LiangZhu | 良渚
A+ a-
Volume 2 / Chapitre 4
Volume 2 / Chapitre 3 Menu Volume 2 / Chapitre 5

Au clair de Lune, illuminés par de grandes torches au quatre coins de la place déserte, seuls Liang et quelques autres étaient encore là. Ceux de la tribu qui ne taillaient pas la pierre avaient décampé depuis longtemps. 

Sous l’œil du sorcier, ils étaient assis en silence, attendant patiemment que la Lune s’éleva au zénith, impatients de ressentir à nouveau l’Esprit les investir de sa force; et, sous son emprise, de se mettre à tailler des ustensiles et ornements sacrés – des écrins, des colliers et des disques de jade –, à la lumière des formes qu’ils pressentaient. 

Debout devant la grande table – sur laquelle étaient exposés les objets rituels déjà façonnés –, d’une main le sorcier souleva l’un des disques et, les yeux rivés sur l’horizon, se mit à murmurer des paroles magiques…

Sous leurs yeux ébahis, ils virent alors la splendeur de la Lune comme s’écouler intarissable dans ce disque qu’il tenait, et couvrir le vieil homme d’un habit lumineux. Quand, soudain, le disque lui-même se mit à s’illuminer, c’était comme si la Lune s’était mise à briller à l’intérieur. Une lumière tiède, nourrissante et capable d’attendrir la roche la plus dure se diffusa lentement à l’entour, faisant oublier la fraîcheur de la nuit. 

C’est ainsi que, mystifiés par la Lune, baignés de ces prestiges lumineux d’astre et de pierreries, les jeunes tailleurs commencèrent à travailler; et à les regarder – assis silencieusement un jade à la main –, on eut dit qu’ils dialoguaient avec la pierre, l’interrogeant religieusement sur cette forme que, secrètement, elle convoitait. 

C’était un travail exigeant, physique et minutieux. Il fallait d’abord, à coup de granite acéré, donner à sa pierre un embryon de forme, afin de décider de l’objet en lequel elle se métamorphoserait. 

Après en avoir choisi une au hasard, Liang s’interrogea longuement sur sa nature. Indécis, ce n’est qu’après l’avoir bien dégrossie que, d’un coup, il réalisa: il s’agissait d’une jade-tigre. Elle aspirait à devenir un écrin. 

« Je suis l’Esprit du coffret », crut-il entendre halluciné, observant attentivement son jade, qui l’observa en retour. « Ô toi qui me tiens dans ta main, veille à tailler mon corps comme il convient. »

Après l’avoir tailladé, Liang l’examina à nouveau et, au clair de Lune, y distingua une silhouette qui se dessinait. Il crut même percevoir, tressaillant sous la roche, la forme exquise et finale de son écrin. 

Tous travaillaient ainsi en silence, baignés de lueur de Lune, qui s’était figée dans l’air du soir; quand, sans un mot, le sorcier déposa devant eux un gros sac lourd et bien rempli. 

« Ce sont des grains d’émeri », leur dit-il. « À l’aide de vos meules, vous allez vous en servir pour polir et donner du lustre à vos jades. »

Les meules étaient faites d’une pierre très dure, sur laquelle s’adaptaient différents types d’embout, et qu’on faisait tourner à l’aide d’une corde. Peu à peu, en se frottant à l’émeri, le jade se faisait alors plus lisse et prenait du lustre. 

… … … 

« Dis grand-père, ça peut aller comme ça? », demanda l’un. 

« Tu es bien loin du compte, mon garçon », répondit-il froidement. « Ne sois-pas si impatient. »

« Et souvenez-vous », s’adressa-t-il à tous, en gardant l’œil sur les feignants, « ces objets sont destinés aux offrandes; nous visons la perfection. Travaillez longuement la surface avec la meule, polissez, polissez et lustrez bien. Faites que la pierre brille de tous ses feux. »

« Mais grand-père, que veulent dire toutes ces lignes et ces motifs sur les objets? », demanda Caillou. « Comment fera-t-on pour les graver? »

« Laisse la Lune guider ta main », dit le sorcier. 

