Au fond de la mer, Beyrut en tête, les experts se dirigèrent vers la porte interdimensionnelle.
« La Nécropole des Dieux… » Pensa Linley en se retournant pour regarder.
Bien qu’ils eussent parcouru plusieurs dizaines de kilomètres, cette structure, haute de vingt mille mètres, était toujours aussi visible et face à lui se trouvait le mur orné d’un dragon sans ailes enroulé sur lui-même, tel un serpent. À la vue de cette énorme sculpture, le Saint sentit monter en lui un sentiment familier.
« Peu importe ce qui m’appelle là-bas », se dit-il. « Délia, Taylor et Sasha m’attendent à la maison, je n’ai pas le droit de risquer ma vie. »
Il sentit aussitôt une chaleur se répandre dans son cœur tandis qu’il pensait à son épouse et à ses enfants.
Bien que les courants océaniques ne fussent pas très forts, ses vagues roulaient doucement à la surface de l’incommensurable Mer du Sud, éblouissante de lumière sous les reflets du soleil brûlant de midi.
Beyrut, revêtu de sa robe noire, surgit soudain des profondeurs, immédiatement suivi des cinq divinités : O’Brien, le Dieu de la Guerre, le Grand Prêtre, Dylin, César et Tarosse et enfin des trente experts qui avaient eu la chance de survivre à la Nécropole.
Sitôt arrivé à la surface, Linley prit une profonde bouffée d’air.
– « Enfin l’odeur de l’air du continent! » Murmura-t-il pour lui-même en levant la tête vers le soleil avec un léger sourire. « Quel bonheur que de rentrer chez soi! »
Barker, Olivier, Fain, Desri et les autres experts avaient eux aussi le sourire aux lèvres. De tous les plans, c’était le continent Yulan qui les avait vu naître et les avait nourris. Leurs âmes s’y sentaient particulièrement bien.
– « Seigneur Beyrut », dit respectueusement Tarosse, « je vais vous quitter ici. »
Beyrut le regarda et acquiesça :
– « Très bien, Tarosse. Mais vous connaissez mes règles. J’ose espérer que vous ne vous aviserez plus de les enfreindre », dit-il avec un regard froid auquel Tarosse répondit aussitôt en esquissant un sourire.
– « Ne vous inquiétez pas, Seigneur Beyrut », répondit-il avec respect. « Le Tarosse que vous avez devant vous n’est plus celui que vous avez connu il y a dix mille ans. »
– « Hmm… Bon », ordonna calmement Beyrut, « Allons-y. »
Tels des flèches, tous s’envolèrent à sa suite en direction du nord.
Resté seul, Tarosse, regarda l’infinité de la mer :
– « Enfin de retour », murmura-t-il avant de replonger sous les eaux.
– « Seigneur Linley », dit mentalement Barker. « Lorsque nous avons quitté la Nécropole des Dieux, c’est Tarosse qui a ouvert la porte interdimensionnelle. Il semblerait que pour l’activer, le plein niveau Divin soit requis. »
– « Sans doute », répondit le Guerrier au Sang de Dragon. « Cependant, n’oubliez pas qu’il vous a épargné. Nous lui en sommes redevables. »
– « C’est vrai », acquiesça Barker. « Même si je ne comprends pas pourquoi il a agi ainsi. »
– « Cessez donc de vous inquiéter à ce sujet » répondit Linley en riant. « Vous devriez plutôt vous réjouir d’être en vie! Ceci dit, c’est vraiment très étrange. Jamais je n’aurais pu imaginer que le Serpent Ba soit en réalité une créature magique des Mers du Sud appartenant à notre continent. »
César, qui volait devant eux, ralentit soudain pour leur laisser le temps de le rattraper. Lorsque Linley fut à sa hauteur, il demanda en riant :
– « Vous parlez de Tarosse ? Il y a dix mille ans, il était extrêmement célèbre et connu pour être le “Roi des Mers du Sud”. Exception faite du Seigneur Beyrut, seul Dylin était à sa hauteur.
« Vraiment ? » Pensa Linley, étonné.
Ce Serpent Ba était extraordinaire.
– « Linley, il faut absolument que je vous remercie », poursuivit César.
– « Pourquoi donc, Seigneur César ? » Demanda le Saint, surpris.
Son interlocuteur baissa la voix :
– « Pour avoir sauvé Rosarie. Cette femme est si têtue qu’elle a insisté pour se rendre seule à la Nécropole des Dieux. Heureusement que vous étiez là, car cette fois… »
Seulement alors, Linley comprit.
