… Ne sois pas timide…”

Quand il fut à bonne distance, mes mains plongèrent dans l’eau et se saisirent de lui… Du moins, c’était ce que j’avais espéré, mais la réalité en fut autrement. Dès que l’eau redevint claire, je constatai que le poisson m’avait échappé et s’était éloigné de seulement quelques centimètres, comme pour me narguer de mon incompétence.

“Fais le malin. On verra qui gagnera…” grommelai-je.

Je pris mon mal en patience et attendis qu’il approche avant d’assener un horion sur la surface de l’eau translucide. Malheureusement, ma tentative se solda par un échec.

“Enfoiré de poisson !” colérai-je.

Alors que je m’apprêtais à le courser, mon pied trébucha sur une pierre et je m’effondrai dans un grand plouf. Je regardai, hébété, mon repas s’éloigner, le corps complètement trempé.

“Belle tentative,” s’esclaffa Nyfeirg.

“Ah ah…”

J’étais humilié et de mauvaise humeur. Je frappai l’eau avec exaspération avant de revenir sur la berge, bredouille. J’avais besoin de me calmer les nerfs. Je fouillai les poches de mon manteau étendu à terre dans l’espoir d’y trouver mon paquet de cigarettes. Je priais pour qu’elles y soient.

“Ah, super !” m’exclamai-je de joie en le tenant entre mes doigts. “Est-ce qu’il serait aussi là… ? Seigneur, je vous remercie de votre grande miséricorde !” déclarai-je en saisissant mon briquet.

Sans hésiter, je m’allumai une cigarette et tirai quelques bouffées avec énervement. La fumée fantomatique s’éleva dans les airs un instant avant de disparaître. Je m’assis ensuite à côté de mes affaires, frigorifié, le regard vide. Je n’avais peut-être rien gagné, mais je pouvais toujours me réconforter avec ces vieilles amies.

“Il y aura bien d’autres occasions,” me dit Nyfeirg, calmée.

“Ouais…” répondis-je, sans conviction.

Je venais de terminer ma cigarette et étais sur le point d’en reprendre une quand ma main se stoppa.

“À ce rythme, je n’en aurais plus.”

Je me demandai si ce monde en possédait aussi. Le cas échéant, il s’agissait certainement du dernier plaisir que je pourrais goûter avant un long moment. Avec une pointe de déception, je rangeais finalement le tout dans ma poche dans l’attente d’une autre occasion.

À présent, il me fallait me réchauffer. Je pouvais toujours allumer un feu mais il me manquait le bois.

“Je reviens,” dis-je en me relevant.

Nyfeirg ne dit rien, mais je sentais son regard sur moi. Un peu plus tard, je revenais avec des brindilles et des branches que j’avais trouvées ci et là.

Clic.

Le feu brûlait avec vigueur tandis que mon corps se réchauffait progressivement. Je ne portais plus que mon caleçon, mais au vu de la situation, je n’en avais rien à faire. Mon regard se porta sur Nyfeirg naturellement. Était-ce une femme ou un homme ? Comment devais-je la considérer ? Je lui avais donné un prénom, je lui avais attribué un sexe, une identité, sans vraiment prendre en compte ce ‘détail’. J’avais toujours associé les motos à des femmes, et par conséquent son genre également ; j’avais peut-être commis une erreur.

“Dis,” demandai-je avec appréhension.

“Quoi donc ?”

“Es-tu une femme, ou un homme ?”

Il y eut un silence à ce moment, ponctué par le crépitement des braises.

“Désolé,” dis-je en me grattant la tête, embarrassé.

Un long moment passa sans qu’aucun de nous ne dise un mot. C’est alors qu’au milieu de cette ambiance pesante…

“Je ne suis ni l’une ni l’autre,” répondit-elle mystérieusement.

“Qu’est-ce que tu veux dire ?” demandai-je, circonspect.

“Je ne suis qu’une moto. Est-ce important de savoir si je suis femme ou homme ?”

