Sur ces paroles, la sorcière quitta le hall sans laisser aux deux hommes le temps de s’expliquer.
Roland tourna légèrement la tête :
– « Pourriez-vous me dire ce qui se passe ? »
– « Les deux camps ont dit la vérité, » murmura Rossignol à son oreille.
Roland réfléchit un instant et ne tarda pas à comprendre ce qui s’était réellement passé. La franchise ne reflète pas nécessairement la vérité mais ce que l’on croit être la vérité. De toute évidence, le problème venait de ce qui était retracé dans leur livre d’histoire familiale.
– « Etant donné que vous arrivez de la Forteresse de Longsong, vous n’allez pas repartir si vite. Vous pouvez rester deux jours chez Ferlin et visiter la ville », dit Roland au Duc, confus. « Je vais essayer de la raisonner. Peut-être pourrez-vous revenir discuter avec elle. »
– « Vraiment ? » Le chevalier parut surpris mais, baissant la tête, il ajouta : « Dans ce cas, je devrai déranger Votre Altesse. »
– « Au fait, où sont les Pierres Magiques et les livres anciens que vous avez apportés ? »
– « Il y en a plus de dix boîtes sur notre bateau. »
– « Parfait. Nous les ferons porter au château », répondit Roland. « Je pense qu’elle s’adoucira un peu lorsqu’elle s’apercevra que toutes ses affaires existent toujours au bout de 400 ans. »
Après le dîner, le prince fit appeler Ayesha à son bureau.
– « Vous devriez laisser une chance au Duc Eltek de s’expliquer. »
Il lui a raconta toute l’histoire. « Quoi que votre intendant ait pu faire, cet homme est ici pour vous rendre vos biens et peut-être même réparer les torts de son ancêtre. »
– « Mon intendant ayant trompé ses descendants, cet homme ne me doit rien », répondit Ayesha, boudeuse. « De plus, les familles de sorcières ne signifient plus rien à présent. Tout cela appartient à l’aristocratie de la Région de l’Ouest. Si j’acceptais, cela vous compliquerait les choses. Vous avez l’intention de vous approprier l’entière juridiction de cette Région n’est-ce pas ? »
Roland, surpris de constater qu’elle avait envisagé ce problème, secoua la tête en souriant.
– « D’accord, c’est logique, mais vous ne donnez pas l’impression de leur en vouloir. »
– « Je n’ai pas à reporter ma colère envers un mortel d’il y a 400 ans sur ses descendants, surtout s’ils ne savent pas ce qui s’est réellement passé. »
« Elle parle comme un véritable membre éclairé du royaume des sorcières! » pensa Roland. « Que ce soit envers les mortels ou pour accepter la nouveauté, elle a toujours une attitude positive. Sa mentalité est sans doute exceptionnelle. Elle devait être rare à Taquila, c’est pourquoi il n’est pas surprenant qu’elle ait été rejetée par les autres sorcières de la Société de Recherches. »
– « Dans ce cas, je vais leur expliquer », dit-il. « Aimeriez-vous faire l’inventaire de vos biens ? »
Ayesha roula des yeux et railla :
– « Ce ne sont pas les miens. Ces biens appartiennent à la Société de Recherches. »
Toutes les boîtes furent rapportées dans les soubassements du château. Outre Ayesha, Roland convoqua également Tilly, Sylvie et Anna.
