Livre 1 chapitre 55 – Les amis du désert
« Attendez ! »
L’appel n’était pas fort, mais il était profond et autoritaire. Comme le rugissement d’un lion, il était majestueux, puissant et promettait que ceux qui oseraient désobéir sentiraient des crocs sur leur gorge. Tout le monde baissa les armes, contraint de se retirer.
L’expression de l’homme gros et laid révélait son mécontentement. Il fixa du regard le grand homme barbu qui les arrêta. « Bon sang, Léonine, qu’est-ce que tu fais ? »
Apparemment, le chef lion de cette tribu avait un nom qui correspondait à son apparence : Léonine. Il souriait d’une manière qui rappelait l’image d’un lion montrant ses crocs.
Gagner un surnom comme celui-là dans les terres désolées n’était pas chose facile. Bien qu’ils aient écouté le vieil homme, cette équipe semblait peu organisée, probablement plusieurs groupes réunis. Si, malgré cela, ils sursautaient encore quand Léonine parlait, cela en disait long sur cette personne.
Léonine leurs lança un regard perçant. Ils étaient petits, apparemment faibles, mais le guerrier pouvait voir des marques de batailles gravées sur leur corps. Son instinct lui disait que ces deux jeunes personnes avaient déjà vécu de vicieux combats. Pour quelqu’un qui subit autant de blessures et qui s’en sort encore vivant, cela signifie qu’il s’agit de véritables déserteurs.
« Qui êtes-vous ? Que faites-vous à errer par ici ? »
« Nous sommes de l’avant-poste de Blackflag. » Il ne savait pas si ces hommes étaient des amis ou des ennemis, mais il leur avait quand même donné une réponse directe. « Nous avons été attaqués par des balayeurs mais nous nous sommes enfuis. Nous avons été séparés des autres et maintenant nous sommes ici. »
« L’avant-poste de Blackflag ? J’en ai entendu parler, ils disent que c’était une grosse colonie. Je suis surpris d’entendre qu’un groupe de balayeurs a pu détruire l’avant-poste. » La curiosité était bien présente dans la voix grondante de Léonine. Les autres serraient leurs armes, car ils savaient que son prochain commandement allait probablement décider si ces ‘enfants’ vivraient ou mourraient. Après quelques instants de réflexion, il continua. « Nous nous dirigeons vers l’avant-poste du Groenland. La route est dangereuse et nous pouvons toujours avoir besoin d’une autre pair de bras pour utiliser une arme. Si vous n’avez nulle part où aller, vous pouvez nous suivre, vous resterez à l’arrière du groupe.»
La décision de Leonine était inattendue. Il était désespéré de survivre et la mort semblait inévitable s’ils ne suivaient pas ces gens. Quel autre choix avaient-ils ?
Quel que soit l’endroit où se trouvait cet avant-poste du Groenland, il n’était pas important. Tout ce qu’il entendait, c’était « avant-poste », et les deux avaient besoin d’un refuge où ils pourraient soigner leurs blessures.
Léonine fit un signe de tête. « Alors tu viens avec nous. »
Le guerrier barbu se retourna et s’en alla. Ses compagnons relâchèrent leurs armes. Personne ne leur causa plus de problèmes, car aller à l’encontre de la décision de Léonine le ferait paraître faible – et cela aurait des conséquences.
Cloudhawk demanda. « Pouvez-vous nous donner de l’eau ? »
« Putain, t’es sourd ? Il dit que vous pouvez suivre. C’est tout ! » L’homme brutal aboya. « Tu crois qu’on est une putain d’œuvre de charité ? ! »
Un bruit sourd et râpeux résonnait comme un poignard enfoui dans le sable. L’arme venait des champs élyséens, apportée ici par la reine. Ce n’était pas une relique, mais on pouvait dire d’un seul coup d’œil qu’elle était faite d’un métal spécial. Il était vif et droit, et même les bonnes armes du désert ne pouvaient pas lui être comparées. Lorsque la reine ouvrit la bouche, elle parla avec une ténacité tranquille, dissimulant sa faiblesse.
« Prenez cette dague en échange ! »
La brute arracha le poignard du sol et le retourna dans ses mains en signe de reconnaissance. L’eau était précieuse ici dans les terres désolées, mais son poignard était d’une qualité rare.