Je me grattai la tête nerveusement. Je ne m’attendais pas à ce revirement de situation. Cette problématique de n’être ni femme ni homme me dépassait complètement. Peut-être étais-je trop bête pour le comprendre ? Ou étais-je trop ancré dans mes certitudes ?  En toute honnêteté, qu’elle soit l’un ou l’autre, je m’en fichais, néanmoins c’était la première fois que je faisais face à ce cas. Après y avoir réfléchi longuement, je fis claquer ma langue d’exaspération.

“Non, fais comme tu le sens,” déclarai-je finalement.

“Merci, John.”

Je hochai de la tête tout en fixant en silence le feu dansant devant moi, plongé dans mes pensées.

Mon ventre gargouilla à nouveau. Ne pouvant plus le supporter, il ne me restait plus qu’une solution : chasser. Je ne l’avais jamais pratiqué, et pour ce faire, un fusil était requis, chose que je ne possédais pas. Comment allais-je faire ? Il devait bien y avoir un autre moyen.

“Je vais voir si je trouve quelque chose,” dis-je en me rhabillant.

“S’il y a un problème, crie et j’arriverai sur-le-champ.”

Je quittai Nyfeirg, qui m’observait avec une certaine inquiétude, et m’avançai dans la forêt, pieds nus. Je pris une branche à l’apparence solide sur ma route et ôtai les morceaux qui ne m’intéressaient pas, jusqu’à me retrouver finalement avec une sorte de bâton pointu. Je n’avais pas de couteau donc je dus me contenter de ça. Maintenant, j’avais une arme qui pouvait me protéger, bien que relativement.

Tout en marchant, je pouvais ressentir les aspérités du sol, c’était une étrange sensation qui n’était pas désagréable.

Quelques minutes plus tard, je me retrouvai seul, éclairé par les rayons timides des deux étoiles qui dominaient le ciel. Autour de moi résidait un silence pesant quand tout à coup, j’entendis des branches être brisées, des feuilles balayées, des grognements émis. Je m’arrêtai et regardai en leur direction. La chance venait de me sourire. Être éloigné de quelques centaines de mètres de Nyfeirg avait suffi pour que la vie reprenne son cours. Mais alors, pourquoi ce poisson n’avait pas réagi de la même manière ? Quelque chose ne tournait pas rond.

Non loin de moi, deux animaux étaient certainement en train de s’entre-tuer. Le problème était que je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait. Cela faisait à peine quelques heures que j’étais dans ce monde et tout m’était inconnu.

Je m’accroupis au pied d’un arbre géant ressemblant à un chêne, dont les racines me dissimulaient entièrement. Juste derrière se tenait la lutte acharnée quand subitement tout se tut. Avaient-ils terminé ? Qui en était le vainqueur ?

Quand je découvris la scène, un animal ressemblant à un loup, plus épais, et surtout plus dangereux, se trouvait devant moi. Gisait devant lui, un autre dont le corps convulsait encore du combat qu’il venait de mener férocement. Celui-ci était assez petit et ressemblait à un lièvre, mais il possédait une corne sur le dessus de la tête, qui par ailleurs avait été déchiquetée et dont le sang se répandait profusément au sol. Le ‘loup’ remuait joyeusement la queue en s’approchant de sa proie. Je pris conscience que la loi de la forêt était alors implacable ; c’était tuer ou être tué, manger ou être mangé.

“Comment faire ?” pensai-je en considérant la scène. “Je vais me faire tuer si je tente de l’attaquer…”

Soudainement, mon ventre gargouilla, ce qui attira l’attention du carnivore dans ma direction. Ce dernier se retourna, les oreilles dressées. Ses yeux étaient rouges et sa gueule entrouverte, révélant des crocs acérés. Il s’arrêta et renifla l’air à plusieurs reprises puis se mit à grogner et se rapprocha lentement.

“Merde !” murmurai-je. “Pourquoi maintenant ?”

