Soraya recouvrit le fil de cuivre coupé avec une couche rigide de revêtement anticorrosion afin qu’il puisse être utilisé dans le Projet des Trois Approvisionnements de la Cité Sans Hiver.
Cette étape était beaucoup plus simple que de peindre le revêtement du fil intérieur, l’épaisseur n’exigeant guère de précision.
Après avoir fait son choix sur la carte de couleurs, Soraya transforma sa Plume Magique en un tube. Il lui suffisait d’y glisser le fil de cuivre sur toute sa longueur et le pigment se solidifiait au contact de la surface métallique. C’était une astuce qu’elle avait apprise d’Anna : modifier la forme afin de tirer meilleur profit de son pouvoir magique.
Cependant, il existait encore un grand fossé entre elles dans la mesure où Anna contrôlait presque parfaitement sa magie. Soraya l’avait vue découper des lingots de métal à l’aide de son Feu Noir : c’était davantage une performance qu’un travail. Sous des formes différentes, trois types de Feu Noir découpaient le métal sous différents angles, pour en faire un certain nombre de pièces similaires ou créer directement une machine complète. S’il était facile de remémorer les caractéristiques du Feu Noir en différentes longueurs, il n’en était pas moins difficile d’en contrôler les différents types et de les manipuler simultanément tout en conservant les différentes caractéristiques de leur pouvoir magique. Pour ce faire, il fallait que la magie devienne une extension du corps, plus flexible encore que les membres.
– « Serait-ce… une vigne ? » Demanda Lucia, curieuse, en regardant les couleurs peintes par la Plume Magique.
– « Une vigne vieille de 10 ans, pour être précise », expliqua Soraya. « Elle est dure, difficile à casser, très proche de ce que Son Altesse souhaitait. »
– « 10 ans ? …Est-ce vraiment nécessaire ? ».
– « Bien sûr », répondit-elle. « Les jeunes vignes sont plus tendres et moins résistantes à la corrosion et à la chaleur. Cela n’est pas seulement en fonction de leur âge. Les matériaux tels que le bois, le papier et le tissu ont des propriétés différentes selon qu’ils sont humides ou secs, c’est pourquoi j’ai recours à des cartes de couleurs où je les enregistre un à un. »
– « Dans ce cas, vous risquez d’avoir davantage de cartes qu’il n’existe de types de métaux! » S’exclama Lucia.
– « Pas nécessairement. » Soraya réfléchit un instant et ajouta : « La “Chimie Elémentaire” dit qu’il suffit d’une modification subtile dans la composition d’un matériau pour que ses caractéristiques changent considérablement. Cependant, la carte de couleurs du bois ne présente pas de modifications spécifiques, que l’on y ajoute 10% ou 15% d’eau. »
– « Wow, vous enregistrez le monde entier rien qu’avec une plume! » S’écria Lucia, stupéfaite. « Je vous envie cette capacité. »
La jeune femme se contenta de sourire. Anna, elle, avait vraiment une capacité enviable car si la Plume Magique pouvait enregistrer le monde, le Feu Noir, en revanche, le créait. La plupart des changements qui s’étaient produits dans la ville étaient liés à Anna. Les machines dans le coin de la cour en étaient la preuve. Reliées à une machine à vapeur, elles étaient en mesure de produire une puissance incroyable. Par l’intermédiaire des machines, les ouvriers devenaient une sorte d’extension au Feu Noir aussi, d’une certaine manière, ce qu’Anna créait permettait aux personnes ordinaires d’acquérir un pouvoir proche de celui des sorcières.
Les cinq faisceaux de fils de cuivres enduits, la journée de travail de Soraya prit fin. Sa vie professionnelle était plutôt chargée : chaque jour, elle se rendait d’un endroit à l’autre pour terminer une partie des revêtements commencés. Comme la jeune femme peignît bien plus vite à présent, lorsqu’arrivait midi, elle n’avait utilisé que la moitié de son pouvoir magique.
Lorsque les sorcières consommaient tout leurs pouvoirs magiques, elles s’épuisaient, voire s’évanouissaient, c’est pourquoi lors de leurs pratiques quotidiennes, elles s’arrangeaient généralement pour préserver 30% de leurs pouvoir. Habituellement, pour compléter son entraînement et consommer davantage de magie, Soraya continuait à préparer ses cartes de couleurs en capturant de nouveaux pigments. Mais comme elle avait moins de travail en l’absence du Prince et de Wendy, elle décida de se joindre à Lune Mystérieuse ainsi qu’à d’autres sœurs pour une partie de cartes.