Cloudhawk ajouta sa propre voix impatiente. « Eh bien ? Tu vas le prendre ou pas ?! »
« Un poignard cassé de merde ne suffit pas. » La brute attira son regard sur le corps de la reine. Son visage était couvert par l’hideux masque du démon, mais il ne pouvait pas cacher sa poitrine entière, son dos rond et ses longues jambes élancées. Elle essuyait toujours beaucoup de regards malsains et le regard malfaisant de la brute ne laissait aucun doute quant à ses intentions. « C’est ton jour de chance, femme. Mes garçons et moi avons nous-mêmes souffert d’une période de sécheresse. Tu nous fais passer un bon moment, et on te donne de l’eau ! »
Comment la reine pouvait-elle ignorer une telle insulte ? Si elle avait pu marcher sans aide, cet idiot imprudent se serait transformé en une carcasse laissée à pourrir sous le soleil du désert.
Tous les yeux étaient maintenant tournés vers la reine, affamée et violente. Aucun d’entre eux ne fit l’effort de cacher ses désirs sauvages et lascifs. Dans ce désert, une femme de sa trempe était comme un mouton parmi les loups. Il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour savoir ce qui allait lui arriver.
Le jeune garçon s’avança pour les bloquer, mais deux hommes costauds le saisirent. La brute et une douzaine d’autres hommes entourèrent la reine et celle-ci recula pour tenter de les éviter. La volonté de la reine d’invoquer le pouvoir de sa relique ne lui valut qu’une douleur déchirante au crâne. Elle ne pouvait pas atteindre la résonance. Elle était trop faible.
L’un des hommes se jeta sur elle avec fureur.
Elle réussit à esquiver son agression. Sa jambe droite projeta l’homme. Il poussa un petit cri et s’effondra sur le sol, roulant à l’agonie. Lorsque les autres hommes virent la situation de leur ami, ils éclatèrent de rire.
Quelques-uns d’entre eux y avaient vu une occasion de causer des ennuis.
Un cri bestial éclata de derrière, soudain, ses mains furent prises dans un étau. Malgré la lutte, elle ne pouvait pas se libérer. Sa seule réponse fut de crier : « Si tu oses essayer quoi que ce soit, je te ferai regretter d’être né ! »
« C’est un endroit sauvage, ma fille ! »
« Putain, qu’est-ce que tu portes, femme ? »
« Cette salope est fougueuse ! Je vais aimer me la faire celle-là ! »
« Pourquoi t’es si pressé, putain ? Je n’ai pas encore eu mon tour ! » Il donna un coup de pied à l’homme qui était encore recroquevillé sur le sol alors qu’il s’apprêtait déjà à enlever son pantalon. « Faites la queue les gars, je suis le premier. »
La brute pensa à quelque chose et tourna la tête vers les deux hommes qui retenaient Cloudhawk. « Amenez ce punk par ici. Je vais le forcer à me regarder prendre sa femme ! »
Alors que le groupe de tapageurs se préparait à s’amuser, Léonine regardait avec une expression indifférente.
Ici, les femmes étaient des accessoires, un moyen pour les hommes de se défouler. Maintenant que la fille était là, il fallait qu’elle comprenne cela. Si elle n’était pas assez forte pour se protéger, alors elle serait utilisée à leur guise. C’était vrai pour les hommes aussi. S’ils n’étaient pas assez forts pour protéger leurs femmes, alors ils devaient faire face à leur perte.
C’était la règle ici, dans ce lieu misérable. Sans pouvoir, vous deviez vous résigner à votre sort !
Une teinte rouge sang émergea dans les yeux de Clowdhawk. Soudain, il sentit un déluge d’énergie éclater à travers son corps épuisé, comme un volcan en éruption. Il se libéra de ses ravisseurs. « Tu es mort, putain ! »
Sa voix était sauvage, féroce et meurtrière. Tout le monde s’arrêta et le regarda. Il prit son bâton et fonça à travers le groupe d’hommes comme un rhinocéros enragé. La brute qui tâtonnait avec son pantalon sentit une sensation de folie et de mort l’envahir. Son visage se resserra et révéla un air sauvage.
« Ne me blâme pas pour ça, Léonine. C’est cette merde qui vient sur moi ! »
La brute brandit un long et lourd couteau. Si Léonine était leur chef, alors cet homme était certainement leur numéro deux. Un homme qui pouvait commander une douzaine de dégénérés comme ceux-là n’était pas un vrai profiteur. Il n’était pas aussi fort que Mad Dog, mais il aurait certainement été comparable aux plus forts combattants des mercenaires du Tartare !
L’épée courte de la brute était épaisse et robuste, mais il la maniait comme si elle ne pesait rien, la faisant descendre en un mouvement de hachage vers lui avec une précision extrême. Il la maniait d’une main de maître.
Sa volonté éclata soudainement ! La tige de l’exorciste se mit à tourner rapidement.
