La neige semblait s’être calmée depuis l’arrivée de l’hiver.
Assis à sa table de travail, Roland lisait les trois manuscrits tout en fredonnant.
Il s’agissait du projet expérimental de production du dernier type de munitions, du projet de la dernière génération d’armes légères et du plan de construction de la Tour des Sortilèges.
Les deux premiers avaient été conçus de longue date. Depuis qu’il avait à sa disposition les capacités d’Ayesha pour geler et contrôler la température, la production d’acide nitrique de la ville avait largement augmenté. Le problème relatif à la stabilité de la production à grande échelle de nitroglycérine ayant également été résolu, toutes les conditions pour la fabrication de propulseurs à double base étaient à présent réunies.
Même si Roland savait que pour créer ce type de propulseur, il fallait dissoudre de la nitrocellulose dans de la nitroglycérine, obtenant ainsi une gelée visqueuse qui pouvait être tranchée ou granulée, il avait besoin d’un alchimiste pour effectuer les tests et trouver les proportions adéquates.
Heureusement, Kyle Sichi avait une grande expérience dans la réalisation d’expériences quantitatives et qualitatives. En lui confiant cette tâche, il aurait certainement les résultats dans un délai d’une ou deux semaines.
Etant donné que Roland s’efforçait de fabriquer un nouveau propulseur, le développement d’un autre type d’arme légère était bien sûr à l’ordre du jour.
Par rapport à la poudre noire qui nécessitait l’utilisation d’un fusil à gros calibre, il ne fallait qu’une petite quantité de propergol à double base pour obtenir une létalité équivalente. Question puissance de tir et rapport coût-performance, il était certainement préférable de passer des fusils aux armes automatiques de calibre léger.
Bien entendu, il faudrait déterminer les paramètres spécifiques en fonction des résultats de traitement d’Anna.
Roland but une gorgée de thé chaud et prit le troisième document. Pour l’heure, c’était le projet qui l’enthousiasmait le plus.
Comparé aux précédents, le contenu de ce document semblait très incohérent. À la demande d’Ayesha, il avait l’intention de construire une Tour des Sortilèges à côté de la Maison des Sorcières et de l’utiliser pour la recherche et la fabrication de sceaux.
Il imaginait une haute Tour Magique parmi les masses de cheminées et d’usines. C’était tout simplement trop cool et très classe.
À cette pensée, Roland se mit à rire.
Rossignol, qui se tenait à ses côtés et grignotait du poisson séché, regarda Roland d’un air dédaigneux.
– « Les sceaux sont-ils vraiment si intéressants ? Le Royaume des Sorcières, qui pourtant en possédait beaucoup, a tout de même été vaincu par les Diables. »
– « Mais il y a des choses très intéressantes dans ce document. »
Le prince sortit de son tiroir un épais livre de cuir. Il contenait toute une collection de sceaux issues des notes expérimentales laissées par la Société de Recherche. Le manuscrit comprenait toutes les formules découvertes par la société sur plus de 200 ans.
Pour lui, c’était un monde tout à fait nouveau.
Après qu’Ayesha eut achevé la traduction, Roland avait passé la plus grande partie de la nuit à le lire. En parcourant les utilisations et les listes composites des Pierres Magiques, il avait l’impression d’assembler des runes. Le chef Alchimiste avait probablement ressenti le même enthousiasme lorsqu’ayant reçu de lui la Chimie Elémentaire, il s’était mis à étudier les différentes formules.
– « Un tout nouveau savoir est toujours particulièrement attrayant, même s’il ne s’agit que des bases. »
– « Par exemple ? » Demanda Rossignol en se penchant vers Roland.
– « Ceci », répondit le Prince en désignant une phrase dans le livre. « Les anciennes sorcières appelaient cela le Sceau de l’Ecoute. Elles l’utilisaient pour communiquer à longue distance, et, comme le Sceau de Pistage, celui-ci reste efficace même si les différentes parties qui le composent sont séparées l’une de l’autre. » Il déplaça son doigt vers le bas : « Les matériaux sont très simples, il suffit d’une Pierre d’Echo et d’une Pierre de Balisage. »
Selon le livre, la portée effective de ce sceau était de plusieurs dizaines de kilomètres. Bien qu’on ne puisse le comparer aux téléphones portables des âges ultérieurs, soutenus par de nombreuses antennes relais et satellites, il était tout à fait possible de l’utiliser comme talkie-walkie.
