Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 36 – L’assassinat
Eileen demeurait silencieuse et regardait le visage mince et souriant de l’ambassadeur avec un sentiment de colère mêlé d’une pointe de terreur.
Bakerland étendit sa main droite où un panache de flammes orange dansait silencieusement.
Il avança de deux pas et fit mine de vouloir plaquer sa paume contre la peau d’Eileen, ce qui lui fit penser à ces romans dans lesquels de cruels interrogateurs marquaient au fer rouge le corps de leur victime. Une expérience extrêmement douloureuse.
– « Je ne saurais me montrer aussi brutal avec une si jolie femme », dit-il avec un petit rire en arrêtant son geste.
Soudain, il secoua le bras et les flammes orangées devinrent un long fouet rouge. Celui-ci enflamma l’air autour de lui qui prit la forme d’épines.
Bakerland lança son fouet enflammé sur Eileen, brûlant ses vêtements et laissant une marque sombre sur sa peau. Son visage se déforma et elle se mit à crier.
– « Qui vous a envoyée ? » Demanda à nouveau Bakerland d’une voix douce.
Les lèvres d’Eileen frémirent.
– « C’est… »
Alors que Bakerland attendait la réponse, ses yeux s’injectèrent de sang.
Oh non ! Pensa-t-il avant de faire un bond en arrière et de rouler sur le sol.
À l’endroit où il se tenait, une flamme s’éleva, formant un mur de feu.
Une pluie de sang et de chair éclaboussa le mur avec des grésillements.
Une partie pénétra la flamme, laissant une fine traînée de sang sur le sol qui menait jusqu’à l’ambassadeur, lequel s’était relevé.
Le ventre d’Eileen était ouvert et deux bras enveloppés d’un liquide visqueux en sortaient.
Poussant sur ces deux bras, une silhouette émergea du ventre de la jeune et jolie femme. De la taille d’un homme adulte, la créature était recouverte d’un épais liquide rouge sang qui coulait continuellement.
Comment aurait-on pu imaginer qu’Eileen, qui était une femme tout à fait normale et dont le ventre était plat, puisse dissimuler une telle chose dans son corps !
Comment avait-elle pu le cacher ?
Soudain, le corps sous la tête d’Eileen explosa en un amas de chair et de sang, prit la forme d’une silhouette humanoïde qui, mêlée au liquide qui coulait, se vêtit d’une étrange robe rouge.
La créature révélait sa véritable apparence. Elle était si belle qu’on aurait dit une femme et à la lueur des flammes, la robe rouge sang qu’elle portait ressemblait à un bouton en pleine floraison.
– « L’Évêque Rose ! » S’exclama Bakerland qui, en officier du renseignement chevronné, avait parfaitement identifié la Séquence du personnage qui se tenait devant lui.
L’Évêque Rose, Séquence 6 de la voie du Supplicateur de Secrets.
Or ceux-ci étaient experts en matière de magie de la chair et du sang !
Ces Transcendants avaient le pouvoir de se dissimuler dans le corps d’autres personnes, évitant ainsi toutes sortes d’investigations.
Mais au moment où ils émergeaient, leur hôte mourait.
– « Pour le Seigneur ! » S’écria faiblement Eileen avant de fermer les yeux à jamais.
L’Évêque Rose se frappa quatre fois la poitrine, de bas en haut et de droite à gauche.
Le sang et les flammes se reflétant dans ses yeux, le Transcendant regarda Bakerland et brusquement, fit un pas en avant. De son pied droit, il traversa le mur de feu sans en subir aucun dommage. Seul le liquide rouge sombre coulait en continu.
A nouveau, Bakerland recula et éleva soudain la voix.
– « Quelqu’un ! À l’aide ! »
Bien que Rosago, son meilleur assistant, et d’autres agents fussent en mission, l’ambassade ne manquait pas de Transcendants, pour la plupart des officiers militaires autorisés par le Royaume de Loen et qui constituaient les forces défensives disponibles !
