Livre 3, Chapitre 67 – Préfaces

La Vallée boisée était un endroit miraculeux, séparé des conflits des terres désolées et de Skycloud. À l’époque, une telle utopie était exactement le genre d’endroit que recherchait Cloudhawk. Aujourd’hui, il considérait ce désir comme naïf. Il n’y avait aucun endroit où les humains vivaient en paix.

Cela dit, un endroit comme la Vallée boisée était rare dans le monde post-apocalyptique. Il aurait aimé y jeter un coup d’œil, mais l’état de son corps, qui changeait rapidement, rendait la chose impossible. Il devait renoncer à toute chance pour son propre bien-être et remettre son destin entre les mains de Dark Atom. Seuls leurs scientifiques pouvaient l’aider à ce stade. Mais en même temps, Autumn ne pouvait pas non plus passer plus de temps ici. Ils devaient se séparer.

Avant que les autres ne partent, il s’était assuré de répéter la chose la plus importante : Gabriel devait s’assurer d’être payé en totalité. S’il pouvait trouver un moyen de lui soutirer plus d’argent, alors il devait le faire. C’était leur ticket. Ils pourraient ne plus jamais avoir à travailler.

La rumeur disait que la vallée boisée cachait un trésor comme le monde n’en avait jamais vu. Quelle honte ce serait s’ils devaient trouver le filon et revenir les mains vides.

Il avait préparé beaucoup d’alcool pour le vieil ivrogne. Barb n’avait pas encore été testé, et bien que Gabriel soit fort, il était connu pour être… instable. Le vieil homme était plus équilibré, même à moitié noyé dans le vin. C’était lui qui était responsable de leur arrivée dans la vallée en toute sécurité.

Autumn ne disait pas un mot. Elle n’avait même pas dit au revoir.

Il ne comprenait pas cette fille. Il y avait toujours quelque chose de bizarre entre eux. Son but n’était-il pas de retourner dans sa vallée le plus vite possible ? Alors pourquoi était-elle fâchée après qu’il ait organisé une équipe pour l’aider à le faire ? Le cerveau de cette fille était trop embrouillé pour qu’il puisse le comprendre. Mais peu importe, il se fichait de savoir si elle était obstinée ou odieuse, tant qu’elle payait.

Les voyageurs partirent pour la maison d’Autumn sous le couvert de la nuit.

Une gourde remplie à ras bord d’alcool était accrochée au dos de l’ivrogne. Une demi-douzaine d’autres étaient suspendues à sa monture de lézard. Lui et les autres utilisaient le brouillard du petit matin, avant le lever du soleil, pour assourdir leurs pas et dissimuler leur départ. Il était en tête tandis que Gabriel et Barb étaient à l’arrière. Autumn était niché en toute sécurité entre les deux. Tel était l’ordre de marche pendant une cinquantaine de kilomètres.

Bientôt, le ciel était peint de la lumière du matin. Ils firent une pause pour laisser les montures se reposer.

À l’aube, le vieil homme avait consommé trois bouteilles d’alcool. Ses joues rouges et ses yeux flous montraient qu’il était déjà bien éméché. Il leva la main pour jeter une bouteille vide dans le désert quand il s’arrêta soudainement. Le récipient en verre lui glissa des doigts et s’envola dans les airs, suivi d’un crissement.

La bouteille se stoppa et se fendit en deux un instant plus tard. Ses deux moitiés bien coupées touchèrent le sol avec un bruit sourd et rauque.

Un brouillard noir roulait, se propageant vers eux. Une silhouette emmitouflée dans l’obscurité pouvait être vue au milieu d’elle. Seuls ses yeux brillants et la longue lame droite dans ses mains étaient clairement visibles. Ces yeux étaient fixés sur l’ivrogne.

« Attention ! » Barb venait de comprendre le changement de situation. Elle jeta l’arc de l’exorciste sur son épaule et agrippa la corde. « C’est une embuscade ! »

Une quinzaine d’hommes masqués apparurent des étendues sauvages environnantes. Ils préparaient leur attaque depuis un certain temps, mais personne ne pouvait dire depuis combien de temps ils étaient dans les parages avant que l’ivrogne ne les repère. S’ils pouvaient s’approcher aussi près sans se faire repérer, ils n’étaient pas des bandits normaux.

Leur chef masqué fit un geste de la main. Ses hommes bondirent sur les voyageurs comme des ombres affamées.

