Livre 2, Chapitre 30 – L’effroyable femme

Même la petite tour était assez grande pour donner le vertige. Quinze mètres de pierre blanche robuste, cette tour n’avait pas de sculptures fantaisistes ni de construction artistique. Comparée au reste de la maison, elle était simpliste dans un style militaire austère. La porte d’entrée était une dalle de fer flanquée de statues dorées représentant des bêtes sauvages en action. Chacune devait peser des milliers de kilos et était suffisamment intimidante pour éloigner les visiteurs de centaines de kilomètres.

L’épaisseur et la lourdeur de la porte constituaient un obstacle important aux capacités de mise en phase de Cloudhawk. Lorsqu’il essayait de la franchir, c’était comme s’il était assommé par un épais caoutchouc. Comme la porte s’avérait insoluble, il choisit d’essayer le mur d’un coin voisin, qui s’était avéré beaucoup plus accueillant.

Il monta les marches en pierre recouvertes de tapis et entra dans une chambre. La première chose qui l’accueillit fut un faible parfum et la lumière de plusieurs lampes élégantes qui illuminaient la pièce. Un lit en jade avec un baldaquin de gaze rose et une commode argentée indiquaient qu’il s’agissait d’une chambre de femme.

Au centre se trouvait un grand écran qui lui bloquait la vue sur le reste de la chambre.

Le paravent était ingénieusement placé pour séparer la chambre en son milieu. Ses panneaux étaient peints de montagnes voûtées, de mers abruptes et d’une bête féroce. La scène avait un charme romantique profond, mais la regarder le remplissait d’un inexplicable sentiment d’oppression.

Il regarda autour de la grande pièce de plusieurs centaines de mètres carrés et vit qu’elle était remplie de toutes sortes de choses. Il y avait des armures complètes, un modèle d’épée rare, délicate et belle, des têtes de bêtes montées sur les murs et de belles tapisseries. Puissance et beauté, carnage et grâce, sang et art – tous ces éléments opposés étaient habilement fusionnés ici.

On ne pouvait s’empêcher de se demander quel genre de personne séjournait dans cette pièce.

Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Tout ce qu’il regardait lui semblait incroyablement précieux. Il était certainement au bon endroit. Cependant, même s’il n’avait aucune expérience de ce niveau de luxe, il conservait ses facultés de base. La splendeur de tout cela ne l’avait pas privé de sa concentration, il n’avait donc pas seulement saisi la première chose qu’il avait trouvée. De plus, rien de ce qu’il avait vu n’était facile à réaliser.

Il ouvrit les armoires et commença à les fouiller une par une jusqu’à ce qu’il tombe sur une petite boîte. À l’intérieur se trouvaient des bijoux exquis ainsi qu’une lourde pochette. Il l’ouvrit et en jeta le contenu dans sa main ; une pluie de pierres précieuses rouges, bleues, vertes et jaunes en sortit. Elles étaient toutes de couleurs et de tailles différentes, mais chacune était de la plus haute qualité. Elles brillaient d’une lumière envoûtante. N’importe quel idiot pouvait dire qu’elles allaient rapporter une fortune.

« Excellent ! Celui qui vit ici a de l’argent à brûler ! »

Cloudhawk, le cœur battant, se mit en route. Il dut admettre que le vol lui faisait du bien.

Il laissa les pierres précieuses retomber dans leur sac. Il devait y en avoir une vingtaine ! Pas mal ! Cela devrait être plus que suffisant. Il rangea le sac et se prépara à sortir.

Mais juste à ce moment, une vague de danger le chatouillait au fond de son esprit.

Un vent froid lui brossa la nuque et la température de la pièce s’effondra. La pièce chaude et humide devint sèche comme l’os et aussi froide que la tombe. Des grognements menaçants lui chatouillèrent les oreilles tandis que son sentiment de danger grandissait.

Pas bon !

Lorsqu’il réalisa que quelque chose n’allait pas, il se mit à tourner la tête au moment où la porte s’ouvrait comme si elle était soufflée par une rafale de vent. Une jeune femme qui avait l’air frais après l’entraînement, vêtue d’un costume de guerrier, traînait à l’intérieur. Sa silhouette était grande et bien proportionnée. Ses cheveux ressemblaient à de l’or filé et ses yeux étaient de la même couleur. C’était une vue rare, certainement, comme un feu capturé. Sa peau était d’une pâleur unique, ressemblant à de l’albâtre sculpté tout en étant aussi lisse que de la soie.