– « Vraiment ? » Rossignol jeta un coup d’œil et déplaça le doigt de Roland vers la page de droite. « Cependant, il est écrit ici que “les Pierres d’Echo proviennent des Diables Terrifiants et la plupart du temps, on trouve souvent les Pierres de Balisage dans les Villes des Diables. ” Comment espérez-vous vous procurer ces deux pierres magiques ? »
– « Nous avons déjà les matériaux », répondit le Prince, enthousiaste. « Le morceau de cristal rouge que Foudre a trouvé dans les ruines était une Pierre d’Echo. Quant à la Pierre de Balisage, elle entre dans la composition du Sceau de Pistage. Tilly en a apporté quelques-uns, il suffira de les démonter. »
– « Même si Ayesha réussit à le créer, vous ne pourrez obtenir qu’un Sceau d’Écoute. »
– « Laissez-la tout de même essayer. De toute façon, lorsque nous combattrons les Diables, nous acquerrons de plus en plus de Pierres Magiques. »
Il était dommage que jusqu’ici, les conditions requises pour la recherche au sujet des possibles applications du pouvoir magique n’aient pas été réunies. Maintenant que Roland bénéficiait du support technique d’Ayesha, il n’allait pas laisser tomber ces ressources qui ne coûtaient presque rien.
– « Entendu », répondit Rossignol. « Et quelles Pierres Magiques faut-il pour créer le Sceau de la Volonté Divine ? »
– « Alors… Je me souviens avoir vu cela à la dernière page », répondit le Prince. « Au fait, comment s’est déroulé votre test de capacité de combat ? »
Rossignol tressaillit et ne prononça qu’un mot :
– « Secret! »
De toute évidence, Anna l’avait vexée.
– « J’ai trouvé! C’est ici », dit Roland en grimaçant. « Il est écrit que les quatre Pierres Magiques requises sont inconnues… Probablement que, pour des raisons de confidentialité, la Société de Recherche ne les a pas consignées par écrit. Mais selon Ayesha, ces pierres magiques proviennent surtout des Diables Supérieurs, aussi, même si elles avaient été identifiées, personne n’aurait pu se les procurer. »
– « Et malgré cela, vous exposez ouvertement un objet aussi précieux dans la grande salle. » Rossignol gémit : « Si jamais les Transcendantes venaient à s’en apercevoir, elles seraient tellement fâchées contre vous qu’elles ressusciteraient aussitôt. »
« Probablement que ce n’est guère plus précieux que quelques dizaines de kilos de TNT », pensa Roland qui se mit à rire mais ne répondit pas.
Cette fois, il attendit qu’Ayesha ait terminé sa production quotidienne d’acide pour la faire appeler dans son bureau.
– « Jetez un coup d’œil à la Tour des Sortilèges que j’ai conçue pour vous », dit Roland en lui tendant son croquis. « Les soubassements constituent l’entrepôt et il y a trois étages au-dessus du sol réservés respectivement au laboratoire des apprentis, au laboratoire principal de la tour et aux bureaux. »
– « Un instant… pourquoi l’avez-vous appelée la Tour des Sortilèges ? » Demanda Ayesha. « Je voulais simplement un laboratoire de chimie comme celui de Sir Kyle, en un peu plus spacieux et lumineux. Construire une tour comme celle-ci ne serait pas facile. À Taquila, on ne construisait des tours que parce que la ville était petite. Ici, vous avez beaucoup d’espace libre. »
« Ce n’est pas tendance! » Pensa Roland.
– « Globalement, les problèmes de construction ne sont pas difficiles à résoudre. En plus des installations que j’ai mentionnées, avez-vous d’autres demandes ? »
– « Non. » Ayesha leva les mains : « Si vous insistez. »
– « Parfait. » Roland posa le croquis et lui exposa l’idée à laquelle il avait pensé le matin même : « Pensez-vous pouvoir fabriquer ces sceaux toute seule ? »
– « C’est impossible », répondit Ayesha. « Même s’il suffit de rassembler des pierres, les matériaux requis pour transmettre le pouvoir magique sont très compliqués et surtout, ils requièrent le sang des Diables. »
– « Pardon ? » S’exclama le Prince, stupéfait.
– « Vous avez bien entendu. De plus, il faut du sang frais », répondit-elle gravement. « Pour déterminer la nature du pouvoir magique, la Société de Recherches a mené des milliers d’expériences. Elle en a déduit que la chair et le sang des sorcières, des Diables et des bêtes démoniaques étaient totalement différents, de même que leurs fonctions. »
– « La chair et le sang des… sorcières ? »
En réalisant la signification de ces paroles, Roland reçut un choc. Instinctivement, il demanda : « Et à quoi servent-ils ? »
– « À créer l’Armée du Châtiment Divin », répondit Ayesha, stoïque.