À présent que j’étais découvert, je me redressai et lui fis face, le cœur palpitant. L’idée de m’enfuir en courant me traversa l’esprit l’espace d’un instant, mais il y avait fort à parier qu’il me rattraperait et me tuerait une fois le dos tourné, c’était donc proscrit. La bête se tenait à bonne distance, faisant de petits pas sur le côté, me considérant avec prudence. Ses poils rêches, hérissés le long de son échine, décuplaient sa taille et le rendaient plus intimidant.

Sans le quitter des yeux, mon bâton dans les mains, je me tenais prêt à me défendre au moindre signe d’attaque mais je ne pouvais empêcher les tremblements qui m’agitaient. Ici, point de bagarre de rue ou celle de comptoir, c’était un combat pour la survie.

“Qu’est-ce que tu vas me faire, hein ?” déclarai-je avec hardiesse. “Ose approcher, tu goûteras à ça,” ajoutai-je en brandissant mon arme de fortune.

La situation était critique, mais je ne pouvais pas lui montrer ma peur. Cet animal était certainement opportuniste. Dès que je montrerais la moindre faiblesse, il en profiterait pour attaquer. En outre, son regard perçant m’indiquait qu’il n’était pas le moins du monde apeuré par mes menaces. Pire, il se mit à aboyer et je vis les muscles de son corps se raidir subitement. Il était sur le point de s’élancer sur moi, je le vis tendre ses pattes doucement.

À peine eussé-je le temps de me protéger que je vis une masse noire fondre sur moi à une vitesse inimaginable. Je tombai à la renverse, emporté par son poids et m’effondrai au sol. Instinctivement, j’avais tendu les bras de toutes mes forces, et ce n’est que lorsque je vis sa gueule béante, à seulement quelques centimètres de mon visage, tentant de me happer d’un claquement de mâchoire, que je compris que j’avais eu le bon réflexe.

“Putain… Nyfeirg !!” criai-je à pleins poumons.

Dès que son prénom fut prononcé, j’entendis un vrombissement maléfique retentir dans les bois clairsemés. Le ‘loup’ grognant, également averti, se figea puis recula de quelques pas en entendant le bruit métallique se rapprocher rapidement. Il fixait d’un air apeuré les arbres derrière moi jusqu’à ce que, finalement, ma partenaire apparaisse à toute allure et vînt se placer entre nous.

Je me relevai également et me rapprochai d’elle, tout en maintenant mon regard sur l’animal acculé.

“Fais gaffe, il est dangereux !”

Nyfeirg ne répondit pas, se contentant de maintenir à distance le carnivore affamé. Bien qu’il demeurât immobile, ses yeux continuaient à nous fixer avec une hostilité vindicative. Après tout, nous venions de l’empêcher de terminer son repas.

Le moteur rugit une première fois, obligeant le monstre à reculer. Il rugit alors une seconde fois, et le loup effrayé s’enfuit sans demander son reste. Lorsque nous fûmes certains que tout danger fut écarté, le silence reprit ses droits. Pendant que j’étais encore sous adrénaline, je sentis mes jambes trembler violemment et je fus obligé de m’asseoir pour me remettre de mes émotions.

“Bordel,” m’exclamai-je, rassuré. “Putain de clébard !”

J’étais exténué.

“Cela dit…” dis-je en regardant le corps inerte du léporidé dévoré. “Le problème de la nourriture est enfin résolu.”

“J’espère que tu comptes le faire cuire au préalable… ?”

Quand nous revînmes au lac avec mon repas entre les mains, le feu continuait de brûler paisiblement, mais la quantité de bois avait drastiquement diminué. Je déposai ma prise à côté du feu et partis chercher de quoi le raviver. En revenant, je me rendis compte qu’un problème allait survenir : comment dépecer l’animal ? Je ne pouvais pas simplement le jeter dans les flammes et attendre qu’il cuise. Hélas, mon bâton ne m’était d’aucune utilité dans cette situation.

