Livre 3, Chapitre 108 – Ce qui reste
Cloudhawk dégaina son arc et tira sur le mur de pierre. La fissure qui abritait la bombe se fissura et s’ouvrit davantage, envoyant de grosses pierres en cascade dans la caverne en dessous. L’étrange objet caché à l’intérieur commença à tomber également.
Quelles que soient les armes terribles créées par les anciennes civilisations, Cloudhawk ne les connaissait pas. Il ne savait pas si c’était vraiment ce qu’il cherchait, mais après avoir entendu la réaction de Majjhima, il était convaincu. Sans hésiter, il bondit, aussi droit qu’une flèche, et attrapa la bombe avant qu’elle ne touche le sol.
Elle était armée, prête à exploser à tout moment. Les scientifiques de Dark Atom avaient passé des années de sueur, de sang et de larmes à travailler sur cette chose. L’affichage qui décomptait rapidement était son détonateur.
Il était activé, et à l’instant où le compte à rebours atteignait zéro, mille ans d’histoire élyséenne seraient consumés par le feu atomique. Des destructions inimaginables consumeraient la vie de centaines de milliers d’innocents.
Cloudhawk n’avait jamais cherché à sauver le monde. Il n’était pas du genre héroïque. Mais était-il juste d’éradiquer sans discernement tant de personnes ?
Combien de jeunes gens essayaient juste de gagner leur vie là-haut ? Combien d’enfants et de personnes âgées ? Devaient-ils être sacrifiés sur l’autel de l’ambition de quelqu’un d’autre ? Non ! Il ne faisait pas attention aux problèmes qu’il s’infligeait en sauvant cette ville. Il savait juste que c’était mal. Il ne pouvait pas rester là et laisser faire !
Bien sûr, ce n’était pas comme s’il avait de l’expérience dans la manipulation d’armes atomiques. La seule chose à laquelle il avait pu penser était d’utiliser la pierre de phase et de lancer cette chose dans cet étrange espace sans air. Il n’avait aucune importance que la chose soit aussi destructrice que ça.
Les yeux de Majjhima étaient si grands que la peau qui les entourait menaçait de se fendre. Un feu cruel et déterminé brûlait en lui.
Comment un homme pouvait-il souffrir pour vivre ? Combien pouvait-il supporter en une seule vie ? Il s’était entraîné avec Dark Atom depuis son plus jeune âge et avait été sélectionné parmi des centaines d’autres pour être envoyé ici. Cela lui avait coûté cher d’être celui qu’ils avaient choisi.
Maintenant, au crépuscule de sa vie et en regardant en arrière sur tout ce qui s’était passé, il avait tristement réalisé qu’il n’avait rien. Pas de famille, pas d’amis, pas d’amant, pas d’enfants. Aucune réussite. Les décennies de sa vie passées dans l’obscurité et la solitude ne lui avaient laissé qu’un vide rongeant son ventre.
Il avait souvent pensé à sa mort, à savoir si quelqu’un serait désolé qu’il soit parti. Quelqu’un chérirait-il sa mémoire ? Quelqu’un se souviendrait-il même de son nom ?
Même la plus petite vie avait le droit de laisser son empreinte, aussi insignifiante soit-elle. Il méritait que sa voix soit entendue !
Son dernier souhait était de faire quelque chose de sa mort. Peu importe l’influence de ses actions sur l’avenir, du moment qu’il laisse sa marque. Pour prouver qu’il a vécu ! Il avait enfin trouvé une lumière dans sa longue et solitaire existence, et il n’allait pas la laisser s’éteindre, quoi qu’en pensent les autres. C’était une opportunité unique, une chance de prouver qu’il valait quelque chose, même si les méthodes étaient extrêmes.
Une fois que Dark Atom avaient cessé de communiquer avec leur cellule à Skycloud, le sentiment d’abandon brisa Majjhima. Il n’avait jamais eu peur de se sacrifier, seulement que son sacrifice ne vaille rien.
Jusqu’à ce qu’il rencontre cet homme pendant la purge.
« Dark Atom ne veut pas de toi. Mais je peux t’utiliser. »
C’est le jour où Majjhima avait transformé sa résistance souterraine en une pépinière de monstres. Il n’avait jamais su qui était cette personne, d’où elle venait, ou pourquoi elle voulait faire pousser ses créatures ici. Mais il n’y avait aucun doute là-dessus. Le pouvoir qu’il représentait était plus ancré dans Skycloud que Dark Atom ne l’a jamais été. Ils exerçaient plus de pouvoir que ces rebelles pouvaient en rêver.
