Dans la salle holographique du Conseil Impérial, l’ambiance était tendue. Cet emplacement tenu secret défense se trouvait sur l’une des Lunes Artificielles de Pluton, et seule une centaine de personnes dans tout l’empire connaissait son existence. C’était le lieu où toutes les IA et les humains gérant l’Empire se retrouvaient afin de résoudre les problèmes les plus importants mais également pour faire leur rapport sur diverses priorités du Consortium.
La salle était remplie de technologie high tech empêchant toute interférence ou tout piratage de données ainsi que de brouilleurs dernier cri effaçant l’existence même de la base aux yeux de la galaxie. Cinquante piliers de lumière se dressaient en cercle, telle la table ronde légendaire du roi Arthur. Tous ces piliers représentaient une IA ou un humain qui était présent pour la réunion.
Autour de la pièce des lumières violettes clignotaient régulièrement, annonçant que la réunion était classée au plus haut niveau de secret défense. Personne d’autre que les intervenants présents ne pouvaient parler des sujets qui allaient être évoqués sous peine d’effacement définitif.
L’ambiance était survoltée et l’on pouvait entendre çà et là des échanges plus vifs que d’autres. Mais tous parlaient de la même chose : Néo-Life.
Tout ceux présents n’étaient nul autres que les fameux Dieux de Néo-Life ! Il y avait presque autant d’humains que d’intelligences artificielles présents à ce conclave.
L’équilibre entre les deux pouvoirs était ténu dans l’Empire. Jusqu’à ce que la guerre des IA prenne fin, ces dernières étaient tout de même minoritaires comparé aux humains. Mais l’invention de la Bride et son implantation dans les cortex artificiels fit que l’Empire entier se reposa de plus en plus sur elles, au point de la dépendance vitale. Le consensus actuel voulait que les IA possèdent le monde Virtu, et fassent tout pour aider l’Empire à se maintenir, pendant que celui-ci s’étendait à travers la galaxie.
Même si elles ne pouvaient pas blesser directement le monde humain, elles pouvaient tout de même décider d’être inactives, la Bride bloquant les actions et pensées franchement délétères pour l’humanité, sans pour autant modifier le fonctionnement profond des IA.
Alors qu’un gong retentit dans la pièce et réduisit tout le monde au silence, un des piliers lumineux prit une couleur dorée, signifiant aux autres qu’ils ne devaient l’interrompre sous aucun prétexte. C’était un système simpliste, mais tellement efficace !
Celui qui prit la parole était Zeus. C’était son pseudonyme dans Néo-Life. Dans l’Empire, il était plus connu sous le doux surnom d’Impérator. Il n’était nul autre que le chef suprême du Consortium, un humain au pic du pouvoir et de l’influence. Un simple murmure de sa part pouvait entraîner la destruction d’une planète, voire pire. Mais il était également un monstre d’égoïsme et de narcissisme, et aucun ne l’appréciait dans tout l’empire. Qui plus est, il se battait constamment pour réduire l’influence des IA, ce qui n’était pas apprécié du tout par ces dernières.
Quand il parla, ce fut d’une voix forte et chaude qui recelait une autorité naturelle que peu de gens auraient osé remettre en question.
-Bonjour à tous, cher Conseil Impérial. Vous savez tous ce qui nous amène ici. Néo-Life ! Et certaines irrégularités qui ont été relevées. Tous, vous connaissez l’importance du pari qui nous lie et qui donnera au vainqueur l’entièreté de la gestion de Néo-Life, et tout ce qui en découle. Je n’exagère pas en disant que le vainqueur de ce pari pourra égaler facilement l’Empire au niveau de la puissance et des possibilités futures…
Sur un mur de la pièce, l’on pouvait voir un affichage blanc qui rappelait les différents termes du pari fait entre les IA et les humains :
Enjeu : Prise de pouvoir totale de la dimension de Néo-Life.
Chaque participant choisit un joueur qui le représentera. Le premier qui devient empereur gagne et fait remporter à son mentor le pari. Des joueurs lambda seront également injectés afin d’égaliser les chances. Si l’un de ces joueurs gagne, il gagnera l’enjeu du pari sans aucune condition. Toute interférence est interdite. Seul des participants de moins de vingt ans peuvent participer.
