Livre 1 chapitre 92 – Un jeu astucieux
La colonne de lumière fendit la nuit puis disparut, le tout en moins de trois secondes. Les moitiés coupées du démon gisaient dans une mare de sang. Tout s’était passé si vite… il était inconcevable que cet ennemi invulnérable puisse être terrassé par le faible et insignifiant Cloudhawk.
Malgré ses terribles blessures et sa douleur aveuglante, la reine était toujours consciente. Elle ne pouvait pas croire ce qui s’était passé sous ses yeux. La bête était si puissante, et pourtant il l’avait tuée.
Comment le jeune homme avait-il fait ?
Pourtant, ce n’était pas ce qui l’avait le plus troublée. Comment était-elle encore en vie, et encore moins alerte ? Cela n’avait aucun sens qu’elle survive après avoir été empalée par les piques du démon !
En examinant les dégâts, la reine découvrit quelque chose d’étrange. Si les attaques du démon l’avaient transpercée, elles avaient aussi complètement évité tous les organes principaux. Plus étranges encore, ils n’avaient pas sectionné d’artères importantes ni même brisé d’os. Ils avaient glissé dans son corps avec une précision parfaite.
Que s’était-il passé ? Le démon lui avait-il épargné la vie ? L’avait-il fait juste pour rendre furieux Cloudhawk ?
Elle avait du mal à l’accepter, mais quelle autre alternative y avait-il ? Cela ne pouvait pas être une coïncidence, n’est-ce pas ? Pourquoi le démon aurait-il fait cela ?
Pourquoi ne l’avait-il pas tuée ? C’était une chasseuse de démons – ils étaient des ennemis mortels !
Son but était-il de l’humilier ? Cela n’avait aucun sens ! Les démons ne s’embarrassaient pas de telles absurdités.
De plus, le démon avait reconnu son potentiel. Pourquoi risquerait-il de laisser vivre un futur maître chasseur de démons ? Si elle survivait pour devenir un chasseur à part entière, même si elle ne venait pas pour lui, elle abattrait d’autres monstres comme lui. Ses actions ne correspondaient tout simplement pas à l’essence de ce qu’il était !
La reine se remit péniblement sur ses pieds. Ces blessures auraient été fatales à une personne normale, mais elle s’en était remise. De plus, l’effet de la panacée était toujours actif dans son corps, elle n’avait donc pas besoin de prendre des mesures spéciales, sauf pour retirer les piques.
Des dizaines de blessures de la taille d’un doigt suintaient du sang, mais au bout d’une minute, elles s’étaient arrêtées. Sa chair se recollait lentement sous ses yeux grâce à la panacée. Malgré le nombre et la gravité des blessures, avec l’aide de l’injection, elle s’en remettrait en dix jours.
La panacée était un médicament qui s’appuyait sur le potentiel d’une personne, essentiellement en surmontant les propres fonctions du corps. La reine en avait utilisé trois en très peu de temps, ce qui pouvait aggraver les effets de rebond. Il y avait un risque que les effets secondaires puissent causer des dommages à long terme dont il serait difficile de se remettre. Maintenant que sa mission était accomplie, elle devait se reposer pendant au moins deux mois.
Elle se tenait sur des pieds instables et regardait Cloudhawk. « Comment as-tu invoqué ce genre de pouvoir ? »
La croix de la reine était une relique. Pour l’utiliser, il fallait plus qu’un niveau de talent particulier. Même son père aurait eu du mal à commander l’épée sacrée comme venait de le faire Cloudhawk. Combien de secrets ce gamin avait-il dans ses manches ?
Quand il vit la reine debout, le visage de Cloudhawk s’était illuminé. « Vous êtes vivante ? »
Elle se retourna vers lui, sans voix.
« Artemis… où est Artemis ? ! »
Il se rappela comment elle s’était jetée devant lui, mais quand il la trouva, Cloudhawk découvrit qu’elle n’avait pas eu la même chance que la reine. En déviant le coup, son marteau avait explosé, crachant du métal chaud dans toutes les directions. Beaucoup d’entre eux lui avait transpercé le corps.