À l’époque, le visiteur lui présenta un objet. « Si un jour cet endroit devait tomber, » avait-il dit, « utilise ceci à la fin. Le supplice que vous subirez sera impensable. Toutes les flammes de l’enfer n’atteindraient pas le dixième de sa cruauté. Mais il te conférera un grand pouvoir – et quand tu mourras, tu libéreras ce qui reste de ton outrage. »
C’était le moment, le moment où il libérait son indignation.
Majjhima ouvrit ses robes en lambeaux pour révéler le corps flétri qui se trouvait en dessous. Des lignes complexes étaient tatouées sur sa chair fine comme du papier. Elles couvraient tout son corps et frémissaient visiblement sous l’effet d’une puissance interne.
Les monstres enfermés dans le combat cessèrent soudainement. Qu’il s’agisse de ceux qui vivaient encore ou des cadavres de ceux qui étaient tombés, des nuages de brume noire s’échappaient de tous et se rassemblaient vers Majjhima. La fumée sinistre se rassembla en un nuage au-dessus de sa tête.
Cloudhawk avait réussi à arracher la bombe aux débris rocheux qui tombaient comme une pluie, mais avant qu’il puisse mettre son plan à exécution, son regard fut attiré par Majjhima. Que faisait ce vieil homme ?
Aurore, Atlas et les autres étaient figés, incertains de ce qu’ils devaient faire. Les ennemis contre lesquels ils avaient lutté avec acharnement avaient soudainement cessé d’exister. Il était plus exact de dire qu’ils semblaient avoir été complètement saignés, vidés de toute leur énergie.
Majjhima serra dans sa main un objet translucide, semblable à un cristal. Il excitait et attirait la brume noire, la rassemblant en lui comme un vide. La perle de cristal était passée de la translucidité au noir complet, tandis que la brume était consumée. Maintenant, c’était une petite tache noire, le genre de noir qui menaçait d’avaler tout ce qui s’approchait trop près.
« Personne ne peut arrêter ça. Personne ! »
Majjhima poussa la perle dans sa bouche et avala.
Il n’était pas difficile pour Cloudhawk de deviner ce qui se passait. Cet objet avait volé le pouvoir des protofiends, et tout cela était maintenant forcé dans le corps de Majjhima.
« Attention ! » Aurore cria.
Des vagues d’énergie palpable surgirent du vieil homme, s’élevant de lui comme un feu noir. Ses cris étaient assourdissants, et sa seule présence faisait craquer les murs de la caverne. En une fraction de seconde, Majjhima était apparu devant Cloudhawk.
Merde ! Son visage blanchit.
Il voulait activer la pierre de phase et éloigner la bombe. Là-bas, elle ne pouvait blesser personne. Mais c’était un processus qui prenait un peu de temps, temps qu’il n’avait plus. Majjhima se matérialisa à dix mètres de là comme un démon surgissant des profondeurs de l’enfer et lança un coup de poing vers lui avec une force capable de briser des montagnes.
Il avait repassé ce moment dans sa tête une douzaine de fois. Il se demandait si Vipère serait tapi dans les bas-fonds de Skycloud, attendant son heure pour frapper. Il avait envisagé la possibilité que le Crimson One apparaisse au moment le plus inopportun. Mais il n’aurait jamais imaginé que ce vieil homme ridé serait la menace à laquelle il devait se préparer.
Il abandonna ses efforts de déplacement planaire et utilisa l’énergie pour se téléporter. Il disparut un instant avant l’attaque de Majjhima, le transportant lui et l’arme à une distance plus sûre.
« Tuez-le ! »
Dix guerriers de l’ombre se rapprochèrent et entourèrent le vieil homme. Ils le tailladèrent avec leurs épées sans hésitation.
En vain. C’était comme si son corps entier était fait d’acier de tungstène. Il était protégé par l’énorme quantité d’énergie qu’il avait consommée, qui était plus efficace que n’importe quelle armure. Les épées se brisaient sur sa chair ridée.
« Dégagez ! »
D’un seul coup, les dix guerriers furent déchirés. Majjhima, entouré de cette terrible énergie, se souleva du sol et s’éleva dans les airs. Là, il planait comme un cauchemar donné en chair, une horreur qui faisait trembler tous les spectateurs.