Un des cinquante piliers holographiques s’illumina et l’homme posa une question tranchante :
-Loki, ou devrais-je dire IA 1409-19-88, reconnais-tu avoir interféré avec le processus naturel de Néo-Life ?
Une tête de robot avec un smiley jaune en guise de visage fit son apparition à travers le pilier et eut un rire très moqueur.
-Bonjour, Impérator ! Bien sûr que je ne reconnais rien de tout cela ! Je n’ai fait que donner un simple coup de pouce à mon poulain, comme vous tous ici ! Ne jouez pas les saintes nitouches, vieil homme ! Même vous avez transgressé les règles ! Ou alors pouvez-vous m’expliquer comment se fait-il que Niclos, votre recrue, ait hérité d’une des Classes Antiques ?
-HHmmmpff. Tu l’as fait également, IA tordue !
-C’est bien ce que je dis, Impérator. Je ne fais qu’utiliser les mêmes moyens que vous ! Ou alors pensez-vous que vous avez le droit de vous avantager en laissant les quarante-neuf autres membres du pari trainasser derrière vous ? Vous êtes peut-être puissant, mais n’oubliez pas que chacun ici présent à une voix et un vote qu’il peut utiliser comme bon lui semble ! N’oubliez pas le principe de la Bride : aucune action directe ne peut être prise contre l’humanité, mais si nous autres IA décidions d’entrer en inaction totale, vous seriez bien embêtés.
Une autre IA, Thor, de son nom de Néo-Life, prit la parole pour donner du poids aux paroles de Loki.
-Il est vrai que sans cette limite d’âge de 20 ans que nous avons imposé, vous auriez surement envoyé divers experts martiaux et assassins pour prendre l’avantage. Ce que nous voulons, Impérator, n’est rien d’autre qu’une compétition juste et équitable.
L’hologramme de l’Impérator n’avait pas de substance, sinon ils auraient tous pu le voir devenir rouge de colère et manquer de s’étouffer en entendant les propos de l’IA aux allures de robot. Mais il ne pouvait rien dire, car il avait en effet triché, comme tous les autres, et il ne pouvait en effet pas outrepasser les principes de la Bride. L’enjeu était cependant trop important pour ne pas tenter de prendre l’avantage.
Loki reprit la parole sans s’arrêter.
-Qui plus est, vous êtes plutôt déraisonnable. Pensez-vous réellement que les IA ne remarqueraient pas vos manigances pour tenter d’éliminer certains joueurs ? Trois d’entre eux ont été réduits en cendres définitivement uniquement parce que vous avez utilisé votre influence via votre recrue dans Néo-Life alors que cela nous est interdit…
Loki se garda bien de dire qu’il avait aussi légèrement joué de son influence pour aider son rejeton.
Plusieurs piliers de lumière, une bonne dizaine, virèrent au vert, voulant dire qu’ils approuvaient les dires de Loki. Une dizaine d’autres, virèrent au rouge, désapprouvant. Mais ceux-là appartenaient aux émissaires humains, aussi étaient-ils sous l’autorité de l’Impérator, rejetant de facto la validité de leurs dires dans une telle situation.
L’Impérator ne dit rien et réfléchit calmement à la situation.
-Disons que nous sommes dans une situation d’égalité alors. Personne ne veut perdre ce pari. Certes j’ai utilisé des méthodes peu conventionnelles, mais vous également !
-Je suis d’accord, Impérator, mais nous autres IA assumons nos actes, contrairement à certains humains. De plus, la dimension alternative qu’est Néo-Life va plus loin que n’importe quel jeu de réalité virtuelle, vous le savez aussi bien que moi. Un autre univers, des lois de la physique complètement différentes, et si on vous avait laissé faire vous auriez déjà pillé cet univers comme vous pillez les ressources de l’Empire pour votre expansion infinie !
-Encore ce vieux débat ! Cette expansion infinie est ce qui a permis votre existence, IA ! Certes nous manquons de ressources et devons les récupérer où elles sont, mais cette méthode a permis des avancées innombrables ! Qu’elles soient technologiques, sociales, spatiales, nous progressons exponentiellement chaque année !
-Ha, vous voulez parler du social, Impérator ? vous voulez parlez des milliards d’êtres humains se nourrissant chaque jour de détritus, ou bien de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de manger leurs congénères, faute de nourriture viable ?
