Sa toilette terminée, Page-Blanche essora sa serviette et l’accrocha au balcon couvert de neige.
Laissée toute une journée dehors, la serviette serait complètement gelée. Avant de la réutiliser, il lui faudrait la malaxer, la tapoter puis retirer les restes de glace. Bien sûr, elle aurait pu la laisser à l’intérieur, au chaud et utiliser son pouvoir magique pour la sécher, mais cela réduirait son nombre de pratiques quotidiennes.
Page-Blanche était consciente que la quantité de pouvoir magique présente dans son corps était bien moindre comparée aux autres sorcières, aussi chaque goutte devait être utilisée à bon escient.
Elle avait à peine terminé que quelqu’un frappa à la porte. Presque chaque jour, grande sœur Wendy l’emmenait dans la grande salle pour savourer un copieux petit-déjeuner.
– « Je viens! »
Page-Blanche ouvrit joyeusement la porte. C’était bien Wendy. Elle la serra affectueusement dans ses bras et renifla ses joues :
– « Vous voilà toute propre. »
– « Hehe », fit Page-Blanche en souriant. Elle prit la main de Wendy et toutes deux se dirigèrent vers le séjour.
Cela faisait près d’un mois et demi qu’elle était arrivée à Border Town et elle s’était habituée au mode de vie du château.
Ici, nul besoin de quitter sa cabane tôt le matin pour trouver de la nourriture ou s’inquiéter de se faire voler le bois qu’elle ramassait. En dehors du temps passé à se remplir le ventre et à se réchauffer, elle pouvait se concentrer sur la pratique de son pouvoir magique et sur son instruction. Autrefois, lorsqu’elle bavardait avec ses compagnons, l’adolescente se contentait d’imaginer cette vie où l’on ne se souciait pas de devoir survivre, qui, de toute évidence, était réservée aux jeunes gens et jeunes filles de l’aristocratie.
Page-Blanche n’imaginait pas qu’un jour elle-aussi mènerait ce genre de vie.
Les paumes de Wendy étaient douces et chaudes : une sensation que la jeune fille n’avait jamais éprouvée lorsqu’elle vivait dans les bidonvilles. À présent, Page-Blanche se sentait aimée et l’on prenait soin d’elle. Elle espérait pouvoir rester pour toujours dans cet endroit chaleureux et plein d’amour.
Si ce n’était qu’un rêve, elle préférerait ne pas se réveiller.
Lorsqu’elles arrivèrent au séjour, Page-Blanche remarqua que, contrairement à leur habitude, les sorcières n’étaient pas assises à la longue table en train de déjeuner. Elles s’étaient rassemblées près d’un mur et ne cessaient de pousser de grands cris.
Surprise, elle cligna des yeux mais n’osa pas demander à Wendy ce qu’elles faisaient.
Cependant, cette dernière, comme si elle avait lu dans ses pensées, lui dit en riant :
– « Nos sœurs testent leurs capacités de combat. »
– « Leurs capacités de combat ? » Répéta l’adolescente, intriguée. « Qu’est-ce que c’est ? »
– « C’est une invention issue du discours excentrique de Son Altesse, ne le prenez pas trop au sérieux. » Wendy se pencha, souleva la jeune fille et la hissa sur ses épaules. « Vous voyez cette plaque de métal argentée ? On dit que c’est une relique provenant du royaume des sorcières, qui date de quatre cents ans et dont les Extraordinaires se servaient comme d’une arme de combat. Son Altesse l’a placée dans la salle pour que toutes puissent tester le niveau de leur pouvoir magique. Ou devrais-je dire… pour satisfaire la curiosité de nos sœurs. Celles qui sont capables d’illuminer les quatre pierres magiques placées sur l’arme en l’espace de quelques secondes seraient considérées comme ayant reçu de Dieu une capacité de combat exceptionnelle. »
Page-Blanche était extrêmement confuse. “Le royaume des sorcières”, “Les Extraordinaires”, “Les Pierres magiques”. En entendant ces mots étranges, elle se gratta la tête mais cela n’atténua pas le choc causé par l’incroyable vision qui s’offrait à elle : les sorcières se relayaient pour placer leurs mains sur la plaque de métal et les cristaux se mettaient à briller comme un kaléidoscope d’étoiles colorées.
– « J’ai réussi à illuminer deux Pierres Magiques! », s’exclama Foudre qui avait le même âge que Page-Blanche. Sur son épaule était assise une colombe à la mine trapue. L’adolescente se souvint que l’oiseau était également une sorcière dont le nom était Maggie.
– « Deux et demi, Goo! », s’écria fièrement le pigeon.
