Sylvie, qui observait les combats, poussa un soupir de soulagement en constatant que les Diables Fous n’avaient pas causé autant de dégâts cette fois que lors de leur précédent assaut. Grâce aux sorcières de l’Île Dormante, soit les lances se retrouvaient bloquées, soit, curieusement, elles manquaient leur cible. Une seule avait cependant réussi à frapper une mitrailleuse lourde et à la faire voler en éclats, obligeant l’équipe à interrompre temporairement les tirs, mais sans blesser mortellement aucun des soldats. Sitôt la bataille terminée, Naela se chargerait de les soigner.
Si la Première Armée pouvait tirer en continu, les Diables Fous, eux, devaient attendre que leurs bras flétris gonflent à nouveau et plus ils restaient longtemps au même endroit, plus les tireurs étaient susceptibles de les atteindre. Sylvie comprit alors que la défaite ennemie était désormais inévitable.
On aurait dit que les Diables en étaient conscients eux aussi car soudain, une corne retentit et les Bêtes Volantes s’empressèrent de faire demi-tour, filant à tire d’ailes en direction de l’Ouest.
Comparée à leurs déplacements évasifs lors de l’attaque, leur trajectoire, cette fois, en faisait une cible facile pour les soldats. La pluie de balles ayant atteint l’une d’entre elles au niveau de l’aile, celle-ci dégringola en direction de la Forêt aux Secrets, le corps étrangement ployé.
Il ne restait plus désormais dans les airs que cinq Démons Volants, dont trois surmontés de Diables Fous.
Sylvie fit aussitôt passer le message aux derniers attaquants de la Cité Sans Hiver toujours en embuscade au moyen du Sceau d’Écoute.
Ceux-ci avaient pour objectif de porter l’estocade finale à l’ennemi.
– « Message reçu », répondit une voix familière. « Je m’en occupe! Admirez les performance d’une grande exploratrice! »
– « Soyez prudente… »
Sylvie n’avait pas terminé sa phrase que déjà, le bruit d’une rafale de vent couvrait sa voix.
Ce signe de chute était un présage de mort pour les ennemis.
La dernière chose à laquelle s’attendaient les Diables chevauchant les Bêtes Volantes était que quelqu’un les attaque de plus haut, eux qui étaient si fiers de leur capacité à frapper depuis les airs! Cependant, face à des sorcières survolant les nuages, les circonstances ne jouaient pas en leur faveur.
Foudre volait à une telle vitesse que ses lunettes de protection se fissurèrent.
120 kilomètres à l’heure! Elle était presque deux fois plus rapide que Maggie sous sa forme de Bête Démoniaque volante.
Si elle accélérait encore, les turbulences ne tarderaient pas à emporter ses lunettes.
Elle allait devoir reprendre la stratégie qu’elle avait utilisée pour bombarder la Cité du Roi, c’est-à-dire ajuster la direction horizontale de la “bombe” afin qu’elle vienne frapper les Diables en plein vol. À la différence près que cette fois, c’était Cendres qui lui tenait lieu de bombe.
L’intervention de l’Extraordinaire était une décision provisoire, celle-ci n’ayant pas la capacité de se battre tout en contrôlant la Pierre Magique. Mais comme il aurait été dommage de laisser au sol une guerrière aussi puissante, elles avaient donc décidé que Foudre la porterait pour qu’elle puisse attaquer l’ennemi.
Curieusement, cette opération se passa relativement bien. D’une part Cendres pouvait faire appel à sa volonté pour flotter dans les airs de manière à ne pas être un fardeau pour Foudre et d’autre part, elle était suffisamment résistante pour supporter les turbulences liées à la vitesse.
Une fois les nuages traversés, elles aperçurent devant elles les cinq Démons Volants dont Sylvie leur avait parlé et qui n’avaient aucune idée de ce qui se tramait au-dessus.
Rassemblant toutes ses forces, Foudre lança Cendres sur l’un des ennemis. Aussitôt, l’Extraordinaire dégaina sa longue épée et frappa le Diable qui fonçait tête baissée.
Lorsque l’ennemi entendit la lame siffler dans les airs, il comprit qu’il était en danger. Il gonfla aussitôt son bras et plaça sa lance de manière à parer le coup, mais il était trop tard.
L’épée de Cendres brisa son arme et le coupa en deux.
