Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 137 – Un splendide feu d’artifice
Une à une, les balles fendirent l’air, tourbillonnant dans un éclat doré ou émettant des rayons resplendissants avant d’atteindre la tête de Steve.
Grâce au contrôle que le Clown exerçait sur son corps et à sa pratique constante du tir, les six balles de Klein, augmentées du Clivage de Purification, atteignirent précisément l’endroit même où les deux premières balles avaient frappé !
Telles les poings d’un géant de lumière, elles virent frapper de façon répétée la partie gauche du visage de Steve !
Il y eut une série de détonations et Steve, empêtré par les bras étranges et les lianes vert sombre, ne parvint pas à éviter l’attaque. Sa tête, à plusieurs reprises, fut repoussée sur le côté par les balles qui le fouettaient tandis que son corps tremblait. Ses pommettes eurent tôt fait de s’effondrer, de se briser en os blancs et tranchants !
La dernière balle traversa enfin le visage de ce Transcendant de Séquence 5 et fit éclabousser son sang rouge sombre. Les flammes dorées pénétrèrent par cette ouverture et émirent des éclats de brume d’un vert sombre.
Dans la lumière sacrée, les vêtements de Steve s’enflammèrent. Son corps dégoulinant de graisse fut rapidement carbonisé.
Cependant, il était encore en vie !
De toute évidence, la capacité de survie d’un Séquence 5 de la Voie du Mutant était bien meilleure que celle de Rosago, le Maître Marionnettiste !
Cela dit, Steve, grièvement blessé, ne pouvait plus résister aux étranges bras qui le tiraient. Ses jambes se dirigeaient malgré lui vers la porte de bronze et, comme s’il volait, il fut projeté dans l’obscurité où des yeux se cachaient.
Le front couvert de sueur, Sharron referma son poing droit.
Les rayons de lumière illusoires et subtils disparurent brusquement et la porte indescriptiblement mystérieuse fut coupée de la source qui la faisait exister.
Celle-ci vacilla et avant que Steve ne soit entré, elle retira à contrecœur ses longs bras sanglants et pleins de dents, et scella la fissure.
La porte se referma avec un grincement, devint translucide et disparut rapidement.
Le corps penché en avant, Steve resta sur place, raide, noirci et ratatiné comme un cadavre momifié qui aurait longtemps brûlé.
Le poing droit fermement serré et la Couronne Lunaire Écarlate sur elle, Sharron devint aussitôt immatérielle. Elle fit un pas en avant et se superposa à Steve.
La Vision Spirituelle de Klein la perdit aussitôt de vue. Cependant, Steve leva brusquement ses poings et les écrasa contre sa tête déjà grièvement blessée qui prit l’apparence d’une tomate pourrie tandis que des taches d’un blanc laiteux jaillissaient avant d’éclabousser le sol.
Une silhouette translucide en fut expulsée qui s’étendit et prit la forme de quelque chose qui ressemblait à une méduse géante. A l’intérieur, on pouvait voir tournoyer un liquide onirique et se condenser deux yeux d’une pâleur mortelle !
Chassée par cet étrange objet, Sharron réapparut à ses côtés.
Elle tendit brusquement la main gauche et laissa échapper un cri silencieux.
Soudain, le sol devint noir. On aurait dit une mer profonde et boueuse. Des lianes sanglantes et tordues en sortirent et se divisèrent en de nombreuses sections, chacune avec quatre dents pointues et un œil.
La plante rouge sang qui se développait sauvagement vers le haut s’accrocha aussitôt au fantôme à l’apparence de méduse et aspira goulûment le liquide qu’il contenait.
Le fantôme s’effondra rapidement et la plante se retira dans la mer profonde et boueuse.
Ce délai permit à Steve, désormais sans tête et carbonisé, de s’enfuir. Il traversa la clairière en direction de la sortie.
Il n’était toujours pas mort !
Il n’avait fait que quelques pas lorsqu’un bruit net brisa le silence.
Klein, dans sa redingote noire à double boutonnage, son chapeau sur la tête, s’était tourné vers lui et claquait des doigts.
La terre sous les pieds de Steve se souleva violemment et des flammes écarlates s’élevèrent, se propageant vers le haut.
Lorsqu’elles eurent atteint leur point culminant, elles retombèrent comme de magnifiques feux d’artifice.
Le corps de Steve fut mis en pièces. Ses mains et ses pieds calcinés, ses tripes et son sang se répandirent sur le sol. Un de ses doigts roula jusqu’aux pieds de Klein et la bouteille de poison biologique dans une autre direction.
Le corps mutilé, dernière trace de l’existence de Steve, se tortilla plusieurs fois et s’immobilisa.
