À la Cité du Roi, le ciel était dégagé et le soleil radieux : c’était une belle journée pour prononcer un verdict.  

Toutes les heures, un coup de canon était tiré sur la place, annonçant à la foule qu’un personnage, autrefois “prestigieux”, venait d’être justement jugé.

Les accusations ayant déjà été confirmées, cette procédure n’était utilisée qu’à titre de propagande vis-à-vis des citoyens. Elle condamnait principalement l’Eglise et Timothy pour avoir conspiré contre le Roi et usurpé le trône. Après une semaine de préparation, les preuves recueillies à leur encontre démontraient, sans l’ombre d’un doute leur culpabilité. Bien entendu, Roland ne leur donna pas l’occasion de se défendre.

Seuls quelques nobles étaient condamnés à la pendaison. Outre Timothy, ses hommes de main, le Premier ministre et le juge, tous les autres condamnés étaient des croyants. L’Église de la Cité du Roi avait été entièrement démantelée et Roland avait fait en sorte que tous ceux qui étaient impliqués dans la propagation de la peste démoniaque aient ce qu’ils méritent.

Ces ordures ne manqueraient pas d’être accueillies par les acclamations du public lorsqu’elles seraient conduites à la potence.

– « Vous ne voulez pas y assister ? » demanda Rossignol, debout près de la fenêtre.

– « Hache-de-Fer et Théo s’occupent de tout », répondit Roland sans même lever la tête.

Les procès publics, qui, à Border Town, avaient largement contribué à stimuler la volonté du peuple et à unir les sujets, n’auraient pas le même effet ici. Ce n’est pas parce que Roland exécutait Timothy que les gens allaient automatiquement se ranger de son côté, pas plus qu’ils ne s’étaient ralliés à Timothy après la mort du roi Wimbledon III et de Gérald.

Dans cette ville, il n’avait pas suffisamment de soutien.

Sa propre sécurité le préoccupait également. Sylvie avait fini par retrouver la liste des joyaux dont Roland se souvenait, que Timothy avait cachée dans un compartiment secret de son cabinet. Cependant, il y avait douze noms de plus que sur la liste originale, dont quatre désignaient des personnes dissimulées dans la ville. Toutes avaient donc dû recevoir des ordres de Timothy. Ce n’étaient pas nécessairement les ordres d’assassinat, cependant, Roland se tenait sur ses gardes. Les lieux d’exécution, trop désordonnés, n’étant pas recommandés en ces circonstances, il ne voyait pas l’intérêt d’y assister.  

Il y avait plus important.

L’armée, par exemple.

Les pertes subies lors de la prise de la Cité du Roi venaient enfin d’être évaluées : la Première Armée avait perdu trente-trois hommes, la pire perte qu’ils aient subie jusqu’ici.  Même s’ils étaient venus à bout de nombreux ennemis, Roland s’était aperçu qu’il y avait encore des failles dans leurs tactiques de combat de rue, en particulier en ce qui concernait la démolition de maisons. La plupart des pertes de la Première Armée étaient dues à des mercenaires drogués qui sautaient des maisons. Si ses soldats pouvaient utiliser des fusils lance-grenades ou des cartouches explosives pour démolir les maisons suspectes sur leur passage, il y aurait certainement moins de victimes.

Le Prince était également préoccupé par la taille de son armée. Avec ses trois mille hommes, la Première Armée était en mesure de conquérir tout le Royaume de Graycastle mais ce n’était pas suffisant pour tout occuper. Il allait devoir laisser au moins cinq cents hommes pour maintenir l’ordre à la Cité du Roi et lorsqu’il aurait conquis la Crête du Dragon Déchu et la Région de l’Extrême Sud, l’armée serait trop petite pour maintenir l’état de paix. Aussi était-il indispensable d’augmenter les effectifs militaires.

Roland mit par écrit le plan d’indemnisation des décès, celui de l’expansion de l’armée et les remit à ses gardes en leur ordonnant de les ramener à la Cité Sans Hiver où l’Hôtel de Ville les mettrait à exécution.

Cela fait, le Prince reporta son attention sur les petits aristocrates.

