LiangZhu | 良渚
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Volume 2 / Chapitre 5
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Au petit matin, un Soleil radieux illuminait déjà la place des cérémonies. Dans cette lumière éblouissante, frais et revigorés, les jeunes apprentis avaient repris le collier; à l’instar du vieil homme qui, galvanisé par le Soleil, dispensait ses instructions avec une vigueur retrouvée. 

« Changeons de grain d’émeri », s’exclama-t-il. « Prenons quelque chose de plus fin pour polir et parfaire la finition. » 

« Et souvenez-vous », ajouta-t-il sur un ton pieux, « ici-bas, chaque pierre est unique, chaque instrument incomparable. Dès le premier regard, lorsqu’un lien avec le jade est établi, vous percevrez en vous-même la forme finale à laquelle il aspire. Respectez consciencieusement ce désir de la pierre. »

« Et si jamais on taille à côté, grand-père », demanda Caillou, inquiet, « que se passera-t-il? »

« Seuls les ignorants, qui négligent de parler au jade, risquent de le trahir », répondit le sorcier doctement. 

« Mais comment en avoir le cœur net? », demanda un autre. 

« Il vous suffit de polir lentement. D’observer attentivement les velléités de la pierre une fois dégrossie. De sympathiser avec elle sans rien négliger lorsque vous taillerez. En la polissant, nous cherchons à dévoiler sa texture, à libérer sa lumière et à révéler sa tendresse. Et ce n’est qu’ensuite que vous en obtiendrez un objet vraiment raffiné, et dont l’exquise beauté ravira les Esprits. »

À ces paroles, tous redoublèrent d’efforts et d’attention, travaillant à dépouiller la pierre de ses aspérités. 

« Voilà, voilà, comme ça », murmura Liang, « polir sans relâche. Faire passer l’abrasif au centre de l’écrin, et puis frotter, frotter… » Ajoutant des grains d’émeri au milieu, il tira sur la corde de sa meule pour la faire tourner. Peu à peu, l’intérieur du coffret devint plus lisse et mieux lustré. 

« Grand-père », demanda-t-il, « si l’écrin sert à célébrer la Terre, c’est bien la preuve que sa forme signifie quelque chose, non? » 

« Oui, en effet », répondit le sorcier. « Pendant les offrandes, l’écrin nous sert à glorifier les Esprits de la Terre. Arrondi au milieu et angulaire à l’extérieur, il symbolise le Ciel et la Terre. Ou encore, la force et la prospérité. » 

« Avant tout », ajouta-t-il en simplifiant, « il nous permet d’entrer en transe avec la Terre. Si en chaque chose sommeille l’âme du Monde, alors, plus

que tout autre, le jade en est la quintessence cosmique. Mais ce n’est qu’une fois poli par nos soins que son pouvoir de communiquer s’en trouve activé. »

« Oui, mais concrètement? », demanda Caillou un peu perdu, « comment ça marche? »

« Si je te montre la Lune, Caillou, ne regarde pas mon doigt », répondit le vieil homme d’un air narquois. 

… … … 

Ainsi, pendant plusieurs jours, ils polirent leur pierre sans relâche, et Liang, accaparé par cette tâche, n’eut pas vraiment le temps de penser à Zhu. 

De temps à autre, elle passait pourtant par là, s’arrêtant en chemin pour les observer discrètement et, à l’occasion, leur apporter des fruits ou de la soupe chaude, ou même des plats tout cuisinés pour grand-père, qui en était ravi. 

« Tu as bon cœur, ma fille », lui dit-il, « de te donner autant de mal pour une vieille branche comme moi », tout en se régalant de soupe. « Et pour te remercier, grand-père te fabriquera un p’tit quelque chose. »

« Mais de rien, grand-père. Tu veux quoi la prochaine fois? »

« Une bonne gamelle de gibier, si tu veux bien », répondit-il sans ambages. « J’en ai soupé des légumes ces jours-ci. » « Et pas pour eux, hein? », ajouta-t-il. « Eux, ils ont leur mère pour ça. Moi, personne ne s’occupe de moi. »

« Avec plaisir », dit Zhu gaiement. « Je te ferai bouillir une venaison bien cuite. » 

« J’en veux aussi! » s’écria Liang en riant, et pour lui faire plaisir; car il savait que si Zhu passait par là, c’était aussi parce qu’elle pensait à lui. « Moi, en échange, je t’offrirai un p’tit cadeau. » 

« Promis juré? », demanda Zhu enchantée. « J’aurai droit à quoi ? »

« Un collier de jade, pour te porter bonheur. »

« Eh Liang », s’écrièrent les autres en rigolant, « garde donc ça pour ta fiancée. À quoi bon l’offrir à Zhu? »

« C’est vrai ça, Liang », ajouta un autre, « Ce genre de cadeau, c’est pour la mariée. Si jamais tu veux qu’il reste dans ta famille. »

« Exactement! », ajouta un troisième et, chacun y allant de son commentaire, tous s’accordaient sur le sujet. 

