Lorsque la surface d’un l’objet était recouverte d’une pellicule bien définie, on appelait cela un revêtement. Celui-ci pouvait être gazeux, liquide ou solide, avec toutes sortes d’applications différentes. Tout ce qui, partant d’une décoration initiale, renforçait la durabilité de l’objet, pouvait être considéré comme un revêtement.
Par la suite, Roland lança une série de tests à partir de ces substances.
Il fut extrêmement satisfait des résultats, ce concept pouvant se résumer ainsi :
ײPlus ses peintures consomment d’énergie et plus longtemps elle dessine, meilleures elles étaient. ײ Ses images précédentes étaient déjà difficiles à effacer tant que leur médium n’avait pas été aussi détruit, et avec l’évolution de sa capacité, cette caractéristique allait se renforcer.
Il considéra dans un premier temps la puissance d’adhésion et la légèreté de ces “pigments”. Bien qu’il s’agisse surtout d’une partie des caractéristiques physiques de l’objet, leur flexibilité pouvait s’adapter à l’objet représenté. Si elle peignait des nuages ou des cieux, ceux-ci étaient aussi doux que de la barbe à papa, une forte résistance à l’étirement et à la coupe. Mais lorsqu’il s’agissait de lingots de fer, de verre ou autres matériaux de même nature, ils devenaient durs, fragiles, et l’on pouvait facilement les briser avec un marteau. En d’autres termes, en raison de leur poids réduit, leur performance en matière de flexibilité était bien supérieure à leur apparente rigidité, ce qui était conforme à la manière dont Soraya comprenait le fonctionnement des pigments.
Ensuite, quelles que soient leurs caractéristiques, leurs propriétés chimiques demeuraient très stables. Non seulement ils ne présentaient aucune réaction à la dilution d’acide sulfurique ou d’acide nitrique, mais ils repoussaient l’eau et l’huile.
Roland avait tenté de remplir une boîte de papier revêtue de pigments avec de l’eau : le fond de la boîte, pourtant très mince, ne montrait aucune trace d’infiltration. Lorsqu’il versait l’eau, celle-ci roulait en perles liquides transparentes dans la boîte comme la rosée sur une feuille de lotus. Il toucha le fond avec son doigt ce qui lui confirma que celui-ci était sec.
Pour le test de résistance aux températures élevées, Anna coula du fer fondu dans la boite. Le supporte de papier s’enflamma immédiatement mais le revêtement lui-même ne changea pas, si ce n’est qu’il s’était quelque peu détendu. Ce n’est que lorsqu’Anna utilisa sa flamme noire pour brûler directement le revêtement que celui-ci commença à se déformer et à fondre en émettant une fumée blanche puis se transforma en une masse de gelée noire.
Le fait que le revêtement ait également un effet isolant était très excitant pour Roland. On pourrait ainsi utiliser des fils de cuivre enduits de la même manière que le fil émaillé, ce qu’il avait déjà prouvé en construisant un moteur à courant continu tout simple dans la cour.
À ce stade, Roland avait parfaitement compris la nouvelle capacité de Soraya.
Contrairement à la flamme noire d’Anna qui différait totalement de la verte, la nouvelle capacité de Soraya s’apparentait davantage à une évolution de sa précédente technique de peinture. Elle était à présent capable de réaliser une ײpeinture à l’huileײ très réaliste et de dessiner une ײphotoײ comme elle le faisait auparavant. Ses capacités pouvaient également être utilisées en parallèle, en fonction de ce que la sorcière avait l’intention de faire.
Aussi, lorsqu’elle peignait, si l’épaisseur du revêtement était inférieure à un centimètre, Soraya pouvait dessiner plusieurs heures sans s’arrêter. Mais lorsque l’épaisseur avoisinait les trois centimètres, sa consommation magique augmentait d’autant. A dix centimètres, elle atteignait le seuil et à peine avait-elle donné un ou deux coups de plume que sa magie était épuisée. Considéré sous un angle différent, c’était cependant le moyen le plus efficace pour contrer la Morsure Démoniaque.
