Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 14 – L’inventeur Leppard
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Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 14 – L’inventeur Leppard

Assis devant sa table par un matin brumeux, Klein rompit le pain de blé qu’il avait acheté tout spécialement et le trempa dans du lait ce qui était une bien meilleure manière de le manger.

Bien que le temps eût passé depuis qu’il avait changé de corps, sa quête et son obsession de mets délicats étaient gravées dans son âme. Totalement incapable de s’adapter au style monotone et répétitif du Royaume de Loen en matière de petit-déjeuner, le jeune homme faisait tout son possible pour expérimenter. Il s’efforçait de ne pas se limiter aux toasts, au pain, au bacon, aux saucisses et au beurre mais de repousser les limites et d’améliorer sa façon de manger. Il avait, par exemple, ajouté à ses recettes des tourtes au porc du sud, des nouilles Feynapotter et des pâtisseries au maïs rôti.

Le caviar de l’Empire Feysac n’est pas mal non plus mais il est trop cher. Il ne convient qu’aux repas officiels… Se dit notre détective en mettant dans sa bouche un petit morceau de pain ramolli. Il lui suffisait de le mâcher légèrement pour sentir les saveurs du lait se mêler au parfum du blé, ce qui lui laissait un goût encore plus suave dans la bouche.

Son petit-déjeuner terminé, Klein posa ses couverts et, peu pressé de débarrasser la table, se mit à lire les journaux.

Je ferai une séance de divination dans un moment. S’il n’y a rien d’autre à faire, je rendrai visite à M. Leppard, rue Sird dans le Quartier St George pour voir si son nouveau véhicule mérite investissement… Backlund est vraiment grand. Chaque quartier a presque la taille de Tingen et le Quartier Est est au moins deux fois plus grand… Le moyen le plus simple et le plus économique de se déplacer est de marcher, puis de prendre le métro à vapeur et de marcher encore. C’est plutôt une perte de temps… Se dit le jeune homme, l’esprit vagabond.

Le système de transport public de Backlund était assez similaire à celui de Tingen et le prix à peu près le même. Seul problème, la plupart des véhicules étaient confinés à un seul quartier. Si l’on voulait se rendre de Cherwood à St. George, il fallait en changer plusieurs fois ce qui, évidemment, augmentait le prix du trajet.

Dans de telles circonstances, la perspective d’un nouveau véhicule de transport était très attrayante.

C’est alors qu’on frappa à la porte, si fort qu’on aurait dit des coups de marteau.

Qui est-ce ? Cette personne ne sait-elle pas tirer la sonnette ? Pensa Klein qui redressa son col et alla ouvrir.

Il reconnut alors le montagnard qui poursuivait Ian dans le métro, un homme mince et vigoureux à la peau sombre et aux orbites enfoncés.

D’après ce que notre détective avait pu découvrir par le biais de la médiumnité, celui-ci s’appelait Meursault et était un “exécuteur” du gang Zmanger, presque l’égal du chef.

– « Excusez-moi mais qui cherchez-vous ? Avez-vous une mission à me confier ? » Demanda Klein, se montrant délibérément un peu confus.

Quoique Meursault portât un manteau noir et un chapeau de soie pompeux, il n’avait visiblement rien d’un gentleman.

Jaugeant froidement son interlocuteur, il demanda en Loen teinté d’un fort accent des hautes terres :

– « Êtes-vous le détective Sherlock Moriarty ? ».

– « Oui », répondit aimablement Klein.

Meursault hocha la tête avec raideur :

– « Je voudrais vous engager pour retrouver quelqu’un ».

– « Allons discuter de tout cela à l’intérieur », dit Klein qui ne voulait en rien paraître bizarre.

– « Ce ne sera pas nécessaire », répondit sèchement le visiteur dont le regard se fit vif : « La personne que je cherche se nomme Ian. Ian Wright. Il des yeux rouge vif, peut-être quinze ou seize ans et porte généralement un vieux manteau marron avec un chapeau rond de la même couleur. Je crois que vous le connaissez. »

Klein eut un léger rire :

– « Je ne vois pas de quoi vous parlez. »

Meursault parut ignorer sa réaction :

– « C’est un voleur qui m’a dérobé un objet important. Si vous parvenez à le retrouver, vous toucherez au moins 10 Livres. »

– « Vous ne me donnez que trop peu d’indices », répondit Klein pour excuse.

– « 30 livres », renchérit Meursault.

– « Non, cela va à l’encontre de mon principe de confidentialité. »

– « 50 livres », dit froidement Meursault.

Stupéfait durant deux ou trois secondes, Klein choisit cependant de refuser :

– « … Je suis désolé, je ne peux pas accepter cette mission. »

Meursault le scruta durant quelques secondes, puis son regard se fit froid et cruel.

