– « La capacité de Son Altesse… n’est pas de voler, n’est-ce pas ? » Murmura Rossignol.

– « Non, mais elle le peut grâce à une Pierre de Vol. Seulement, il ne faut pas qu’elle soit trop chargée », répondit Roland tout en regardant la “Licorne” planant dans les airs. « Pourquoi cette question ? »

– « Vous m’avez parlé à plusieurs reprises des avions et m’avez montré des dessins ainsi que le moteur à combustion interne, mais je trouve toujours aussi incroyable…  qu’il suffise d’un peu d’aide pour que les hommes puissent voler comme des oiseaux. Car si l’on y regarde bien, cet avion n’est rien d’autre qu’un amas de métaux et de bois. »

– « Peut-être », dit Roland avec un sourire, « mais c’est nous qui les avons assemblés. C’est le travail conjoint de nos mains, du pouvoir magique et de nos connaissances et non uniquement un apport de forces extérieures. »

– « Tout le monde peut donc voler comme elle, moi y compris ? » Demanda doucement la sorcière.

– « Tout à fait », répondit Roland.

Si Rossignol connaissait bien le ciel pour être montée dans le ballon à air chaud et voyagé avec Maggie, cela n’avait rien à voir avec l’avion où l’on a le contrôle total sur sa destination, c’est pourquoi elle était émerveillée, toute sorcière qu’elle fût. Roland pouvait donc sans peine imaginer comment le peuple réagirait devant cette nouvelle invention car du jour où l’homme avait levé les yeux au ciel, son désir de se libérer de l’attraction gravitationnelle n’avait cessé de le hanter.

Le membre de la Société des Métiers Extraordinaires tué au cours d’un vol d’essai en était le parfait exemple.

Trente minutes plus tard, la “Licorne” effectuait un magnifique atterrissage.

– « Alors ? » Demanda Roland à Tilly qui trottait vers lui, pleine d’enthousiasme.

– « Cet avion est formidable! » Répondit-elle à bout de souffle, les yeux brillants. « Beaucoup plus flexible que le Goéland. Pour être honnête, si Wendy contrôle bien le vent, elle ne manipule pas toujours l’appareil comme je le voudrais. Là, je contrôle tout, y compris la vitesse, l’angle de plongée et les virages, comme si je ne faisais qu’un avec lui. »

Roland parut légèrement surpris de cette conclusion car bien que la Licorne s’inspirât de divers modèles de biplans, ce n’était au fond qu’un avion d’essai très grossier. Le pilote devait faire appel à son instinct pour régler sa vitesse de vol et le contrôler manuellement. Il craignait même qu’il ne parvienne pas à décoller et voilà qu’aux yeux de Tilly, cet appareil rudimentaire était aussi avancé et sophistiqué qu’un chasseur moderne équipé d’un système de contrôle de vol électrique et d’un ordinateur de vol.

C’était probablement là la différence entre un génie et une personne médiocre.

– « Alors… vous voilà satisfaite ? » Demanda-t-il avec un signe à l’adresse du responsable du hangar. « Ce sera tout pour aujourd’hui… »

– « Que dites-vous là, mon frère ? » Coupa Tilly « Croyez-vous qu’un vol de trente minutes soit suffisant ? »

– « Dans ce cas, pourquoi vous-êtes-vous posée ? »

– « Pour vous prévenir que j’allais rester ici un moment. Ne m’attendez-pas, vous avez du travail et je voudrais tenter d’autres techniques de vol. »

Roland la regarda s’éloigner et secoua la tête, amusé.

L’avion avait passé les tests avec succès. Nul doute qu’en un rien de temps, Tilly saurait tout de cet appareil. Sachant qu’elle pouvait, à tout moment, quitter la Licorne, il n’avait pas besoin, en effet, de rester là à surveiller le prochain vol.

– « On dirait bien qu’elle veut se débarrasser de vous », s’exclama Rossignol.

– « Taisez-vous donc », répondit le Roi d’un ton bourru en levant les yeux au ciel. « Partons. » 

Rossignol disparut aussitôt dans sa Brume.

