Après une semaine chargée, Roland construisit une nouvelle usine chimique près de la rivière Redwater. Considérant la toxicité de l’oxyde d’azote, cette usine fut construite comme le marché de proximité, avec un mur ouvert, un toit de bois et une grande ventilation. Il va de soi que la température à l’intérieur était à peu près la même que celle de l’extérieur.
Le nouveau système de synthèse d’oxygène et d’azote était déjà en fonctionnement. La chaleur produite instantanément par le feu noir était similaire à celle d’un arc électrique et beaucoup plus efficace. Une fois les matières premières placées dans le réacteur, il ne fallait que 8 minutes à Anna pour les transformer en dioxyde d’azote, qui, combiné à l’eau, produisait de l’acide nitrique.
Le système qui synthétisait l’ammoniac à partir de l’azote et de l’hydrogène fonctionnait à plein rendement. La quantité d’azote liquide éliminée par refroidissement étant beaucoup plus importante que celle de l’oxygène liquide, l’azote restant était utilisé pour produire de l’ammoniac. Roland poursuivait par ailleurs la production industrielle régulière d’acide nitrique afin de répondre à tous ses besoins, chaque nouvelle ligne de production d’acide nitrique étant une opportunité de plus pour fabriquer davantage d’explosifs chimiques.
Ayant testé la capacité de Page-Blanche, il avait découvert qu’elle pouvait vraiment accélérer la réaction à chaud de l’azote et de l’hydrogène dans la mesure où, apparemment, les résultats étaient instantanés. Restait le fait qu’elle avait encore du mal à contrôler la libération de son pouvoir magique, et en raison de son jeune âge, elle consommait très rapidement le peu de pouvoir dont elle disposait.
Cependant, il était possible d’y remédier par la pratique. Selon Wendy, la jeune fille faisait de rapides progrès. Elle serait en mesure de maintenir son pouvoir à un niveau stable en une semaine environ.
Avec ces deux filières combinées à une production régulière de nitrification du glycérol, il devenait possible d’obtenir une poudre moderne sans fumée. L’étape suivante consisterait à concevoir une arme à feu à répétition et à la fabriquer au plus vite.
C’est précisément ce à quoi Roland réfléchissait lorsqu’un garde entra dans son bureau et annonça :
– « Sir Ferlin Eltek et son père, le Duc Eltek, désirent vous voir. Ils attendent dans le hall. »
– « Ferlin ? » Il réfléchit un moment. « N’était-il pas le Premier Chevalier de la Région de l’Ouest ? Toute sa famille vit à la Forteresse de Longsong! Que fait son père à Border Town ? Ont-ils précisé pourquoi ils étaient ici ? »
– « Sir Ferlin a dit que c’était en rapport avec les sorcières. Il m’a demandé de vous remettre ceci. »
Le garde lui tendit un morceau de parchemin délicat représentant la carte au trésor que Lumière du Matin avait dessinée mais comparée à son brouillon, on aurait dit une carte imprimée.
Roland se rappela soudain que Ferlin avait dit un jour que cette carte se transmettait dans sa famille depuis 400 ans. C’est grâce à elle que Foudre était parvenue à retrouver la tour de pierre où Ayesha était retenue prisonnière.
Soudain très intéressé, il ordonna :
– « Faites venir Ayesha. Elle doit encore se trouver au laboratoire de chimie. Je descends immédiatement. »
– « Bien, Votre Altesse. »
Le garde parti, Roland roula la carte et descendit dans le hall.
À sa vue, Ferlin et le vieil homme qui l’accompagnait se levèrent et s’inclinèrent respectueusement.
Le prince remarqua que les vestes de cuir épais que portaient les deux hommes étaient tachées de sueur aux épaules. Le front du vieil homme ruisselait.
Il sourit et dit :
– « S’il fait trop chaud, vous pouvez enlever vos manteaux. Le château disposant d’un système de chauffage central, il y fait beaucoup plus chaud ici qu’à l’extérieur. N’allez pas vous rendre malades. »
– « Un chauffage central ? » S’exclama Ferlin, stupéfait.
