Le ciel s’éclairait lorsque Roland entra en baillant dans son bureau.  

Il n’avait pas prévu de tels incidents en ce Jour de la Majorité qui était supposé se passer facilement.

La magie dans le corps de Lucia était devenue extrêmement turbulente et à son expression, Rossignol s’était aperçue que quelque chose n’allait pas. Elle avait tous les signes de la morsure magique. Il n’était pas pensable que cela puisse arriver à une sorcière qui pratiquait fréquemment, étant donné surtout qu’elle avait libéré tout son pouvoir magique avant le jour de son entrée dans l’âge adulte.

Ayesha avait proposé une solution.

En tant qu’ancien membre de l’Union, elle avait vu s’éveiller d’innombrables sorcières. Aussitôt, elle trouva un remède.  

La Sorcière de Glace demanda à Sephora d’invoquer son canal d’énergie magique afin de délivrer Lucia de la morsure. Le pouvoir magique fut ensuite transféré à Anna qui avait la plus grande capacité. Pour finir, le Sceau de la Volonté Divine absorba l’excès de magie.

Étonnamment, le pouvoir magique ainsi transféré avait allumé les quatre Pierres Divines et activé le Sceau de la Volonté Divine. Sans hésiter, Anna le libéra par les ouvertures.

Soudain, un soleil doré illumina la ville. Une lumière éblouissante traversa les murs du château et fusa vers le ciel sombre et sans étoiles. On put apercevoir les ​​épais nuages à travers desquels dansaient des milliers de petits pompons lumineux.  C’était incroyablement beau. Cela ne dura que quelques instants, cependant, ce spectacle tenait du miracle.

Non seulement Lucia était saine et sauve mais elle avait développé une nouvelle capacité durant ce passage à l’âge adulte, exactement comme Anna un an auparavant.

Cependant, cela ne s’était pas fait sans encombre. L’accident s’était produit vers huit heures du soir, alors que la plupart des gens étaient encore éveillés. Un certain nombre de personnes avaient certainement assisté à cet événement spectaculaire. Lorsque Roland retournerait dans sa chambre, il allait devoir trouver une explication à donner à son peuple.  

– « Votre Altesse, Monsieur Barov demande à vous voir », l’informa le garde qui se tenait à la porte.

– « Faites-le entrer. »

Barov, la tête couverte de cheveux blancs, entra dans le bureau. Avant même de présenter ses respects, il demanda ouvertement :

– « Votre Altesse, que s’est-il passé la nuit dernière ? Comment se fait-il que la lumière du jour apparaisse en pleine nuit ? »

C’était bien au sujet de la lumière que le Chef de l’Hôtel de Ville était venu le trouver.  Roland s’aperçut qu’il avait le visage cerné : sans doute n’avait-il pas dormi lui non plus. Si les visites n’étaient pas strictement interdites la nuit, Barov se serait sans doute présenté immédiatement au château.

– « Rien ne presse. Asseyez-vous », dit Roland en désignant le siège en face de lui. « Prenez d’abord une tasse de thé. »

Roland lui en versa une tasse et fit part de l’incident survenu lors du passage à l’âge adulte de Lucia.

– « Ce n’était qu’un accident. Ne vous inquiétez pas outre mesure. »

Le Directeur de l’Hôtel de Ville fronça les sourcils :

– « Si je comprends bien… c’est une sorcière qui a causé cela ? »

– « Ne soyez pas stupide, cela n’a rien à voir avec le Diable », répondit Roland qui devinait le fond de sa pensée. « Personne n’a été blessé à l’exception de ce vieux château qui a perdu une partie d’un mur. »

– « Mais les villageois, eux, risquent de le croire », dit Barov en secouant la tête. « La plupart d’entre eux ont accepté le pouvoir de guérison inoffensif de Mlle Naela mais pas la capacité de détruire ainsi le château et de provoquer des phénomènes incroyables dans le ciel. »

– « J’y ai réfléchi »,  répondit Roland en sirotant son thé. « Vous vous arrangerez pour que vos hommes fassent courir le bruit que c’est moi qui ai provoqué cette lumière dorée en capturant la foudre afin d’apporter la lumière à mon peuple. »  

– « Pardon ? » Barov était stupéfait.

