Mu Qianyu pencha la tête pour se plonger dans ses pensées.
« Il y a bien un moyen ! dit-elle finalement. En déployant une illusion, tu pourras le tuer et prendre le temps de faire disparaître toutes les preuves sans que personne ne remarque rien. »
Elle ne posa aucune question à propos de celui qu’il voulait éliminer ou de ses motivations. Les faits étaient extrêmement simples selon sa conception des choses, il y avait ceux qu’elle appréciait d’un côté, ses amis, et ceux qu’elle détestait de l’autre, ses ennemis ; elle ne faisait pas la distinction selon une vision manichéenne du bien et du mal.
« Tiens, c’est pour toi… dit-elle en sortant une perle brillante et claire comme du cristal de son anneau spatial. Il s’agit de la Perle des Songes. Une fois activée, elle créera une dimension illusoire ; quiconque en dessous du Xiantian sera incapable de s’en échapper. Non seulement cela, mais personne ne remarquera aucune différence en dehors. Considère que c’est un espace indépendant de la réalité, qui vous isolera du monde extérieur ton adversaire et toi. Rien de ce qui s’y passe n’en sortira. Même les talismans de transmissions sonores cesseront de fonctionner. Cela devrait t’offrir suffisamment de temps pour tuer ton ennemi et évacuer les lieux. »
Lin Ming accueillit la perle avec joie. Alors qu’il s’apprêtait à la ranger dans son anneau spatial, il réfléchit un instant et lui demanda : « Cette Perle des Songes vaut-elle cher ? »
Mu Qianyu se mit joyeusement à rire, les rayons étincelants du soleil illuminaient son beau visage ; on aurait dit que des fées de lumière dansaient autour d’elle. Cette femme appartenait tout simplement à ces beautés légendaires, capables de causer la chute d’une nation ou de renverser un empire.
« Considère que c’est un cadeau. Mais sois prudent ! Cette Perle des Songes ne te donnera aucun avantage sur ton adversaire ; de ce côté-là, ça dépendra uniquement de toi. »
Face à la beauté rayonnante de Mu Qianyu, Lin Ming perdit ses moyens pendant un bref instant, le regard hagard. Il secoua alors soudainement la tête, inspira profondément et se ressaisit, réprimant les battements effrénés de son cœur.
« Je sais bien, mais je suis confiant dans mes capacités.
— Ha, ha ! je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit hors de ta portée. Tu as bien absorbé l’Âme de Foudre après tout, alors même que je pensais que c’était impossible », répondit-elle tout sourire.
Aucun d’entre eux n’aborda le sujet de leur séparation. Une fois qu’ils eurent achevé leur petit-déjeuner, Lin Ming partit chasser comme à son habitude. Il quitta néanmoins la grotte avec le pressentiment que, à son retour, personne ne l’y attendrait…
…
« Il est temps Petite Flamme. » Mu Qianyu caressait gentiment la tête de l’Oiseau Vermillon dont l’expression contrariée trahissait le mécontentement.
« Tu as promis ! s’emporta Mu Qianyu, irritée. Et puis ce n’est pas comme si tu n’avais pas mangé suffisamment de viande grillée ! »
L’oiseau cligna des yeux d’un air désapprobateur. Vivant sur l’Île du Phénix Divin depuis sa naissance, il se nourrissait des fleurs les plus rares et des bambous les plus tendres, et il s’abreuvait de la rosée fraîche d’une matinée printanière. Tous ces aliments n’avaient pas été souillés par l’air Houtian et ils n’étaient pas vraiment désagréables à manger, mais après tant d’années, leur goût lui paraissait fade et insipide.
« Il est temps que nous partions, c’est comme ça ! lui dit-elle d’un ton impérieux. Nous avons de nombreuses choses à faire et tu le sais bien. La prochaine fois que tu auras faim, je t’emmènerai manger de la viande grillée, marché conclu ? »
Alors, d’une impulsion énergique, elle s’éleva dans les airs et atterrit sur son dos.
Tandis que l’Oiseau Vermillon se dirigeait en dehors de la grotte, Mu Qianyu regarda derrière elle.
