Pendant la journée, en compagnie d’un groupe de jeunes chasseurs, Liang alla couper des arbres dans la forêt.
À l’aide de machettes en pierre tranchante, ils comptaient abattre ce dont ils avaient besoin, puis traîner les troncs et les branchages jusqu’au village, pour les remettre aux mains de Caillou et des siens, en charge de réparer les chaumières.
Pendant l’excursion, ils tombèrent sur un bosquet d’arbres étranges – une espèce qu’ils n’avaient encore jamais vu.
Étonnamment droits, aux feuilles jaunies en ce début d’hiver, leur écorce était lisse et lustrée et, malgré la finesse de leur tronc, d’un bois particulièrement dur au toucher. Le long de leurs fûts, à chaque nœud, s’étaient formées des sortes de cicatrices horizontales, comme si grandir était pour eux quelque chose de douloureux.
Élancé ver le Ciel, de ce bocage de hautes tiges presque sans feuillage émanait une élégance sobre. Liang s’éprit aussitôt de ces inconnus.
« Coupons-en quelques-uns », suggéra l’un d’eux, « voir si on peut en tirer quelque chose. »
« Bonne idée », acquiesça Liang, « on les montrera à grand-père Rivière. Lui saura quoi faire de ce bois très dur. »
« Bon sang », s’écria un chasseur, « pas évident à couper », après avoir livré plusieurs gros coups de hache contre un tronc. « C’est vraiment dur et très lisse. »
« Va pas casser ta machette », dit Liang, qui remarqua par ailleurs, en s’appuyant sur l’une des tiges, que son bois était pliable.
À lui aussi, il en fallut des efforts, à coups de machette, pour parvenir à tailler une entaille et, à sa grande surprise, il s’aperçut que l’intérieur de l’arbre était creux, tout blanc et exhalait un parfum frais. En poussant dessus de tout son poids, il parvint enfin à le briser et à le faire s’effondrer.
« Ça alors », s’étonna-t-il, « on est tombé sur une perle. »
« Eh ! Regarde ça », s’écria un autre, « on dirait une jeune pousse de l’arbre bizarre », montrant du doigt une excroissance toute pointue au ras du sol.
Des deux mains, il la déterra et l’arracha. Elle était toute blanche à l’intérieur. Puis, sans réfléchir, il la porta à sa bouche et se mit à mâchouiller, sans même savoir si c’était comestible ou empoisonné.
« Ne la mange pas, » prévint Liang. Mais il était déjà trop tard.
« C’est tout sucré », commenta le téméraire, la bouche pleine. Non seulement n’avait-il pas peur, mais il avait même l’air d’apprécier.
« Mais arrête d’en manger, bon sang », dit Liang. « Si jamais tu tombes malades, au moins, tu nous auras appris quelque chose… »
« Vous avez vu ces nœuds, séparant la tige en sorte de tube ? », fit-il remarquer. « On va pouvoir en faire des récipients pour stocker de l’eau ou de la soupe. »
« Coupons-en encore quelques-uns, pour les montrer à grand-père Rivière. Lui pensera à toutes sortes d’usages qui nous échappent. »
Creuses à l’intérieur, ces tiges étaient particulièrement légères à transporter et, sur le chemin du retour, Liang se dit que, les utiliser pour parfaire les quatre pans d’une chaumière, ou pour alléger sa charpente, apporterait une amélioration à leur technique de construction – une idée à laquelle les autres chasseurs ne manquèrent pas d’acquiescer.
… … …
De retour au village, ils trouvèrent grand-père Rivière là où ils l’avaient laissé : affalé sur l’autel, au milieu des pierreries, à se goinfrer de sanglier badigeonné au jus de baies sauvages – une nouvelle recette que Zhu avait tout juste mise au point.
« À ce niveau-là, Zhu, c’est carrément du génie. Le laqué de jus de fruit rouge sur la peau de cochon bien grillée, il fallait y penser », dit-il en se régalant, ne tarissant pas d’éloges sur ce nouveau met.
« Grand-père, regarde », s’écria Liang à l’autre bout de la place, tandis que les chasseurs approchaient à grands pas, traînant derrière eux les arbres et les branchages qu’ils avaient coupés. « C’est quoi cet arbre à ton avis ? »
« Ça alors ! », s’exclama le vieil homme en écarquillant les yeux. « Qu’est-ce que tu nous as encore dégoté ? »
« On est tombé dessus tout à l’heure », dit Liang. « Tu sais ce que c’est, grand-père ? »
« Ah oui ? Où ça ? », demanda-t-il, examinant le bois avec intérêt. « À côté du village ? »
« Alors ? Tu sais ce que c’est ou non ? » Liang piaffait d’impatience.