Durant les feux d’artifice, Klein avait senti que son énergie spirituelle devenait plus active et que les pouvoirs qui ne lui appartenaient pas encore totalement étaient plus en phase avec lui.
En réaction à cette sensation, il passa le revolver dans sa main gauche. De sa main droite gantée de noir, il ôta son chapeau de soie, le pressa contre sa poitrine et s’inclina légèrement devant Sharron.
Les yeux bleus de la jeune femme croisèrent les siens et se posèrent sur Tyre et Maric derrière lui.
Puis elle disparut et les yeux de Tyre reflétèrent son image.
Il se tenait là, raide, les cheveux noirs hérissés.
À grand peine, il leva les bras et les pressa contre sa tête.
Il se contorsionna si vivement qu’il put voir sa colonne vertébrale sous ses vêtements déchirés.
Une nouvelle torsion et il extirpa sa tête de son torse !
Durant tout le processus, il ne laissa échapper ni un cri, ni un mot.
Sa tête entre les mains, il restait droit tandis que son sang coulait.
Sharron ne quitta pas immédiatement le corps de Tyre. Elle semblait vouloir faire quelque chose.
Très vite, des brins de lumière d’un vert sombre provenant de la tête et du corps de l’homme se condensèrent sur l’un de ses crocs comme noyau.
Il semblerait que Miss Sharron ait un moyen d’accélérer la séparation des caractéristiques Transcendantes… à la condition qu’elle prenne possession de la cible, tue la personne et ait le contrôle total du corps…
Klein, qui avait compris, se pencha, ramassa les douilles tombées au sol et les rangea une à une dans la boîte métallique.
Il craignait que les enquêteurs, qui n’allaient pas tarder à arriver, n’identifient l’Artisan à la spécificité des douilles et du même coup la femme qui lui avait acheté les formules du Corrupteur et du Barbare. Ils se focaliseraient alors sur les réunions d’Œil de Sagesse dont la sécurité serait menacée.
Quant aux balles, elles avaient depuis longtemps été sacrifiées aux divinités correspondantes dans la lumière et les flammes sacrées, tout comme les matériaux des charmes.
Klein rangea son revolver. Il était sur le point de faire un pas en avant lorsqu’à une vitesse époustouflante, Sharron se retrouva près de la bouteille de poison biologique qui flotta et vint se poser dans sa main.
Avant même qu’il n’ait eu le temps de réfléchir, la femme blanche, d’un geste du poignet, lui lança le flacon marron translucide et un croc vert sombre.
… Pour gagner du temps, elle m’aide à récupérer mon butin ? Klein en était stupéfait. Instinctivement, il prit un morceau de papier dont il recouvrit les deux objets pour ne pas entrer en contact direct avec eux.
C’est alors qu’il s’aperçut que la robe noire de Sharron n’était plus aussi ordonnée et propre que d’habitude. Elle flottait doucement dans le vent et quelques mèches des cheveux blonds de la jeune femme étaient collées sur le côté de son visage. Elle ressemblait davantage à une personne humaine.
Hmm… Cette Bouteille de Poison Biologique est livrée avec son bouchon… Je me demande quels sont ses effets secondaires négatifs…
Klein baissa la tête et examina son butin de guerre. Il referma le flacon à l’aide du bouchon noir accroché sur le côté afin qu’il ne puisse plus lui nuire.
Quant au croc vert, c’était la caractéristique Transcendante laissée par le Loup-garou.
Le jeune homme plaça les deux objets dans une petite boîte en métal qu’il avait préparée, puis créa un mur d’énergie spirituelle à l’aide de la Poudre de Nuit Sacrée de manière à les empêcher d’influer sur leur environnement. Du coin de l’œil, il regarda disparaître la silhouette de Sharron. Les restes de chair de Steve se tortillaient et produisaient un point de lumière presque translucide.
Par ailleurs, il restait sur ses gardes face à Maric, craignant qu’il ne devienne brusquement fou.
Cette vigilance lui permit de s’apercevoir que les pouvoirs de guérison d’un Zombie étaient vraiment étonnants. Les blessures profondes qu’il présentait un instant plus tôt s’étaient pratiquement refermées !
Maric, de son côté, lui jeta un regard profond. C’était comme s’il s’était souvenu de quelque chose et avait compris quelque chose.
Lorsqu’il eut terminé, Klein s’éloigna d’une douzaine de pas et ramassa la boîte métallique carrée déterrée par les zombies et les ombres, et vit le sifflet d’Azik ainsi que le Passe- Partout entourés de “bougies” à forme humaine.