Il s’agenouilla à côté d’elle et vit que sa poitrine était ouverte. Plusieurs de ses organes avaient été gravement endommagés.
Artemis n’avait aucune capacité de guérison et elle avait donné la dernière injection de panacée à la reine. Ils n’avaient rien pour l’aider, aucune méthode pour la sauver. Elle vit l’inquiétude et l’anxiété sur son visage et se mit à sourire. « Espèce d’idiot. Tu devrais voir le regard sur ton visage. »
« Ne t’inquiète pas, ce n’est rien. » Cloudhawk enveloppa Artémis dans ses bras et la tira tout près. « Nous allons retourner à l’avant-poste et trouver Mantis. Il va te soigner. Tiens bon ! »
Le joli visage d’Artémis était dévasté et couvert de sang. Elle toussait et essayait de lui parler à travers une trachée rigide. « N-… Non. Ne gaspille pas tes efforts. Je n’y arriverai pas. »
« Nous avons tué le démon ! » Les yeux de Cloudhawk étaient rouges et gonflés. « Tu n’as pas dit que tu allais diriger l’avant-poste avec moi ? Je suis d’accord. Tu vis, et nous serons ici ensemble pour le faire nôtres. Nous le transformerons en un vrai paradis, d’accord ? »
« Tu sais, j’y ai pensé. L’avant-poste n’est pas ce que tu cherches. Je ne peux pas être égoïste et te forcer à rester ici. » Artemis fronça les sourcils en chassant les mots amers. « Putain, je crois… je crois que je suis vraiment tombé amoureux de toi. C’est tellement… tellement dommage… »
Elle leva une main tremblante et la posa sur sa joue. Comme ses forces lui manquaient, sa main était tombée, laissant cinq stries rouges sur sa peau. Elle tomba molle sur le sol alors qu’Artemis fermait sereinement les yeux, un petit sourire sur son visage.
Cloudhawk fixa bêtement le corps qui se refroidissait dans son étreinte. Son esprit était vide, mais il avait l’impression que quelque chose avait été pris au plus profond de son âme. C’était une douleur qu’il n’avait jamais ressentie auparavant.
Artemis était morte, une autre personne dans la liste de celles qui avaient donné leur vie pour lui.
De Slyfox à Mad Dog et maintenant Artemis, le poids de leurs sacrifices lui laissait un fardeau écrasant. Alors qu’il grandissait et mûrissait au cours de son voyage, chaque étape était marquée par la douleur et l’impuissance, sans aucun endroit où il puisse s’échapper. Tout ce qu’il pouvait faire était d’assumer ce fardeau étouffant et de les honorer en passant ses journées à s’efforcer de devenir plus fort.
Était-ce le prix à payer pour grandir ? Le prix de la recherche de quelque chose de mieux ?
Les mains pressées contre les blessures de son ventre, la reine marcha en tremblant vers Cloudhawk et le cadavre qu’il tenait dans ses bras. Son regard était à parts égales coupable et déconsidéré. « Est-ce que… est-ce que ça va ? »
Cloudhawk ne répondit pas. Il souleva le corps d’Artémis et se dirigea près d’un arbre.
« Cloudhawk… », elle l’appela.
Il fit comme s’il n’avait pas entendu et se concentra à mettre un pied devant l’autre en retournant vers l’avant-poste du Groenland. La reine essaya de le suivre, mais ses blessures la ralentissaient. À la fin, elle le regarda disparaître dans l’obscurité.
« Il me déteste ! »
Elle sentit une pression dans sa poitrine qui lui rendait la respiration difficile. Elle était remplie d’une sensation dure et amère, car elle savait que si le démon était le coupable, c’était elle qui l’avait provoqué. Son ignorance et son arrogance avait conduit à la destruction de l’avant-poste de Blackflag. Sa folie et son obsession étaient le destin des mercenaires du Tartare. Ses actions dans l’avant-poste du Groenland avait forcé Cloudhawk à regarder Artemis mourir sous ses yeux.