Même après avoir évolué, son pouvoir magique appartenait toujours à la catégorie dite d’ ײ invocation ײ. Si elle venait à se trouver dans le champ d’action répressive d’une Pierre du Châtiment Divin, sa plume magique disparaitrait brusquement et Soraya ne pourrait plus peindre de nouveaux modèles. Cependant, les revêtements déjà peints n’étaient pas affecté par la pierre. Rossignol avait découvert qu’une fois réalisés, les tableaux de Soraya ne contenaient plus trace de magie. En d’autres termes, les matériaux produits devenaient réels.
Il y avait énormément de possibilités quant à l’utilisation de cette capacité. Soraya elle-même n’aurait jamais pensé que ses nouveaux dons pourraient s’avérer aussi utiles à la ville. Pour Roland, cela signifiait qu’il pourrait très vite réaliser des conduites d’eau gainées, totalement antirouille, et de grands faisceaux de câbles émaillés. Les cuves elles-mêmes seraient ainsi utilisables à haute température. Il entrevoyait soudain la lumière sur ses trois projets d’ingénierie originaux qu’il croyait hors de portée (système d’eau sanitaire, électricité et accès aux routes).
En même temps, cela lui rappelait aussi que l’expérience personnelle était beaucoup plus profitable que la simple des axiomes contenus dans les livres.
S’il parvenait à montrer aux sorcières le monde dans son état sous-atomique et leur faire accepter la théorie des particules, cela pourrait-il entraîner une nouvelle série d’évolutions ? Il pourrait par exemple… leur faire observer un micro-organisme à travers un microscope.
Roland se dit que cela valait la peine d’essayer.
A la Mine du Versant Nord, dans le secteur du four.
– « Soufflez! Il faut augmenter la température! » Criait Lesya.
Bien qu’il soit impossible de voir ce qui se passait à l’intérieur du four à cuve, les trois charrettes pleines de charbon devaient déjà être rouges sous l’effet de la chaleur.
Lorsqu’il avait reçu la lettre de Van Bate, il s’imaginait que Border Town n’était qu’une contrée déserte et stérile et s’il n’avait pas lu qu’il aurait la possibilité de recommencer une nouvelle vie en tant que maçon, jamais Lesya ne se serait précipité à la frontière du Royaume pour reprendre son ancien métier.
En quittant temporairement sa famille avec son seul bagage, il s’était déjà préparé à vivre sous une tente, du porridge pour seule nourriture. Quelqu’un qui n’avait personne à charge et ne touchait pas de salaire était souvent confronté à toutes sortes de problèmes dans le secteur de la construction.
Lesya n’avait pas l’intention de rester longtemps à Border Town. S’il pouvait enfin revoir Karl, son ami de longue date, et voir comment il s’en sortait dans cette vie d’exil, il serait satisfait.
Mais la réalité est toujours différente de ce que l’on imaginait.
Lorsqu’il arriva à Border Town par bateau, Lesya aperçut Karl qui l’attendait sur le quai.
Van Bate était autrefois un maçon distingué à la Cité du Roi et un puissant concurrent au titre de leader de la guilde. Comparé à l’image que Lesya avait gardée de lui, il constata que ses tempes avaient blanchi et qu’il avait pris quelques rides. Au contraire, son ami était plutôt robuste et son visage tanné était plein d’entrain.
Lorsqu’ils eurent échangé leurs salutations, Karl, au lieu de l’emmener dans un endroit bruyant et désordonné, le conduisit contre toute attente dans un immeuble résidentiel. Arrivé là, il lui tendit les clés et dit :
– « Vous voici chez vous. Déposez d’abord vos bagages et nous irons prendre un verre. »
Une fois au pub, Karl fit à Lesya le récit d’une série d’histoires incroyables.
Malgré son statut d’homme du peuple, le Seigneur l’avait engagé à l’Hôtel de Ville où il était non seulement fonctionnaire mais également cadre dans le secteur de la construction!