« Eh bien dites-moi, les enfants, vous êtes tombés sur une perle ! »
« C’est paraît-il la tribu des Shen-Nong qui, les premiers, en firent la découverte. Ils le baptisèrent « bambou ». C’est un bois vraiment étonnant. Creux à l’intérieur, dur et très résistant, il se déforme à la chaleur. On peut en faire toutes sortes de récipient ; et même des flèches légères et pointues, pour viser loin et juste. »
« C’est un don du Ciel, Liang », conclut-il, prenant une tige dans ses mains pour l’examiner de plus près.
« Dis grand-père, lui là, il en a mangé un bourgeon. Il va mourir à ton avis ? »
« Non, pas du tout », répondit le sorcier. « D’ailleurs, ce ne sont pas des bourgeons, mais de jeunes pousses. J’en ai mangé moi-même, il y a longtemps et en d’autres lieux. C’est légèrement sucré et excellent pour la santé. Surtout en hiver. Ramenez-en-moi donc un peu la prochaine fois, que je me régale. »
« Puisque ce bambou est si formidable, on doit pouvoir en faire des maisons, tu ne crois pas ? », proposa Liang.
« Oui, en effet », acquiesça-t-il. « Tiens, regarde un peu comme c’est flexible. Il suffit de le chauffer un peu pour le courber. Et vois comme la tige est faite de tubes qu’on peut séparer pour en faire des récipients. Mais le plus incroyable, ce sont les flèches que l’on peut fabriquer. Elles sont si acérées qu’aucune fourrure ne leur résiste. Grâce à ta découverte, Liang, nous allons pouvoir améliorer notre technique de chasse. »
« En voilà une nouvelle ! » s’exclama Liang et, trépignant d’impatience, se demanda si, en fin de compte, cette attaque de sanglier n’avait pas été une chance pour la tribu. »
« Allez ! Allons jeter un œil à ce que fait Caillou », s’écria l’un d’eux, « et pressons-le de réparer les chaumières au plus vite. »
« Oui, allez ! », acquiesça un autre. « Avec ces nouvelles flèches, on va avoir d’autres chats à fouetter. »
« Pas si vite », interrompit le sorcier. « Plutôt que de vous exciter comme des petits singes, commencez donc par en faire des gourdes. Ça donne à l’eau une saveur sucrée. » À ces yeux, ces gamins ne connaissaient vraiment rien à la vie.
« C’est bien gentil, grand-père, de boire de l’eau dans du bambou », rétorqua Liang en s’éloignant, « mais nous, notre rôle, c’est de défendre la tribu et de ramener du gibier. »
… … …
« Eh Liang ! », hurla Caillou dès qu’il l’aperçut, là-bas au loin. « Alors comme ça, vous avez trouvé une nouvelle arme ? »
« Des armes, des armes… Ils voient des armes partout », se dit Liang en riant, tout en marchant vers lui. Le feuillage des bambous qu’il trainait derrière lui soulevait un tel nuage de poussière que, de peur d’ouvrir la bouche, il ne prit pas la peine de répondre.
« Alors ? Quel genre d’arme ? », insista Caillou, une fois l’autre en face de lui.
« Eh ben tu vois bien : ça. »
« Un arbre ? », s’étonna-t-il perplexe, déconcerté devant ces tiges bizarres qu’il découvrait. « Qu’est-ce que tu racontes ? »
« C’est pas un arbre », rétorqua Liang, tout fier d’en savoir plus que lui. « On appelle ça du bambou. Touche un peu pour voir ? »
« Dure et lisse », remarqua Caillou, après avoir passé sa main sur l’écorce et tapoter dessus.
« Soulève-s-en un pour voir. »
« Vraiment léger comme truc », dit-il, soupesant une tige dans ses mains.
« Très dure, lisse et léger… Ça ne te rappelle pas quelque chose ? », interrogea Liang.
« Une flèche ! », s’écria Caillou en écarquillant les yeux.
« Exactement ! », répondit l’autre en riant.
« C’est bien une arme. Dépêchons-nous d’en fabriquer. Pense un peu aux mastodontes qu’on va pouvoir tirer pendant la chasse. J’ai vraiment hâte. »
« Alors dépêche-toi de finir les réparations, Caillou. Après quoi, on pourra s’en occuper, tout en faisant de la poterie. »
« Et tu sais quoi ? », ajouta-t-il. « Quelque chose me dit qu’avec ces flèches, à la chasse, ce sera le jour et la nuit. »