Face aux séduisantes suggestions d’Inigo, Elquin fronça les sourcils, pensif.
– « Qu’est-ce qui vous inquiète, Seigneur ? Beyrut n’en saura rien. »
– « Miaou ! Ce que dit cet homme est assez logique », intervint le chaton doré. « Et il a raison, un Souverain lui-même ne peut lire ni dans le passé, ni dans l’avenir. »
– « Ces paroles ont du sens », soupira Elquin. « Phusro, faites-les sortir. »
Une lueur passa dans les yeux du petit chat doré qui laissa échapper un délicat « Miaou ». Aussitôt, un tunnel se forma dans le magma. Linley, Délia et Bébé écarquillèrent les yeux sous l’effet de la surprise.
– « Je me demande bien de quoi ils ont parlé, Patron », dit mentalement Bébé.
Linley était un peu inquiet lui aussi. Ils avaient compris qu’Elquin avait laissé partir Salomon et Nisse. Tout nerveux qu’il était, Bébé, n’ayant pas le choix, avait dû rester au fond du bassin.
Ensuite, plus rien…
– « Inigo et Elquin sont toujours là-haut et les connaissant, ils ne resteraient pas plantés là comme des idiots. Je suis prêt à parier qu’ils ont fait en sorte que nous ne puissions pas les entendre. Peut-être parce qu’ils parlaient de nous… »
– « De nous ? Seraient-ils en train de se demander comment ils vont nous tuer ? » Demanda Délia qui ne voyait aucune autre explication.
Tout comme Bébé, elle était assez anxieuse, leur vie étant entre les mains de tierces personnes. Le fait que l’ennemi ne les ait pas encore tués ne signifiait pas qu’il allait les laisser partir.
Linley, quant à lui et grâce aux deux gouttes de Puissance de Souverain qu’il avait en sa possession, était un peu plus confiant.
« Si nous sommes vraiment en danger de mort et même si je ne peux supporter l’idée de les gaspiller, je pourrai toujours utiliser l’une de mes gouttes », pensait-il.
– « Sortons », dit Linley et aussitôt, tous trois jaillirent du bassin et vinrent se poser sur le sol de la grotte.
Ils purent alors voir une immense vallée qui s’ouvrait sur le monde extérieur. C’était, à n’en pas douter, le chemin qu’avaient pris Salomon et Nisse pour s’enfuir mais tous trois étaient conscients de n’être pas assez rapides pour tenter de fuir à leur tour.
– « Merci de nous avoir fait grâce, M. Elquin », dit poliment Linley en s’inclinant légèrement.
D’abord surpris, Elquin se mit à rire intérieurement.
« Il est plutôt malin en me remerciant ainsi », pensa-t-il. « Si j’étais quelqu’un de respectueux, il me serait très difficile de le tuer après ça. Mais une minute ! Je n’avais de toute façon pas l’intention de le tuer ! »
Il se tourna vers Inigo dont le dessin était de tuer Bébé pour s’emparer de son arme.
« Il faudrait vraiment que je sois pris de fièvre et en plein délire pour que je fasse une chose pareille », pensa-t-il.
Il n’était pas certain, en effet, que Beyrut découvre qui était le meurtrier de Bébé mais si jamais, vraiment furieux, il jouait de toute son influence pour mener une enquête, il finirait peut-être par le découvrir et ç’en serait fini de lui !
« A quoi bon me procurer cette arme faite d’Etincelles Divines si je ne peux m’en servir ? Si je le faisais, ce serait reconnaître que je suis l’assassin. Tout au plus pourrais-je tirer un peu d’argent en la vendant mais je ferais une bien mauvaise affaire en risquant ma vie pour de l’argent. La Puissance de Souverain est bien plus précieuse ! »
Ses calculs étaient assez clairs.
Lorsqu’il s’était agi de tuer Salomon, il n’avait pas eu peur, persuadé que si ce dernier avait dû effacer la dette qu’Aiken avait envers son clan et lui remettre toute la fortune du clan Boyd, cela signifiait que ce dernier ne s’inquiétait guère du frère de Nisse. Si Aiken avait légué à Salomon une goutte de Puissance de Souverain sans rien demander en échange, c’est qu’il lui accordait une grande valeur.