– « Je construirai bientôt à Border Town un équipement d’alimentation électrique. L’électricité est de même nature que la foudre que vous pouvez voir dans le ciel », expliqua brièvement le Prince, sachant que s’il entrait dans des détails techniques, son interlocuteur n’y comprendrait rien. « Cet équipement permettra d’éclairer brillamment la ville, même la nuit. Cela coïncide avec les évènements. »

– « C’est… c’est vrai ? » Demanda le Directeur, stupéfait. « Vous avez vraiment le pouvoir de créer la foudre ? »

– « Elle existe déjà partout », répondit Roland en haussant les épaules. « Mais rappelez-vous : ce ne sont que des ײon-ditײ, aussi vous devrez rependre habilement cette rumeur comme un simple bruit qui court. Comprenez-vous ? »

Afin d’éviter tout impact sur l’avenir de l’éducation universelle, les déclarations comme celle-ci se devaient de ne pas prendre une tournure trop démocratique. Il était préférable, pour le moment, de donner au peuple une explication ambiguë afin de recentrer les sujets de conversation sur lui.

Peu de temps après le départ de Barov, Karl Van Bate, le Ministre de la Construction, se présenta devant le Prince.

– « Votre Altesse, concernant la nuit dernière… »

– « Je sais ce que vous allez me demander », dit Roland en portant la main à son front. « Asseyez-vous, nous allons en discuter. »

Il soupira intérieurement. Allait-il passer toute la journée à s’expliquer sur cet incident ?

Heureusement, Karl ne réfléchissait pas aussi profondément que Barov. Après avoir écouté les explications du Prince, il se contenta de soupirer :

– « Il semblerait qu’Anna soit devenue très forte. »

– « Sur le moment, elle a pris des mesures décisives », acquiesça Roland. « Quelques secondes de plus et la chambre à coucher entière disparaissait. »  

– « Le trou dans le mur… »

– « Contentez-vous de le réparer avec des briques. Je vous fais confiance quant à la manière de procéder, du moment que le travail est terminé avant la tombée de la nuit. Je vais demander à Foudre et Colibri de vous aider », répondit le Prince.

Une fois le mur réparé, il faudrait rendre au château son apparence d’origine. Il demanderait à Soraya de peindre un revêtement en trompe-l’œil.

– « Entendu, Votre Altesse. »

Comme Roland s’y attendait, Carter Lannis, Hache-de-Fer et Kyle Sichi se relayèrent pour l’interroger au sujet de l’incident de la veille, chacun pour des raisons différentes.

Carter s’inquiétait de savoir s’il était blessé.

Hache-de-Fer était préoccupé par le fait que la lumière puisse être le fait d’une soudaine attaque de la part des Diables.  

Et Kyle… se demandait lequel était le plus puissant entre le Sceau de la Divine Volonté et la glycérine à l’acide nitrique ?

Après une série d’explications et de discussions interminables, Roland congédia ces hommes. Adossé à son siège, il s’apprêtait à faire une sieste lorsqu’à nouveau, on frappa à la porte.

C’était Tilly.

– « Ne vous inquiétez pas pour hier… »

– « Je suis déjà au courant », interrompit Dame Tilly.  « Avant de venir, j’ai interrogé Mlle Anna qui m’a expliqué ce qui s’est passé. »

– « Je vois. » Roland s’éclaircit la gorge et se redressa : « Autre chose ? »

– « Je suis un peu préoccupée par cet incident », répondit doucement la Princesse. « Si j’en crois Mlle Ayasha, que ce soit le Jour Anniversaire de l’Eveil ou le Jour de la Majorité, si une sorcière pratique régulièrement, il ne devrait pas se produire de symptômes inhérents au pouvoir magique. Rien de ce genre ne s’est produit pour les sorcières de l’Île Dormante, aussi comment une telle chose a-t-elle pu arriver à Lucia ? » Elle marqua une courte pause, sourit et ajouta : « Quant au Grand Éveil, je ne suis pas surprise… j’en ai vu se produire tous les jours depuis mon arrivée à Border Town. »

« Tous les jours! Elle exagère! », pensa Roland.

Il lui versa une tasse de thé, réfléchit un moment et répondit :

– « Concernant le malheur de Lucia, j’aurais peut-être un début d’explication. » Il sortit quelques notes de son tiroir et les tendit à Tilly : « Ceci en est certainement la cause. »