– « Assia, c’est bien ça ? » Demanda Wendy en prenant la main de la jeune fille. « L’association de Coopération des Sorcières n’a rien à voir avec ce que votre famille s’imagine. Par ailleurs, vous ne serez pas obligée de rester enfermée au château. »
– « Vraiment ? », demanda doucement la jeune sorcière.
– « Bien sûr », répondit Wendy en souriant. « Nous vivons au château parce que nous n’avons pas d’autre endroit où aller… avant que Son Altesse ne nous accueille, nous vivions comme des vagabondes. Soit nos familles étaient détruites, soit elles nous voyaient comme des étrangères. Vous avez de la chance d’avoir une famille. » Elle s’interrompit un instant : « Rentrons, il y a trop de vent par ici. »
– « …D’accord », répondit la jeune fille.
Tête baissée, elle suivit Wendy dans le château.
– « Alors voici notre nouvelle sorcière ? » Demanda Sophia qui attendait à la porte. « Quel est son nom ? »
– « Assia », répondit Wendy avant de se tourner vers le garde : « Auriez-vous l’amabilité de prévenir Dame Ayesha que je l’attends au château ? Dites-lui qu’une nouvelle sorcière vient d’arriver. À cette heure, vous devriez la trouver au laboratoire de chimie au bord de la rivière. »
– « Mon plaisir est de vous servir, Dame Wendy », répondit le garde en s’inclinant. Puis il sortit.
– « En effet, en l’absence de Rossignol et de Sylvie seule Ayesha est en mesure de discerner le type et la puissance du pouvoir magique », approuva Sophia. « Quelle est sa capacité ? »
– « Nous ne le savons pas encore », répondit Wendy en caressant les cheveux de la jeune fille.
« Quel âge avez-vous ? »
– « 18 ans », répondit Assia que la présence de tant de personnes inconnues rendait nerveuse.
– « 18 ? » S’exclama Sephora, surprise : « N’est-ce pas l’âge de la majorité ? »
– « Quand avez-vous réalisé que vous étiez sorcière ? » Demanda Sophia. « Racontez-nous votre histoire en détails. »
– « Il y a trois jours… Le jour de mes 18 ans », répondit doucement Assia. « Ce jour-là, mon frère aîné a attrapé un poisson qu’il souhaitait m’offrir mais ma sœur cadette s’en est emparé. Finalement, je n’ai eu que la moitié de la queue. La nuit suivante, je m’étais caché dans ma couette pour pleurer lorsque soudain, j’ai rêvé que le poisson était dans mon écuelle. Lorsque je me suis réveillée, j’ai découvert que le poisson était bel et bien là et j’avais aussi une nouvelle sœur aînée. »
– « Une nouvelle sœur aînée ? …Que voulez-vous dire ? » Demanda Wendy, étonnée.
– « L’une était assise à table et mangeait du poisson tandis que l’autre était au sol, paralysée par la peur. Mais très vite, la première a disparu en même temps que le poisson », se remémora Assia. « À ce moment-là, j’ai compris que ce qui s’est passé avait un lien avec moi… mais quand j’en ai parlé à ma famille, mon père m’a battue et on m’a ordonné de ne pas effrayer ma seconde sœur. Je n’ai pas fait exprès de l’effrayer. Qui aurait pu penser qu’un rêve deviendrait réalité ? »
– « Ce n’était pas un rêve », répondit Wendy, confirmant les dires de la jeune fille. « C’était un appel de l’éveil. »
En ce fameux Jour de l’Eveil, le pouvoir magique se concentrait dans le corps de la sorcière. Durant ce processus, non seulement la sorcière pouvait ressentir d’étranges bouleversements dans son corps, mais la majorité d’entre elles ne pouvaient pas contrôler ce pouvoir qui les contraignait à utiliser automatiquement leur capacité nouvellement acquise. Par conséquent, en dehors du jour particulièrement pénible du passage à l’âge adulte, la seconde plus grande cause de perte de sorcières était le Jour de l’Eveil, les conséquences de la manifestation d’effets magiques devant les gens étant évidentes.
Cependant, Wendy n’avait jamais entendu parler d’un cas où le Jour de l’Eveil avait lieu le jour même de la Majorité. Même si c’était sans doute possible, le jour de la Majorité n’étant qu’un jour d’Eveil particulier.