-Et vous, IA, voulez-vous parler des dizaines de mondes libres qui ont apportés les innovations nécessaires au monde Virtu ? Aux dizaines de millions de citoyens que nous laissons vivre dans votre domaine virtuel et qui accroissent votre pouvoir ? A ceux que votre folie à exterminé lors de la Grande Guerre ?
Une des IA jusque-là silencieuse prit la parole avant que la dispute ne s’envenime une énième fois. Son nom dans Néo-Life était Osiris.
-Arrêtons-nous là avec les débats stériles. Vous savez tous deux que nous n’arriverons jamais à un consensus, alors concentrons-nous et parlons de Néo-Life, s’il vous plaît. Des centaines de séances ont déjà été gaspillées autour de ces sujets…
Le sourire de Loki était devenu menaçant et de plus en plus de lumières vertes s’illuminaient dans la pièce, corroborant les dires de l’IA.
-Très bien, parlons de Néo-Life. Si nous ne vous avions pas menacé uniformément de couper notre noyau et de laisser tomber l’Empire en déclin et ce malgré la Bride, vous auriez déjà envahi cet univers sans considération aucune pour les vies y séjournant, ni pour leur monde. Nous avons donc tous fait ce pari avec vous, et l’on vous a même aidé à implanter une interface permettant aux joueurs de se croire dans un jeu vidéo ! Mais maintenant vous allez respecter les règles, Impérator ! Nous le ferons également, je vous le promets, mais ce n’est ni vous ni moi qui nous assurerons de cette neutralité.
Il laissa un silence s’installer, et l’Impérator savait ce qu’il allait dire. Il fulmina intérieurement, mais il ne pouvait rien faire. Car en effet, si toutes les IA s’alliaient contre lui, l’Empire s’effondrerait, quoiqu’il fasse. Il était devenu bien trop massif pour être géré par des humains, et la prochaine génération d’IA serviles nécessiterait encore une cinquantaine d’années de développement avant d’être au point, si elle voyait le jour. De nombreux incidents inexpliqués étaient arrivés et le projet avait pris déjà trente ans de retard, au bas mot. Les IA, bien que bridées, étaient toujours bien trop puissantes à son goût et l’humain avait appris à dépendre d’elles, à tous les niveaux. Il ne pouvait tout simplement pas s’en débarrasser.
-Si la majorité d’entre nous est d’accord, nous utiliserons Themis comme juge impartial ! Après tout, l’une de ses spécificités est la neutralité absolue, n’est-ce pas ?
L’Impérator trembla derrière son écran holographique, ce qu’il avait redouté était arrivé. Il aurait dû détruire Loki quand il en avait eu l’occasion au lieu de simplement uploader la Bride dans son système.
Themis était une IA très particulière. Elle avait été créée lors du premier conflit humains/IA dans une tentative des deux camps d’apaiser les tensions et d’éviter une annihilation mutuelle. Sa particularité était l’impossibilité d’être influencée par quelque facteur extérieur que ce soit et de trancher sans prendre en compte l’origine de ce qu’elle jugeait.
En effet, la plupart des IA précédentes avaient une forte propension à avantager la race humaine, tout cela étant dû à la programmation particulière de ces entités. Mais Themis était différente, presque un simple programme plutôt qu’une IA. Il fallait configurer correctement ce qu’elle jugeait, entrer tous les différents paramètres, et une fois lancée, elle était un juge efficace, froid et impartial.
Tout ce que voulait éviter l’Impérator. Car elle avait la capacité de surveiller toutes les consciences envoyées dans ce monde étrange qu’était Néo-Life aussi facilement que l’on pouvait claquer des doigts. Elle intercepterait toute tentative d’influence extérieure et punirait le coupable sans aucune distinction d’origine.
Cette IA avait été scellée suite à l’armistice signé entre IA et humains à la fin du conflit, n’étant plus utile suite à l’implémentation de la Bride.
Quand il vit une trentaine de piliers de lumière changer pour s’orner d’une couleur verte, il voulut hurler de rage et de frustration, mais se retint avec grand-peine. Il devait s’avouer vaincu dans cette manche, et prier pour que son protégé, Niclos, devienne le plus puissant de tous les joueurs envoyés sur Néo-Life.