Le Diable eut à peine le temps d’entrevoir les prunelles d’or de la sorcière.
Surpris, ses comparses se mirent à crier, dirigèrent leurs montures sur les côtés et brandirent leurs lances, ignorant le Démon Volant dont le maître venait d’être massacré.
Soudain, un rugissement terrifiant attira leur attention.
Maggie, qui avait pris sa forme de Bête Démoniaque géante, venait de jaillir des nuages et fonçait droit sur eux.
Conscients qu’il ne pouvait s’agir de l’une de leurs Bêtes Volantes étant donné que celle-ci était chevauchée par une sorcière, ils délaissèrent Cendres pour se focaliser sur le monstre gigantesque.
Telles des ombres, deux lances fusèrent en direction de Maggie. Mais l’instant suivant, celle-ci disparut, cédant place à un pigeon blanc qui planait fièrement à l’endroit même où, quelques instants auparavant, se trouvait la Bête Volante.
En un éclair, Rossignol bondit devant l’ennemi.
Même si son monde de brume ne lui permettait pas de se déplacer dans les airs aussi librement qu’au sol, elle n’avait pas l’intention de laisser ses adversaires s’échapper.
Il lui suffirait de les attirer dans son brouillard pour prendre le contrôle de la situation.
Sans pierres du Châtiment Divin, il était impossible aux Diables de la voir.
Aux yeux de Rossignol, le dos de la Bête Volante était aussi large que la place centrale de la ville.
Rossignol sortit son revolver et abattit le Diable Fou. Puis elle tira sur la Bête Volante désormais sans maître et la précipita sur le dernier Démon Volant qui portait encore un cavalier. Ce dernier, dans une tentative désespérée, jeta deux lances en direction de la sorcière, paralysant du même coup son bras. La Pierre Magique qui émettait une lumière bleue ne se contentait pas de drainer son pouvoir, elle avait aussi pour effet de flétrir la moitié de son corps.
De son côté, Rossignol ne tenta même pas d’esquiver. Elle retourna simplement son monde en noir et blanc de façon à ce que le ciel devienne la terre et se posa sur l’abdomen de la Bête Volante qui prit la lance à sa place.
La brume dissimulant aussi bien la sorcière que sa monture, le Démon Volant se précipita brusquement sur les deux derniers ennemis qui se retrouvèrent aussitôt absorbés par le brouillard.
Plongé dans ce monde étrange, les Diables, distraits par les déformations de l’espace et de la lumière en oublièrent un moment de riposter. Lorsqu’enfin ils réalisèrent ce qui se passait, les lignes de démarcation semblables à des fils d’argent, les submergèrent tels un tsunami.
Bêtes Volantes et Diables Fous réapparurent alors en morceaux qui retombèrent sur le sol.
Maggie reprit sa forme de bête géante et rattrapa Rossignol au vol tandis que de son côté, Foudres se précipitait pour récupérer Cendres qui en avait terminé avec la dernière Bête Volante.
– « Deux contre un! J’ai gagné! » S’exclama Rossignol en montrant deux doigts.
Cendres se contenta de hausser les épaules.
Saines et sauves, toutes les quatre redescendirent. Lorsqu’elles eurent atterri, Foudre sortit de son sac le Sceau d’Écoute :
– « Sylvie, savez-vous où sont les deux Démons Volants qui se sont échappés ? »
Après un moment de silence, la réponse lui parvint :
– « Je les vois! Ils se trouvent à environ deux mille cinq cents mètres de vous, direction nord-est. »
– « Parfait, guidez-moi je vous prie. »
– « Vous comptez y aller seule ? »
– « Non, Maggie m’accompagnera. Ne vous inquiétez pas », ajouta Foudre en se frappant la poitrine, « ce ne sont que deux bêtes sans maître. »
Maggie reprit sa forme de pigeon, voleta jusqu’à la tête de la jeune fille et dressa sa petite tête d’oiseau :
– « Elles ne peuvent pas nous échapper! »
– « Prenez garde à la Brume Rouge! Surtout, ne vous en approchez pas! » Prévint Rossignol.
– « Et si d’autres ennemis se présentent, retirez-vous immédiatement! » Ajouta Cendres.
– « Comptez sur moi! » Répondit Foudre, le pouce dressé, avant de s’envoler avec Maggie dans la direction signalée.