« Seigneur Elquin », le prévint Inigo tandis que le petit chat remuait doucement la queue.
Toujours sur ses gardes, Linley avait attiré la goutte bleue dans son corps. « J’espère qu’il ne me forcera pas à l’utiliser », pensa-t-il.
Elquin avait sans doute en sa possession de nombreux trésors, mais rien de comparable à une goutte de Puissance de Souverain, bien plus précieuse à ses yeux que toute la fortune du clan Boyd.
Ce dernier regarda froidement Inigo puis se tourna vers Linley et les siens :
– « Vous êtes Linley et Bébé, n’est-ce pas ? » Dit-il en souriant (ce qui lui arrivait rarement). « Je vous présente toutes mes excuses pour vous avoir impliqués dans cette affaire. Vous pouvez partir à présent. »
Inigo en fut sidéré et le petit chat doré leva les yeux vers son maître.
– « Seigneur Elquin… »
– « Y verriez-vous une objection ? Pour ma part, je n’en vois pas », dit Elquin avec un sourire forcé mais au fond de lui, l’expert était furieux et pensait : « J’ai perdu plus de dix milliards de Pierres d’Encre et de nombreux subordonnés, tout cela pour rien ! Ces bâtards mériteraient de mourir !!! »
Inigo aurait bien voulu décharger sa colère sur Linley et ses proches mais devant Elquin, il n’osait pas.
– « Nous vous en sommes vraiment reconnaissants, M. Elquin », dit Linley.
– « Ne me remerciez pas et soyez prudents », répondit ce dernier qui tenait à faire montre de bonté.
En effet, certaines personnes étaient capables de se mettre en quatre pour ne pas irriter une personne mais s’ils avaient décidé de vous tuer pour voler vos trésors, rien ne pourrait les arrêter.
Linley, Délia et Bébé se regardèrent.
– « Allons-y », dit en souriant le Guerrier au Sang de Dragon, ravi de n’avoir pas avoir eu à dilapider une de ses gouttes de Puissance de Souverain.
Mais alors qu’ils prenaient leur envol, l’ombre d’une épée noire l’effleura et les ondulations générées dans l’air émirent un son clair au contact de ses écailles de dragon.
– « Qu’est-ce que c’est ? » Se demanda-t-il, surpris.
Immédiatement, tous trois s’arrêtèrent et regardèrent autour d’eux. L’épée avait creusé un tunnel duquel sortit un homme à l’air dur vêtu d’une longue tunique. C’était Learmonth, le Démon Six Etoiles qu’ils n’avaient pas revu depuis un bon moment.
En même temps que Linley et ses proches, Learmonth, en baissant la tête, aperçut Elquin et Inigo.
– « Et les autres ? » Demanda-t-il.
– « Tous morts », répondit Linley.
Learmonth secoua légèrement la tête mais en même temps, il semblait heureux que Linley soit toujours en vie. En effet, il l’estimait pour avoir pu juger de son acharnement à s’entraîner et de ses performances durant le voyage.
Aussitôt, il se précipita vers les deux comparses. Linley et les siens ne se trouvant qu’à une dizaine de mètres de la grotte, ils pouvaient voir tout ce qui s’y passait.
Personne n’ayant l’intention de les tuer, ils n’étaient pas pressés de partir aussi décidèrent-ils d’observer un moment.
– « Vous ? » S’exclama Learmonth à la vue d’Inigo.
Visiblement, il se souvenait de l’avoir vu lors de la bataille du château de sable.
Inigo blêmit en le voyant mais se souvenant de la présence d’Elquin, il lui dit avec un sourire :
– « Mes hommages, M. Learmonth. »
– « Phusro! » Grommela aussitôt Elquin, mal à l’aise.