Je me mis à examiner les environs et mon regard se posa sur le rivage. En m’en approchant, je remarquai la présence d’objets scintillant disséminés sur le sol. Je m’emparai de l’un d’entre eux et l’analysai en détail. Il s’agissait d’une pierre oblongue, à l’aspect similaire au silex que l’on trouvait dans mon monde. Un des côtés semblait avoir été taillé et présentait un rebord tranchant.

“Aïe ! ” fis-je en passant mon doigt dessus.

Une légère entaille apparut sur mon doigt, corroborant mon idée. L’objet était extrêmement coupant malgré son apparence fragile. Néanmoins, la chance venait de me sourire. Je me mis à la recherche d’autres cailloux, plus grands que celui que je tenais. Cela fait, je revins aussitôt au camp et me mis immédiatement à l’ouvrage. Pendant que je découpais la peau poilue du mammifère, le sang visqueux s’écoulait au sol et un bruit malaisant s’échappait de mes mains imbibées chaque fois que je manipulais les lambeaux de chair.

Après une demi-heure de préparation, j’eus enfin terminé.

“C’était plus difficile que je l’avais imaginé ! ” dis-je en égouttant la transpiration qui perlait sur mon front.

“Félicitations, John,” ajouta cyniquement Nyfeirg.

“Essaye de le faire et on en reparle !” répliquai-je avec un sourire large.

Pendant que le repas cuisait, j’avais chaussé mes bottes et fait l’inventaire de ma possession. Malgré la présence de mon briquet et de mes cigarettes, je n’avais rien trouvé d’autre dans mon manteau.

“C’était trop beau pour être vrai,” dis-je, dépité.

Peu à peu, le ciel vira à l’orange, puis au rouge et finalement la nuit tomba. Sous le firmament étoilé, je m’étais adossé contre Nyfeirg et regardais avec appétit mon repas dont l’odeur de la cuisson venait titiller mes narines.

Je pris conscience d’une chose ce soir-là : tant que je serais près d’elle, il ne m’arriverait rien. Les animaux ne nous approchaient pas, cela avait pour avantage de me protéger de cet environnement hostile. La seconde chose fut que ce ‘lapin’ n’avait aucun goût. Sa chair était dure et difficile à mastiquer. De plus, il n’y avait pas de condiments que je puisse mettre pour alléger son amertume. Néanmoins, je ne pouvais pas non plus faire la fine bouche. Je décidai donc de le supporter en silence et engloutis ce que je pouvais.

Après quelques heures, je réalimentai le feu qui se mourait peu à peu. Il était temps de dormir à présent. Je me couchai à côté de ce dernier, tout en regardant le petit bout de ciel…

“Que va-t-il se passer à partir de maintenant ?” murmurai-je, l’esprit s’évadant dans mes pensées.

Pourquoi étais-je là ? Je jetai un œil à côté de moi. Qui était vraiment Nyfeirg ? J’avais accepté son existence naturellement, mais était-ce une bonne chose ? Elle était apparue devant moi, comme si elle m’attendait. Malgré la joie de retrouver ma moto dans ce monde, je ne parvenais pas à croire que les choses étaient aussi simples. Quelles étaient ses véritables intentions ? Je n’étais pas quelqu’un de riche ni d’important, mon passé n’était pas digne d’intérêt et en toute honnêteté, je trouvais ma vie ennuyeuse.

“Tu parais pensif,” s’enquit-elle auprès de moi.

“Ce n’est rien…” murmurai-je en détournant le regard.

Une autre chose que je pouvais constater était qu’elle ne pouvait lire mes pensées si nous n’avions pas de contact physique direct. Il fallait donc que j’évite de penser à ces choses en sa présence. Je n’avais pas envie que cela crée un différend entre nous. J’avais besoin d’elle pour l’instant, mais je n’aurais pas su dire si l’inverse était le cas.

Le son de la cascade me berçait et je sentais que ma conscience s’étiolait, quand je fus alerté par un rugissement très lointain. Je me redressai immédiatement, tout en regardant en sa direction.

“C’était…”

“Ne t’en fais pas. Il semble s’éloigner,” me rassura Nyfeirg.