Sans un mot, il se retourna brusquement et s’éloigna d’un pas vif jusqu’au bout de la rue.

Ce gang est plutôt bien renseigné… Ils savent déjà que Ian est venu me voir… Soupira intérieurement Klein, ému. Cependant il ne ressentait guère la peur ou l’angoisse.

Après tout, j’ai déjà affronté directement le fils d’un dieu maléfique, même si un ventre nous séparait… A cette pensée, il retrouva le sourire et se mit à jouer à pile ou face pour savoir s’il devait ou non sortir ce jour-là.

La réponse fut positive.

Quartier St. George, rue Sird.

Après avoir pris les transports publics sur rail, puis le métro et enfin une calèche pour un total de 11 Pences, notre détective arriva à destination.

En descendant de voiture, il s’aperçut que le crachin tombait et il n’avait pas de parapluie.

D’après les journaux et magazines, c’était quotidien à Backlund et si les chapeaux étaient si populaires, c’était parce que les messieurs comme les dames n’emportaient pas toujours leur parapluie. Klein enfonça sur sa tête son semi haut-de-forme et courut jusqu’au numéro 9 où il trouva abris sous la corniche du toit.

Tapotant les gouttes d’eau accrochées à ses vêtements, il sonna à la porte mais ne perçut ni « Coucou » ni tintement.

La sonnette serait-elle cassée ? Klein était sur le point de frapper lorsqu’il perçut soudain des pas dans le lointain.

L’image de la personne apparut naturellement dans son esprit. C’était un homme grand et mince aux cheveux noirs et aux yeux bleus. Il avait une trentaine d’années et quoique vêtu d’une tenue d’ouvrier d’un gris bleuté, paraissait doux et raffiné.

La porte s’ouvrit avec un grincement et le monsieur se frotta le front :

– « Puis-je savoir qui vous cherchez ? Se passe-t-il quelque chose ? »

Klein ôta son chapeau et s’inclina légèrement :

– « Je suis venu voir M. Leppard. Je suis intéressé par son nouveau véhicule. »

Les yeux de l’homme s’illuminèrent :

– « Je suis Leppard. Entrez, je vous prie. »

Il s’écarta pour laisser entrer Klein mais comme il n’y avait pas de porte-manteau dans le hall d’entrée, celui-ci posa sa canne et garda son manteau pour suivre son hôte au salon.

Il faut dire que la maison de ce gentleman était très désordonnée. Sur la seule table basse du salon, on pouvait voir, entre autres objets mécaniques, des clés, des roulements et des tournevis.

– « Combien souhaitez-vous investir ? Oh pardon, voulez-vous un café ou un thé noir ? Euh… il semblerait que je n’aie plus de thé noir… » lâcha Leppard.

Ce monsieur est un peu direct et ne me semble pas être très doué pour les relations interpersonnelles… Se dit Klein qui, laissant de côté ce qu’il avait l’intention de dire, répondit sans ambages :

– « Il me faut voir votre nouveau véhicule avant de prendre une décision. Je ne puis m’engager sans savoir. »

Tout en parlant, il regarda autour de lui et vit un Emblème Sacré triangulaire accroché au mur, un triangle massif couverts de symboles tels que vapeur, engrenages et leviers.

C’était l’emblème du Dieu de la Vapeur et des Machines.

Nullement offusqué de sa franchise, Leppard lui dit aussitôt :

– « Je vais vous montrer. » Puis, se frappant la tête, il ajouta : « J’allais oublier, nous devons signer un accord de non-divulgation afin que je sois sûr que vous ne me volerez pas mon invention. »

Vous non plus n’avez pas très bonne mémoire, M. Leppard… Se dit Klein qui répondit avec un sourire :

– « Aucun problème. »

Le contrat basique signé, Leppard le mena jusqu’à une pièce qui semblait être une salle d’activité qu’il avait rendue plus spacieuse en l’ouvrant sur la chambre d’amis et le sous-sol.

Sur le sol jonché de composants, au milieu de la pièce, trônait et un objet grossier de la moitié de la taille d’un homme.

Le fil de la sonnette y avait été intelligemment raccordé de sorte que si quelqu’un tirait sur la corde, une bille d’acier sortait du mécanisme et roulait sur une piste spéciale avant de venir heurter l’objet placé au centre avec un son métallique.

Le son n’était certes pas trop fort mais suffisait à réveiller Leppard, absorbé par cette machinerie.

– « C’est là le nouveau moyen de transport que vous avez inventé ? » demanda Klein en désignant l’objet placé au centre de la pièce.