Elle était une belle contradiction, à parts égales, étonnante et déroutante. Elle était gracieuse, puissante, noble, sauvage, agressive. Elle le voyait évidemment, et chacun de ses pas semblait faire trembler toute la pièce. Elle n’était pas une jeune femme. C’était une bête !

« Très bien ! » Sa voix douce était également aiguë et féroce. « Alors, un petit voleur a pensé qu’il pouvait s’introduire dans ma chambre, hein ? »

La femme terrifiante semblait à peine bouger qu’elle se retrouva soudain juste devant lui. Ses cheveux dorés volaient au gré de la brise, comme s’ils étaient agités par l’humeur maussade de leur propriétaire.

Des perles de sueur de la taille d’un haricot roulaient sur le visage de Cloudhawk. Son esprit était vide. Il n’y avait jamais eu que deux personnes qui l’avaient figé de leur seule présence ; Mantis avait été l’une, tandis que Frost de Winter était l’autre. Cette femme était plus imposante que l’une ou l’autre !

Elle saisit la poignée d’une épée gainée à la taille et l’arracha d’un pouce.

De quel type d’arme s’agissait-il ? Elle ressemblait à une épée, mais elle remplissait la pièce avec la force d’une chute d’eau écrasante. Il savait que quoi que ce soit, ce n’était pas une arme ordinaire. Mais ce qu’il y avait dans ce fourreau n’avait pas vraiment d’importance. Ce qui importait vraiment, c’était la personne. Il était convaincu que même si elle n’avait qu’une épée de bois à la main, elle pourrait l’utiliser pour couper un voleur en deux.

Il était temps de partir !

Ses sourcils se resserrèrent. Son épée était à moitié sortie de son fourreau lorsque le voleur s’était soudainement volatilisé. Cette canaille avait-elle des capacités de chasseur de démons ? Sa réaction fut de fermer immédiatement les yeux et d’utiliser ses autres sens, mais il n’y eut pas un seul son. Il semblait s’être échappé.

S’était-il vraiment échappé ? Impossible ! Elle bloquait la sortie et elle l’aurait su s’il lui avait échappé. Bien qu’elle eut du mal à le croire, elle dut admettre que la racaille lui avait échappé. Malgré toutes ses connaissances et son expérience, elle n’avait jamais entendu parler d’une telle chose.

C’était très étrange.

Il fallait qu’elle le dise à son père. Peut-être savait-il quelque chose.

Il s’était éloigné du bâtiment en titubant et ne s’était pas arrêté une seconde en s’échappant. Bien qu’ils ne se soient pas vraiment affrontés, il pouvait dire que la jeune femme de vingt ans était un talent du même calibre que Sélène ou Frost de Winter.

Encore un autre personnage difficile. Il semblait avoir le don pour les trouver.

Il avait la prémonition tenace que les choses allaient se compliquer, mais il n’y avait rien à faire. Qu’allait-il faire ? Rendre les biens et se prosterner en implorant le pardon ?

C’était peu probable !

Il pouvait voir à la façon dont elle entrait dans la pièce que des excuses n’allaient pas apaiser son cœur féroce. Il ne pouvait pas rester ici, alors qu’importe s’il avait énervé une personne de plus avant de partir ? Sa seule préoccupation devait être de sortir d’ici le plus vite possible.

Il s’était rendu dans un pub discret où il avait laissé tomber le nom de code de Majjhima. À sa mention, l’expression du propriétaire de la taverne changea rapidement, et il amena Cloudhawk dans la plus grande de leurs salles privées. En moins d’une heure, elle s’était remplie de vingt autres personnes.

« Vous êtes l’homme de Majjhima ? Il a disparu depuis longtemps. Comment va-t-il ? »

« Le Club des Terres désolées est un désastre total sans chef. »

Il fut surpris par l’influence du vieux. Après des années de prison, son nom attirait toujours la foule. Cependant, quelque chose le dérangeait dans ce qu’ils disaient. Qu’est-ce qu’un « Club des terres désolées » ?