Un à un, les coffrets furent ouverts sous la surveillance de Sylvie. Dix sur quinze contenaient des Pierres Magiques. Roland prit un cristal de la taille d’un poing et dit :
– « Si, comme vous l’avez dit, tous ces cristaux sont issus de la Pierre du Châtiment Divin, une pierre de cette taille doit bien valoir 200 à 300 Royals d’or. »
– « 200 à 300 Royals d’or? » Répéta Ayesha, nullement impressionnée. « Les Pierres Magiques ne pouvant être produites que par les Bêtes du Chaos, chaque pièce est pratiquement inestimable. »
– « De quel genre de Pierre Magique s’agit-il ? » Demanda Tilly. « Elles ne sont guère faciles à porter. »
– « Ce sont des Pierres de Lumière. »
Ayesha pressa la pierre que le Prince tenait en main et y canalisa son pouvoir magique. Une lumière jaune pâle en jaillit qui eut tôt fait de dépasser en intensité celle d’une torche. Lorsqu’elle devint trop aveuglante, la sorcière retira sa main. « Plus de la moitié sont des Pierres de Lumière et, outre les pierres produites par les Bêtes du Chaos, les autres sont des butins de guerre que nous avons gagnés en attaquant les Villes du Diable. »
– « Comment se fait-il qu’elles aient des tailles différentes ? » Demanda Anna, curieuse. « Si toutes étaient à l’origine des Pierres du Châtiment Divin, il était impossible de les découper au moyen d’un pouvoir magique. De plus, comme le bloc de Pierre du Châtiment Divin est extrêmement dur, elle n’a pas pu non plus être découpée avec des couteaux. »
– « Un bloc entier ? » s’écria Ayesha, stupéfaite. « Faites-vous allusion à la veine de Pierre du Châtiment Divin ? »
– « Elle se trouve juste sous les mines de Border Town », répondit Roland qui lui raconta l’histoire de la carte au trésor. « Sa surface est si dure qu’un fusil à silex peut à peine y laisser une trace superficielle. »
– « Je vois », répondit-elle. « Vous vous êtes servis de cette carte pour trouver ma tour- laboratoire. En effet, elle a été utilisée par la Société de Recherches pour marquer l’emplacement de la veine de Pierre du Châtiment Divin et a été choisie pour construire la prochaine Cité Sainte. »
– « La Cité Sainte ? », s’exclamèrent-ils tous d’une seule voix.
– « Pourquoi pensez-vous qu’il y ait des centaines de villes dans les plaines fertiles, mais seulement trois Cités Saintes ? » Elle esquissa un sourire : « Ces fameuses Cités Saintes sont toutes construites sur des veines de Pierre du Châtiment Divin. Nous avions besoin de beaucoup de pierres pour trouver la relation existant entre le pouvoir magique et les Pierres magiques, ainsi que pour éviter les dégâts importants occasionnés par les conflits entre sorcières. »
– « Vous projetiez donc de construire une nouvelle Cité Sainte sur la Montagne du Versant Nord ? » Demanda Roland sous l’effet de la surprise.
– « En effet, si la Bataille de la Volonté Divine n’avait pas eu raison de nos projets. » Ayesha soupira : « Il en était de même pour la Crête Barbare située dans la Chaîne des Montagnes Infranchissables, que vous appelez aujourd’hui le Plateau d’Hermès, où se trouve actuellement la Cité Sainte de l’Eglise. »
– « L’Eglise a d’ailleurs repris les termes de ײCité Sainteײ », fit remarquer Tilly en fronçant sourcils : « il est donc plus que probable qu’ils soient les successeurs de l’Union. »
– « Dieu merci, l’Eglise n’a pas eu l’idée de construire sa Cité Sainte dans la région de l’Ouest », dit Roland avec un léger soupir de soulagement.
– « Quoi qu’il en soit, la Pierre du Châtiment Divin est fondamentalement indestructible. Pour pouvoir la couper, il faut des moyens spéciaux », poursuivit Ayesha. « Le sang d’une sorcière contenant son pouvoir magique… ou le sang des Diables. »
– « Du sang ? » S’écria Sylvie.
– « Oui. La quantité de sang requise dépend de la Pierre », dit-elle en écartant les mains. « À la Cité Sainte, toutes les sorcières adultes étaient tenues de donner de leur sang. Celui-ci perdant très rapidement son pouvoir magique une fois extrait du corps, il fallait donc l’utiliser sur place. Tous les deux ou trois ans, l’Union ordonnait aux sorcières éligibles de descendre dans la mine pour donner du sang. Tous les Diables que nous parvenions à capturer étaient également utilisés à cette fin. »
– « L’avez-vous fait vous aussi ? » Demanda Anna.
– « Bien sûr », répondit Ayesha. « Les trois chefs de l’Union elles-mêmes ne faisaient pas exception. »
– « Et les bêtes démoniaques ? » s’enquit Sylvie. « Apparemment, certains hybrides ont également un pouvoir magique. »
– « Oui, mais ce pouvoir étant très faible, leur sang ne peut être utilisé que sur des pierres brisées. Il n’a aucun effet sur les veines d’origine », répondit Ayesha. « Une fois découpée, la dureté et la portée de la Pierre du Châtiment Divin diminue en fonction de sa taille. On pourrait facilement briser avec un marteau une pierre comme celles que portent les gens autour de leur cou. »