À la nuit tombée, à l’entrée du village, Zhao Tiezhu se mit à crier :
– « Apportez vos herbes! Apportez vos herbes! »
Une longue table sur laquelle se trouvaient cinq récipients circulaires avait été dressée par les guerriers du camp de formation. Faits de bambou, ces récipients servaient à faire sécher les dates et les plantes et trois d’entre eux étaient déjà pleins.
Alignés en file indienne, les gens remettaient les herbes qu’ils avaient cueillies. Un ancien à longue barbe évaluait leur âge et leur rareté puis les pesait à l’aide d’une petite balance avant de noter le résultat.
Arrivé le tour des deux jeunes gens, Yi Yun lui remit délicatement sa récolte.
Le vieil homme barbu y jeta un coup d’œil et soudain, ses yeux s’illuminèrent :
– « Du Dan Guo! Un champignon noir! Une racine de réglisse! Du Ginseng sauvage! Mais ce sont là d’excellentes plantes! » S’écria-t-il en regardant ces précieuses herbes et en les caressant comme s’il s’agissait de bébés.
Yi Yun poussa un soupir de soulagement. Ce vieil homme est peut-être un expert, mais il ne s’était pas aperçu que leurs essences avaient depuis longtemps été absorbées par le Cristal Pourpre. Chose incroyable, elles ne différaient en rien des herbes fraîchement cueillies.
– « Héhé, gamin, tu es un drôle de veinard. Tu vas pouvoir garder ta ration aujourd’hui! », dit-il, ravi à l’idée de la récompense qu’il allait percevoir de Lian Chengyu pour la qualité de ces plantes.
Lorsque Lian Chengyu entamerait son ascension fulgurante, ses hommes de main, eux, pourraient se rendre en ville et même y trouver un emploi!
– « J’ai tout de suite vu que tu avais un don inné pour la médecine et savais choisir les plantes. En t’envoyant les cueillir, je t’offre la possibilité de réaliser ton plein potentiel! Le fait de survivre à ton accident ayant amélioré tes compétences en matière de cueillette, dès demain, tu m’en rapporteras encore une once », dit Zhao Tiezhu en souriant.
– « Pardon ?! » S’écria Jiang Xiaorou, furieuse.
Ils avaient déjà eu du mal de sélectionner une demi livre d’herbes et voilà qu’on leur en demandait davantage!
Certes, YI Yun était rapide et cueillir un peu plus d’herbes ne le dérangeait pas. Mais connaissant Zhao Tiezhu, qui, lorsqu’on lui donnait le pouce voulait prendre le bras, un accident finirait bien par se produire!
– « Vous plaisantez, soldat! J’ai mis toute une journée à cueillir ces herbes au prix d’un dur labeur. C’est tout ce que je puis faire! » Dit lentement Yi Yun tout en jetant un coup d’œil aux trois récipients déjà pleins.
Une série de points lumineux flottait à la surface, sans doute générés par le Cristal Pourpre.
Dans la nuit, on aurait dit des lucioles qui voletaient lentement vers lui.
Le jeune garçon eut un sourire imperceptible : le cristal mettant du temps à absorber les essences, la stupidité de Zhao Tiezhu faisait bien son affaire.
– « Bons sang, tu t’imagines que je vais négocier ?! » S’écria Zhao Tiezhu en donnant un tel coup sur la table qu’il fit sursauter le vieil homme. « Vous, les pauvres, vous ne savez que manger. On ne tire rien de bon de déchets et vous osez vous présenter ici avec toutes sortes d’excuses ?! La tribu Lian n’engendre pas de profiteurs mais des guerriers ou d’honnêtes travailleurs. Tu me remettras une once d’herbes supplémentaires demain! À présent, Fichez-moi le camp! »
À se voir réprimander ainsi en public par Zhao Tiezhu, le visage de Yi Yun se crispa et son corps se figea. Les gens autour de lui comprenaient à quel point ce devait-être pénible pour un enfant de douze ans.
Le voyant pâlir, Zhao Tiezhu eut envie de continuer à le titiller. Jiang Xiaorou, qui ne pouvait plus le supporter tenta de le tirer plus loin mais son frère était comme enraciné au sol. On aurait dit que les dures paroles du guerrier l’avaient changé en statue de pierre.
Nullement impressionné par Zhao Tiezhu, Yi Yun considérait ses réactions comme des aboiements de chiens enragés et restait concentré sur les essences qu’il devait absorber.