« C’est pourtant la moindre des choses », répondit Liang d’un air navré, « avec tout le mal qu’elle se donne pour nous. » Puis, s’adressant à elle: « Fais pas attention à eux, Zhu. Moi et grand-père, on te taillera un beau collier de perles. Et il te protégera partout où tu iras. »

« Laisse-les pavoiser », dit Zhu, « ça fait rien », elle qui savait bien que, tôt ou tard, et comme toutes les filles de la tribu, elle était destinée à s’en aller. « Ou que j’aille, avec ce collier autour du cou, je sillonnerai la Terre en paix. » « Et jamais je n’vous oublierai, ajouta-t-elle, « surtout pas toi ni grand-père. Et jamais je n’oublierai la tribu du Grand Lac. »

« Tu as bon cœur, Zhu », dit le vieil homme, « et on a hâte de goûter à ton gibier. Il nous donnera des forces avant d’attaquer », dit le sorcier, en se saisissant de l’un des jades qui, de haute lutte, était maintenant parfaitement poli. 

« Il nous reste encore à graver l’Oracle. » 

… … … 

En petit comité – seuls Liang et ses compagnons étaient présents -, le sorcier arrangea les offrandes sur une petite table en granite, puis, sous les auspices d’un Ciel changeant, procéda au rite. 

Équipé des Six Instruments, il entonna une prière et marmonna une formule magique, jusqu’à ce que le contact soit établi. Alors, observé des Esprits du Ciel et de la Terre, il s’agenouilla au sol et se cogna la tête contre terre à plusieurs reprises, – pour apaiser les quatre mers et les huit points collatéraux. 

Quand il eut fini, il se redressa lentement et, sans cesser sa litanie, demanda à chacun de saisir son jade dans une main, de s’assoir le dos bien droit et de fermer les yeux. 

Bercé par le son lancinant de la prière, Liang ressentit d’abord un grand calme et se laissa transporter sans résister. Mentalement, Il vit alors une multitude de symboles – motifs, courbes aux formes étranges et monstrueuses -, pris dans un grand tourbillon confus lui submergeant l’imagination. Ce n’est que, peu à peu, reprenant ses esprits, que le contour 

de chacun lui apparut clair et distinct, avant de s’apposer un à un sur le jade que, les yeux fermés, il s’imaginait tenir. 

Augmenté par l’Oracle ainsi absorbé, l’écrin lui parut alors plus cristallin, diffusant une lueur limpide rayonnant dans la nuit. Au faîte de son éclat, il entra en lévitation et, suspendu, se mit à tournoyer autour de lui pendant un moment, avant de s’immobiliser à nouveau. Puis, l’un après l’autre, Il observa les symboles de l’Oracle se déverser à l’intérieur et disparaître complètement. 

Quand, finalement, l’écrin se reposa sur sa main – à son grand étonnement –, ce n’était plus cette pierre terne que, tant bien que mal, il s’était attelé à façonner jusqu’ici, mais un coffret ciselé, somptueusement raffiné. Quelque chose de final et d’incomparable. Un objet vraiment unique. 

« Ah c’est donc ça que tu deviendras! », s’exclama-t-il émerveillé. 

Autour de lui, ses compagnons faisaient tous la même tête – observant, d’un air halluciné, ce jade vierge et mal dégrossi qu’ils tenaient encore à la main; réalisant qu’à l’évidence, tous venaient de vivre la même expérience. 

« Alors vous y êtes? », interrogea le sorcier, le plus calmement du monde, « vous connaissez les motifs à graver? »

« Par cœur, grand-père! », s’extasia Liang. « Les Esprits me les ont montrés. » 

« À moi aussi! », s’écria Caillou, « j’ai vu mon disque parfaitement taillé. »

« Alors allez-y », conclut le sorcier. « Gravez donc ces visions qui vous ont éblouies. »




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