– « Votre… Votre Majesté, je… je ne comprends pas », bégaya le Marquis Wyke en essuyant la sueur qui perlait sur son front. « Que voulez-vous dire par “éliminés” ? »
– « Ceux qui sont éliminés seront pendus, bannis du royaume ou condamnés à de lourds travaux dans les mines. Peut-être même se verront-ils confisquer tous leurs biens », répondit le Prince avec désinvolture. « Les règles du jeu sont juste et conforme aux lois du royaume. »
– « j’ai servi fidèlement la famille royale depuis le règne de votre père… Vous ne pouvez pas… »
– « Je suis votre Roi, à présent. Je ferai comme bon me semble », coupa Roland. « Ne paniquez pas, ceux qui auront correctement répondu aux dix questions seront soit promus, soit récompensés. Ce jeu serait ennuyeux s’il n’y avait que des punitions et rien à gagner, ne trouvez-vous pas ? »
– « Je… je ne peux pas accepter », dit Sir Pilaw. « Les châtiments dont vous parlez ne peuvent être ordonnés que par le tribunal, nous ne pouvons prendre des choses aussi sérieuses à la légère. Pardonnez-moi Votre Majesté mais je ne me sens pas bien. Permettez-moi de me retirer. »
Il se détourna pour quitter la pièce mais la porte était fermée et gardée par deux soldats. À leur expression impassible, il était évident qu’ils ne feraient aucune concession.
– « Je ne vous demande pas votre avis, Sir Pilaw », déclara Roland, « et si vous insistez pour quitter le jeu, j’ai bien peur de devoir ajouter une autre punition à la liste », dit-t-il en mimant un tir au révolver : « Vous abattre. »
Effrayé, les nobles écarquillèrent les yeux et, instinctivement, reculèrent de quelques pas, tandis que les soldats qui les encadraient, arme à l’épaule, les observaient calmement.
Roland se leva et frappa dans ses mains :
– « À présent, que le jeu commence! Première question : avez-vous été impliqué dans le fait de contraindre les réfugiés à envahir la Région de l’Ouest ? Monsieur le Premier Ministre, c’est à vous. »
Le marquis Wyke garda un moment le silence avant de répondre :
– « Timothy m’a ordonné de recruter les réfugiés des Régions de l’Est et du Sud. J’ai obéi, mais je n’ai jamais pris part à l’affaire dont vous faites état. »
Rossignol lui pinça légèrement l’épaule droite.
– « Je suis désolé. Je vous avais bien prévenu que vous n’auriez qu’une seule chance de répondre honnêtement à chaque question. » Roland agita la main : « Qu’on l’emmène à la prison qui se trouve sous cette salle. »
– « Mais Votre Majesté, j’ai dit la vérité… »
– « Non, vous et moi savons tous les deux que même en cet instant, vous persistez à mentir », objecta Roland. Il regarda les gardes le traîner hors de la pièce et s’adressa posément à l’assistance : « Si vous êtes intelligents, vous aurez compris que le mensonge ne vous apportera rien car je suis en mesure de savoir si vous mentez ou non. »
Figés sur place, les aristocrates n’osaient plus dire un mot.
– « Si personne ne se porte volontaire pour répondre à la question, je vais vous appeler. » Roland regarda le ministre de la Justice : « Monsieur Pilaw ? »
Ainsi que Roland le souhaitait, ce n’était ni plus ni moins qu’un procès.
Il devait régler au plus vite la question des nobles et ne pouvait se permettre de perdre trop de temps à la Cité du Roi, étant donné qu’il lui fallait encore s’occuper de la région située au sud de la Crête du Dragon Déchu. La gestion de la ville après-guerre serait transférée au personnel formé par l’Hôtel de Ville. La résistance qu’ils risquaient de rencontrer viendrait à coup sûr de la noblesse locale et des gangs des rues sombres.
Étant donné que la ville devait absolument revenir à la normale et que le temps et l’énergie manquaient pour passer longuement en revue tous ces gens, il avait décidé de ce procès de manière à éradiquer au plus vite les coupables qui avaient fomenté avec Timothy et choisir les honnêtes aristocrates qui n’avaient rien à se reprocher pour travailler avec eux. Quant aux Rats des rues, Théo s’en chargerait.
Le but de l’attaque surprise était justement d’empêcher Timothy d’utiliser des gens du peuple pour mener une guerre d’usure qui n’avait aucun sens. S’il venait à quitter la ville après avoir renversé Timothy et la laisse basculer dans le chaos, il ne serait guère mieux que le précédent Roi.
