Roland ne pouvait en croire ses oreilles.
– « Vous dites qu’en écoutant la chanson d’Écho, vous vous êtes retrouvé dans un vaste désert dont vous avez ramené un grain de sable ? »
Son esprit bouillonnait.
Était-ce simplement une illusion auditive ? Mais alors, comment expliquer ce grain de sable ?
– « Je ne l’ai pas ramené, Votre Altesse », dit Hache-de-Fer en posant solennellement le grain de sable sur le bureau. « Sur le moment, j’étais figé sur place aussi je n’avais jamais pensé à vérifier si c’était réel. Soudain, il est apparu dans ma main, peut-être est-ce le vent qui l’a apporté ? »
Cela devenait de plus en plus invraisemblable. Roland réfléchit et demanda :
– « N’a-t-elle chanté que cette chanson ? »
– « Non, mais je n’ai pas compris les autres. » Absorbé dans ses souvenirs, le soldat poursuivit : « On aurait dit un miracle… Si, dans la Région du Sud, Dame Silvermoon avait prétendu être une envoyée des Trois Dieux, je l’aurais crue immédiatement. Votre Altesse, pensez-vous qu’elle ait évolué ? »
Depuis plus d’un an qu’il suivait Roland, cet homme originaire du clan Mojin du Peuple des Sables, commençait à mieux connaitre les sorcières.
– « Je pense, cependant, c’est vraiment la première fois que je suis confronté à pareille situation », répondit le Prince.
Après mûre réflexion, il décida d’envoyer chercher Écho pour lui poser directement la question.
Hache-de-Fer parti, Roland ramassa le grain de sable et le regarda attentivement.
– « Est-ce la magie qui l’a créé ? »
« Je n’en suis pas certaine », dit la voix de Rossignol derrière lui. « Il n’y a aucune trace de pouvoir magique là-dedans. »
Cela ne signifiait pas forcément qu’il n’avait pas été créé par magie. Cet objet avait une matérialité concrète dans le monde réel, tout comme les images de Soraya. Une fois créées, elles continuaient d’exister sans le soutien du pouvoir magique et n’étaient pas affectées par la Pierre du Châtiment Divin.
Peu de temps après, Écho entra dans le bureau. Rossignol sortit aussitôt de sa brume et se tint aux côtés de Roland. Elle lui dit avec un sourire :
– « Félicitations. »
Surprise, Écho demanda :
– « À moi ? »
Rossignol acquiesça :
– « Votre pouvoir magique est à présent cohérent, ne vous-en êtes-vous pas aperçue ? »
– « Vraiment ? » S’exclama Écho, surprise. « Vous voulez dire que ma capacité a évolué ? »
Constatant que c’était bien ce à quoi il s’attendait, Roland demanda à Rossignol :
– « À quoi ressemble-t-il à présent ? »
– « On dirait une pierre précieuse d’un bleu translucide, clair comme de l’eau », répondit la jeune femme. « Elle a presque autant de pouvoir magique que Maggie. »
De toute évidence, l’évolution d’Écho n’avait aucun rapport avec l’illumination. Elle avait condensé son pouvoir magique sans même le savoir. Lorsque Roland lui fit part de ce que Hache-de-Fer avait éprouvé, elle en fut tout étonnée.
– « Il a eu l’impression d’être retourné dans la mer de sable de l’extrême Sud ? »
– « Lorsque vous dites « il a eu l’impression », ce n’est pas tout à fait exact. Il est revenu du désert avec un grain de sable », dit Roland en souriant. « Bien sûr, on peut trouver du sable partout, cependant, je ne pense pas qu’il serait allé jusqu’à creuser la neige ou la terre simplement pour me tromper. » Il marqua une courte pause : « Qu’avez-vous vu lorsque cela s’est produit ? »
– « Rien du tout », répondit Écho, embarrassée. « J’avais les yeux fermés et je ne faisais pas attention à ce qui m’entourait. »
– « Dans ce cas, pourquoi ne pas nous en faire une démonstration ? » Suggéra Roland, intéressé, en appuyant son menton sur ses mains. « Chantez-nous la chanson que vous avez inventée, celle de votre ville natale. »
– « Ici ? »
– « Oui », dit-il. « Le dîner ne sera pas prêt avant une demi-heure, ça ne dérangera personne. »
– « Moi aussi je voudrais entendre une chanson immersive », ajouta Rossignol pour l’encourager.
– « Ah… Très bien. »
Écho prit une profonde inspiration et bientôt, une sonate polyphonique datant d’une lointain époque s’éleva dans le bureau. Sa douce voix était légèrement retenue, sans doute parce qu’elle n’avait jamais chanté à l’intérieur. Au fur et à mesure que la mélodie montait, la musique l’emportait.