« Malheureusement », reprit son interlocuteur, « Nous, Divinités, sommes contraints d’entrer dans la Nécropole à partir du douzième étage, aussi, j’aurais eu grand mal à acquérir l’Étincelle Divine d’un Demi-Dieu pour Rosarie. »
– « Du douzième étage ? » S’exclama Linley.
– « En effet, dans la mesure où les créatures de niveau Saint ne représentent aucune menace pour nous », répondit César en riant. « Regardez! Nous arrivons au Désert Ardent! Nous voici de retour sur le continent Yulan! »
Linley s’en était également aperçu.
– « Rentrez tous chez vous à présent », dit Beyrut.
– « Bien, Seigneur », répondirent respectueusement les experts avant de se séparer.
Les créatures magiques retournèrent les unes dans la Forêt des Ténèbres, les autres dans la Chaîne de Montagnes des Animaux Magiques tandis que les humains prenaient toutes les directions. Demeuré seul, Beyrut disparut en un éclair.
« Sa vitesse est incroyable », pensa Linley, secoué.
En effet, même si sa puissance avait considérablement augmenté, il était aussi loin de Beyrut que les cieux pouvaient l’être de la terre.
– « Enfin, nous rentrons chez nous! » Dit Bébé qui se trouvait sur les épaules de Linley, tout excité. Le Saint et Barker avaient le sourire aux lèvres. De toute évidence, ils pensaient eux aussi à leur foyer.
Ils passèrent le Désert Ardent et traversèrent l’Empire du Laiyin et l’Empire Rohault, situés au centre du continent de Yulan, au-dessus desquels l’air était maintenant assez chaud et dont on apercevait partout le feuillage vert et la végétation luxuriante.
Enfin, le groupe arriva sur les terres de l’Empire Baruch, qui se trouvait au nord du continent.
Il y faisait beaucoup plus froid que dans le sud, même si ce n’était pas un lieu de froid perpétuel, comme c’était le cas pour les Dix Huit Duchés du Nord. Pour l’heure, et bien que ce fût le mois de mars, bon nombre de branches étaient encore nues et certains endroits recouverts de neige.
Après le départ du groupe de Desri, seuls quelque uns avaient poursuivi leur route vers le nord à leurs côtés.
« Dix ans! Ces terres où régnait le chaos ont bien changé », pensa Linley qui, tout en volant, regardait avec une pointe de fierté les villes défiler sur cette terre qui s’étendait à perte de vue.
En effet, après douze ans de consolidation, l’Empire Baruch était né dix ans auparavant, permettant à la région de reprendre son souffle à la suite d’innombrables années de guerre. À ce jour, sa population ayant considérablement augmenté, ses villes, comparables à celles de la Saint Union, étaient beaucoup plus élégantes.
Soudain, il aperçut un château ancien, tout simple, qui se dressait en pleine nature.
Ses corniches étaient couvertes d’une fine couche de neige et de nombreux gardes patrouillaient au sommet. Ce légendaire Château du Sang de Dragon, où résidait Linley, pilier spirituel de l’Empire Baruch, ainsi que sa famille, avait été construit après désaffection de l’ancienne mine de Cristal de Magie.
– « C’est ici que nos chemins se séparent, Linley », dit Olivier avec un geste courtois. « Si un jour vous souhaitez me voir, venez me retrouver à la Calotte Glaciaire Arctique. »
– « Sans faute », répondit le Saint en riant.
Olivier et les autres survivants continuèrent vers le nord tandis que Linley, Barker et Bébé prenaient la direction du château.
Selon les légendes, de nombreux dragons patrouillaient aux alentours de la demeure, dont les gardes étaient les plus talentueux guerriers de tout l’Empire. Personne ne se serait risqué à envahir ces lieux.
Trois traînées de lumière fondirent sur le château du Sang de Dragon tandis qu’une immense aura englobait soudain tout l’édifice.
– « Cette aura… Serait-ce le Seigneur Linley ? »
Aussitôt, Zassler, Gates, ses frères et les enfants de Linley se précipitèrent dans les jardins à l’arrière du château pour voir atterrir le Saint et ses compagnons.
La neige qui était tombé les jours précédents n’ayant pas encore fondu, on pouvait en apercevoir quelques amas parmi les fleurs.
– « Linley serait-il de retour ? » S’écrièrent Hillman et Hiri, l’intendant, qui prenaient le soleil dans les jardins du château.
Ils se retournèrent et aperçurent au loin, côte à côte, Linley dans sa tunique bleue pâle, l’adorable Bébé grimpé sur son épaule et Barker qui portait une tenue marron.
Le Saint se précipita pour les saluer :
– « Oncle Hillman! Grand-père Hiri! »
– « C’est merveilleux » S’écria le vieil intendant, tout excité. « Dix longues années! Moi qui suis un vieillard, je me disais que je n’aurai peut-être pas la chance de vous revoir! »
En effet, Hiri, qui depuis plusieurs générations servait le clan Baruch, avait plus de cent ans à présent.