– « J’ai presque terminé… Si j’en absorbe davantage, Lian Chengyu va se douter de quelque chose. 80% feront l’affaire. Il faut bien que je laisse un peu de soupe à Lian Chengyu! Il n’est pas nécessaire d’être très intelligent pour s’apercevoir que quelque chose ne va pas en constatant qu’il n’y a plus une once d’essence dans une telle quantité de plantes! »
Yi Yun ne pouvait pas se permettre d’entrer en conflit avec les échelons supérieurs du clan Lian. Peut-être pourrait-il se débarrasser de Zhao Tiezhu, mais il ne faisait pas le poids face à des gens comme le Patriarche ou encore Lian Chengyu.
Les essences absorbées par le Cristal Pourpre pénétrèrent rapidement dans son sang, circulèrent dans son corps et réchauffèrent ses canaux. Son Visage vira au rose et il se sentit léger, euphorique.
Mais aux yeux de la foule, Yi Yun avait l’air pathétique avec ses joues rouges et ses membres apathiques, sans doute à cause de la réprimande de Zhao Tiezhu.
– « Pauvre gamin. Il est si jeune et on le pointe du doigt parce qu’il s’est opposé à Zhao Tiezhu le jour de la distribution des rations »
– « Ce gamin doit mener une vie bien amère. Sa mère est morte peu de temps après leur arrivée dans la tribu Lian. Il est sujet aux maladies et si faible que jamais il ne pourra résister à Zhao Tiezhu. »
– « Quand les guerriers du camp de préparation vont-ils cesser de tyranniser le village ? Croyez-vous vraiment que le jeune maître Lian Chengyu nous emmènera en ville ? »
– « Chut, ne dites pas de bêtises. Vous aurez de la chance si les guerriers du camp ne vous ont pas entendu! »
– « À mon avis, ce gamin finira par mourir… »
Il était courant, en effet, que les gens meurent en allant cueillir des herbes dans les montagnes car les plus précieuses des plantes étaient celles qui poussaient en altitude. Pour leur rapporter de telles herbes, Yi Yun avait dû grimper haut et un jour ou l’autre, il finirait par y laisser la vie. Mais dans ce clan tribal, la vie des gens n’avait guère d’importance.
Tard dans la nuit, alors que la lune, telle un crochet d’argent, était suspendue dans le ciel, quelques hommes s’affairaient à la pharmacie du Patriarche, attisant les flammes issues d’un gros tas de bois sous un grand chaudron.
Quelques vieillards triaient soigneusement les herbes et préparaient des remèdes composés de plusieurs plantes additionnées de certaines substances dont quelques membres du clan avaient le secret. En effet, si cela venait à être su du peuple, ces gens pourraient aller discrètement cueillir des herbes et faire leurs propres préparations. Or, on estimait en haut lieux qu’utiliser ces plantes sur les gens du peuple était aussi inutile que de donner du bon grain aux porcs.
Cette minutieuse préparation n’étant destinée qu’à Lian Chengyu, les guerriers du camp de formation eux-mêmes n’avaient pas la chance de pouvoir s’y baigner.
– « Bien joué », dit le Patriarche, satisfait, en examinant la liste. « Vous avez récolté de bonnes herbes cette fois! »
– « Je n’ai fait que mon devoir », répondit Zhao Tiezhu en hochant la tête. « Petit comme je suis, jamais je ne manquerais de me conformer à vos ordres, surtout si cela concerne l’avenir du Jeune Maître Lian. En quittant le terrain d’entraînement, je me suis précipité vers la montagne pour superviser la cueillette et ai contraint même les plus lâches à escalader les falaises. C’est ainsi que nous avons eu la chance de trouver le Champignon Noir et le Dan Guo. »
– « Vous avez bien travaillé! Allez donc à l’entrepôt prendre un peu de viande », dit le Patriarche en tapotant l’épaule de Zhao Tiezhu.
– « Merci, Patriarche! » S’écria ce dernier, ravi.
– « Lorsque Chengyu sera devenu un Guerrier du Royaume, il aura besoin de coursiers. Si vous êtes intelligent, vous saurez vous attirer ses faveurs et une fois à ses côtés, vous en tirerez quelques avantages. »
– « Merci pour vos paroles encourageantes », répondit Zhao Tiezhu, tout excité, en s’agenouillant.
Décidément, Yi Yun était sa bonne étoile. Jamais il n’aurait pensé que ce petit larbin soit aussi doué pour la cueillette. À l’avenir, il lui donnerait quelques récompenses, par exemple un tout petit peu de poudre à base de plantes ou encore de la nourriture. Ce pauvre enfant serait si reconnaissant de ces petits cadeaux qu’il lui obéirait comme une bête de somme.
Zhao Tiezhu partit en rêvant d’un avenir prometteur au sein de la grande ville où il se voyait déjà donner ses ordres au peuple.