C’était le même que celui que nous avions entendu plus tôt dans la journée. Il retentit une dernière fois, plus faiblement. Je déglutis et me recouchai, non sans un certain malaise. Un sentiment de doute envahit alors mon esprit. Était-ce une bonne idée que de se reposer sur Nyfeirg ? Je ne pouvais pas la tenir responsable de ma sécurité, je devais me débrouiller. Or, on ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Je fermai dès lors les yeux espérant trouver le sommeil, mais celui-ci ne me gagna qu’une heure plus tard.

C’est dans la fraîcheur de la forêt endormie, accompagnée par les caresses délicates du matin que je m’éveillai. Le feu éteint n’avait laissé que des braises fumantes et l’air était teinté d’un léger voile blanc. Nyfeirg semblait encore endormie, ses phares avant étant éteints. Soudain, ceux-ci s’illuminèrent.

“Salut,” dis-je en baillant.

“Salut, John. Bien dormi ?” me demanda-t-elle.

Sa voix métallique, bien que dénuée d’émotions, résonnait agréablement dans mes oreilles. Après m’être étiré en douceur, nous parlâmes de notre prochaine destination, bien qu’elle se résumât à l’inconnu en fin de compte.

Gargouillements.

Ayant été habitué à manger dès le matin, me retrouver le ventre vide n’était pas facile à supporter. Cependant, n’ayant rien à me mettre sous la dent, je dus me contenter de racines et des fleurs qui se trouvaient à proximité, non sans quelque réticence. Je ne comptais pas retenter l’expérience d’hier et me retrouver encore trempé.

Une fois abreuvé pour me faire passer l’horrible goût de ce repas particulier, nous reprîmes notre route. Ce faisant, une question me vint en tête : comment se nourrissait Nyfeirg ? Je m’en informais auprès d’elle, mais sa réponse me surprit.

“Je vis grâce à l’énergie contenue dans l’air. Je ne saurais trop t’expliquer le principe, mais je dirais que c’est similaire au fait de se nourrir en respirant. Cela étant, ton énergie m’est également utile.”

J’étais envieux. Contrairement à elle, j’étais obligé de dormir, boire et manger. Malheureusement, la vie était injuste. Cependant, pourquoi étais-je compris dans l’équation ?

“La mienne aussi ? À quoi ça te sert si l’air te suffit ?”

“Elle me sert à renforcer notre lien. Plus nous partageons, plus nous nous synchronisons.”

“Je n’y comprends rien, mais si ça peut t’aider, alors ça me va tant que ça ne me tue pas !”

“Aucun risque là-dessus,” dit-elle d’un rire joyeux.

Nous arrivâmes plus tard à l’orée de la forêt. Elle était apparue soudainement, j’avais d’ailleurs commencé à me demander si nous allions en réchapper.

Nous nous retrouvâmes sur les hauteurs d’une colline couverte d’herbe qui surplombait les environs. Devant nous se dressait une chaîne de montagnes escarpées qui s’évadaient vers l’horizon. Certaines d’entre elles étaient si hautes que leur sommet se perdait dans les nuages et me donnaient le vertige. À mon grand soulagement, je pus apercevoir des nuées d’oiseaux voler nonchalamment vers le nord.

En contrebas, deux cours d’eau affluaient depuis l’horizon et traversaient la vallée avant de se rejoindre plus loin. Des troupeaux d’animaux ressemblant à des chevaux s’y étaient rassemblés pour s’abreuver. Le paysage me rendit ivre d’admiration, mes mots me manquaient pour le décrire.

“Finalement, ce monde n’est pas si mal, qu’en dis-tu ?” demandai-je avec délectation.

Ce sentiment enivrant de liberté m’envahit à nouveau et me donna envie de partir en voyage.

“Envie d’un peu de fun ?” suggéra Nyfeirg d’un air joueur.

“Et comment ! Allons-y, partenaire !” lui répondis-je avec enthousiasme.