Le feu était éteint et seules quelques braises fumaient encore entre les pierres rassemblées en cercle. La marmite de bouillon reposait sur le sol, encore chaude. De l’autre côté s’étendait une paillasse en paille propre, où elle avait dormi pendant trois nuits de suite.
C’était vraiment un endroit rustique, et pourtant il lui semblait si chaleureux. Elle repensa aux journées tranquilles et ensoleillées qui venaient de s’écouler, comme si elle avait vécu hors du temps l’espace de quelques jours. Que de souvenirs agréables, pensa-t-elle. En définitive, elle n’avait pas non plus envie de partir.
Elle poussa un léger soupir et sortit deux petites bouteilles en porcelaine de son anneau spatial ainsi qu’un feuillet en jade, sur lequel elle rédigea un message avec sa force d’âme. Les deux récipients et le feuillet s’envolèrent alors comme s’ils leur poussaient des ailes et ils se posèrent délicatement sur un rocher plat.
Un sentiment étrange s’empara d’elle, comme si quelque chose lui serrait le cœur.
« Allons-y, Petite Flamme », dit-elle en tapotant gentiment la tête de l’Oiseau Vermillon.
L’animal poussa un cri clair et, déployant fièrement ses ailes, s’envola vers le ciel en prenant rapidement de la vitesse.
Mu Qianyu ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil en arrière. La grotte ne ressemblait déjà plus qu’à un tout petit point au loin, et elle ne tarda pas à disparaître complètement hors de vue.
« Peut-être que nous nous reverrons ? Qui sait ce que le destin nous réserve… »
…
Lorsque Lin Ming revint avec du gibier, la grotte était vide ; la femme en rouge et son oiseau, dont la présence lui était devenue familière, s’étaient tous deux envolés. Il trouva seulement quelques plumes incandescentes, deux bouteilles en porcelaine et un feuillet en jade.
Lin Ming haussa les épaules en soupirant, abattu. Il n’était pas vraiment surpris, il s’attendait à ce qu’ils se séparent ainsi, mais il n’en ressentit pas moins un profond sentiment de mélancolie.
Il posa négligemment le gibier sur le côté et vint s’asseoir sur un rocher. Il ramassa ensuite quelques-unes des plumes ardentes et, les caressant un instant, vint les placer avec soin dans son anneau spatial. Finalement, il ramassa les bouteilles en porcelaine et le feuillet en jade.
Ces objets portaient tous le parfum de Mu Qianyu. Lin Ming remarqua le message sur le feuillet et il déploya sa force d’âme à l’intérieur.
C’est sans doute impoli, mais j’ai pensé qu’il valait mieux qu’on se sépare sans adieu. Quoi qu’il en soit, mille mercis pour ton aide avec le Tonnerre Divin du Dragon des Flots. Je t’ai laissé deux bouteilles en porcelaine avec ce message, c’est pour toi.
J’avais d’abord pensé te donner des remèdes miracles qui auraient pu impacter directement ta cultivation, mais après réflexions, je suis convaincue que tu gagneras davantage à te débrouiller par toi-même. La méthode la plus sûre pour progresser reste d’avancer étape après étape. Tu trouveras par conséquent une bouteille de Pilules Harmonie de l’Esprit, qui t’aideront à t’entraîner plus efficacement. Il y en a vingt au total, mais elles ne te seront vraiment utiles qu’à partir de la Condensation de l’Impulsion. Ce serait du gâchis de les utiliser avant.
Quant à l’autre bouteille, elle contient trois Pilules Esprit Divin. Celles-ci permettent aux artistes martiaux en deçà du Xiantian d’augmenter temporairement leur cultivation pour repousser les limites de leurs capacités au combat. Prends-en une si tu rencontres un danger inattendu, ça te donnera une chance de t’en sortir vivant !
Je viens de l’Île du Phénix Divin. Si le destin l’entend ainsi, nos chemins finiront par se croiser à nouveau.
Mu Qianyu.