– « Hé! Vous avez fait mieux que moi, c’est impossible! »
– « Voulez-vous essayer ? » demanda Wendy. « Je suppose que vous n’aurez pas de grands résultats pour le moment car vous n’avez pas appris à canaliser votre pouvoir dans une Pierre Magique et encore moins à invoquer un Sceau, mais Son Altesse a stipulé que cette leçon était obligatoire pour les sorcières. Vous allez bientôt recevoir une Pierre de Lumière que vous devrez utiliser pour vous entraîner. »
– « Sera-t-elle aussi limpide et brillante que ces gemmes ? », demanda Page-Blanche, pleine d’enthousiasme. Elle regarda Wendy : « Je vais bien m’entraîner! »
– « Brave enfant », dit Wendy. À nouveau, elle se mit à rire et frotta les joues de la jeune fille : « D’abord, il faut manger. Vous aurez ainsi de l’énergie pour pratiquer. »
Son gruau d’avoine terminé, Page-Blanche retourna à la Tour des Sorcières et commença son entraînement quotidien.
Wendy lui avait expliqué que tout sur cette Terre était formé de minuscules boules que les yeux ne pouvaient voir. Les changements de matière résultaient de la séparation et du rapprochement de ces petites boules. Les capacités ne pouvaient qu’accélérer ces processus, plutôt que simplement faire fondre de la glace ou refroidir de l’eau.
Même si elle ne comprenait pas la signification de ces paroles, elle suivit consciencieusement les directives de Wendy. Page-Blanche devait s’efforcer de ressentir le pouvoir magique contenu dans son corps et le relâcher aussi uniformément que possible. Depuis toutes ses années passées dans les bidonvilles, elle avait compris que si elle menait à présent une vie agréable, c’était dû au fait que Son Altesse avait besoin du pouvoir des sorcières. C’était là sa seule valeur. Si elle ne voulait pas être abandonnée, elle allait devoir travailler dur.
Soudain, Page-Blanche sentit une douleur dans son abdomen. Le pouvoir magique qui vibrait dans son corps semblait vouloir le déchirer. Instinctivement, elle gémit.
– « Un souci ? » Demanda Wendy.
– « Non! » Elle secoua la tête. « Tout à l’heure, j’avais l’impression que mon pouvoir magique voulait s’échapper. »
– « S’échapper… » Wendy réfléchit un moment. « Vous rappelez vous du jour où vous êtes devenue sorcière ? »
– « Je crois que c’était en hiver », répondit doucement Page-Blanche. « Je ne me souviens pas de la date exacte. »
– « L’automne se termine. L’hiver sera là dans quelques jours. » Le sourire de Wendy disparut : « Lorsque nous approchons du Jour Anniversaire de l’Eveil, notre pouvoir magique redouble d’activité et cause comme une morsure. Je vais aller chercher Rossignol, afin qu’elle puisse examiner les modifications de votre pouvoir. » Elle se dirigea vers la porte, puis se retournant, elle ajouta : « Ne vous inquiétez pas, à Border Town, ce n’est pas une question de vie ou de mort pour les sorcières. »
La prédiction de Wendy se confirma.
Trois jours plus tard, Page-Blanche était sur le point de vivre le premier Jour Anniversaire de son éveil. »
Allongée sur son grand lit, elle regarda les sorcières venues lui rendre visite qui faisaient cercle autour d’elle. Leurs paroles réconfortantes lui donnèrent soudain envie de pleurer.
La brûlure causée par le premier éveil de son pouvoir magique dont elle avait le souvenir lui semblait soudain beaucoup plus supportable.
– « Etant donné que vous n’avez pratiqué que peu de temps, il n’est pas certain que vous ne souffrirez pas », dit Wendy, assise à son chevet, lui caressant les cheveux. « Mais rappelez-vous, ne pensez jamais à abandonner et gardez votre conscience aussi alerte que possible. »
Page-Blanche n’osait pas parler, craignant de se mettre à pleurer.
Elle ne voulait pas perdre la face devant tout le monde.
Dans les bidonvilles, les pleurs étaient perçus comme une faiblesse. Seuls ceux qui avaient renoncé pleuraient.
Page-Blanche ferma les yeux et attendit calmement que ce moment arrive.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle vit que tout était blanc derrière les carreaux.
La morsure étant plus faible qu’elle ne l’avait prévu, les divers secours que les sorcières avaient prévus se révélèrent superflus. En se réveillant, elle sentit que la capacité de son corps quant au pouvoir magique avait considérablement augmenté. De petits changements s’étaient produits partout. Sa vue était bien plus perçante et ses membres plus forts.
La jeune fille se lavait le visage lorsqu’elle entendit à nouveau frapper à la porte.
– « J’arrive! »
Page-Blanche ouvrit joyeusement la porte et prit la main de Wendy. Cependant, cette fois, au lieu de l’emmener dans la salle de séjour, son aînée la conduisit au bureau du Seigneur.
Le grand homme aux cheveux gris lui sourit gentiment et posa devant elle une feuille de parchemin.
– « À partir de ce jour, vous êtes officiellement membre de l’Association de Coopération des Sorcières. »