– « Après cela, ma sœur m’a traitée de sorcière et m’a dit que je devais quitter la maison. Mon frère aîné a rétorqué que le fait que je sois sorcière ne posait aucun problème étant donné qu’il y en avait beaucoup à Border Town… Une dispute a éclaté au sein de ma famille. » Assia baissa la voix : « Finalement, ils ont décidé de m’envoyer ici. »
Apparemment, même les personnes récemment arrivées du Sud étaient déjà influencées par la propagande de la ville. Heureusement pour Assia, elle n’avait pas été ligotée et remise à l’Eglise comme beaucoup de sorcières. Le malheur était que sa famille restait malgré tout incapable d’accepter une sorcière. Cependant, Wendy restait confiante : ce genre de situation s’améliorerait avec le temps… les premiers habitants de Border Town en étaient un parfait exemple.
Tandis que Wendy demandait davantage de détails à Assia, Ayesha fit irruption dans le hall. Elle avait l’air épuisée.
– « Est-ce la nouvelle sorcière ? »
Wendy hocha la tête et lui raconta les faits.
– « Comment l’Union s’y prend-elle pour tester la capacité d’une sorcière ? » Demanda-t-elle.
Ayesha sortit une pierre magique de sa ceinture :
– « Nous procédons généralement en deux étapes : l’une consiste à observer une performance complète de la capacité et pour l’autre, nous utilisons la Pierre de Mesure pour évaluer le niveau global du pouvoir magique. » Elle se tourna vers Assia et lui dit : « Fermez les yeux et ressentez le pouvoir magique tourner dans votre corps. »
– « A-t-elle besoin d’aide ? » Demanda Wendy, visiblement inquiète. « Il n’y a que trois jours qu’elle est devenue sorcière, je crains qu’elle ne connaisse rien à son pouvoir magique. »
– « Ce n’est pas nécessaire », répondit Ayesha avec un petit rire. « La seule chose qui m’inquiète, c’est qu’elle semble effrayée. »
Tandis qu’elles parlaient, la pierre chargée de magie émit un rayon de lumière vert pâle qui enveloppa Assia. Une brume apparut peu à peu autour de sa poitrine. Son centre était de couleur jaune pâle et semblait pouvoir se dissiper à tout moment.
– « Elle ne mentait pas », dit Ayesha en interrompant le processus de mesure après une brève observation. « C’est en effet une caractéristique qui ne se produit que lorsque le Jour de l’Eveil coïncide avec le Jour de la Majorité. Sa capacité est de type “invocation”, que vous connaissez toutes, et son pouvoir magique est d’un niveau… extrêmement faible. »
– « Extrêmement faible ? » Wendy grimaça : « Une telle coïncidence s’est-elle déjà produite à Taquila ? »
– « L’Union ayant été témoin de l’éveil de milliers de sorcières, il était assez fréquent qu’un phénomène comme celui-ci se produise », répondit fièrement Ayesha. « Nous avons également vu des sorcières dont l’Eveil ne s’était produit que vers la fin de l’âge adulte. Pour elles, c’était comme-ci elles n’avaient jamais vécu le Jour de la Majorité. »
– « Comment ça ? »
– « Leurs pouvoirs magiques, qui n’ont jamais pu grandir, sont restés à jamais dans leur forme pré-adulte. Naturellement, elles n’ont jamais développé les compétences dérivées ni la croissance régulière qui sont spécifiques à l’âge adulte. J’ignore si de telles sorcières ont pu expérimenter le Grand Éveil, mais si elles étaient incapables d’évoluer, leur pouvoir magique serait plus un handicap qu’autre chose jusqu’à la fin de leur vie. » Elle marqua une pause : « Nous devrions d’abord observer la capacité d’Assia. Après tout, le pouvoir magique n’est qu’un aspect. La capacité elle-même est la meilleure façon de connaître la valeur d’une sorcière. »
– « Ayesha! » S’exclama Wendy en fronçant les sourcils. « Chaque sorcière devrait être traitée comme une sœur et non évaluée en fonction de ses capacités. »
– « C’est ainsi que ça se passait dans la Ville Sainte », répondit Ayesha, impassible. « Bien sûr, Son Altesse dit que chaque capacité à son utilité, mais elles se distinguent par leur qualité. »
– « De quoi parlez-vous ? » Demanda Assia en ouvrant les yeux, confuse.
– « De rien en particulier », Répondit-elle d’une voix réconfortante en se forçant à sourire : « Essayez de nous faire une démonstration de votre capacité. »
La jeune femme retint son souffle et tendit lentement les mains. Bientôt, les quatre personnes présentes purent en constater les effets : des personnages qui leur ressemblaient apparurent à l’autre bout de la pièce. Deux d’entre elles semblaient discuter, mais on n’entendait aucun bruit. Soudain, Page-Blanche, qui avait quitté la salle depuis un moment, réapparut près de Wendy et se glissa dans ses bras, un doux sourire sur le visage.
Instinctivement, Wendy tendit la main vers son double, mais le bout de ses doigts passa au travers, comme s’il n’y avait rien.