Comment ce vieil homme pouvait-il contenir toute cette énergie en lui ?
Personne ne savait comment les protofiends étaient faits, mais ils savaient que Majjhima n’était pas un chasseur de démons. Même s’il était fort dans sa jeunesse, c’était un homme vieux et flétri à présent. Injecter de force autant d’énergie à un corps défaillant était une condamnation à mort, sans aucun doute, mais cela ne concernait pas du tout Majjhima.
Cloudhawk se renfrogna devant la menace grandissante. Il restait moins d’une minute !
Le corps de Majjhima commença à se transformer. De la brume noire s’échappait de tous les orifices, de tous les pores, bien qu’elle soit toujours collée à son corps. Il n’était que partiellement visible à travers la brume. De temps en temps, les spectateurs pouvaient apercevoir ses cheveux blancs qui se tenaient droits ou ses yeux qui étaient maintenant consumés par une fureur pure et inaltérable.
« Vous allez tous mourir. »
Majjhima chargea le géant de pierre. Il n’a pas eu le temps de réagir, et en un clin d’œil, la sentinelle golem d’Aurore explosa en gravier.
Une vague d’énergie noire jaillit de l’attaque et engloutit la moitié de la caverne comme l’eau d’un barrage. Tout ce qui se trouvait sur son chemin fut anéanti, des colonnes de pierre au sol rocheux. Les chasseurs de démons qui n’avaient pas été assez rapides pour esquiver avaient été balayés. Les reliques protectrices sur lesquelles ils comptaient se brisèrent instantanément sous la pression.
La voix de Cloudhawk résonnait au-dessus de l’explosion. « Felina ! »
Ses cris furent suivis d’un éclat d’acier alors qu’un coutelas perçait la brume. Il frappa le sol à quelques mètres à l’extérieur du torrent noir. Une seconde plus tard, le visage de poupée de Felina apparut à ses côtés. Elle tenait un compatriote dans chaque main. L’un d’eux avait perdu la moitié de son corps, et sa propre armure avait été gravement endommagée. Elle trébucha un instant avant de s’effondrer sur le sol.
Atlas se précipita à son secours et traîna Felina et les soldats qu’elle avait sauvés en lieu sûr.
Majjhima avait perdu la tête. C’était une bête de rage pure, qui se ruait dans la caverne et brisait tout sur son passage. De grandes fissures apparaissaient dans les murs, le plafond et le sol alors qu’il frappait les colonnes de pierre. Des rochers assez gros pour écraser une escouade entière tombaient du ciel.
Il était en train de faire tomber tout l’endroit sur eux !
Cloudhawk, Aurore et Atlas regardaient tous, choqués et horrifiés. Le temps qu’ils retrouvent leurs esprits, il était trop tard. Avec ses supports détruits, la caverne avait subi un effondrement catastrophique.
Au milieu d’une journée tranquille, les habitants de la ville sursautèrent lorsqu’un bruit de tonnerre se fit entendre. Il provenait du sous-sol et continua pendant plusieurs longs moments. Confus et alarmés, ils cherchèrent autour d’eux la source du bruit.
À l’ouest de la ville, une rue commerçante fut soudainement plongée dans le chaos, les rues s’étant disloquées sans prévenir. Cela fut suivi d’une détonation assourdissante.
D’un seul coup, le bloc entier s’était effondré. Des dizaines de magasins, de maisons et d’entreprises tombèrent dans un gouffre incroyablement profond. Des fissures continuèrent à s’échapper des bords comme des mille-pattes en colère, s’ouvrant sous les pieds des citoyens condamnés qui n’avaient aucune idée de ce qui se passait. Leurs cris résonnaient alors qu’ils étaient avalés par les ténèbres. D’autres hurlaient et couraient pour sauver leur vie.
« Les dieux du ciel ! »
« Qu’est-ce qui se passe ? ! »
Les gens criaient et couraient dans la peur. Était-ce un tremblement de terre ?
En fait, la plupart des Élyséens ne pouvaient même pas saisir l’idée d’un tremblement de terre. Inondations, sécheresses, tornades, tremblements de terre – ces sortes de catastrophes naturelles étaient inconnues sur la terre des dieux. C’était la première fois dans l’histoire millénaire de Skycloud qu’une telle catastrophe se produisait.