Lin Ming rangea les pilules et le feuillet dans son anneau spatial et inspira une grande bouffée d’oxygène. Il avait vécu ces derniers jours comme un rêve fugace, mais il était maintenant temps de se réveiller, peu importe à quel point cela avait été merveilleux. Un grand nombre de choses l’attendaient.
Il voulait récupérer la flamme éternelle de la Tribu Ver de Feu, mais leur chaman était trop fort pour lui pour le moment. Il avait manqué de peu de se faire tuer par son seul avatar. Même s’il possédait désormais le Tonnerre Divin du Dragon des Flots, il n’était pas certain du tout de pouvoir le vaincre.
Sans compter qu’il lui serait extrêmement difficile d’absorber l’Esprit de Feu de la flamme éternelle avec sa force actuelle. Cette affaire attendrait, il n’avait pas d’autre choix.
Pour le moment, sa priorité restait de rentrer au Royaume du Grand Avenir pour y tuer Ouyang Dihua.
Sans la découverte accidentelle d’Annihilation du Tonnerre de Feu et sans la Perle Éclair de Feu, Lin Ming serait mort face à Huo Gong, cela ne faisait aucun doute.
Il devait se venger !
Ouyang Dihua est seulement au milieu de la Condensation de l’Impulsion, mais son oncle est un Aîné des Sept Profondes Vallées. Il disposera d’armes et de techniques nettement supérieures à celles des artistes martiaux ordinaires. J’imagine que ses capacités aux combats rivalisent avec le sommet de la Condensation de l’Impulsion. Avec un niveau pareil, je ne devrais pas avoir trop de mal à lui ôter la vie !
…
Le Continent du Grand Dévers était si vaste que l’on pouvait rencontrer une multitude de climats différents selon la région. Alors que la végétation des Étendues Sauvages Australes prospérait, la Ville du grand Avenir entrait en pleine saison hivernale.
Le vent froid soufflait, impitoyable, et des rafales glaciales tournoyaient comme si elles pouvaient vous transpercer les os.
Les arbres étaient dégarnis de leurs feuilles et une couche de neige recouvrait les pavés de la capitale, dont les rues n’étaient plus pratiquées que par quelques individus téméraires. Les marchands et les bonimenteurs qui grouillaient habituellement dans les artères principales avaient déserté leur poste. Un silence tranquille, que seuls quelques aboiements étouffés venaient interrompre de temps à autre, s’était substitué au brouhaha permanent. Les annonces placardées sur les murs et les panneaux d’affichage virevoltaient en menaçant de s’envoler dans le vent.
Un feu brûlait dans chacune des cheminées de la ville. Les individus les plus fortunés étaient étendus sur des lits de briques chaudes et dégustaient de savoureux ragouts. Tandis que les plus pauvres s’agglutinaient autour de la marmite de soupe, avec laquelle ils allaient devoir remplir les estomacs de toute la famille. Même les gens les plus modestes connaissaient une certaine prospérité dans la capitale. Très peu de gens mourraient de faim ou de froid.
Sous ce voile de neige sans fin, dans la partie sud de la Ville du Grand Avenir se trouvait un pavillon, dont l’apparence opulente de la décoration témoignait d’un très mauvais goût.
Ce pavillon se situait auprès d’une étendue d’eau qui, en cette froide saison hivernale, aurait logiquement dû geler. Il n’en était toutefois rien, une petite matrice se chargeant de puiser la chaleur géothermique dans le sol pour maintenir l’eau à une température idéale. Il y avait même plusieurs espèces de lotus aquatique à la surface qui, bien que dépourvus de leurs fleurs, n’arboraient pas moins de magnifiques feuilles d’un vert éclatant. Couleur bien rare pour cette période de l’année.
Deux hommes richement vêtus étaient assis l’un en face de l’autre à l’intérieur du pavillon.
Ils se tenaient autour d’un poêle doré et portaient des vestes en soie surmontées d’épaisses fourrures de vison, ainsi que des mocassins rembourrés. Une table en bois de santal magnifique ouvragée trônait entre eux, recouverte de nombreux desserts et d’une carafe de vin de grand cru. Il y avait même une poignée de litchis, pourtant si rares en hiver.
