– « Votre Altesse, qu’est-ce que cela signifie ? »
Auparavant, Carter pensait que le prince agissait arbitrairement et seul, mais à présent, il était d’avis que Roland était devenu capricieux.
Théoriquement, pour former un soldat, le chevalier en chef était convaincu qu’il n’y avait pas de moyen plus professionnel que le leur. Sa famille détenait un ensemble complet de méthodes de formation traditionnelles, allant de dix à quinze ans. Développer le corps et maîtriser toutes sortes d’armes utilisées par un soldat ne nécessitaient que cinq ans.
Formés au-delà, ils deviendraient des soldats de haut niveau, portant le nom de chevaliers. Évidemment, les recrues ne pouvaient avoir un statut civil.
En regardant devant lui ce groupe d’idiots, qui ne pensaient qu’à manger des œufs, Carter se mit en colère! Les œufs coûtaient cher!
Roland lui dit à l’oreille :
– « Observez bien et mémorisez. C’est le genre de formation qui devrait être effectuée dans les prochains jours. Bien sûr, certains détails changeront. Je vous en ferai la liste par écrit. »
À l’époque des armes blanches, deux ou trois mois de formation suffiraient-ils pour former un groupe de bons soldats ? Roland ne s’était pas posé la question et il n’a pas besoin non plus de ce genre de guerriers spartiates en sous-vêtements capables de déchirer des animaux sauvages à mains nues. Il n’était pas nécessaire que les gens de Roland aient une force particulière pour combattre. En revanche, ils devaient être bien disciplinés et exécuter tous les ordres sans faillir.
La plupart du temps, la force du groupe est plus importante que celle des individus. Il faudrait donc qu’ils forment une unité. Accomplir cette tâche rapidement et passer à la formation militaire pour améliorer la situation actuelle était la meilleure chose à faire. Par expérience, il savait qu’un mois serait suffisant pour former un groupe de personnes en provenance de tout le pays dans le but d’en faire une unité cohésive forte. Quel que soit le processus, l’objectif était clair.
Lorsque ce groupe aurait appris à suivre les ordres, Roland pourrait passer à la prochaine étape de son plan.
Finalement, Van’er ne parvint pas à obtenir un second œuf.
Cette fois, ils avaient dû tenir deux fois plus longtemps que la fois précédente, jusqu’à ce que les jambes faiblissent et qu’ils n’en puissent plus.
Alors le prince leur permit à tous de se reposer et ordonna à ses serviteurs de servir le déjeuner. Ce qui eut pour effet de changer l’irritation de la fatigue en excitation à l’idée de manger. À ce stade, Van’er se demandait si Son Altesse n’avait jamais eu l’intention de les laisser prendre un deuxième œuf.
Le déjeuner était contenu dans quatre énormes tonneaux, transportés par des chariots depuis la ville, avec de nombreux bols et cuillères.
Van’er se lécha les babines, prêt à sauter sur les véhicules. Mais il fut arrêté par le chevalier en chef qui se tenait devant eux.
Son Altesse Royale le Prince ordonna que tous s’alignent sur quatre rangs et de se présentent un par un pour prendre leurs couverts. Quiconque perturberait l’ordre serait contraint de retourner à l’extrémité de la rangée et serait servi le dernier.
Tout le monde se précipita bruyamment pour tenter d’obtenir une bonne place. Van’er eut de la chance, il se retrouva au premier plan dans la rangée extérieure. Bien sûr, certaines personnes exprimaient leur mécontentement. Aussi, dans les rangs, entendait-on des disputes et des bruits d’agitation. Très vite, les chevaliers et quelques gardes se précipitèrent pour attraper les fauteurs de trouble et les renvoyer au bout de la rangée.
Le fou, pensa Van’er en voyant celui qui se tenait en tête des perturbateurs. Il le reconnaissait. C’était le meilleur lutteur de rue de la ville, également connu sous le nom de ײPoing Furieuxײ. Il comptait généralement sur sa force brutale pour semer le trouble partout.
Mais là, seul contre les chevaliers et les gardes armés d’épées, il donnait une image pitoyable.
Quelle allure misérable! Il se croyait déjà le favori de Son Altesse.
Dire que cela devait devenir une unité!
Debout bien droit, côte à côte, chacun devait se mettre en rang s’il voulait manger, toujours en ordre, ne jamais se démarquer…
Van’er avait entendu dire par un homme d’affaires bien informé qu’une partie de la noblesse avait un passe-temps étrange : tout devait être bien rangé, en ordre, et tout ce qui ne l’était pas devait être remis en place.
De son avis, ce genre de personnes s’ennuyaient et n’avaient rien de mieux à faire. Peut-être même était-ce délibérément qu’elles ne trouvaient pas à s’occuper.
Il ne s’attendait pas à ce que son Altesse Royale soit de ces gens.
Lorsque les couvercles des tonneaux furent ouverts, Van’er sentit s’élever une puissante odeur de nourriture. L’arôme se répandait, et il était à la limite de la tentation. La foule elle-aussi s’agita, mais aussitôt, le chevalier en chef hurla pour demander le calme. Van’er se dit que beaucoup allaient devoir à nouveau faire la queue.