De son point de vue, ce n’était pas du relâchement, rien qu’une détente temporaire.
Lorsque l’on joue, le temps passe toujours très vite. En un clin d’œil, l’après-midi s’était envolée. Le dîner terminé, Sophia leur annonça une nouvelle inattendue.
– « Le cours de ce soir est annulé. Il sera remplacé par un test d’aptitude d’Echo. »
– « Mais n’a-t-elle pas déjà testé ses capacités ? » Demanda Lily, surprise. « Pourquoi devrait-elle recommencer ? »
– « Formidable! » S’écria Lune Mystérieuse en mettant la main sur la bouche de Lily pour la faire taire. « Je n’ai encore jamais testé les capacités de quelqu’un d’autre! »
Lily lança un regard furieux à Lune Mystérieuse qui retira sa main et murmura doucement :
– « Puisque le cours est annulé, pourquoi n’êtes-vous pas heureuse ? »
– « Maître Sophia, que devons-nous faire ? » demanda Ring, la seule personne dans la salle à n’être pas sorcière.
– « Simplement vous concentrer et écouter », répondit l’enseignante.
– « Si la participation de toutes n’est pas indispensable, étant donné que le cours est annulé, je vais retourner dans ma chambre. », dit Ayesha en se levant.
– « C’est impossible », répondit Sophia. « Vous êtes justement l’une des principales raisons de ce test. »
– « Moi ? » S’exclama-t-elle.
Toutes les sorcières, y compris Soraya, tournèrent les yeux vers elle.
– « Oui, vous êtes trop tendue et comme vous consommez chaque jour votre magie jusqu’à la limite, votre corps risque de ne pas le supporter longtemps. »
– « C’est ce que faisaient toutes les Sorcières Senior de Taquila », répondit Ayesha, désinvolte. « Vous n’avez aucune idée de la cruauté de la Bataille de la Divine Volonté! Elle ne prendra fin qu’avec l’effondrement de l’adversaire. Je suis persuadée que l’Union était prête à sacrifier tous ses membres pour peu qu’elle ait une chance de remporter la victoire. »
– « Mais comme l’a dit Son Altesse, forcer ne fera que réduire votre efficacité. Il est important de prendre du repos pour pouvoir travailler ou encore étudier », expliqua doucement Sophia. « J’ai parlé de vous au Prince. Ce test est une tentative. »
– « Qu’allons-nous tester »
– « La capacité d’Echo à guérir. »
Ces paroles surprirent les sorcières :
– « Aurait-elle, comme Naela, le pouvoir de guérir les blessés ? »
Soraya n’était pas convaincue. La capacité d’Echo consistait à simuler toutes sortes de sons et elle n’avait aucune utilité au sein de l’Association de Coopération des Sorcières. Si elle avait été en mesure de guérir les autres, jamais Cara ne l’aurait méprisée.
Sophia demeura un moment silencieux.
– « C’est une idée de Son Altesse. Je n’en connais pas les raisons précises. » Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre : « Etes-vous prêtes ? Alors commençons. »
Un peu nerveuse, Echo traversa la salle et monta sur l’estrade. Toutes retinrent leur souffle en attendant qu’elle exerce sa capacité.
La musique s’éleva doucement, telle une source claire.
Puis, de sa propre voix, cette fois sans simuler, la sorcière entonna un chant mélodieux.
Soraya eut soudain l’impression que tout ce qui l’entourait se transformait. Le château de pierre disparut peu à peu dans les ténèbres et son corps se retrouva plongé dans une source chaude… Elle était comme enveloppée d’une brume blanche sous un ciel étoilé. Une brise rafraîchissante contrastait avec la chaleur de son corps. Totalement détendue et immergée dans cette agréable source, elle se mit à fredonner.
La chanson terminée, Soraya attendit un long moment avant de rouvrir lentement les yeux. Elle n’avait pas besoin d’explication, le sens du mot “guérison” était évident. Son pouvoir magique n’avait pas augmenté, cependant, toute la fatigue accumulée au cours de la journée s’était volatilisée. Son corps retrouvait vigueur et énergie.