Il y jeta un coup d’œil et réalisa qu’il n’osait pas les récupérer.
Les effets de la Couronne Lunaire Écarlate rayonnaient encore dans la clairière !
C’était le dernier piège qu’il avait mis en place, un piège qui ne devait être utilisé qu’en dernier recours, si tous les autres moyens avaient été épuisés. Pour cela, il avait pris le temps de se rendre dans une morgue et de voir ce que feraient les cadavres après avoir mis la main sur le sifflet en cuivre d’Azik. Cela lui avait permis de concevoir un plan.
– « Ahem…. Pourriez-vous mettre fin à l’influence de la Couronne Lunaire Écarlate ? » demanda-t-il à Sharron qui avait repris sa forme matérielle et tenait à la main une marionnette translucide.
Sans dire un mot, la jeune femme, de son autre main, posa l’objet occulte contre sa poitrine.
Klein alors se pencha et, du bout des doigts, saisit le trousseau de clés comprenant le sifflet de cuivre et le Passe-partout qu’il rangea dans la boîte en fer carrée aux marques de balles concaves qu’il scella aussitôt.
Pendant ce temps, Maric faisait le tour et s’occupait des lieux.
Sharron remit en place son petit bonnet noir, disparut et réapparut devant Klein.
– « Le Livre des Secrets est dans votre chambre », dit-elle posément.
Si je comprends bien, quel que soit le résultat final, je touche une partie de la récompense si je reviens vivant… Je ne me serais pas donné tout ce mal pour rien…
Le jeune homme sourit et s’inclina :
– « Merci pour votre générosité. Mais il faut partir, les Transcendants officiels ne vont pas tarder à arriver. »
Sharron approuva de la tête :
– « Avez-vous besoin d’aide ? »
– « Ce ne sera pas nécessaire », répondit Klein avec un petit rire. « Il me reste beaucoup de feux d’artifice que je n’ai pas libérés. »
Sur ces paroles, il leva la main et claqua des doigts.
Les explosifs restants explosèrent un par un en jets de flammes vers le ciel.
Elles s’agglutinèrent autour de la plus grande, celle, au centre, qui attirait particulièrement l’attention. C’était un merveilleux spectacle onirique.
Durant une seconde, le regard de Sharron fut instinctivement attiré puis, lorsqu’elle se retourna, Klein n’était plus là. Il ne restait plus de lui qu’une étincelle qui se dissipa peu à peu.
Arrivé à distance de la clairière, il fit un petit détour par le nord-ouest pour ne pas croiser les Transcendants officiels. Sur le chemin, il alluma une allumette après l’autre. Les flammes s’élevaient aussitôt pour disparaître tout aussi vite et Klein passait d’un feu à l’autre, sautait par-dessus les flammes. Il eut tôt fait de quitter le quai de Balam Ouest.
Lorsqu’il fut loin, il prit un flacon d’extrait spécialement concocté, et à l’aide d’un papier et d’un geste léger, il débarbouilla toute la peinture qui maculait son visage.
Puis, secouant son poignet, il réduisit le papier en cendres.
Il récupéra ensuite sa canne qu’il avait cachée non loin de là, remit de l’ordre dans sa tenue et s’avança dans la rue comme une personne ordinaire.
Quelques minutes plus tard, le jeune homme arriva près d’une église qui avait pour nom la Cathédrale du Levier.
Bon nombre des fidèles n’étaient pas riches, ils ne pouvaient pas nécessairement se reposer le dimanche, aussi les cathédrales des différentes Églises restaient généralement ouvertes jusqu’aux premières heures du matin afin que les croyants aient la possibilité d’y venir prier et faire acte de contrition.
Klein leva les yeux, puis, frappant les marches de sa canne noire, entra dans l’édifice avec l’intention d’éviter les salves d’inspection des gens des environs.
…
Quelques minutes plus tard, une équipe de la Conscience Collective des Machines arriva dans la clairière aux entrepôts désaffectés.
Ils étaient cinq au total, chacun portant une arme Transcendante. Mais voyant les lieux impeccables, tous froncèrent les sourcils.
Après un moment d’observation, ils se mirent à la recherche d’indices.
…
Dans la Cathédrale du Levier…
Il n’était pas encore 11 heures et il y avait pas mal de monde dans la salle de prière. Pourtant, il y régnait une atmosphère si sacrée et paisible que personne n’aurait voulu rompre le silence.
Klein s’assit sur le troisième banc de l’allée, déposa sa canne noire et ôta son semi haut de forme en soie. Puis, les mains emprisonnant son menton, il ferma les yeux, incroyablement calme.
Un Emblème Sacré de forme triangulaire se dressait devant lui.