Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 170 – Retour à la maison
En entendant ces détails familiers, Audrey fut presque certaine que l’adorateur du Fou était derrière tout ça.
Brusquement, elle en éprouva un fort sentiment d’immersion, de participation et de fierté.
C’était un trafiquant d’êtres humains aux mains tachées de sang et de mal… La carte du “Jugement” représente le châtiment prononcé à son encontre au nom de la justice. Que pouvait bien être le verdict ? La pendaison, la décapitation ou le bûcher ? L’Empereur symbolise sans doute l’identité du justicier. Serait-ce l’adorateur qui s’est introduit au Musée Royal pour voler la carte de l’Empereur Noir ?
Durant un moment, Audrey laissa libre cours à son imagination.
Elle aurait voulu insister pour obtenir plus d’informations et de détails, mais à l’expression de son père, au ton de sa voix et à la couleur de ses émotions, elle comprit qu’il ne savait rien de plus. N’ayant d’autre choix que de réprimer sa curiosité, elle décida de se renseigner auprès de Kance Leerhsen, un ami qui travaillait pour le MI9.
Bien que le fait de demander à Kance ce qu’il en est soit, sous cet aspect, conforme à mon image, ce serait tout de même un peu direct et entrerait en conflit avec mon statut de noble. Hmm… Je vais demander à Annie de préparer quelques invitations à prendre le thé et les envoyer séparément à Glaint, Kance, Murray, Christine, Jane et les autres… La plupart d’entre eux s’intéressant à l’occultisme, ce dénommé Bandit Héroïque Empereur Noir est susceptible de retenir leur attention. Ils pourraient, sous ma direction, obtenir des réponses à de nombreuses questions qu’il serait gênant pour moi de poser…. C’est décidé…
Détournant son attention, elle se mit à grignoter son petit-déjeuner.
De son avis, jamais l’adorateur du Fou ne se serait occupé de Capim dans un seul but punitif. Cela ne lui correspondait pas. Ceci étant, si la jeune fille était restée celle qui, quelques mois plus tôt, avait rejoint le Club du Tarot, elle aurait pu accepter cette explication, sinon, jamais elle n’aurait choisi pour symbole la carte de La Justice.
Mais après avoir participé à tant de réunions et d’affaires, elle se sentait beaucoup plus mature, moins naïve. Il devait y avoir des facteurs essentiels et cruciaux derrière cette affaire, comme un dieu maléfique ou une organisation secrète dans laquelle Capim aurait été impliqué.
J’espère que Kance pourra m’apporter des informations utiles, pensa Audrey, impatiente.
…
15, rue Minsk. Tout en mangeant son pain blanc à la confiture, Klein feuilletait les journaux du jour.
– « Quoi ? Un coffre-fort ? »
Il manqua s’étouffer avec sa salive.
Ce n’est pas moi… Je n’ai pas… Ne dites donc pas de sottises… pensa-t-il, niant le fait qu’il ait pu voler le contenu du coffre-fort.
La situation étant urgente et pour obtenir des indices, il avait certes trouvé le coffre mais n’avait fait que s’y introduire pour voir s’il ne contenait pas des documents importants ou des preuves. Mais très vite et sans rien prendre, il s’était rendu dans une autre pièce.
Cela dit, son Corps Spirituel avait subi quelques dommages lors de l’explosion du gaz, ce qui réduisait considérablement le poids total des objets qu’il était en mesure de transporter. Il n’y avait, dans le coffre, que des lingots d’or, des bijoux, des titres de propriété, des antiquités, toutes des choses qui n’étaient pas pratique à emporter ou qu’il n’avait aucun moyen de blanchir.
Peut-être mettait-il son argent liquide dans un endroit bien spécifique, mais malheureusement, je ne l’ai pas trouvé et n’avais pas le temps de chercher… marmonna Klein en son for intérieur, persuadé que c’étaient les enquêteurs arrivés sur les lieux après lui qui s’étaient partagé tout le contenu du coffre.
Il regarda le journal, prit une gorgée de thé noir Sibe, expira lentement et sourit intérieurement.
Le Bandit Héroïque Empereur Noir… ce titre me plaît bien.
Son petit déjeuner terminé, le jeune homme enfila son épaisse redingote à double boutonnage, mit son semi haut de forme et prit une solide canne noire. Puis il sortit et prit la direction de l’Allée de la Hache Brisée, à la frontière du Quartier Est.
C’était là que Daisy avait disparu.