Parmi eux un Séquence 5, un Séquence 6, trois Séquences 7 et près d’une dizaine de Séquences 8 et 9.
La voix de Bakerland résonnait dans la salle, mais personne ne l’entendait. Au-dehors, les musiciens continuaient de jouer et les invités de danser.
On aurait dit que cette pièce était coupée du monde !
Bakerland cessa de crier, plissa les yeux et regarda autour de lui.
L’Évêque Rose, qui prenait son temps, eut un ricanement :
– « C’est vous qui en avez décidé ainsi. Vous avez commandé aux gardes de ne pas vous déranger, de rester à l’écart et de ne laisser personne approcher.
« Oui… j’ai simplement souligné votre volonté et vos règles et y ai fait une légère entorse. Si vous voulez échapper à cet isolement, vous devez vous vaincre vous-même. »
Bakerland blêmit légèrement. Ce qui semblait être un respect des règles était en réalité une distorsion de celles-ci. Cette façon d’utiliser à son profit le pouvoir de l’autorité lui rappela une autre Séquence.
– « Le Baron de la Corruption ! » Grogna-t-il.
C’était la voie de l’Avocat, Séquence 6 de la voie de l’Empereur Noir.
Il n’avait pas fini de parler que son visage s’assombrit terriblement et il s’exclama :
– « Un Berger ! Vous êtes un Berger ! Qui êtes-vous au sein de l’Ordre Aurora ? M. A ? Pourquoi cherchez-vous à m’assassiner ? »
L’Évêque Rose ou plutôt le Berger eut un petit rire :
– « Vous n’avez pas besoin de savoir qui je suis. Acceptez les bénédictions du Seigneur… »
Mais il n’avait pas terminé sa phrase que son corps se raidit. On aurait dit que ses articulations étaient couvertes de rouille et qu’il était devenu une marionnette.
Bakerland éclata de rire et sa morosité disparut en un instant. Il sortit un mouchoir blanc de la poche gauche sur sa poitrine et s’essuya le coin de la bouche.
– « Je suis heureux que vous ayez pu discuter avec moi aussi longtemps. Cela m’a laissé le temps. »
Le mouchoir retiré, une tête de la taille du pouce émergea de sa poche. C’était une tête de marionnette aux yeux tout noirs !
Le Berger s’apprêtait à dire quelque chose lorsqu’il entendit soudain une voix caverneuse qui semblait venir de loin.
« Vous… »
Il s’interrompit tandis que son corps enflait et que sa peau s’assombrissait. Deux cornes de chèvre incurvées aux motifs étranges et sinistres jaillirent de sa tête et dans son dos poussèrent des ailes qui, lorsqu’elles battaient, empestaient le soufre.
En un instant, le Berger s’était avancé de trois mètres, se transformant en une créature diabolique.
Malgré tout, on aurait dit que toutes ses articulations étaient fermement entravées. Ses mouvements étaient raides et lents, et ses pensées commençaient à se brouiller.
– « Vous avez toujours la puissance du Diable ? C’était prévisible venant d’un Berger. Laissez-moi vous renvoyer à votre Seigneur. »
À l’instant même, une longue lance à la pointe blanche flamboyante se matérialisa dans la main droite de Bakerland.
Il courba le dos, prêt à lancer pour plaquer le Berger contre le mur et le réduire en cendres.
Le Pyromane, Séquence 7 de la voie du Conspirationniste, avait autrefois pour nom le Mage de Feu !
C’est alors que Bakerland se mit à tousser violemment, si violemment qu’il eut l’impression d’être sur le point de recracher son cœur et ses poumons. Du coup, il perdit le contrôle de sa lance enflammée qui disparut centimètre par centimètre. Il avait le visage rouge et le front chaud.
Son influence sur son adversaire, qu’il tirait d’un objet occulte, étant dissipée, le Berger fut délivré de sa raideur.
– « Pourquoi pensez-vous que j’ai eu une si longue conversation avec vous ? Comment se sent-on avec une pneumonie sévère et une toux incessante ? » demanda le visage diabolique avec un rictus.