– « Miaou… C’est quelqu’un de très puissant, Maître. Il n’a aucune peine à briser la pierre. J’ai fait ce que j’ai pu pour l’aiguiller sur une fausse piste mais il a réussi à se frayer un chemin jusqu’ici. »
– « Je m’appelle Learmonth », dit ce dernier en se tournant vers Elquin. « Puis-je savoir à qui j’ai affaire ? »
– « Elquin », répondit calmement ce dernier qui, malgré tout ce qu’Inigo avait pu lui dire au sujet de Lermonth, il n’avait aucune considération pour lui.
– « Elquin ? » Une lueur passa dans les yeux de l’expert. « L’ancien Démon Sept Etoiles ? »
– « Vous me connaissez ? »
Les yeux de Learmonth se mirent à briller, il semblait prêt au combat.
– « En tant que Démon Six Etoiles, j’ai toujours rêvé de pouvoir défier un Sept Etoiles ! »
Elquin ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Il n’aimait guère ces experts qui, férus de combat, se plaisaient à défier les autres et n’étaient pas faciles à vaincre.
– « Je suis de mauvaise humeur aujourd’hui et je n’ai aucune envie de me battre. Allez voir ailleurs », répondit-il.
– « Il est très rare d’avoir l’occasion de rencontrer un Démon Sept Etoiles. Vous voudriez que je laisse passer cette chance ? » Répondit Learmonth avec un sourire. « De plus, vous avez Inigo et je ne serais pas surpris qu’il soit à l’origine de vos manigances contre nous. Jamais, depuis que je suis Démon Six Etoiles, je n’ai échoué à une mission. »
Une étonnante aura d’épée grise apparut soudain et frôla Elquin. Surpris, Inigo battit en retraite et fit apparaître son épée flexible.
Les deux énergies se croisèrent.
Le visage d’Inigo prit un teint grisâtre et il s’effondra sur le sol. Ses yeux grands ouverts reflétaient la terreur.
Il était mort !
– « Encore cette technique ! » Pensa Linley, qui observait de plus haut, en frémissant. « Learmonth a déjà éliminé sans peine plus de dix Dieux Supérieurs grâce à elle ! Cette attaque est vraiment terrifiante ! »
– « Vous avez réussi à détruire ses deux âmes d’un seul coup d’épée ? » S’exclama Elquin, un peu surpris.
Learmonth sourit et brandit son épée :
– « Elquin, moi, Learmonth, un Démon Six Etoiles, je vous lance un défi officiel à la vie à la mort ! »
Même si son rêve était de défier un Asura, il était conscient de n’être pas encore suffisamment puissant.
– « Vous maîtrisez de façon impressionnante l’Edit de la Destruction », répondit Elquin qui bouillonnait de colère. « Mais pensez-vous que ce sera suffisant pour me battre ? »
Il avait tant sacrifié, tout ça pour devoir laisser partir Salomon ! Pire encore, il avait perdu son artefact de niveau Dieu Supérieur pour tenter de parer l’attaque ultime de Bébé. Un artefact dont il avait pris soin durant des années !
– « Seriez-vous devenu mollasson, vous, Elquin ? » Demanda Learmonth en relevant la tête.
Elquin, qui avait déjà les tripes en feu, perdit totalement son sang-froid. D’un geste de la main, il fit apparaître un long fouet noir.
En principe, un expert ne possédait pas qu’un seul artefact divin de type offensif. En plus de Sang Pourpre, Linley, par exemple, possédait aussi une épée adamantine. De son côté, Elquin avait souvent recours à d’autres artefacts.
– « Puisque vous désirez tant mourir, je vais exaucer votre souhait ! » S’écria Elquin, laissant libre cours à la rage qui le submergeait.
Plein d’enthousiasme, Learmonth éclata d’un rire sonore.
– « Nous sommes trop à l’étroit ici », dit-il. « Si nous allions combattre ailleurs ? »
– « Très bien », répondit Elquin avec un ricanement.
Aussitôt, tous deux prirent leur envol en direction de la vallée, passèrent devant Linley et les siens et foncèrent jusqu’à l’horizon.
Les yeux de Linley se mirent à briller.
Un véritable combat allait commencer. Comment aurait-il pu manquer ça ?