La veille, après avoir finalisé ses plans et avant de passer à l’action, il s’était délibérément rendu dans cette rue à la recherche d’indices et avait frappé aux portes des maisons voisines pour demander si personne n’avait vu de jeune fille ressemblant à Daisy.
Bien que convaincu que jamais les Transcendants officiels n’iraient s’imaginer qu’une famille pauvre soit en mesure de s’offrir les services d’un “Bandit Héroïque” au moins aussi fort qu’un Séquence 6, et même si, pour lui, il y avait davantage de chances pour que l’enquête s’oriente vers les secrets dans lesquels Capim était impliqué, enquête complétée par des investigations annexes portant, par exemple, sur “qui avait surveillé Capim récemment”, il avait jugé plus prudent de monter un spectacle et de faire de son mieux pour jouer toute la pièce. Qu’arriverait-il, en effet, si l’un des hommes de main Transcendants perdait la tête et envisageait de faire une enquête préliminaire à ce sujet ?
Certaines familles pourraient avoir quelques économies qui leur permettent d’engager d’autres détectives. Pour une personne au grand cœur comme moi, qui n’a pris l’affaire en main qu’hier, il y a très peu de risques d’être soupçonné. Et si je ne le suis pas, jamais ils ne feront le rapprochement entre mes performances et l’affaire Lanevus… De plus, la dernière fois, ce sont les Faucons de Nuit qui s’en sont occupés, aidés par le département militaire spécial. Le meurtre de Capim s’étant produit dans le Quartier de Cherwood, ce sont probablement les Punisseurs Mandatés qui prendront l’affaire en main. La communication entre ces deux factions n’est pas si simple… Hmm, Katy et Parker appartenaient à la voie de l’Arbitre. Je me demande si les militaires vont intervenir…
Ancien Faucon de Nuit, Klein connaissait suffisamment le modus operandi des différentes organisations officielles, leur façon de travailler et leurs habitudes d’investigation.
Disons-le, j’ai d’excellentes capacités anti-détectives… pensa-t-il en riant de lui-même tandis qu’il montait dans une voiture avec l’intention de poursuivre son enquête sur la disparition de Daisy.
Il n’était, après tout, qu’un simple détective privé qui n’avait pas établi de lien quelconque entre cette disparition et Capim.
…
Il était neuf heures du matin lorsque Daisy, escortée par le policier chargé de la surveillance du quartier, revint à son appartement miteux.
La nuit précédente, elle et quelques malheureuses jeunes filles avaient été installées dans différentes églises du Quartier de Cherwood et interrogées en conséquence. Il s’agissait notamment de savoir ce qu’elles avaient vu lors de leur fuite et lorsqu’elles s’étaient retournées, où elles vivaient, quelle était leur situation familiale, si elles avaient des amis qui sortaient de l’ordinaire et ainsi de suite.
Daisy, qui était encore en panique et dont la peur persistait, répondit avec franchise aux questions, après quoi plus personne ne vint la voir.
Elle dormit toute la nuit et tôt le matin, fut reconduite dans le Quartier Est et confiée au sévère policier qu’elle voyait souvent là.
En chemin, Daisy, qui tremblait de peur, n’osait rien dire. Elle ne se sentit un peu mieux qu’une fois entrée dans l’immeuble où elle vivait.
Elle n’avait pas plutôt franchi la porte de l’appartement qu’avant même d’avoir pu apercevoir sa mère et sa sœur à travers le linge qui séchait, elle entendit crier :
– « Daisy ! »
Freja laissa là ce qu’elle était en train de faire et, telle un fauve agile, esquivant les vêtements suspendus et objets éparpillés sur le sol, elle courut jusqu’à la porte et serra sa sœur dans ses bras.
Puis, lâchant sa main et les joues couvertes de larmes, elle la regarda, à la fois surprise et inquiète :
– « Tu vas bien ? C’est tellement merveilleux que tu sois enfin de retour ! »
Liv se leva à son tour de derrière le lavabo. Elle s’essuya les mains sur ses vêtements et demanda en se frottant les yeux :
– « Daisy, où étais-tu ces derniers jours ? »
– « Elle a été kidnappée », intervint le policier. « Nous l’avons secourue. »
– « Merci, merci ! Vous…vous êtes formidables ! » s’exclama Liv entre ses larmes, prenant le premier adjectif qui lui venait à l’esprit.
