On entendit un petit rire dans la salle.
Suite à l’expansion rapide du Bureau Administratif et à la mise en place d’un système d’évaluation pour les diplômes, l’âge moyen des fonctionnaires gouvernementaux avait été réduit de plusieurs années. Les jeunes étant naturellement plus disposés à accepter et à apprendre de nouvelles choses, il était courant qu’un jeune homme achève ses études à 20 ans et se hisse, dès 25 ans, à un poste clé au sein du gouvernement.
Pour tout dire, il y avait beaucoup de jeunes visages dans la salle de conférence et Roland esquissa un sourire en voyant certains nouveaux rougir et baisser la tête.
Bien que ces jeunes gens fussent bien moins expérimentés que la génération précédente, ils apportaient au sein de l’institution des espoirs et des énergies indispensables à un nouvel organisme gouvernemental.
– « Pour résumer, vous devez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour accroître la population de la Cité Sans Hiver. Il va de soi que nous allons devoir construire davantage de logements et d’installations pour accueillir ces nouveaux résidents. Doubler la population n’est pas notre objectif ultime et je ne veux pas mettre de limite à ce projet. Sachez seulement que plus il y en aura, mieux ce sera c’est pourquoi je vous demande à tous votre contribution. » Il attendit que les rires cessent et conclut : « Pour vous aider à vous en souvenir facilement, arrondissons le chiffre et appelons ce plan : « Projet Un Million ».
– « Oui votre Majesté! » S’écrièrent les fonctionnaires en se frappant en chœur la poitrine.
Les décrets suivants étaient tous liés au Plan Un Million, tels l’exploitation des ressources situées sous les Plaines Fertiles, la création d’écoles de jour et de sections spécialisées ou encore la réglementation ultérieure de l’éducation universelle. Roland avait aussi l’intention de recruter des professionnels médicaux au sein du peuple plutôt que de l’armée et de créer ici et là des cliniques afin de désengorger les hôpitaux. De même, le Ministère de l’Éducation devrait ajouter un autre sujet au programme d’études du secondaire, les sciences médicales, et former, à l’aide des manuels collectés dans le Monde des Rêves, des semi-professionnels œuvrant dans le monde médical.
Il n’allait pas être très facile de passer d’une ville de 200 000 habitants à une cité de 400 000 âmes, voire un million. L’accroissement de la population allait inévitablement les contraindre à améliorer les infrastructures de la ville afin d’éviter la pollution par les eaux usées et les excréments humains. Ils seraient également contraints de renforcer la prévention des épidémies et, malgré la capacité de Lily, le Roi allait devoir trouver un moyen de mettre en place un système de surveillance et de prévention.
L’éducation aussi était capitale à ce futur développement, sachant que les illettrés étaient davantage un fardeau pour le système qu’un coup de pouce à l’industrialisation.
Si Roland n’avait défini que le cadre de base du projet, c’est parce qu’il savait pertinemment que construire une ville d’un million d’habitants n’allait pas se faire en une ou deux réunions. Le Bureau Administratif allait devoir faire des recherches et des essais constants afin de mettre le projet à exécution.
Alors que tous étaient emballés à l’idée de construire la plus grande ville de l’histoire, Barov demanda soudain :
– « Votre Majesté, avez-vous l’intention d’envoyer tous ces gens dans les usines ? »
– « Oui », répondit Roland, « et à la construction, au sein de l’armée ou au laboratoire… bref, partout où l’on aura besoin d’eux. »
– « Mais je doute fort que le Bureau Administratif soit en mesure de soutenir financièrement tout cela », dit le Directeur, un peu hésitant. « Nos principaux revenus proviennent de la vente de Boissons du Chaos, de parfums et de machines à vapeur. La Chambre de Commerce Unie nous règle ces dernières tous les trois à six mois or nous devons régler mensuellement leurs salaires à nos sujets, ce qui représente environ 80 000 Royals d’or. Si, pour le moment, nous ne craignons pas de soucis financiers, c’est parce que nos recettes sont supérieures à nos dépenses mais si nous doublons le nombre de nos sujets, j’ai bien peur que… »
– « Que si le paiement venait à être retardé de quelques mois, la municipalité ne soit pas en mesure de payer nos citoyens, c’est bien cela ? » Coupa Roland, intéressé, en haussant le sourcil, ravi que Barov, ancien trésorier adjoint, soit si rapide à prévoir une éventuelle crise financière.