En entendant ces mots, Bakerland se remémora brusquement le merveilleux physique de son ennemie lorsqu’il l’avait vue pour la première fois et répondit à regret :
– « (toux) Une maladie ! Vous… (toux) vous avez tué une…(toux) Démone de la Souffrance ! »
Le Berger dissipa sa forme démoniaque et prit l’apparence d’une série d’images rémanentes superposées.
– « Non », répondit-il avec un gloussement. « J’ai seulement reçu un don du Saint Ténébreux.
« Comme je sais que les Conspirationnistes ont toutes sortes de moyens à leur disposition, je vais maintenant recourir à ma capacité la plus puissante afin de ne pas vous laisser d’espoir inutile. »
Un livre apparut alors devant lui, un livre translucide et flou.
Les pages de cet antique ouvrage tournèrent rapidement tandis que l’on entendait scander doucement : Je suis venu, j’ai vu, je consigne.
« Tout ce que j’ai consigné ici, je peux l’utiliser une fois. C’est une capacité que le Saint Ténébreux m’avait spécialement montrée. Même si je ne bénéficie que de la moitié de son effet originel, c’est amplement suffisant », ajouta le Berger d’une voix caverneuse tandis que les ténèbres jaillies du livre l’enveloppaient.
Très vite, il prit l’apparence d’un géant d’environ 2,4 mètres de haut, le corps dissimulé par une armure noire et froide avec, à l’emplacement des yeux, deux lueurs rouge sombre.
Souleva la lourde épée qu’il tenait à deux mains, le chevalier noir fit un pas en avant et frappa.
– « Non ! Pourquoi ? » Cria Bakerland tandis que les flammes qui jaillissaient de son corps se séparaient. Des éclats de lumières fusèrent et il se retrouva coupé en deux.
L’ambassadeur s’effondra sur le sol. De son immense blessure, aucune goutte de sang ne coulait. Son âme elle-même semblait avoir été détruite par cette sombre épée dont on aurait dit qu’elle n’avait aucune existence réelle.
Hors de contrôle, les panaches de feu qui s’échappaient du corps de Bakerland provoquèrent une explosion qui secoua la pièce et fit trembler les vitres. C’est alors que l’isolement qu’il avait lui-même créé de sa propre volonté disparut avec sa mort.
Le Berger n’attendit pas l’apparition de la caractéristique Transcendante. Reprenant son apparence discrète, il profita de ce que les militaires de l’ambassade n’étaient pas encore arrivés pour traverser mur après mur jusqu’à se retrouver dehors.
…
Main sur la poignée, Klein interrompit son geste et décida de lancer une pièce avant d’ouvrir.
À en croire la révélation qu’il avait eue en rêve, si Ian était venu le voir, cela signifiait que le danger pouvait survenir à tout moment !
Tout en marmonnant les mots ce visiteur apporte avec lui le danger , Klein fit sauter un quart de pence et regarda la pièce retomber dans sa paume, chiffre vers le haut.
Négatif… murmura le jeune homme en tendant la main vers la poignée.
Mais il ne baissa pas pour autant sa garde, sachant qu’aux côtés de l’ambassadeur se tenait un Transcendant de Séquence Moyenne et de même voie que lui capable d’interférer avec sa divination.
S’il s’agissait de cette personne, il serait normal qu’il obtienne un faux résultat !
Dommage que je n’aie pas le temps ni l’opportunité de me rendre au-dessus du brouillard gris pour en avoir la certitude… Se dit Klein. Après avoir jeté un coup d’œil rapide à travers la porte avec sa Vision Spirituelle et voyant que rien ne clochait, il ouvrit et recula de deux pas.
Vêtu de son uniforme à carreaux noirs et blancs, le sergent Faxine ôta son chapeau et lui dit d’un air grave :
– « Mes supérieurs m’envoient vous dire de vous montrer prudent ce soir et demain. Méfiez-vous des inconnus. »