– « Bon, j’y vais », annonça solennellement Ayesha

– « Oui, allons-y. Voilà si longtemps que nous attendions ce jour », répondit Zoé avec un rictus.  

Contrairement à la Première Armée, les commandantes des sorcières antiques étaient également de puissantes combattantes. Elles seraient les dernières à battre en retraite à l’approche des Diables.

– « Dame Ayesha, Dame Zoé… » Dit soudain Hache-De-Fer.

– « Autre chose ? »

– « Ce n’est sans doute pas à moi de vous dire cela, mais je crois que Sa Majesté aurait voulu que je vous le transmette », répondit-il, pensif. « Soyez prudentes, je vous en prie. Le fait que vous soyez en vie est le coup le plus rude que nous puissions infliger aux Diables. »

– « Je n’ai pas l’intention de me laisser tuer avant d’avoir récupéré Taquila », dit Zoé en se retournant pour le regarder. « Mais merci pour ces paroles aimables, mortel, j’apprécie beaucoup. »  

– « Ne vous inquiétez pas, nous savons ce que nous avons à faire », ajouta Ayesha en souriant avant de quitter la tente.

Le ciel s’était assombri. Les ennemis étaient beaucoup plus nombreux que lors de la dernière bataille pour la défense de la Cité Sans Hiver et ils volaient aussi beaucoup plus vite.

Ils eurent tôt fait d’atteindre leur ligne de front.

L’un après l’autre, les canons anti-aériens se mirent à tirer. Le vacarme était assourdissant cependant, cette attaque fut loin d’être efficace dans la mesure où, sur une soixantaine, seuls quatre ou cinq Démons Volants furent abattus. Les autres, en revanche, montèrent encore plus haut.    

– « Ces bâtards m’énervent! » Dit Zoé, désemparée. « Qu’ils essaye un peu d’atterrir et je les tuerai de mes mains. »

À l’époque de l’Union, le meilleur moyen de contre-attaquer ces monstres était d’envoyer des sorcières de combat et des Extraordinaires munies de Pierres de Vol. C’était aussi la raison pour laquelle les sorcières antiques méprisaient les armées de mortel, dans le sens où sans leur aide, il suffirait d’une ou deux Bêtes Volantes pour les mettre en déroute.

En voyant l’ennemi planer au-dessus d’eux, Ayesha fronça les sourcils :

– « Pourquoi ne jettent-ils pas leurs lances ? »

Mais l’instant d’après, elle comprit en voyant les Diables et leur monture piquer droit derrière la ligne de défense, à l’endroit précis où se trouvait le bataillon d’artillerie.

Ayesha et Zoé échangèrent un regard et se précipitèrent vers les artilleurs.

Fish Ball, qui, en raison de ses précédentes performances, avait été promu au rang de chef d’unité, était en charge du secteur central de la ligne défensive. Ce n’était certes pas la première fois qu’il voyait ces monstres, mais de voir cette horde de Bêtes Volantes se précipiter vers eux lui faisait froid dans le dos.

– « Ch… chef, ne devrions-nous pas tirer ? » Bégaya un membre de son équipe, un sac de munitions à la main.  

– « Ils sont à moins de neuf cents mètres! » S’écria le guetteur livide, terrorisé, dont la pomme d’Adam frémissait.  

Devant une telle attaque, même les plus courageux seraient terrifiés. S’apercevant que tous avaient une peur bleue, Fish Ball se dit qu’il devait absolument garder son calme, sans quoi les soldats s’effondreraient avant même que l’ennemi ne passe à l’attaque.   

Il déglutit avec peine et s’efforça de parler plus lentement :

– « Tenez bon et n’ouvrez le feu que lorsqu’ils seront à moins de trois cents mètres. »

Bien que l’instructeur des machines leur ait expliqué que la portée de tir du Mark I était supérieure à mille cinq cents mètres et la portée visuelle d’environ un kilomètre, Fish Ball savait de par son expérience qu’ils ne pouvaient toucher une Bête Volante dans ce rayon que si elle avait un vol régulier et rectiligne.

La meilleure méthode consistait donc à visualiser un cercle concentrique à la manière d’un lasso pour toucher l’ennemi plutôt que la lunette de visée prévue sur l’arme.

Si les tirs n’étaient pas précis, cela pourrait affecter le moral des soldats aussi préférait-il attendre pour tirer qu’ils soient certains de toucher la cible.