– « Oui, ce nouvel équipement est beaucoup mieux qu’une cheminée » Roland, qui ne voulait pas perdre de temps en explications, orienta la conversation sur l’objet de leur visite. « On m’a dit que vous étiez là à cause des sorcières ? »
– « Oui Votre Altesse », répondit Lumière du Matin. « Il y a quelques jours, au marché de proximité, j’ai aperçu une femme aux cheveux bleus… »
Brièvement, il lui fit un cours récit des évènements. « Je suis donc reparti chez mon père qui m’a alors raconté l’histoire de ma famille. Je me suis dit qu’il s’agissait probablement d’une sorcière. »
– « Je vois », fit Roland, surpris. Il n’aurait jamais pensé que des mortels descendant de la famille d’Ayesha puissent être encore en vie à ce jour. « Il y a bien une sorcière à Border Town qui correspond à votre description et, en effet, son nom est Ayesha. »
Tout excité, le Duc Eltek bondit de sa chaise :
– « Dans ce cas, Votre Altesse pourriez-vous… »
– « Vous permettre de la rencontrer ? » Roland sourit : « Bien sûr! Elle devrait être en route vers le château. Mais étant donné qu’il s’agit d’une sorcière, je pense que vous devriez lui faire la courtoisie d’enlever votre Pierre du Châtiment Divin. »
– « Vous avez raison, en effet. »
Le duc retira à la hâte la pierre de sa chemise et la posa sur la table.
– « Il n’était pas question de ce genre de politesse à Taquila. Il y a 400 ans, l’Eglise ne chassait pas les sorcières comme des animaux », murmura Rossignol à son oreille. « Cette pierre n’était rien d’autre pour Ayesha que du matériel de recherche. »
« De cette façon, vous pouvez déterminer s’ils disent la vérité ou pas », répondit Roland en s’efforçant de paraitre sérieux.
Rossignol lui pinça le cou :
– « Menteur. »
– « Pour quelle raison m’avez-vous rappelée ? » Demanda Ayesha en poussant la porte de la salle. « La Bataille de la Volonté Divine étant imminente, j’ai besoin de tout le temps dont je peux disposer pour produire des armes pour combattre durant la guerre. »
Elle allait prononcer le mot ײDiablesײ lorsqu’elle se ravisa, ayant aperçu des étrangers. « Si ce n’est pas important, envoyez simplement quelqu’un me faire la commission. »
Depuis le temps qu’elle travaillait avec l’Alchimiste en chef, la sorcière commençait à lui ressembler un peu. À la voir servir sans répit les entreprises de production industrielle de Border Town, Roland, en tant que chef de la ville, culpabilisait un peu.
Il s’éclaircit la gorge :
– « C’est très important cette fois. Vous souvenez-vous, il y a 400 ans, alors que Taquila était sur le point de s’effondrer, que quelques-uns de vos serviteurs ont été séparés de vous et ont suivi la foule au sud de la Chaines des Montagnes Infranchissables ? »
– « Je pense. » Ayesha ôta son chapeau couvert de neige et secoua ses cheveux bleus. « Mais qu’y a-t-il d’important à ce sujet ? Cela s’est produit il y a longtemps. »
Alors qu’elle se montrait telle qu’elle était, Ferlin et le Duc sursautèrent. Ce dernier s’agenouilla aussitôt devant elle :
– « Vous êtes bien Dame Ayesha! »
– « Et vous êtes… ? » Demanda Ayesha, fronçant les sourcils.
– « Je suis un descendant de Kagar. Vous souvenez-vous de ce nom ? » Demanda le duc en levant les yeux, attendant sa réaction.
– « Kagar… bien sûr, c’est moi qui lui ai donné ce nom. » Elle haussa les épaules : « J’ai acheté deux serviteurs mortels. Le premier, que j’ai appelé Kraft, était le chef des gardes de ma famille et l’autre, Kagar, était mon intendant. » Elle marqua une pause. « Vous seriez les descendants de ce serviteur qui s’est enfui en emportant mes Pierres Magiques et mes rapports d’expériences ? »
– « Enfui ? » Le duc la regarda, stupéfait. « Non, il… »
– « Sortez! » Ordonna Ayesha, le visage sombre. « Je ne veux plus jamais vous revoir. »