Tandis qu’elle chantait, Roland entendait des vents chauds souffler dans les bois verts. La température augmenter et il pouvait même sentir l’odeur et la chaleur du sable sous un soleil de plomb. Comme la musique s’effaçait, il resta un moment perdu dans son sillage. De toute évidence, il s’agissait d’une merveilleuse chanson à fois lyrique et exotique et lui qui n’avait guère d’oreille n’y trouvait aucune fausse note. Cependant, il n’avait vu ni désert, ni oasis aux ruisseaux bondissants. Tout le temps qu’avait duré le morceau, il était resté assis dans son bureau.
Il jeta un coup d’œil à Rossignol qui secoua la tête. Apparemment, elle non plus n’avait pas assisté à un miracle.
Sa capacité n’était pas efficace cette fois-ci ?
Roland réfléchit puis demanda à Écho :
– « Avez-vous écrit cette chanson ? »
– « Oui », acquiesça-t-elle.
– « Dans ce cas, essayez à présent de chanter des chansons que je vous ai enseignées. » Il réfléchit un instant et décida : « Faites venir tout le monde. Je voudrais que toutes entendent. »
Sans tarder, les sorcières arrivèrent au bureau. Même les trois sorcières de l’Île Dormante étaient présentes. Elles n’avaient pas lâché leurs cartes à jouer. Écho était visiblement un peu nerveuse, mais encouragée par Rossignol, elle s’apaisa et se mit à entonner l’une après l’autre toutes les chansons qu’elles connaissait, y compris la Chanson des Guérilleros.
Toutes les sorcières sans exception se mirent à applaudir chaleureusement.
Après les avoir écoutées décrire leurs impressions, Roland commença à comprendre approximativement la nouvelle capacité d’Écho.
L’auditoire était susceptible d’être affecté par son chant en fonction de leurs expériences respectives. S’ils avaient eux-mêmes vécu ce qui était décrit dans la chanson, celle-ci avait davantage d’effet sur eux. Ce sont les nouvelles chansons qu’il avait enseignées à Écho qui lui avaient permis d’en arriver à cette conclusion. La chanson des Guérilleros était la plus populaire dans la mesure où les sorcières avaient vu la Première Armée marcher au rythme de la musique. Par conséquent, celle-ci leur parlait davantage. Cela expliquait également pourquoi Hache-de-Fer était entré dans une telle résonance avec sa chanson sur la région de l’extrême Sud.
Malheureusement, Roland ne pouvait pas déduire d’un simple test à quel point son chant avait la capacité d’affecter le public. Il se posa la question de savoir si les scènes décrites dans ses chansons pouvaient devenir réelles pour peu qu’un auditeur s’y trouve complètement absorbé.
La nouvelle capacité d’Écho lui donnait beaucoup d’espoirs. Stimuler les émotions ne devait jamais être sous-estimée. Elle pourrait encourager les soldats, pacifier les masses et chanter de la musique de fond lors de représentations théâtrales…
L’après-midi suivant, Roland reçut Vader, qui venait à peine d’arriver de Border Town.
– « Votre… Votre Altesse… je… je suis arrivé… », dit-il en claquant des dents.
De toute évidence, il n’avait pas encore récupéré du vol à grande vitesse.
Pour le moment, le moyen le plus rapide de voyager entre la ville et la Forteresse était le service express de Maggie. Cependant, même enveloppé dans une épaisse couverture, voler à une vitesse de 60 kilomètres/heure sous les griffes d’une grosse bête n’était guère confortable.
– « Bon travail », dit Roland en tapotant le gros pigeon posé sur son épaule.
– « Goo! », roucoula fièrement la sorcière en relevant la tête.
– « Je vous ai fait venir afin que vous formiez la famille Elk », dit-il en regardant Vader. « La situation ici est différente de celle de Border Town mais similaire à celle de Valencia où il y a des rats, des réfugiés et de violents criminels. »
– « Vous voulez que je forme des patrouilleurs ? » Demanda Vader qui depuis qu’il s’était réchauffé près de la cheminée avait enfin cessé de frissonner.
– « Non, des policiers », répondit Roland qui lui fit part de son projet consistant à prendre des mesures sévères contre les activités illégales et criminelles. « Au départ, la Première Armée s’en chargera, cependant, la sécurité publique doit être confié à la police locale. Le plus important lorsque vous formerez les policiers sera de leur insuffler le concept de “protecteurs du peuple”.
– « Traiter les gens avec la douceur et la chaleur d’une brise printanière et punir les criminels aussi impitoyablement que le tonnerre », dit Vader, reprenant les propos de Roland.
– « Exactement », répondit le Prince avec un sourire, « Je compte sur vous pour bien les entraîner. »