« Grand-père, comment tu trouves? », s’écria Liang, levant sa pierre au clair de Lune pour la lui montrer. « Je peux commencer à graver maintenant? » 

« Allons, Liang », répondit le vieil homme, « tu vois bien que ta pierre est encore trop brute. »

« Alors dans ce cas… », répondit Liang et, se rasseyant, il se remit à polir son jade, en tirant mainte fois sur la corde pour faire tourner la meule. 

Cette étape de la taille était la plus laborieuse. Elle prenait un temps fou. Alors que le jour commençait à poindre, et bien que leurs embryons d’objets semblaient déjà bien lisses et bien brillants, Ils n’étaient pas encore au bout de leur peine. 

« Les enfants », dit le sorcier, « ce n’est qu’après avoir poncé les grains d’émeri les plus fins que vous pourrez commencer à graver ». Puis, de but 

en blanc: « Bon, ça suffira pour aujourd’hui. Enveloppez soigneusement vos pierres dans du lin propre et allez vous reposer », conclut-il. « On reprendra demain. »

… … … 

Sur le chemin du retour, plongé dans ses pensées, Liang songea à ce qu’il avait vécu ce soir-là. La Lune infusait toujours la nuit de sa lumière fluide. Pourtant, cette force mystique qui l’avait transporté, alors qu’il taillait la pierre, l’avait quitté. « Ça venait de la Lune », pensa-t-il, le cœur léger. 

Chez lui, à peine sa tête se posa-t-elle sur l’oreiller, qu’il s’endormit profondément. Il dormit d’un sommeil de jade cette nuit-là. 

… … … 

« Liang… Liang… », chuchota sa mère, en le secoua doucement par les épaules. « Reveille-toi, Liang… Regarde qui est là. »

« Où ça? », demanda-t-il en ouvrant les yeux. 

« Suis là! », s’écria Zhu en riant. « Tu as sacrément bien dormi », et elle lui passa une poignée de baies rouges sous le nez pour le titiller. 

« Ça sent bon… », dit-il en lui en chipant. 

« Dépêche-toi un peu, Liang », l’enjoignit sa mère, debout près du foyer. « Tu en as des choses à faire aujourd’hui. » Pour accompagner ses œufs de canard, elle lui avait préparé une soupe de champignon. 

« Mange quelque chose aussi, maman », dit-il en écalant un œuf. « Et toi aussi Zhu, plutôt que de me regarder bêtement. » 

« Mais oui, Zhu, prend donc un peu de soupe », insista sa mère. 

« J’ai déjà mangé, tatie », dit-elle. « Je passe juste faire coucou et vous donner des fruits. » Puis: « Dis Liang, t’as quoi de prévu aujourd’hui? »

« Même chose qu’hier », dit-il. « Finir de tailler des ustensiles et des ornements pour la cérémonie. Et toi? T’en es où de ta chorégraphie? »

« Ça avance, ça avance », dit-elle gaiement, en grignotant des fruits. « Encore un p’tit effort et on sera prêt. »

« Une fois que je saurai tailler des objets rituels, je serai un vrai sculpteur, tu sais. Officiellement », dit-il fièrement. « Et alors là, je te ferai un bijou. »

« Ah oui? », demanda-t-elle intriguée. « Quel genre de bijou? » 

« Tu verras bien », répondit-il, le sourire en coin. « Tu verras bien. » 

… … … 

« Bon allez, c’est parti », s’écria Liang, après avoir bien mangé. « Toi tu vas où, Zhu? »

« Je retourne danser avec les filles, pardi! », s’écria-t-elle. « Je dois aussi apprendre aux adultes la chorégraphie. Sans parler du reste… »

« Alors allons-y », conclut-il, visiblement pressé de repartir. « Pas une minute à perdre. Le jour de la cérémonie approche à grand pas. »

———



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Volume 2 / Chapitre 3 Menu Volume 2 / Chapitre 5