Contes Fantastiques du Pavillon des Loisirs | 聊斋志异
A+ a-
JIAONA 2
JIAONA 1 Menu JIAONA 3

Puis entra une fille fardée d’une extrême beauté. Le jeune seigneur lui demanda de jouer le “Chant des deux princesses antiques”, le Xiangfei. Elle pinça les cordes à l’aide d’un onglet d’ivoire produisant une mélodie émouvante d’une pureté mélancolique dont la cadence ne ressemblait aucunement à celle des airs habituels. Le jeune seigneur fit verser à boire dans de grandes coupes et cela dura jusqu’à la troisième veille.

 

Le lendemain matin, ils se remirent aux études; le jeune seigneur se montra si brillant qu’il fut bientôt capable de réciter par cœur ce qu’il venait de lire; et, après deux ou trois mois, il composait des vers bien frappés. Dès lors on se réunit tous les cinq jours pour boire et chaque fois on fit venir Xiangnu. Un soir, échauffé et émoustillé par le vin, le lettré lorgnait la jeune fille avec insistance et le jeune seigneur, comprenant son désir, lui dit:

 

—   Cette servante a été élevée par mon vieux père; comme vous êtes seul et sans famille, je n’ai eu de cesse d’établir un projet pour vous et bientôt je vous trouverai une bonne épouse.

 

—   Si vous avez cette bonté, il faudrait qu’elle soit belle comme Xiangnu.

 

—   Vous êtes vraiment quelqu’un qui s’étonne facilement pour avoir trop peu vu, dit le jeune seigneur en souriant avec ironie. Si vous considérez cette fille comme la meilleure, il ne sera que trop aisé de vous contenter.

 

Six mois après, alors que le lettré voulait se promener dans la campagne, il trouva la porte fermée de l’extérieur et en demanda la raison.

 

—   Mon père craint, dit son disciple, que nous ayons des fréquentations qui dérangent par trop nos études. C’est pour écarter les visiteurs.

 

Le lettré se plia à ces conditions.

Comme il faisait un été chaud et humide, on transféra lu salle d’études dans un pavillon du jardin. Un jour le lettré s’aperçut qu’il avait une mauvaise enflure à la poitrine, grosse comme une pêche; une nuit après elle atteignait la dimension d’un bol et Kong gémissait de douleur. Le jeune seigneur le veillait jour et nuit, oubliant le manger et le dormir. Quelques jours plus tard, le mal s’était aggravé au point que le malade ne pouvait plus prendre aucun aliment. Le vieux seigneur venait aussi le voir et on se regardait en soupirant.

 

—   J’ai pensé la nuit dernière, dit le jeune homme à son père, que ma sœur Jiaona pourrait guérir la maladie de mon maître, et j’ai envoyé quelqu’un chez ma grand- mère pour lui demander de revenir. Pourquoi n’est-elle donc pas encore arrivée?

 

Soudain le jeune serviteur entra et annonça:

 

—Mademoiselle Na est venue avec madame la tante et mademoiselle Song.

Le père et le fils accoururent aussitôt dans les appartements intérieurs pour les recevoir. Peu après ils amenèrent la sœur auprès du lettré. Elle paraissait âgée de treize à quatorze ans; ses yeux brillants d’intelligence, sa taille souple comme une branche de saule et sa jeunesse éclatante firent oublier son mal au lettré qui en cessa de gémir et se sentit l’esprit tout revigoré.

 

—C’est mon meilleur ami, dit le jeune seigneur, c’est un frère pour moi, tu dois le soigner de ton mieux.

 

La jeune fille maîtrisa sa gêne et, retroussa ses manches et s’approcha du divan pour examiner le malade.

 

Kong se sentit envahi par l’odeur de son haleine, plus délicieuse que le parfum de l’orchidée, lorsqu’elle lui tâta le pouls.

 

—Cette maladie était bien prévisible, dit-elle en souriant, étant donné que le cœur a été tant secoué; elle est dangereuse, mais guérissable. Comme la chair de la tumeur est putréfiée, il est nécessaire d’en faire l’ablation. Elle enleva alors son bracelet d’or, le plaça autour de l’endroit tuméfié et l’y pressa doucement. La tumeur monta d’un pouce à l’intérieur du cercle du bracelet; ainsi le pus s’y concentra et le volume de la partie malade s’en trouva diminué. Jiaona écarta ensuite les pans de sa robe de mousseline pour prendre un bistouri à lame fine comme du papier qu’elle portait accroché sur elle. D’une main, elle appuya le bracelet sur l’endroit et, de l’autre, elle maniait l’instrument pour pratiquer doucement l’ablation à partir de la racine. Un sang violâtre coula, tachant la natte. Cependant le patient, enivré par le contact de la belle, insensible à la douleur, craignait seulement que l’achèvement de l’opération ne mit fin à leur rapprochement. Bientôt, la chair tuméfiée fut enlevée, toute ronde comme l’excroissance d’un arbre. La jeune fille fit apporter de l’eau pour nettoyer la plaie, puis ayant sorti de sa bouche une pilule rouge, grosse comme une bille, elle l’y appliqua en lui imprimant un mouvement de rotation. Au premier tour, Kong ressentit une chaleur brûlante, au second, une légère démangeaison, au troisième, une impression de fraîcheur se répandit dans tout son corps, le pénétrant jusqu’à la moelle. La jeune fille reprit la pilule et l’aspira.

 

—Vous voilà guéri! Dit-elle, et elle sortit rapidement.



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
JIAONA 1 Menu JIAONA 3