Quoiqu’ils n’eussent aucun pouvoir politique conséquent, tous étaient instruits et très désireux d’être promus. Le nettoyage avait été fait parmi les grands nobles de la ville, certains ayant été bannis du territoire et d’autres envoyés aux mines de la Cité Sans Hiver. Il y avait donc de ce fait de nombreux postes vacants dans les bureaux. Le meilleur moyen, pour que la Cité du Roi fonctionne normalement, était d’amener ces petits aristocrates à travailler pour lui.  

Barov, qui avait des années d’expérience au sein de la Cité du Roi et connaissait probablement certains de ces hommes, aurait pour responsabilité d’organiser un système administratif provisoire.

Donner davantage de responsabilités à des hommes désireux de le servir contribuerait à augmenter leur enthousiasme. À titre d’essai, Roland commencerait par Yorko, ayant enfin trouvé où placer son “vieil ami”.

Sitôt entré dans le bureau du Prince, Yorko s’écria :

– « Mon Dieu, vous avez exécuté tous les scélérats de l’Eglise! Lorsque j’ai entendu les aveux du Grand Prêtre Ferry, je n’en croyais pas mes oreilles. Je n’aurais jamais cru qu’ils étaient à l’origine de la propagation de la peste démoniaque. Quel discrédit pour les Dieux! En ce moment même, sur la place, la foule scande votre nom en disant qu’il y a six mois, vous les avez sauvés. »

Roland sourit. Théo avait ordonné aux Rats de répandre cette nouvelle pour corroborer les dires des réfugiés secourus six mois auparavant. De toute évidence, c’était plutôt efficace néanmoins, concernant le fait que les gens le louent, c’était probablement une invention de Yorko destinée à le flatter.  

Sans poser de questions, il tendit au Chevalier une délicate enveloppe en peau de mouton.  

– « Jetez un œil à ceci », dit-il.

Yorko ouvrit la lettre, la parcourut et écarquilla les yeux :

– « Vous… Vous me nommez Ambassadeur du Royaume de Graycastle ? »

– « Oui, et ce de manière permanente » répondit Roland avec un signe de tête. « Vous allez recevoir une lettre officielle de nomination, un sceptre, un sceau et vous habiterez la Cité de Lumière, capitale du Royaume de l’Aube. Qu’en pensez-vous ? »

Le Prince avait beaucoup réfléchi avant de procéder à cette nomination, car la célèbre “Main Magique” de la Cité du Roi, tout comme le Prince Roland par le passé, avait mauvaise réputation.   

Personne, y compris les nobles, n’avait envie d’être trompé. Mais tandis que leurs femmes batifolaient avec d’autres hommes, les maris, au lieu de les prendre en flagrant délit, fréquentaient les bars et les maisons closes. Tout cela, bien sûr, se faisait dans le secret.

Si Yorko venait à occuper un poste important ou si Roland lui donnait officiellement un emploi à l’Hôtel de Ville, qui sait les conséquences que cela pourrait avoir… Les aristocrates et les commerçants se mettraient à redouter que leurs épouses ne se mettent à poursuivre le Chevalier de leurs assiduités et toutes les femmes avec qui Yorko aurait couché tenteraient de profiter de lui. Roland ne voulait pas que de telles choses se produisent.

Le plus judicieux était donc de l’envoyer à l’étranger. À la différence des délégations d’émissaires itinérantes, les Ambassadeurs du Royaume bénéficiaient d’un statut similaire à celui d’un Comte, aussi étaient-ils traités avec le plus grand respect par les Rois étrangers. Ce titre, qui lui conférait de l’importance, était parfait pour une promotion. Par ailleurs, le Prince n’aurait pas à lui donner de terres et les nobles n’auraient rien à craindre.  

« Qu’il aille importuner le Royaume de l’Aube », pensa-t-il. « J’ai entendu dire que là-bas, les aristocrates étaient exceptionnelles et plutôt exotiques. Peut-être pourrait-il se faire un nouveau nom. »

Apparemment, Yorko avait lui aussi pris ce détail en considération. Sans hésité, il s’agenouilla et, craignant que Roland ne revienne sur sa décision, répondit avec empressement :

– « J’accepte, Monseigneur! »

– « Alors c’est décidé », dit Roland avec un sourire. « Avant votre départ, je demanderai à un officier de cérémonie de vous former. »

Outre Yorko, il avait l’intention d’envoyer quelques-uns de ses hommes au Royaume de l’Aube afin de garder un œil sur ce pays voisin et de conclure une alliance avec eux en vue de combattre l’Eglise.