Avant que les autres hommes n’aient pu réagir, il fit tomber le bâton dans un mouvement écrasant. Comme du verre, l’épée de la brute se brisa en mille morceaux tandis que le bâton de Cloudhawk ne semblait pas ralentir. Il heurta la poitrine de la brute, la frappant si fort que le sang et la chair explosèrent partout comme une tomate écrasée.
La brute n’eut pas l’occasion de faire un bruit. Il fut projeté en arrière de trois ou quatre mètres, plié en arrière et presque cassé en deux. Il tomba sur le sol en un tas grotesque et seuls les os de sa colonne vertébrale et quelques bandes de chair permirent de relier les deux moitiés de son corps.
Ses yeux étaient larges comme des soucoupes, comme le sang qui jaillissait de sa bouche dans un torrent. Tout l’air qui avait été dans ses poumons était désormais remplacé par du sang épais et frais. Pendant quelques secondes, ses bras se tendirent avant qu’ils ne retombent, pour toujours.
Couvert de sang, Cloudhawk ne regarda pas ce qui restait de la brute car, tel un démon fou, il hurlait sur les autres. « Ne la touchez pas ! »
« Ahhh ! »
« Monstre ! C’est un putain de monstre ! »
L’homme musclé qui tenait la reine avait une peur bleue. Un court moment plus tard, il retrouva assez d’esprit pour la laisser partir et s’éloigner au loin.
Le jeune homme tira la reine affaiblie derrière lui. Il pointa son bâton d’exorciste vers les mécréants à la mâchoire lâche, le visage enragé. « Quelqu’un d’autre veut tenter sa putain de chance ? ! »
C’était du bluff. Il n’avait assez d’énergie pour utiliser le bâton qu’une seule fois. Il ne pourrait plus se protéger, ni protéger la reine. Mais son spectacle terrifiant les avait complètement effrayés. Ils l’avaient vu briser la brute presque en deux avec un bâton et étaient absolument terrifiés à l’idée qu’ils puissent être les prochains. Les subordonnés de la brute se tenaient à une dizaine de mètres d’eux et du jeune démoniaque. Personne n’osait s’avancer pour le défier.
La posture agile du garçon se reflétait dans les yeux brillants de la reine. Comme une bête sauvage, il s’était placé, petit comme il était, entre elle et un groupe d’hommes vils et vicieux.
Il était jeune et faible, mais il s’était jeté sur les autres et avait risqué sa vie pour la protéger. Encore une fois… elle lui était redevable.
Léonine apparut une fois de plus avec plusieurs hommes. Cloudhawk le regardait nerveusement s’approcher. Il n’avait pas combattu le vieil homme, mais il savait qu’il était au même niveau que Mad Dog. S’il s’agissait d’une bataille, il était sûr de perdre.
« Très bien, rangez vos armes. » La voix de Léonine respirait un calme sinistre. Il parlait sans hâte. « Le numéro deux ne valait rien. Il a commencé un combat qu’il n’a pas pu finir. Même la mort n’effacera pas sa honte. À partir d’aujourd’hui, tu vas prendre sa place en tant que mon numéro deux. »
C’était toute l’attention que Léonine allait porter à la mort de la brute.
Maintenant, il était le remplaçant de sa victime ?
« Vous avez quinze minutes pour vous préparer. » Léonine prit une gourde et la jeta vers lui. « Après quinze minutes, on y va. »
Il attrapa la gourde et la secoua. À l’intérieur, l’eau s’était répandue de façon aguichante. Elle était pleine, à sa grande joie. Plein de nectar qui sauve des vies !
Il ouvrit la bonde et la donna à la reine. Il ne le fit pas par altruisme. Il savait qu’il n’était pas assez fort, il avait donc besoin d’elle au mieux de sa forme pour le garder en sécurité.
Ces sauvages du désert étaient vicieux et cruels, mais ils savaient s’adapter aux circonstances. Le spectacle sanglant avait fait une profonde impression, c’était le moins que l’on puisse dire. Ils étaient comme des personnes différentes maintenant et ils s’adressaient respectueusement à lui en tant que « deuxième frère ».
Elle engloutit la moitié de la gourde. Elle se sentait comme un désert desseché par le soleil après une pluie bénie. De la tête aux pieds, de l’intérieur à l’extérieur, c’était comme si elle pouvait sentir que chaque cellule de son corps était nourrie. Elle renaissait.
Il but ce qui restait. Il était vraiment desséché et ne laissa pas une seule goutte d’eau. En la buvant, il sentit l’eau l’infuser avec vigueur. Il ne pouvait pas se souvenir de la dernière fois où il s’était senti aussi bien.
Quinze minutes plus tard…
Ils se retrouvaient parmi cette bande de hors-la-loi des terres désolées, en direction d’un endroit appelé l’avant-poste du Groenland.