Linley, quant à lui, en avait presque cinquante, cependant, comparé aux Saints experts qui s’entraînaient depuis des milliers d’années, ce n’était encore qu’un jeune homme.
– « Seigneur Linley. Grand frère! » S’écrièrent à leur tour Gates et Ankh, ses deux vieux amis, en accourant, tout excités!
– « Père! »
Une voix grave retentit et l’on vit accourir un jeune homme robuste de plus de deux mètre de haut. Perpétuellement en sueur, il ne portait qu’une simple cape. Tout excité, il regarda de tous côtés avant d’apercevoir Linley.
– « Père! » S’écria à nouveau le jeune homme en se précipitant vers lui.
Plus grand que Linley, il avait Soixante-dix pourcents de ressemblance avec lui. Le Saint le reconnut aussitôt :
– « Taylor ?! » S’exclama-t-il avec une joie mêlée de surprise.
– « Dix ans que nous ne nous sommes pas revus, Père », répondit Taylor en l’étreignant.
À l’époque où Linley avait quitté son domicile, son fils n’était encore qu’un enfant de douze ans. Mais à les voir côte à côte, beaucoup auraient pu croire qu’ils étaient frères.
– « Père, vous n’avez pas changé en dix ans! » S’écria le jeune homme, les yeux rouges d’excitation.
Il avait vingt-deux ans à présent et ces dix ans lui avaient paru terriblement longs.
Linley lui tapota la tête en souriant. Il se sentait un peu coupable.
L’enfance était la période la plus importante du développement d’une personne et il n’avait jamais eu le loisir de passer beaucoup de temps avec son fils.
– « Où est Sasha ? » Demanda Linley.
– « Ma sœur n’est pas chez nous », répondit Taylor. « Elle est partie pour la capitale impériale et je doute fort qu’elle revienne maintenant. »
– « Et ta mère ? » Demanda le Saint qui n’avait pas encore aperçu Délia.
C’est alors qu’une belle jeune femme sortit de la maison, un bébé dans les bras. Lorsqu’elle aperçut Linley, une lueur d’admiration passa dans ses yeux.
– « Qui est-ce ? » Demanda le Guerrier au Sang de Dragon à son fils.
– « Viens vite, Jenny! » Appela aussitôt Taylor.
La jolie jeune femme s’approcha :
– « Père! », dit-elle, un peu nerveuse.
– « Père ? » Répéta le Saint, légèrement surpris.
Taylor eut un petit rire :
– « Père, voici votre précieux petit-fils, né il y a à peine trois mois », dit-il en prenant l’enfant des bras de la jeune femme pour le montrer à Linley. « Voyez comme il est mignon! »
– « Mon petit-fils ? »
Linley était sidéré. En dix ans, non seulement son fils avait grandi, mais il était père à présent.
– « Hahaha… Quelle drôle de tête vous faites, Patron! » S’écria Bébé en éclatant de rire.
Les autres l’imitèrent, mais plus discrètement.
Linley ne put s’empêcher de tapoter la tête de Taylor.
– « Fripouille », dit-il, hésitant entre le rire et les larmes. « Tu aurais pu attendre que ton père revienne pour te marier et faire un enfant! »
Puis il regarda son petit-fils. Celui-ci avait la peau tendre, délicate et le fixait de ses yeux noirs et purs. Aussitôt, le Saint se sentit fondre devant cet adorable gamin.
Avec beaucoup de prudence, il tendit les bras pour prendre le bébé. Jamais, même lorsqu’il avait ramassé les trois Étincelles Divines dans la Nécropole des Dieux, il ne s’était montré aussi attentif.
– « Oh… quel beau garçon! » Dit-il, un large sourire sur le visage.
Taylor et son épouse, échangèrent eux aussi des sourires.
– « Taylor », demanda Jenny, « Ne m’avez-vous pas dit que votre Seigneur et père avait tué à mains nues un Phoenix de Feu des Enfers ? Il ne semble pas aussi terrifiant que les légendes le dépeignent. »
Le jeune homme regarda son père qui, pour l’heure, semblait tenir dans ses bras le plus précieux des trésors.
– « Lui avez-vous choisi un prénom ? » Demanda Linley en levant la tête vers son fils.
– « Il s’appelle Arno [Prononcer A’nuo] », répondit Taylor.
– « Arno ? »
Linley plongea son regard dans les yeux du bébé, purs et noirs comme le jais, et appela doucement : « Arno, Arno… ».
Ravi de tenir dans ses bras son premier petit fils, il éprouvait un sentiment d’accomplissement.