Barb libéra sa première flèche. Elle cisailla la poitrine de sa cible. Cependant, avant même que la première victime ne touche le sol, ses compagnons avaient comblé la distance. Barb n’eut pas le temps de tirer son arc une seconde fois. Ils étaient comme des fantômes, sans bruit alors qu’ils s’élançaient à travers les poches d’obscurité non encore brûlées par le soleil levant. C’était une scène effrayante dont ils étaient les victimes.

Mais lorsque les hommes masqués sautèrent vers eux, ils devinrent mous en l’air. Les corps robustes devinrent des morceaux informes, giclant du sang dans leur chute.

Les doigts de Gabriel dansaient alors qu’il contrôlait les fils de sa relique. Deux autres de leurs attaquants eurent la gorge ouverte. D’un coup sec, le chasseur de démons aux cheveux blonds termina l’acte, et une légère brise poussa leurs têtes coupées de leurs épaules. La scène brutale laissa Barb sans souffle. C’était la première fois qu’elle était témoin de ce dont Gabriel était capable.

Ses doigts continuèrent à tirer du fil. Une douzaine de fils se glissaient dans l’air à son commandement. Ils étaient pratiquement invisibles même en plein jour et il était impossible de les repérer.

Se rapprochant de tous les côtés comme un filet, Gabriel ne laissait aucun espace au leader masqué pour s’échapper. Ses fils se resserrèrent, mais alors qu’il fermait son poing pour déchiqueter sa cible, l’homme en noir se dissolvait dans la brume.

Au même instant, Autumn entendit un bruit sourd à proximité. Elle tourna la tête pour voir une brume noire rampante et, à l’intérieur, une longue épée qui la poignardait. Gabriel se renfrogna, surpris de voir que leur ennemi était un chasseur de démons. De plus, les compétences de l’homme ne correspondaient à rien de ce qu’il avait vu auparavant. Il était un peu trop lent pour protéger Autumn d’une attaque surprise.

La lueur mortelle de l’épée de l’homme se rapprocha.

Une main jaillit de son côté et attrapa l’arme.

Quand il tourna son visage pour voir qui était intervenu, l’homme masqué fut accueilli par un large sourire aux dents jaunes. Il ne savait pas quand ni comment le vieil homme s’était approché si près de lui, mais il ne pouvait pas arracher l’épée de son emprise.

Le vieil homme tira son bras en arrière et envoya sa paume ouverte vers la tête de l’homme masqué.

Juste avant qu’elle ne frappe, l’ivrogne sentit son autre main se relâcher. Sa cible avait réengagé un quelconque pouvoir étrange et s’était transformée, ainsi que son arme, en brume. Quel étrange et incroyable pouvoir – la capacité de se téléporter sur de courtes distances et d’ignorer les obstacles. Un assassin avec ces capacités était une menace mortelle.

Barb échangea son arc contre une baguette d’exorciste et se lança à sa poursuite.

« Ne fais pas ça. » L’ivrogne secoua la tête d’un air découragé. « Il porte la robe Wraith. On ne peut pas l’attraper. »

Barb était curieuse de connaître le pouvoir de cet étranger. « C’est une relique ? Comment fait-il pour se déplacer comme ça ? »

Le vieil homme semblait en savoir beaucoup sur le sujet. « Ce n’est pas vraiment un déplacement, c’est plutôt une augmentation de vitesse à courte portée qui permet aussi à l’utilisateur de se glisser dans les plus petites fissures. Cependant, ils ne peuvent pas passer à travers quelque chose d’hermétiquement fermé. Ici, dans le désert, avec cette robe, s’il veut s’enfuir, on ne peut rien faire pour l’arrêter. Nous allons juste nous exposer. »

« La robe Wraith était autrefois la possession d’un démon, il y a des centaines d’années. Le démon était un agent du chaos et de la destruction, bien qu’il soit considéré comme n’ayant qu’une force moyenne parmi ses semblables. Malgré cela, il avait fallu une douzaine de chasseurs de démons chevronnés et deux maîtres pour le détruire. Cette relique est l’une des raisons pour lesquelles il était si difficile à tuer. »

Le vieil homme s’arrêta pour se frotter le menton, perdu dans ses pensées. « Autant que je me souvienne, la robe wraith était gardée cachée dans les terres élyséennes. Je n’avais pas entendu dire qu’elle avait été donnée à un chasseur de démons. Qui pourrait bien être cette personne… ? »

« Ça n’a pas d’importance. » Gabriel s’en fichait. Il arrêta de canaliser Shadethread et rétracta ses filaments. « On doit continuer. »

Il avait raison. Qui que soient ces gens, ils en avaient définitivement après Autumn. Heureusement, ils avaient sous-estimé son entourage. Maintenant qu’il était évident qu’ils étaient chassés, qui savait quand il pourrait y avoir une deuxième tentative, et une troisième ? Rester ici était stupide. Les quatre voyageurs reprirent rapidement leur route.