Après toute une année de dur labeur et de développement, il n’avait plus l’énergie suffisante pour tenter d’intégrer la Cité du Roi dans son royaume et n’envisageait pas non plus de trouver un mandataire qui la dirigerait en son nom comme il l’avait fait pour la Forteresse.
Cependant, il était en mesure de triompher des nobles comme de l’Eglise.
– « Dernière question à présent : avez-vous déjà persécuté ou opprimé des gens, y compris des sorcières ? »
Après neuf questions, sur plus de cinquante personnes présentes dans la salle, il n’en restait plus que dix. Aux yeux de Roland, ce taux d’élimination n’était pas surprenant car il avait la certitude que Timothy avait chassé du Palais tous ceux qu’il jugeait incapables, en particulier les gens qui pensaient qu’il avait usurpé le trône ou ceux qui remettaient en question la cause de la mort du Roi Wimbledon III. Par contre, Roland était étonné de constater que parmi les personnes restantes se trouvaient sept aristocrates qui travaillaient à l’Hôtel de Ville et n’avaient rien à voir avec les manigances de Timothy ou même de l’Eglise.
– « Votre Majesté, je plaide coupable », dit un noble en tombant à genoux. Il transpirait abondamment. « J’ai ordonné à mes hommes de frapper un homme du peuple qui avait souillé mon pantalon avec ses pieds. Je n’ai pas pu contenir ma colère…mais je l’ai simplement fait frapper, je ne l’ai pas tué. »
– « Quant à moi, j’ai eu une aventure secrète avec la fille du propriétaire d’une échoppe, mais c’est elle qui m’a séduit! »
– « Mon intendant ayant couché avec mon épouse pendant que j’étais à la chasse, je lui ai immédiatement fait couper le pénis au lieu de le traduire devant le tribunal… Mais, Votre Majesté, un intendant ne compte pas, n’est-ce pas ? »
Devant ces réponses, parfois cocasses, Roland fit de son mieux pour garder un visage impassible. Ces bagatelles n’étaient généralement pas considérées comme des méfaits, ni même comme des fautes au sein de l’aristocratie, cependant, tous étaient si effrayés par les questions qu’à présent, ils déballaient tout, craignant d’être considéré comme des menteurs, ne serait-ce que par omission.
Lorsque tous eurent répondu, Roland s’éclaircit la gorge et demanda :
– « Autre chose ? »
– « Non » répondirent les nobles.
Rossignol lui ayant pincé l’épaule gauche, il hocha la tête et annonça :
– « Félicitations, vous avez réussi! »
Un grand soulagement s’empara des aristocrates présents.
– « Je vous ai promis que les gagnants du jeu seraient récompensés et je tiendrai parole, croyez-moi. Il y a de nombreux postes vacants à l’Hôtel de Ville mais auparavant, j’ai une dernière question à vous poser. » Roland regarda les deux personnes qui se tenaient au fond de la pièce. De toute évidence, elles n’avaient pas enfreint la loi puisqu’à chaque question, elles avaient répondu “non”, réponses confirmées par Rossignol. « Comment vous nommez-vous et quels postes occupez-vous à l’Hôtel de Ville ? »
– « Je suis Alva Taber, Votre Majesté », répondit le premier. « …et responsable des problèmes liés à l’astrologie. »
– « Blanche Orlando », répondit la seconde, qui était une femme. « Je suis Maître de Cérémonie. »
« Tout s’explique. Des gens qui occupent de tels postes n’ont guère de chances de commettre de mauvaises actions. À l’Hôtel de Ville, ils sont les seuls à avoir les mains propres. » Roland se rassit sur le trône et annonça :
– « Vous pouvez disposer. Je vous enverrai chercher aussitôt que j’aurai réglé quelques affaires de famille. » Il marqua une pause et ajouta : « Ma façon de gouverner sera très différente de celles de mon père et de Timothy. Vous le verrez bien assez tôt. N’oubliez pas ce qui vous a permis de gagner ce jeu et continuez ainsi, car ce ne sera pas le dernier jeu auquel vous aurez à jouer. »
Dociles, les nobles se retirèrent après quoi Roland, accompagné de Rossignol, quitta la salle et se dirigea vers les soubassements.
– « Il est grand temps d’aller voir mon “cher frère”. »