À la fin, le démon fut tué.
Ironiquement, c’était l’inutile profiteur, le garçon qu’elle avait toujours méprisé, qui avait tué son ennemi. Qu’est-ce qu’elle avait fait ? Elle ne lui avait pas fait de mal, elle n’avait rien fait de bien depuis son arrivée dans le désert !
La reine réalisait avec tristesse que chacune des décisions qu’elle avait prises avait été mauvaise.
Depuis qu’elle avait fui l’avant-poste de Blackflag, après avoir subi les frondes et les flèches du destin, sa fierté et son estime de soi avaient été rongées. Il ne lui restait plus que l’introspection et le regret.
Elle trébucha sur le corps du démon, et ses yeux balayaient les morceaux noircis. Elle trouva plusieurs choses, notamment un livre avec une couverture en métal jaune pâle et un rouleau de parchemin fait de peau d’animal.
Le livre devait être la relique du démon.
Elle ramassa le livre et déroula le parchemin pour voir son contenu. Une écriture griffonnée en recouvrait la surface, et lorsqu’elle lut ces quelques mots, son visage changea. Ses mains s’étaient recroquevillée en poings et pendant dix minutes, elle s’était tenue dans un silence contemplatif. Puis, se servant des troncs d’arbres comme support, elle se mit à avancer en boitant.
Ce dont elle n’avait pas été témoin, c’était qu’après son départ, ce qui restait du démon commença à se transformer. L’éclat sanglant s’était asséché jusqu’à ce que les morceaux soient comme de la pierre. Ils s’étaient dissous en fragments de sable et avait été emportés par la brise, ne laissant rien derrière lui.
Juste à ce moment, au sommet du Fort du Groenland partiellement détruit…
Deux personnages se trouvaient côte à côte. L’un était un homme grand et mince, au visage pâle, aux cheveux ébouriffés et avec des lunettes. Physiquement, il semblait très ordinaire, mais sa personnalité était celle d’une figure savante – froide et distante – très atypique dans les terrains vagues. À ses côtés se trouvait une figure étrange et sauvage, mesurant facilement plus d’un mètre cinquante et ayant des yeux rouges brûlants. Leur vision, bien meilleure que celle de tout humain normal, suivait Cloudhawk alors qu’il s’approchait lentement de l’oasis.
Mantis s’exprimait sur le ton terne qui lui était typique : « Qu’en penses-tu ?
« Mon double de sable a moins de la moitié de ma force, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il le vainque. Extraordinaire, vraiment. » La voix profonde du démon, qui résonnait, était remplie de curiosité. « Le garçon a du potentiel. Ce n’est pas étonnant qu’il soit l’élu. »
« Tu n’as pas tué le chasseur de démons », remarqua Mantis. « Pourquoi ? »
« Je la trouve intéressante. Il y a beaucoup de choses en elle qui sont spéciales – différentes des autres sur les terres élyséennes. Elle pourrait servir de pion malléable, et si on la joue bien, elle pourrait être très utile. » La question ne semblait pas le gêner. « En lui sauvant la vie, nous pourrions éventuellement être agréablement surpris. Cela rendra certainement les choses plus amusantes. Bien sûr, à vos yeux, mon vieux, cet épanouissement n’est guère remarquable. Vous savez, vous êtes sans doute l’homme le plus fou et le plus sage que j’aie jamais rencontré. Nous devrions jouer à ce jeu ensemble. »
« S’il te plaît, ne me confonds pas avec ton espèce. Nous ne sommes pas pareils et notre but non plus. Si cela est nécessaire, nous deviendrons des ennemis. »
La voix froide de Mantis ne retenait rien : « Il est capable de sentir ton énergie. Si tu ne pars pas, tu seras découvert. »
Une étincelle traversa les yeux du démon. « Pense à mon offre. »