Le policier toussota :
– « Nous ne faisons que notre devoir… Auriez-vous rencontré quelqu’un d’étrange ces derniers jours ? »
Liv demeura un instant stupéfaite. Comme elle ne voulait pas être impliquée dans trop d’affaires ni avoir des ennuis, elle répondit :
– « Non, absolument pas. »
Le policier agita la main :
– « Soyez plus prudentes à l’avenir ! Ne prenez plus jamais de raccourcis déserts ! »
Puis, ne pouvant plus supporter l’humidité et les odeurs hétéroclites, il tourna les talons et partit.
Liv regarda à nouveau sa fille, s’approcha à grandes enjambées en s’essuyant les mains et la prit dans ses bras.
– « C’est bon de te revoir, c’est bon de te revoir… » murmura-t-elle à travers ses larmes, sans même demander si Daisy était blessée.
Les nerfs de la jeune fille se détendirent et elle éclata en sanglots.
Freja, qui pleurait elle aussi, tendit les bras et étreignit tour à tour sa mère et sa sœur.
Toutes trois pleurèrent un moment avant de relâcher leur étreinte.
Liv s’essuya une nouvelle fois les yeux et dit :
– « Lavez d’abord les vêtements, il en reste beaucoup. »
Daisy, qui venait à peine d’être secourue, acquiesça de la tête et se mit aussitôt au travail.
Ce n’est qu’à midi, alors qu’elles grignotaient leur pain noir et buvaient un thé qui ressemblait plus à de l’eau plate, que Liv trouva enfin le temps de demander :
– « Es-tu blessée ? »
Daisy secoua la tête.
– « Ils m’ont juste frappée une ou deux fois. »
– « C’est génial ! C’est la police qui t’a secourue ? Hier, un gentil détective s’est proposé de te rechercher gratuitement et voilà qu’aujourd’hui, tu es de retour. Au fait, il a toujours ton livre de vocabulaire », fit remarquer Freja en passant.
Liv, qui s’y attendait, intervint :
– « Je vais demander au vieux Kohler de le récupérer et de dire au détective que tu es rentrée pour qu’il n’ait pas à s’occuper de cette affaire. Quoi qu’il en soit, nous devrons le remercier encore une fois. »
Soulagée, Daisy répondit à la question de sa sœur :
– « Non, ce n’était pas la police. Il y a eu une explosion soudaine et les portes de nos cellules se sont mystérieusement ouvertes. Nous n’avions plus qu’à prendre la fuite. Cela dit, j’ai vu un monsieur ou une dame sur le toit.
« Cette personne portait une armure noire, un casque qui avait tout l’air d’une couronne et une cape. Elle nous regardait en silence. Aucun de ces méchants n’a tenté de nous arrêter ou de nous prendre en chasse. »
Tutrice à l’école gratuite, Daisy avait nettement plus de vocabulaire que sa mère.
– « C’est comme ça qu’était habillée la personne qui vous a sauvées ? »
À la fois stupéfaite et curieuse, Freja attendait la réponse.
Daisy hocha gravement la tête :
– « Oui, il ressemblait à ce dont parle le barde dans ses chansons… Un héros ! »
Un héros… répéta Freja pour elle-même, les yeux brillants comme des étoiles.
…
Dans une pièce secrète, un groupe de personnes, aidées des informations en leur possession, comparaient soigneusement l’affaire Lanevus avec l’affaire Capim, à la recherche de similitudes entre les mobiles et le modus operandi.
– « Il n’y a absolument aucun lien entre ces deux affaires si ce n’est le mal, ou plutôt la victoire sur le mal. Le propriétaire des cartes de tarot a fait respecter la justice », s’exclama quelqu’un.
– « Il est certain qu’il ne s’agit pas de la même personne. La différence entre les forces est évidente et les compétences plus encore. Même s’il est possible qu’ils soient de Séquence élevée, le meurtrier de Capim est une sorte de spectre ou quelqu’un capable de passer à l’état de Corps Spirituel, ce qui n’est pas commun », fit remarquer une autre personne, analyse approuvée par la majorité.
– « Deux cas, deux personnes différentes, mais qui ont toutes deux jeté sur le corps des cartes de tarot. Peut-être la dernière est-elle un imitateur. Si tel est le cas, nous pouvons cibler tous ceux qui sont au courant de l’affaire Lanevus », conclut l’organisateur de la réunion. « Une autre possibilité est qu’il s’agisse d’une organisation.
« Une organisation symbolisée par des cartes de tarot ! »