– « Oui, je l’ai inventé en me basant sur l’imagination de l’empereur Roselle ! » Répondit-il, une lueur fervente dans les yeux.

– « L’imagination de l’empereur Roselle ? » Répéta Klein, surpris.

– « L’Empereur Roselle a laissé plusieurs manuscrits dans lesquels il exposait sa vision des machines du futur. C’était un génie exceptionnel, ou plutôt un maître ! Beaucoup sont devenues réalité ! », expliqua l’inventeur sur un ton admiratif. « Héhé, ce manuscrit est conservé dans l’Église du Dieu de la Vapeur et des Machines et les croyants non fervents ne peuvent en aucun cas l’emprunter. »

… Empereur, vous ne laissez jamais rien au hasard pour les autres… Pensa Klein en réprimant avec peine un sourire avant de changer de sujet :

– « Dites-moi tout. »

Leppard conduisit Klein jusqu’au grossier objet métallique et ouvrit la porte.

– « C’est un outil de transport qui ne nécessite pas de cheval. Le conducteur s’assoit sur le siège avant gauche et appuie sur les pédales qui, par le bais de leviers et d’une chaîne reliée aux quatre roues, permettent au véhicule d’avancer. Pour les roues, j’ai utilisé du caoutchouc gonflé afin que le parcours soit plus doux. »

Une voiture à propulsion humaine ? Ironisa Klein.

– « La seule force d’un homme ne permettra jamais à cet énorme chariot d’au moins quatre passagers de voyager très loin », dit-il d’un air pensif.

– « C’est précisément mon prochain objectif : réduire le poids multiplier la force du levier. Mais ma situation financière n’étant pas au mieux, je ne puis financer de nouvelles expériences », répondit Leppard en posant sur son visiteur un regard plein d’espoir.

– « Pourquoi ne pas envisager d’autres méthodes et utiliser, par exemple, la vapeur comme force motrice ? » Suggéra Klein en pesant ses mots.

Leppard secoua la tête.

– « D’autres inventeurs ont déjà tenté mais le véhicule est si gros qu’il est difficile de le conduire dans de nombreuses rues. »

C’était exactement ce que Klein attendait.

– « Dans ce cas, pourquoi ne pas créer quelque chose de plus simple, comme par exemple un véhicule d’une personne qui n’aurait pas de coque et fonctionnerait sur deux roues ? »

– « Vous voulez dire une sorte de bicyclette ? Demanda Leppard, pensif.

Le manuscrit de Roselle en parle ?

– « Oui », répondit Klein en hochant lourdement la tête.

– « Les bicyclettes que d’autres ont déjà inventées ne sont pas très pratiques… Mais en simplifiant cela… ça devrait pouvoir fonctionner. Le véhicule aurait vraiment l’air différent. Mais, qui l’achèterait ? » Murmura Leppard pour lui-même

Klein n’hésita pas à l’aiguiller :

– « Le facteur, la classe ouvrière qui n’a que très peu d’économies, l’homme d’affaires qui n’a que faire du paraître et cherche à économiser… Il y en a beaucoup à Backlund. »

Leppard réfléchit un instant :

– « … Je pourrais essayer mais je n’ai pas l’argent pour les pièces détachées. »

– « Je vais investir 100 Livres d’or et en plus de la proposition que je viens de vous faire, je prendrai un total de… » Klein hésitait à lui annoncer dix pour cent des actions. Quinze pour cent, c’était mieux, d’autant que cent livres ne représentaient pas, à proprement parler, une grosse somme.

Craignant qu’il ne fasse une demande déraisonnable, l’inventeur parla le premier :

– « Vous aurez 35% des actions, mais uniquement sur le concept de bicyclette dont vous m’avez parlé ! »

– « Marché conclu ! » répondit Klein avec un sourire. « Nous allons d’abord rédiger un contrat de base et régler cette affaire. Je me mettrai ensuite en quête d’un avocat pour rédiger un contrat officiel et y préciser les détails. Si, par exemple, quelqu’un d’autre souhaite devenir investisseur, il devra d’abord obtenir mon accord. »

– « Aucun problème », s’empressa de répondre Leppard qui n’avait qu’une idée en tête : acheter au plus vite les pièces nécessaires.

Dans la grisaille qu’apportait le crachin, Klein retourna rue Minsk dans le Quartier de Cherwood.

Arrivé chez lui, il monta aussitôt à la salle de bain pour soulager son ventre ballonné.

Sous le bruit de l’eau qui coulait, il se pencha pour se laver les mains et c’est alors qu’une image se forma dans son esprit :

Dans le miroir au-dessus du lavabo se reflétait sa tête baissée et dans l’ombre, deux yeux.

Oui, deux yeux !

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