– « Si vous restez, vous aussi vous pourrez travailler à l’Hôtel de Ville! Et vous serez logé gratuitement! Lorsque vous aurez travaillé dix années, vous bénéficiez également d’une allocation de retraite! Vous vous demandez quel en est l’avantage ? Cela signifie que continuerez à toucher de l’argent même si vous ne travaillez plus! »
Lesya avait d’abord pensé que Karl parlait ainsi sous le coup de l’ivresse, mais par la suite, il s’aperçut que son ami avait dit la vérité.
– « Ouvrez le réservoir de décharge du mâchefer, nettoyez les scories! »
Le travail terminé, aucun des problèmes envisagés par Lesya n’était survenu. Non seulement ils étaient payés immédiatement, mais de plus, le Seigneur était très réactif. Chaque fois qu’ils lui soumettaient une demande, ils recevaient la réponse le lendemain. De plus, c’était également là que l’on produisait ce fameux produit alchimique appelé ciment. Grâce à lui, joindre les briques devenait facile et le processus de construction avançait à pas de géant. Dans cette ville, il avait le sentiment sans précédent d’être à l’abri de tout souci.
En à peine un mois, Lesya avait déjà construit cinq hauts fourneaux et trois fours à cuve pour la fonte du fer.
Pour inventer ce four à cuve, il avait mûrement réfléchi au cours des années qui suivirent la dissolution de la guilde de maçonnerie. Ce produit était le fruit d’une longue expérience. Si le maçon avait pensé à le transmettre sous forme de plan, jamais il n’aurait osé imaginer qu’il le verrait un jour de ses yeux.
Ce four à cuve modifié mesurait près de deux mètres de haut pour un diamètre interne d’environ 75 cm. La zone inférieure était munie d’un certain nombre de buses qui permettaient d’insuffler de l’air au moyen de soufflets et d’aérations. Le fond quant à lui était pourvu de deux orifices : l’un pour décharger les scories et l’autre pour couler le fer fondu. À côté du four à cuve, on avait érigé une rampe faite de sable et de gravier, très pratique pour alimenter le four et observer ce qui se passait à l’intérieur.
Ce jour-là, le four devait être mis en service. Selon la pratique habituelle, avant son ouverture officielle, il fallait effectuer un test de fonte.
Durant les essais, ils avaient ouvert plus de dix fois le canal de décharge du mâchefer et ajouté deux fois du charbon. Ils en arrivèrent à la conclusion que le four avait passé avec succès cette inspection – le fer en fusion coulait à présent dans son creuset.
On ouvrit doucement la trappe de décharge des scories pour constater que le four avait atteint une température suffisante pour la fonte. Il n’était donc pas nécessaire de continuer à gaspiller du charbon. Du reste, pour réduire les pertes durant les tests, on avait utilisé les déchets de minerai amassés dans un coin de la cour.
Après avoir ouvert la trappe et laissé s’écouler le fer fondu, Lesya fit fermer le four.
Deux jours plus tard, alors que les habitants de la ville nettoyaient la chambre du four, ils trouvèrent plusieurs morceaux de pierre noire. Les déchets provenant de la cuisson à haute température avaient été évacués à plusieurs reprises. Seuls restaient ces morceaux de minerai. Jetés dans le four, ils n’avaient quasiment pas changé d’apparence. Leur surface était simplement devenue plus brillante, un peu comme de l’encre noire.
Lesya ne parvint pas à identifier ce minerai noir, il savait seulement qu’il s’agissait d’un produit de rebut du processus minier. Pourtant, sa forme et son aspect étaient vraiment agréable à l’œil. Ils ne semblaient pas inutiles. Cependant, s’il ne fondait pas, comment pourrait-on en tirer des artefacts ? Incapable de trouver une réponse, il choisit le morceau de minerai le mieux conservé, l’emballa dans un chiffon et envoya un homme au château pour le remettre à Roland Wimbledon, Seigneur de Border Town.
« Peut-être que le Seigneur, qui est très instruit, aura la réponse », se dit-il.