Le moteur rugit et peu après, nous dévalâmes la colline à toute allure en direction du fin fond de la vallée. Que ce soit sur Terre ou ici, sentir le vent contre mon corps était tout aussi agréable et me procurait une sensation indescriptible ; à ceci près que j’étais peut-être le seul être Humain à fouler ces terres. Durant notre descente, je voyais le paysage défiler devant moi à toute vitesse. Finalement, mes aventures promettaient d’être excitantes.

***

Deux pupilles reptiliennes, entourées chacune d’un iris bleu azur, scrutaient la vallée avec curiosité. Intrigué par l’étrange vrombissement qui l’inondait, son regard fut attiré par un point filant à toute vitesse. Il cligna des yeux, pensant avoir mal vu, mais le point continuait sa course effrénée. Puis, il les referma et un rugissement caverneux sortit de son gosier. Peu de temps après, il amorça sa descente.

***

Soudainement, nous entendîmes à nouveau le rugissement qui résonnait dans la vallée et se répandait à travers elle tel un tsunami.

“T’as entendu ?” demandai-je confus.

“Oui…”

Je décidai de m’arrêter et tendis l’oreille. D’où pouvait-il provenir ? Tout était calme autour de nous, peut-être même trop calme, à tel point que je pouvais presque percevoir les battements de mon cœur.

“John ! En haut !”

Depuis le ciel, une ombre inquiétante survolait les nuages. Sa taille était considérable et elle se déplaçait en silence dans les airs.

“C’est quoi, ça ?” murmurai-je, abasourdi.

Soudain, un énorme monstre apparut, la gueule grande ouverte. Il avait un long museau, recouvert intégralement d’écailles rouge sombre, terminé par deux yeux bleu clair capables de transpercer la nuit, une carrure musculeuse, supportée par deux paires d’ailes immenses qui brassaient l’air frénétiquement, deux puissantes pattes pouvant nous saisir tous les deux sans efforts et enfin une longue queue épineuse qui fouettait les nuages violemment.

Depuis ma position, je vis son regard perçant nous fixer avec délectation. Malgré l’arrivée imminente de ce danger, mon corps refusait de bouger. J’étais à la fois émerveillé et effrayé par cette bête qui nous fonçait droit dessus.

“John… John !” s’écria Nyfeirg, paniquée.

“Hein ? Oh, merde !”

Revenant à moi, je vis le monstre s’approcher de nous, il n’était plus qu’à une dizaine de mètres du sol. Je tirai en précipitation la poignée des gaz et les roues patinèrent un instant avant que la moto n’accélère rapidement. Soudain, un courant d’air me frôla le dos. Quand je me retournai, je ne vis que le sillage laissé par son passage. Cailloux et fougères étaient éparpillés dans les airs sans difficulté.

Mes poils se dressèrent dans le dos et je sentis la sueur perler sur mon front. Mon cœur palpitait violemment sous l’adrénaline provoquée par la situation. Si j’avais tardé à réagir, et si Nyfeirg ne m’avait pas prévenu à temps, serions-nous toujours en vie à ce moment ? Alors que nous nous échappions, les rugissements retentirent de nouveau.

Notre assaillant avait repris de la hauteur et revenait à la charge. En me retournant, je le vis nous approcher, la gueule grande ouverte. Dans les tréfonds de son gosier brillait une lueur flamboyante à l’aura menaçante. Un mauvais pressentiment me gagna et je bifurquai sur la droite en vitesse. Aussitôt, je sentis une chaleur fulgurante nous assaillir de côté, suivie par un grondement sourd. En y jetant un œil, je vis une mer de flammes se répandre au sol, dévorant tout sur son passage. La terre à cet endroit n’était plus que charbon et cendres.

“Putain ! Il crache du feu !!” criai-je, stupéfait. “Désolé, mais les hot-dogs sont seulement bons quand je les mange !” ajoutai-je en accélérant de plus belle.

Un autre rugissement retentit. L’animal avait l’air énervé que nous ayons échappé à son attaque.