Bien entendu, le prince les faisait d’abord récupérer leurs couverts, puis se remettre en rang pour recevoir la nourriture.
Tous durent ravaler leur salive et contenir leur estomac qui gargouillait. Après l’exemple de Poing Furieux, ils se tenaient à présent tranquilles, attendant patiemment leur repas.
Les fûts étaient remplis de porridge de blé chaud. À la surprise de Van’er, il constata que la bouillie contenait des irrégularités! C’était certainement de la viande. Lorsqu’enfin il obtint sa part de porridge et ce qu’il voulait : son œuf.
Van’er se goinfrait quasiment. Il semblait qu’il n’avait pas mangé durant des jours et lécha même le fond de son bol encore et encore. Il ne prit même pas le temps de mordre dans l’œuf : il l’avala, l’envoyant directement dans son estomac. Comme il avait mangé trop vite sans faire attention, il avait des ampoules plein la langue.
Van’er reposa le bol vide, se tapota le ventre et éructa de satisfaction. Il n’avait pas connu un si délicieux repas depuis longtemps. Le plus incroyable était qu’il avait vraiment le sentiment d’être rassasié. Une bouillie de blé avec du pain noir, c’était le paradis. S’il pouvait manger tous les jours de cette façon, combattre sur les lignes de front contre les bêtes démoniaques en vaudrait la peine!
Le repas terminé, ils bénéficièrent tous d’un long moment de repos, durant lequel ils furent ramenés sur les murs de la ville, jusqu’au camp de la patrouille. Un homme courageux portant le grade de Ranger vint leur apprendre à installer des tentes.
Van’er le connaissait : qui, en ville, ne connaissait pas Hache-de-Fer! Ses compétences en matière de tir à l’arc étaient telles que même le chasseur le plus expérimenté de la ville aurait évoqué la perfection.
Une minute, se dit-il, depuis quand Hache-de-Fer travaille-t-il pour le prince ?
Il lui semblait l’avoir vu rester aux côtés des chevaliers quelque temps auparavant.
Van’er fronça les sourcils. Quels étaient finalement les plans de Son Altesse Royale ? C’était un ancien citoyen du Pays des Sables.
– « Avez-vous vraiment l’intention de nommer Capitaine un homme du Pays des Sables ? » Carter se posait la même question :
« Il n’appartient pas à Graycastle. Cet homme n’est même pas de notre continent. »
– « Les sorcières n’appartiennent pas non plus à Graycastle », dit Roland qui n’était pas d’accord. « Mais elles appartiennent toutes à Border Town. D’ailleurs, ne voyez-vous pas ce qui se passe ? »
– « Mais, Votre Altesse… »
– « Ne vous inquiétez pas », coupa Roland en tapotant l’épaule du chevalier, « À Border Town, nous ne nous soucions pas de l’origine des gens. Du moment qu’ils n’enfreignent pas la loi du Royaume, tous seront toujours mes sujets bien-aimés. Vous n’avez vraiment pas à vous inquiéter. Vous pouvez aussi choisir deux capitaines. Quoi qu’il en soit, à l’avenir, nous allons élargir le nombre des équipes, c’est pourquoi ce ne serait pas une mauvaise idée de cultiver des talents prometteurs dès maintenant. Oh c’est vrai! Je vous ai préparé le règlement de formation. Cela devrait d’avantage vous intéresser que les gens du Pays des Sables. »
Carter prit le parchemin des mains de Roland. Il le parcourut du début à la fin et se sentit pris de vertige. Le contenu de la formation lui était totalement inconnu : par exemple, l’après-midi, il fallait courir tout autour de la ville, depuis le déjeuner jusqu’au coucher du soleil. Le règlement insistait sur le fait que tout le monde devrait participer, et qu’ils pourraient s’entraider en chemin. S’ils persévéraient jusqu’à la fin sans abandonner, ils auraient droit à un œuf supplémentaire pour le dîner.
Autre exemple : lorsque la nuit, les hurlements du loup retentiraient, tout le monde devait immédiatement se présenter au rapport. Avec ce types d’exercices, il craignait que la plupart d’entre eux ne s’agitent d’un côté et de l’autre côté durant toute la nuit.
Si les premiers exercices étaient déjà difficiles à comprendre, le dernier laissa Carter totalement déconcerté.
– « Chaque jour après le dîner, tous se rendront au collège de M. Karl pour y recevoir une formation culturelle. »
« Votre Altesse… Qu’est-ce que cela signifie ? Doivent-ils apprendre à lire et à écrire ? »
– « Je l’espère, mais dans un délai aussi court, Karl ne pourra leur enseigner que quelques mots et nombres simples. Je me charge personnellement de lui expliquer cela. Vous n’aurez qu’à veiller à ce qu’ils s’y rendent. »
– « Mais, pourquoi voulez-vous faire ça ? Apprendre à lire et à écrire ne sera d’aucune utilité pour combattre les bêtes démoniaques. »
– « Qui a dit cela ? »
Roland bailla.
« Une bonne unité doit aussi être bien éduquée. C’est une leçon tirée de l’histoire. »