Cependant, étant donné la courte distance qui les séparait de leurs adversaires, ceux-ci étaient susceptibles de contre-attaquer à tout moment.

Fish Ball espérait sincèrement que le déflecteur ajouté à l’avant de la mitrailleuse suffirait à arrêter les Diables. 

– « Ils piquent! » Cria le guetteur.

– « Maintenant! »

Fish Ball appuya sur la gâchette. Un flot de balles bien aligné jaillit de l’arme et alla frapper la gigantesque silhouette qui se précipitait vers lui.  

Touché par au moins une douzaine de balles provenant de directions différentes, le Démon Volant prit aussitôt l’apparence d’un nuage sanglant. Le Diable Fou qui le chevauchait n’était guère mieux : il avait le crâne ouvert et les jambes coupées. Sa silhouette était presque méconnaissable lorsqu’elle toucha le sol.  

La mort de l’ennemi provoqua un tonnerre d’applaudissement de la part de la troupe qui célébrait ainsi sa première victoire, ce qui redonna courage à Fish Ball. Il visa aussitôt une autre Bête Volante qui, en quelques secondes, subit le même sort que la précédente.

Il était sur le point de redoubler d’efforts lorsque soudain, le paysage s’assombrit.

On aurait dit qu’un rideau grisâtre recouvrait le soleil, laissant passer çà et là quelques scintillements lumineux. Lorsque Fish Ball réalisa ce qu’était réellement ce “rideau”, il ressentit une telle horreur qu’il eut l’impression que son cœur cessait de battre.

– « Attention! » Hurla-t-il de tous ses poumons. « Ils envoie des lances! »

Mais n’ayant nulle part où se cacher, il ne leur restait plus qu’à se dissimuler sous leurs boucliers, laissant leurs mains et leurs pieds au destin.

Fish Ball serra son compagnon contre lui, s’attendant à être transpercé par une lance en os.

Mais rien ne se produisit. Il y eut une rafale de vent et la lumière revint.  

– « Chef!  Derrière vous! » Cria soudain un soldat, stupéfait.

Fish Ball regarda par-dessus son épaule, le cœur battant :  derrière lui, tout était en désordre et l’air imprégné de poussière. Certains soldats étaient allongés sur le sol, inconscients et des blessés gémissaient et appelaient à l’aide. Les six Canons de Forteresse avaient cessé de tirer.

Tous ravalèrent leur salive.

– « Qu’est-ce que vous attendez ?! » Rugit Fish Ball en serrant les dents. « Retournez à vos postes et reprenez le tir! »

Quelqu’un étant chargé des premiers secours et de l’envoi de renforts, il lui fallait abattre le plus grand nombre possible de Démons Volants avant que les ennemis ne repassent à l’attaque.  

Cette réprimande eut le don de tirer les soldats de leur transe. Aussitôt, les deux mitrailleuses anti-aériennes se remirent à tonner.  

Réalisant que leurs lances ne suffiraient pas à arrêter totalement l’adversaire, les Diables divisèrent les Bêtes Volantes en deux groupes, l’un prenant de l’altitude dans l’attente des prochains assauts. Quant aux autres, tirant parti de leur supériorité physique pour affronter les soldats au corps à corps.  

L’un des Diables Fous mit pied à terre pour affronter un homme aux cheveux noirs que, visiblement, il ne prenait pas très au sérieux car il tira négligemment de sa ceinture une hache qu’il agita devant lui.

Cependant, d’une seule main, l’homme l’arrêta.

Le Diable Fou écarquilla les yeux et avant même qu’il n’ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, il vit son adversaire pointer vers lui un tube de fer.

– « La nouvelle arme de Sa Majesté est vraiment efficace » dit Zoé en relâchant le Diable qui s’effondra aussitôt, un grand trou dans la poitrine. « Si nous avions eu cela il y a quatre cents ans, Taquila ne serait probablement pas tombée et les Trois chefs ne se seraient pas retournées l’une contre l’autre suite à des désaccords sur la continuité de la race humaine. »

Elle se dirigea vers le Diable inconscient, lui brisa le crâne du pied et le regarda froidement : « Mais nous sommes toujours en vie et de retour, prêtes à nous venger. Il est grand temps que vous payiez pour ce que vous avez fait. »