De l’extérieur, ce bar semblait ordinaire, mais il abritait en fait un club d’appréciation des terres désolées. En effet, les membres de ce club détestaient la vie à Skycloud. La liberté des friches – un lieu sans contraintes – était quelque chose qu’ils trouvaient séduisant.

« Il y a vraiment des gens qui aiment les friches ? » Cloudhawk pensait qu’il avait dû mal entendre. Il dut parler plus fort. « Est-ce que vous comprenez au moins comment c’est là-bas ? ! »

En général, les membres du club étaient des natifs de Skycloud, des gens dont l’histoire familiale dans la ville s’étendait sur plusieurs générations. Ils étaient des fainéants gâtés qui n’avaient rien de mieux à faire que de se rebeller, alors ils avaient dénoncé les règles strictes de Skycloud. Ils désiraient ardemment la vaste étendue des terres désolées où ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, tuer qui ils voulaient et maudire le nom des dieux à longueur de journée.

« Qui êtes-vous pour penser que vous pouvez rabaisser nos croyances ? »

« Même dans le pire des cas, les terres désolées sont dix fois mieux que cet endroit ! »

« C’est vrai. Si tu n’étais pas du peuple de Majjhima, on te casserait tes putains de jambes ! »

« Ouais ! Les terres désolées sont un lieu de liberté. Dangereux et maléfique, certes, mais au moins nous auront la vraie liberté ! Mourir pour un tel objectif est une voie digne d’être empruntée. »

Tout le monde le regardait fixement. Quand ils parlaient des friches, leurs yeux brûlaient de passion et d’enchantement. Cloudhawk avait presque envie de gifler la stupidité de chacun d’entre eux – pensaient-ils que les friches étaient vraiment libres ? Pas d’eau, pas de nourriture, des mutants, des balayeurs… le désespoir partout où vous regardez ! Mais, il avait avalé ses mots parce qu’il savait qu’il n’était pas différent d’eux à la fin.

Il était venu jusqu’ici à cause d’un fantasme. Et qui était là pour l’accueillir ? Il n’allait pas perdre son temps à les désabuser de leurs illusions.

« Je me fiche de ce que vous croyez. Majjhima a dit que si je vous donnais de l’argent, vous m’aideriez. » Il sortit une des pierres précieuses et la posa sur la table devant eux. Tous les yeux s’étaient allumés quand ils la virent. Toute cette adoration des terres en friche était une connerie – ce n’étaient que des pauvres hommes insatisfaits de la vie réelle. Personne ne pouvait ignorer l’attrait de l’argent. « Je n’ai pas besoin de vous dire ce que vous pouvez acheter avec un tel bijou. Vous en êtes ? »

« Puisque vous êtes venu avec la bénédiction de Majjhima, nous te faisons confiance. Que voulez-vous que nous fassions ? » Celui qui semblait être le chef parla le premier, mais il ajouta : « Mais, laissez-moi vous dire maintenant. Nous ne tuons personne ! »

« J’ai besoin que vous utilisiez vos canaux de distribution pour m’acheter des choses. Ensuite, j’ai besoin que vous vous étendiez autour de la place du temple et que vous me donniez des nouvelles de ce qui se passe – en particulier tout ce qui concerne le manoir du gouverneur. De plus, il y a des instructions spéciales… » Il sortit un autre bijou et le mit entre eux avant de continuer. Le reste des pierres précieuses dans son minuscule sac s’était mis à claquer et à scintiller dans la lumière. « Pour les prochains jours, j’ai besoin que vous soyez prêts à faire tout ce que je vous demande. Si vous le faites, tout ce sac sera à vous. Vous avez ma parole. »

« Oui, absolument. Pas de problème ! »

« Vous êtes le patron. On va où vous nous dites ! »

Cloudhawk était convaincu qu’il n’y avait aucun risque à révéler ses plans à ces hommes. Un seul bijou pouvait installer quelqu’un confortablement pendant une décennie. C’était une offre difficile à refuser. Avec la promesse de richesse, ils avaient accepté d’aider sans aucun scrupule. Après avoir pris les deux pierres précieuses comme acompte, ils avaient quitté le bar en marchant avec de grands airs.