Cette surabondance témoignait de la richesse du propriétaire.
Le premier de ces deux individus était l’Émissaire actuel des Sept Profondes Vallées pour le Royaume du Grand Avenir, Ouyang Dihua, et l’autre le Chef de la Famille Zhang de l’Union Commerciale — une association marchande prospère — le père de Zhang Guanyu, Zhang Fengxian.
Ce dernier voyait en Lin Ming un ennemi à abattre depuis l’infirmité de son fils
Il était toutefois bien trop fort, et son statut trop profondément ancré dans le cœur des gens. Sans compter qu’il avait également le soutien de la Maison Martiale des Sept Véritables et du Prince Héritier. Zhang Fengxian savait donc pertinemment qu’il ne pourrait pas se débarrasser de lui uniquement par ses propres moyens.
Ouyang Dihua regardait le jardin en dehors du pavillon en dégustant paisiblement son verre de vin.
« Y a-t-il eu des nouvelles ? »
Zhang Fengxian soupira en secouant la tête, « les Étendues Sauvages Australes s’étendent sur cent cinquante mille kilomètres d’un territoire difficile, entre les forêts, la jungle, les marécages, les montagnes, les plaines herbeuses et toutes les bêtes féroces fantomatiques qui y rôdent… dit-il. Et puis il y a une infinité de ces tribus, petites et grandes. Essayer de retrouver une personne avec uniquement son portrait, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! »
Huo Gong et Lin Ming avaient tous deux disparu depuis un mois et demi à travers les Étendues Sauvages Australes, tout comme les aigles sur lesquels ils voyageaient à ce moment-là. Nul besoin de préciser que ce n’était pas le résultat escompté par Ouyang Dihua, qui s’était donc mis à enquêter. Cependant, malgré son statut de haut dignitaire, il disposait en réalité de très peu d’hommes. Il s’était donc rabattu sur le réseau tentaculaire de l’Union Commerciale pour mener ses investigations en toute discrétion.
Huo Gong était à un demi-pas du Houtian, par conséquent, à moins d’un accident, il n’aurait pas dû avoir de mal à tuer Lin Ming.
Au début, n’ayant pas de nouvelle, Ouyang Dihua s’était d’abord imaginé que Qin Ziya avait agi dans l’ombre. Mais celui-ci était revenu il y a tout juste deux semaines, ignorant encore complètement la disparition de Lin Ming.
Ouyang Dihua avait été désemparé en découvrant que Qin Ziya ne savait absolument rien de ce qui se tramait. Il en avait déduit que Lin Ming était définitivement mort, mais dans ce cas, pourquoi Huo Gong avait-il disparu ?
Était-il mort par accident en arpentant les Étendues Sauvages Australes ? Ou alors, il avait découvert de formidables secrets sur le corps de Lin Ming et, décidant de les garder pour lui, s’était enfui…
Ces deux éventualités ne l’inquiétaient pas plus que cela. Ce qu’il craignait davantage, en revanche, c’était que Lin Ming ait survécu et que, tel un serpent tapi dans l’ombre, il attendait pour se jeter à sa gorge. Dans ce cas-là, il était vraiment en danger. La vitesse de progression de Lin Ming était tout simplement effrayante. Qui sait si, dans quelques années, sa force n’excéderait pas la sienne ?
Voyant son air troublé et plein d’incertitude, Zhang Fengxian tenta quelque chose : « Monsieur Ouyang, je vous en ai déjà parlé, mais peut-être qu’on pourrait le forcer à se montrer en agissant contre la Famille Lin. S’il ne réapparaît pas, c’est qu’il est bel et bien mort. Qu’en pensez-vous ? »
Pour dire vrai, Zhang Fengxian souhaitait également en profiter pour ruiner la Famille Lin et ainsi se débarrasser d’un concurrent en affaires. En sachant que c’était également un bon moyen de venger l’humiliation qu’il avait subie.
Mais il ignorait que, tandis qu’Ouyang Dihua et lui discutaient, un enchantement invisible et insidieux s’était déjà abattu sur eux, les enveloppant de son emprise et les isolant complètement du monde extérieur…