“Il faut nous abriter,” murmurai-je. “Mais où…”

Nous nous rapprochions de l’embouchure du fleuve, et les animaux qui s’y trouvaient s’étaient éparpillés en panique à la vue de notre poursuivant. Il n’y avait malheureusement aucun moyen de le traverser, au vu de sa profondeur.

“Qu’est-ce qu’on fait ?” m’exclamai-je, inquiet. “C’est sans issue !”

“Laisse-moi faire !”

Sans que j’aie à intervenir, la moto se mit à accélérer.

“Qu’est-ce qu’elle fait ? Ne me dites pas qu’elle veut…”

Mais je n’eus pas le temps de me recomposer que la bête nous avait déjà rattrapés et s’apprêtait à nous rôtir vivants. Tout semblait perdu quand tout à coup, Nyfeirg s’engagea sur l’eau. Je nous voyais déjà nous y noyer, mais au lieu de nous enfoncer dedans comme je le craignais, les roues flottèrent sur la surface sans jamais la toucher.

“C’est pas vrai… Tu peux faire ça ?”

Notre poursuivant semblait également surpris et tarda à réagir, nous laissant du temps pour le distancer. Propulsés à cette vitesse, sans aucun véritable obstacle, nous traversâmes le fleuve en un rien de temps.

“Là-bas !” m’écriai-je à la vue d’une forêt dense devant nous.

Une fois arrivés sur la rive opposée, nous nous engouffrâmes dedans, échappant au monstre qui rugissait de colère. Nous roulâmes pendant un bon moment, tout en évitant les troncs des arbres sur notre route, jusqu’à ce que les cris disparaissent. Lorsque nous fûmes certains qu’il n’y avait plus de danger, nous nous arrêtâmes et, étant sur le point de désembarquer, je sentis mes jambes s’affaiblir, me faisant tomber lâchement. J’étais complètement vidé de mon énergie.

“John, tout va bien ?” me demanda Nyfeirg.

“Je vais bien,” lui répondis-je, à moitié sonné.

Je me couchai au sol et fixai le feuillage des arbres au-dessus de ma tête. Mon cœur se calma peu à peu et mon esprit s’éclaircit. À présent que nous étions en sécurité, je reconnus que ce fut l’une des pires expériences de ma vie.

“C’était… incroyable,” avouai-je.

“Je ne sais pas si c’est le mot adéquat,” répondit-elle, sceptique.

Je me remémorais les récents évènements et ce faisant, un mot s’échappa de ma bouche.

“Dragon…”

“Dragon ? C’était donc ça ?”

Je n’avais pas d’autres explications. Puisque je ne lisais jamais de livres, je ne l’avais pas reconnu immédiatement, mais j’avais déjà entendu ce nom quelque part. Je contemplai ce mot à la fois terrible et mystérieux.

“Désolé,” dis-je soudainement.

“C’est moi qui le suis,” rétorqua-t-elle. “J’aurais dû réagir plus vite.”

“Non, non, c’est ma faute. Je n’aurais pas dû le contempler comme un idiot.”

“Tiens-tu vraiment à avoir le monopole de notre bêtise ?”

“Et tu comptes être la seule fautive ?”

Nous nous regardâmes comme deux chiens prêts à nous entretuer, avant de subitement éclater de rire. Paradoxalement, cette expérience avait failli nous faire tuer, mais nous n’en avions rien à faire. La situation était assez grotesque pour que nous en nous amusions.

Peu à peu, ma conscience s’étiola et je sentis mes yeux se fermer peu à peu.

“Nyfeirg… Je vais me reposer… un peu…”

“John ?”

Puis le monde bascula dans la nuit. Quand je m’éveillai, tout était calme autour de moi. Je ne savais pas combien de temps j’avais dormi, mais Nyfeirg était à mes côtés, immobile.

“J’ai faim,” murmurai-je. “Nyf…”

Je me stoppai quand je vis ses phares éteints. Elle devait également être fatiguée, il était donc préférable de la laisser se reposer. Sans un bruit, je me relevai, pris mon bâton et partis me promener dans l’espoir de trouver quelque chose à me mettre sous la dent. La seule chose que je craignais était de me retrouver à nouveau face à ce loup qui avait failli me tuer la veille. Ce que je ne savais pas, c’était que dans mon dos, deux lueurs imperceptibles m’observaient.