La station Sandbar. Le bar d’Adder.

Adder lui-même se tenait derrière le bar aujourd’hui et utilisait un chiffon pour sécher une série de verres qui avaient été fraîchement lavés. Luciasha était assise à côté de lui, le menton dans les mains, et souriait avec enthousiasme. « Cloudhawk et Squall ont tellement grandi. Ils sont forts aussi ! Je suis si heureuse pour eux. J’espère juste qu’on pourra se retrouver bientôt. »

Adder lui offrit un sourire chaleureux. « Ils tiennent tous les deux beaucoup à toi. Je suis sûr qu’ils reviendront quand ils le pourront. » Luciasha acquiesça. Elle se rendait compte de la chance qu’elle avait d’avoir rencontré tant de bonnes personnes dans ce monde cruel. Elle n’avait pas de grands espoirs ou d’ambitions. Elle était heureuse de vivre comme ça, entourée d’amis et menant une vie banale.

Adder accrocha le verre cristallin au support suspendu au-dessus du bar avec les autres. Il échangea encore quelques mots avec Luciasha avant de se retirer dans sa chambre. Quelques instants après avoir fermé la porte, une brume sombre s’infiltra dans la pièce, et un homme masqué en sortit.

Il baissa son écharpe, révélant un visage si ordinaire qu’il serait désespérant d’essayer de le distinguer dans la foule. Il y avait du sang séché au coin de sa bouche. Il avait été blessé. Ce vieil ivrogne n’était plus que l’ombre de lui-même, mais il était toujours plus que ce que la plupart des gens pouvaient supporter.

La voix grave du Revenant chuchota dans la pièce : « Cloudhawk n’est pas avec eux, mais les autres sont forts aussi. L’ancien est un chasseur de démons très compétent. J’ai été obligé de battre en retraite. »

« Compris. »

Le visage d’Adder se plissa en pensée mais se détendit rapidement.

« Dois-je aller chercher d’autres personnes et réessayer ? » demanda Revenant.

« Si même vous ne pouvez pas les vaincre, alors aucun de mes hommes ne le pourra. » Adder secoua la tête et abandonna cette idée. Il ouvrit un tiroir et le posa sur un bureau voisin. « Quoi qu’il en soit, une question plus urgente s’est posée. Nous pouvons mettre nos plans pour eux en attente pour le moment. »

Le Revenant acquiesça. « Quelle est la nouvelle mission ? »

Adder ramassa une nouvelle fois la lettre et la lança d’un coup de poignet. Le mouvement facile envoya le fin papier siffler dans l’air si rapidement qu’il semblait capable de décapiter un homme.

Revenant la saisit habilement et regarda son contenu. La surprise s’empara de ses manières typiquement plates lorsqu’il comprit ce que voulait dire Adder. Il serait étrange qu’il ne soit pas surpris étant donné la gravité de ce qu’il lisait.

« Voici ce que tu vas faire. Va au mur et donne aux troupes qui y sont stationnées toutes les informations que nous avons sur Dark Atom. »

« Vous voulez que les Élyséens aillent les chercher. Ne venez-vous pas d’envoyer Cloudhawk ? L’objet qu’on lui a envoyé récupérer… »

« La situation est bien pire que ce que nous pensions. C’est le moment, et nous devons agir en conséquence. Cloudhawk n’est pas un agent fiable, et certains risques sont nécessaires. Maintenant, allez-y. »

« Oui, monsieur. »

Revenant hocha la tête avant de se fondre dans le brouillard.

Adder se dirigea vers une fenêtre et la poussa pour l’ouvrir. Le soleil du matin s’était déjà levé, et une brise chaude caressait son visage tandis que l’obscurité de sa chambre était dissipée. Sa lumière rendait ses traits durs et tranchants encore plus impitoyables.