– « Exactement », répondit le Directeur qui écrivait à toute vitesse dans son carnet. « Les salaires augmentant chaque année, les dépenses sur la masse salariale ne feront qu’augmenter elles aussi. Or la production annuelle de Boissons du Chaos ne varie guère d’une année à l’autre et si les résidents des Royaumes de Wolfheart et de l’Éternel Hiver envahissent la ville, ceux-ci ne nous achèteront plus rien. Je crains, si nos revenus diminuent aussi vite, que la trésorerie du Bureau Administratif ne soit bientôt épuisée. J’ai fait une rapide estimation : en accueillant plus de 100 000 personnes par an, nous augmenterons nos risques financiers de 30 %, à moins que vous ne trouviez d’autres sources de revenus… »
À ces mots, les yeux de Rossignol se mirent à briller et elle murmura à l’oreille de Roland :
– « Sur les terres de ma famille se trouve une mine d’or encore inexploitée… »
– « Je ne suis pas encore désespéré à ce point », répondit Roland, amusé.
– « Qu’à cela ne tienne. Elle est à vous si vous le souhaitez. »
– « Eh bien… Soyez tranquille », répondit-il, « je saurai l’employer le moment venu, mais pas dans l’immédiat. » Puis, se tournant vers Barov : « J’y ai réfléchi et je crois avoir trouvé une solution en mesure de résoudre tous les problèmes qui vous inquiètent ».
– « Définitivement ? » S’enquit le Directeur, surpris.
– « Tout à fait. Je vois bien que la cause de ces problèmes est l’insuffisance de nos fonds. Si nous pouvions générer des revenus illimités, tout serait résolu. »
Or le moyen de plus rapide de s’enrichir était d’imprimer des billets.
Lorsque l’industrialisation aurait atteint un certain point, le système monétaire, fortement basé sur des devises de métaux précieux, cesserait inévitablement de fonctionner. Les technologies se développant rapidement, finiraient par émerger des produits à la valeur bien supérieure à celle des métaux et lorsque les clients ne pourraient plus les payer à l’aide de ces monnaies de métal précieux, le système finirait par s’effondrer.
Mais le problème ne se posait pas avec la monnaie fiduciaire.
Roland avait déjà conduit un projet pilote en distribuant aux sorcières des billets nominatifs et s’était aperçu que ces devises, imprimées avec l’encre produite par Nuage Noir avec les presses créées par Anna et dotée d’une marque anti-contrefaçon faite avec du mucus de Ver à Caoutchouc étaient quasi infalsifiables. Dans le cas contraire, les sorcières l’auraient fait depuis longtemps pour pouvoir se rendre à l’épicerie du château et faire main basse sur les Boissons du Chaos.
En outre, la Cité Sans Hiver était désormais en mesure de distribuer des devises fiduciaires.
Roland avait l’intention, une fois les directives de base rédigées, de discuter avec Barov des détails concernant le format, la valeur de la devise et des règles relatives à l’échange mais puisque ce dernier soulevait la question, il ne voyait guère d’inconvénient à laisser filtrer quelques informations.
Tandis que le Roi en expliquait le principe à un groupe de ministres perplexes et stupéfaits, la porte s’ouvrit brusquement et Phyllis fit irruption dans la salle de réunion.
– « Votre Majesté, nous avons fait une nouvelle découverte! Pasha souhaiterait vous voir immédiatement dans la salle souterraine. »
– « C’est urgent à ce point ? »
– « Oui », répondit la sorcière en fronçant les sourcils. « Nous avons déchiffré la lettre du Tueur de Ma… euh pardon, de ce Diable Supérieur appelé Ursrook! »