En m’éloignant, plusieurs questions vinrent à moi : quelle chose était comestible ? Laquelle était dangereuse ? Malgré le lièvre que j’avais mangé, rien ne semblait pouvoir apaiser mon appétit et la simple idée de manger des racines me donnait la nausée.

La lumière du crépuscule teintait le ciel d’orange et les oiseaux de nuit s’éveillaient les uns après les autres, hululant à travers la forêt. Au loin, un rugissement se fit entendre. Le dragon n’était pas très loin. Devais-je faire demi-tour et réveiller Nyfeirg ? Il ne semblait pas être trop proche cependant. Après quelques instants de réflexion, je continuai mon chemin. Si les choses empiraient, je n’hésiterais plus et m’enfuirais.

Je me trouvais actuellement au-dessus d’une butte où d’immenses fougères poussaient. D’étranges plantes carnivores, plus hautes et larges que moi, se tenaient près de ma position. Par précaution, je m’écartai d’elles le plus possible. Je n’avais aucune intention de mourir, englouti par l’une de ces créatures dégoûtantes.

Un peu plus tard, marchant entre les fougères, j’entendis le sol trembler légèrement. Je m’agrippai à mon arme instinctivement puis me mis immédiatement à l’abri et observais aux alentours. Je craignais que le dragon ne réapparaisse, mais je compris rapidement que ce n’était pas le cas. Une horde d’animaux, les chevaux vus précédemment, passèrent devant moi, l’air effrayé. Il y en avait plus d’une centaine et leur charge désespérée s’apparentait à celle d’un bulldozer. Je me cachai derrière un arbre et les observai passer devant moi.

Ces derniers possédaient trois cornes sur leur tête et avaient un pelage tendant vers le rouge et l’orange. Une fois qu’ils eurent disparu et que le calme revint, je me remis en marche.

“J’aurais bien aimé déguster l’un d’eux,” pensais-je avec une certaine déception. “Je suis certain qu’ils auraient meilleur goût que cette merde…”

Malheureusement, c’était peine perdue et je ne comptais pas tenter cette folie de les approcher. Il valait mieux donc se tourner vers quelque chose de plus atteignable. Le fait que je puisse mourir à tout instant était aussi problématique.

“Ce monde est bien plus dangereux que le mien… Si je ne fais pas attention, je risque d’y passer à la moindre erreur,” murmurai-je.

Continuant de marcher à travers la flore, je fus attiré par un lac situé en contrebas.

“Au moins, il y a ça.”

Je descendis la colline et, peu après, j’arrivai à aux abords de cette grande étendue d’eau.

C’était un endroit calme, relativement épargné des tumultes extérieurs, entourés de rochers qui lui conféraient une ambiance mystérieuse. Parce que j’avais transpiré à cause de cette poursuite, mes vêtements sentaient atrocement mauvais. Je décidai de me prélasser et me déshabillai avant de plonger dans l’eau fraîche. Son contact sur ma peau était relaxant et quand bien même la température n’était pas des plus élevées, j’avais enfin la sensation d’être propre à nouveau… plus ou moins.

“Ah !” m’exclamai-je avec délectation tout en émergeant. “ça fait du bi…”

Alors que j’étais sur le point de terminer ma phrase, mon corps se figea instinctivement en apercevant une femme, totalement nue, face à moi. Son apparence, presque éthérée, détonnait sous la lumière du jour mourant. Que faisait-elle là ? Qui était-elle ? Je remarquai deux grandes oreilles surgissant de sa chevelure dorée.

Cette dernière s’était également figée, la peur émanait de ses yeux bleus tremblants. Nous restâmes immobiles de longues secondes, secondes qui semblaient être en réalité des heures, avant que je n’ose dire quelque chose.

“Euh… Salut !”

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