Roland n’était pas sitôt rentré au château qu’un garde se présenta :

– « Un message de la Troisième Ville Frontalière, Votre Majesté. Elles ont terminé ce que vous leur aviez demandé. »

– « Vraiment ? » Dit Roland en fronçant brièvement les sourcils. « Où donc est leur rapport ? »

– « Elles voudraient que vous veniez le voir en personne. »

De toute évidence, la découverte du Port des Festivités était plus complexe qu’il ne l’aurait cru.

– « Très bien », répondit le Roi après un moment de réflexion. « Allons-y. »

Lorsqu’il arriva dans le souterrain, il trouva Céline qui l’attendait.

– « Vous aviez raison, Votre Majesté », dit-elle en étendant l’un de ses tentacules auxiliaires. « Ces matériaux entrent dans la fabrication du Cube Magique. Le pouvoir magique contenu dans cette pierre jaune grisâtre à gauche est assez similaire à celui du cube. Si nous avions suffisamment de matériaux, je pourrais commencer à le reproduire. »

– « Combien vous en faudrait-il ? »

– « Quelques milliers, je pense. »

C’était beaucoup, ces milliers de pierres pouvant facilement remplir une pièce. De toute évidence, il allait devoir au plus vite organiser des fouilles au Cap Sans Fin.

– « Je vais arranger ça. Et l’autre pierre ? »

– « Elle est absolument extraordinaire. D’abord, je puis vous assurer que ses radiations ne sont absolument pas nuisibles aux animaux. D’après ce que j’ai pu voir, la lumière qu’elle émet est très ordinaire et n’a rien à voir avec celle qui vous inquiète… »

– « Les rayons radioactifs. »

– « Tout à fait. Bien entendu, il est toujours possible que le rayonnement soit trop faible pour être détecté. Mais si tel était le cas, je ne m’inquiéterai pas trop. » Céline prit une pierre ébréchée dans un flacon à sa droite et la tendit à Roland : « J’ai demandé à Mlle Lucia d’en casser une. Sa composition est très proche de celle du sable. »

– « Du sable ? » Répéta Roland, surpris.

– « Plutôt curieux, n’est-ce pas ? Pourtant, cela ressemble à une pierre ou plutôt à un gros gravier. Il est flexible et se met à briller lorsqu’il est comprimé. Je n’ai jamais rien vu d’aussi étrange de toute ma vie. »

Roland examina l’échantillon en pensant : « Ce n’est pas tout à fait exact. »

– « Savez-vous ce dont il s’agit ? »

– « Pas vraiment, mais cela me rappelle autre chose… », répondit doucement le Roi. « Toute substance est composée d’éléments, qui, avec sa structure, jouent un rôle important au regard de ses propriétés. Ne connaissant guère de matériaux, vous ne pouvez le comprendre.

« Prenez le carbone par exemple. Lorsqu’il se présente sous forme d’atomes à la géométrie moléculaire tétraédrique, il constitue un diamant, qui est extrêmement dur. Par contre, s’il était constitué de couches plates, ce serait du graphite qui lui est friable et fragile. On appelle ces couches des graphènes et leur conductivité est vraiment excellente. Lorsque deux couches de graphène forment un certain angle, elles constituent un isolant parfait et si on les refroidit à une température précise et qu’on y injecte des électrons, elles deviennent un supraconducteur. Pourtant, tous trois sont faits de carbone. C’est là toute la beauté de la physique. »

En fait, l’exploration du monde microscopique n’était que la partie immergée de l’iceberg, même selon les normes modernes. Dans ce royaume inconnu où les hommes ne pouvaient s’appuyer que sur des théories, ils ne faisaient ni plus ni moins que ce que pratiquaient les anciens des milliers d’années auparavant : réorganiser et restructurer les éléments pour créer de nouveau matériaux et inventer.

S’ils trouvaient les “dalles luminescentes” et les revêtements de Soraya mystérieux, c’était certainement parce que ceux-ci renfermaient du pouvoir magique.

Les êtres humains en savaient encore bien trop peu sur le monde dans lequel ils vivaient.