Malgré les réactions magiques inquiétantes repérées à l’arrière du campement, Sylvie ne pouvait se permettre de lambiner.
Après en avoir rapidement averti les sorcières qui se trouvaient sur place, elle reporta son attention sur l’Armée des Diables quelques kilomètres plus loin vers le Nord, tout en surveillant les postes situés à proximité.
Quelque chose venait de surgir, une chose qu’elle n’avait jamais vue auparavant, si menaçante qu’elle ne savait pas si elle devait la classer dans les êtres vivants ou les objets inanimés.
De la taille d’un bâtiment de deux étages, la créature ressemblait à un crabe ou à une araignée, bien que son torse et ses membres soient constitués de pierres noires et luisantes. Ses mouvements étaient raides, comme mécaniques et tandis que ses comparses, les Diables, étaient réduits en mille miettes sous les tirs intensifs, ce monstre continuait d’avancer, indifférent, rappelant les machines inventées par Roland.
Mais ce n’était pas à proprement parler une machine.
Sous sa robuste et épaisse carapace, Sylvie pouvait apercevoir les légers mouvements de tissus organiques et une lueur magique pénétrait tout son organisme par le bais de vaisseaux entrelacés.
Le seul mot qu’elle aurait pu utiliser pour le décrire était “parasite”.
Un être vivant niché dans une masse de pierre et de métal.
Comparée à cette monstruosité rampante, l’horrible “Bête de siège” ne lui sembla soudain plus aussi effrayante.
Fort heureusement, ces créatures, qui étaient au nombre de cinq, n’étaient pas invulnérables et si la Première Armée ne pouvait les atteindre directement, un obus tombant à proximité serait suffisant pour endommager leurs pattes, les empêchant ainsi d’avancer.
Cependant, il y avait tant de Diables tout autour de ces monstres que malgré les continuelles instructions que donnait Sylvie aux artilleurs, il leur était difficile de diriger les tirs avec précision, chaque obus devant parcourir plusieurs kilomètres avant d’atterrir à l’endroit ciblé. Le temps que les Démons Volants pénètrent dans le périmètre de l’artillerie pour lancer leur attaque, ils n’avaient pu arrêter qu’une seule de ces créatures rampantes.
Alors qu’une bataille acharnée se déroulait à l’arrière, Sylvie s’inquiétait pour le front.
Les artilleurs, en effet, n’avaient probablement pas conscience de la menace qu’ils représentaient pour les Diables, Sylvie ayant été le seul témoin des dégâts considérables causés par les Canons de Forteresse.
Sitôt qu’une horde ennemie envahissait le secteur, ce terrain situé à un kilomètre et demi de distance, devenait aussitôt un abattoir où les Diables étaient massacrés sans pitié.
Chaque obus, en touchant le sol, soulevait des piliers de terre jusqu’à dix mètres de haut et des membres arrachés volaient dans les airs. Des éclats de métal et des fragments de pierre tranchants fusaient partout, déchirant les armures ennemies et transformant ces Diables Fous, plutôt costauds, en poupées de chiffons. À chaque bombardement, des dizaines de cadavres gisaient sur le sol à proximité du cratère et leur sang magique se répandait, tel une fleur, avant d’être absorbé par le sol.
Si tous les obus n’atteignaient pas leur cible, trois salves de tirs avaient suffi aux artilleurs pour briser leurs formations, dispersant ainsi les Diables. Rien qu’à voir leur manière rigide de courir, il était visible que ces armes mortelles sans précédent les mettaient dans un état de tension incroyable.
Si les Bêtes Volantes ne les avaient pas interrompus, les artilleurs les auraient déjà tous anéantis.
Certes, l’armée avait réussi à restaurer les canons, cependant, leur rapidité et leur précision étant grandement compromises, les Diables en avaient profité pour avancer. Au moment où Sylvie détectait les multiples réactions magiques à l’arrière, le gros des forces ennemies n’était plus qu’à trois kilomètres de la ligne de défense.
Les soldats, sur le front, devraient désormais être en mesure d’apercevoir des nuées de Diables à l’horizon.
Comme convenu, Sylvie prévint aussitôt Shavi :
– « L’ennemi est à portée de tir des mortiers. »
– « Compris! Je vais en avertir le Commandant », répondit presqu’aussitôt la sorcière. « Au fait, comment vont les choses à l’arrière ? En ont-ils terminé avec ces démons volants ? »
– « Quelque chose… d’inattendu s’est produit », répondit Sylvie avec hésitation. « Mais tout devrait bien se passer maintenant. »
– « Ne pensez-vous pas que si Andrea était là, nous en aurions déjà terminé avec eux ? »
– « Hé bien… c’est possible », répondit Sylvie qui préférait ne pas parler de ce qu’elle avait vu pour ne pas trop inquiéter Shavi.
Tandis qu’elles parlaient, Sylvie s’aperçut soudain que les quatre monstres de l’Armée des Diables avaient cessé d’avancer et se laissaient tomber sur le sol.
Que mijotaient-ils ?
Elle comprit aussitôt en voyant l’arrière de leur carapace s’ouvrir pour libérer un cylindre aussi large qu’un homme qui ressemblait à un cristal noir. Sa surface gluante donnait l’impression qu’il était fait de tissus organiques et, tout comme le monstre, il était plein de vaisseaux sanguins et de veinures. Il se dilatait et se contractait suivant le flux du pouvoir magique qui circulait à l’intérieur.
L’instant suivant, le cyclone magique du monstre se mit à tournoyer et émit une leur éblouissante.
Une force incroyable projeta le cylindre de cristal qui passa en sifflant au-dessus des Diables et, cent fois plus puissant qu’une flèche, fila droit vers le versant Nord.
Au même moment, les mortiers de la Première Armée firent entendre un rugissement tumultueux …
Plus de cent obus prirent leur essor et tracèrent des courbes paraboliques dans les airs avant de retomber, emportés par la gravité, sur les Diables.
Durant une fraction de seconde, les projectiles et le cylindre se frôlèrent en se croisant.
Après quatre cents ans de paix, voilà qu’humains et Diables s’affrontaient à nouveau!
– « Shavi, le bouclier! » Cria Sylvie de toutes ses forces au moment même où le gros cylindre atteignait la ligne de défense.
En un éclair, celui-ci explosa et d’innombrables aiguilles étincelantes mêlées de sang bleu s’abattirent sur les soldats.
Les postes d’artillerie étaient mortellement silencieux.
Ayesha et les autres sorcières avaient immédiatement mis les soldats à l’abris des monstres géants, ne laissant sur place que les mitrailleurs anti-aériens chargés d’éradiquer les dernières Bêtes Volantes. Il ne restait plus, sur le champ de bataille, qu’une douzaine de Sorcières du Châtiment Divin et le Diable Supérieur en armure.
Ce dernier les toisa froidement et lâcha un hurlement plus puissant encore que le tonnerre lointain des mitrailleuses. Tous comprirent qu’il était furieux.
Il tendit la main droite et la leva brusquement. Presqu’aussitôt, un éclair lumineux s’échappa de sa paume et une longue épée crépitante apparut dans sa main.
Le Diable Supérieur la lança alors sur le Canon de Forteresse qui se fissura et se fendit en deux. La surface coupée était aussi rouge que si elle avait été chauffée à haute température.
La Sorcière des Glaces retint son souffle, réalisant que l’épée était mue par le pouvoir magique.
Mais Zoé, imperturbable, demanda :
– « Eh bien alors ? Vous n’êtes pas satisfait de vos adversaires ? Vous êtes venus dans l’intention de mener un assaut final et vous êtes déçu de constater que vos ennemis ne sont que de simples mortels. » Zoé parlait avec détachement, un brin moqueur, mais ses yeux étaient en feu. « Vous avez fait la plus grande erreur de votre vie en venant ici. Si vous étiez resté là-haut, vous auriez probablement survécu un peu plus longtemps. Vous allez comprendre à quel point nous sommes furieuses depuis quatre cents ans. Et comparée à notre colère, la vôtre est insignifiante! »
Bien qu’ils ne puissent pas communiquer, tous deux étaient en mesure de discerner le ressenti de l’autre. Le Diable poussa un hurlement et lança, en direction de Zoé, son épée magique qui fendit l’air telle un éclair éblouissant!
Pendant ce temps, les deux sorcières se rapprochèrent de Zoé et toutes trois étendirent leurs Zones du Châtiment Divin.
Soudain, une force étrange déforma l’espace. L’éclair formé par l’épée fut englouti par une obscurité insondable et s’évanouit sans laisser de traces.
Le Diable Supérieur en resta bouche bée.
Profitant de son état d’hébétude, les deux autres Sorcières du Châtiment Divin levèrent leurs fusils à gros calibre.
Aussitôt, le champ de bataille se retrouva plongé sous un tonnerre de coups de feu. Le Diable tenta de se protéger avec un nuage de lumière bleue, mais celle-ci s’éteignit au bout d’une seconde.
Quant à son armure noire et brillante, elle le protégeait à peine.
Sous les tirs qui le martelaient en continu, le Diable Supérieur se tordit comme un chiffon et lorsque la fusillade prit fin, ses os et ses organes n’étaient plus qu’une boue sanglante.