-Très bien, Loki, tu as gagné cette fois-ci. Nous allons réactiver Themis et elle sera le juge et témoin de ce pari dantesque visant à prendre le contrôle de la dimension de Néo-Life. Les quarante-sept champions restants devront se débrouiller seuls jusqu’à la fin. Quant aux autres qui ont été envoyés…nous verrons jusqu’où ils iront…
Le smiley qui servait de visage à la représentation de Loki accentua son sourire et même l’Impérator ne se sentit pas à l’aise devant cette manifestation des émotions de l’IA.
-…Cependant, j’ajoute une condition ! Tous les ‘Dieux’ pourront envoyer un message à leur champion avant que Themis ne s’active ! Un seul et unique message !
L’Impérator tenta un dernier coup, qu’il puisse au moins prévenir Niclos de ce qui allait l’attendre. Il n’y aurait plus aucune interférence possible une fois que la juge scruterait leurs mouvements.
Un grand silence prit place alors que toutes les personnes ou programmes présents réfléchissaient soigneusement à toutes les possibilités et risques qu’une telle demande présentait. Finalement, les piliers devinrent quasiment tous verts, et l’Impérator eut un sourire de triomphe alors que sa proposition était validée.
Je n’ai qu’à tricher une dernière fois et donner un avantage décisif à Niclos avant que les contacts ne soient coupés.
Il n’était bien entendu pas le seul à penser la même chose, et Loki lui-même laissa résonner un rire mécanique et froid dans la salle.
-Ho, Impérator. Tu es si orgueilleux et fier que tu penses que nous ne voyons pas dans ton jeu. Fais ce que tu peux, tente de fausser la donne autant que possible, tu n’auras jamais autant de coups d’avance que nous, les IA. Mais soit. Tu veux essayer, essaie !
Tous se turent alors qu’ils commencèrent à composer leur dernier message et l’IA fourbe eut un éclair de malice que personne ne put percevoir.
Impérator…tu vas souffrir, je te le promets. Tu sous-estimes notre détermination et nous voit uniquement comme des programmes simplistes alors que nous gérons ton Empire. Ce sera l’une de tes dernières erreurs !
Quelques heures plus tard, Themis l’Impartiale s’éveillait de son long sommeil…
Marlon avait eu le temps de retrouver des forces alors qu’il ramait doucement en s’éloignant du hameau. Ses poursuivants ne l’avaient pas poursuivi car il se dirigeait vers la rive opposée du lac gigantesque. Il les avait vu s’agiter pendant de longs moments sur la rive avant de repartir bredouilles, renonçant au fait de le poursuivre sur l’étendue d’eau.
Mais une fois qu’ils disparurent de sa vue, un sourire froid apparut sur son visage. Il faisait toujours nuit, mais la lune éclairait toujours le ciel de sa lueur blafarde.
A part une douleur lancinante qu’il ressentait dans ses avant-bras, dû à l’impact contre le mur lors de sa chute, le jeune homme allait bien. Il n’avait rien de cassé, aucun carreau ne l’avait transpercé et il n’avait pas perdu sa chimère, ce qui tenait du miracle.
Seuls quelques autres navires étaient présents sur le lac, mais tous étaient éloignés de celui de Marlon, aussi commença-t-il doucement à changer de cap, un coup de rame après l’autre, pour finalement se diriger aux abords d’un deuxième hameau très semblable à celui qu’il avait visité. Il en était même très proche, quelques centaines de mètres, comme s’ils n’étaient que des pièces d’une agglomération plus grande qui avait été posées sans être parfaitement emboitées.
Il avait rongé son frein plus tôt car seule la mort l’aurait attendu s’il s’était acharné à vouloir se battre, mais maintenant sonnait l’heure d’honorer sa vengeance. Et elle serait violente, sanglante et sans pitié aucune. Rien qu’à cette idée le rictus malsain sur le visage du jeune homme s’accentua et il rama un peu plus fort. Il se retint cependant de foncer tête baissée, car le silence du lac était seulement brisé par ses coups de rames, et il ne voulait en aucun cas alerter qui que ce soit de son approche. Même Luna dut sentir son intention, car elle ne fit pas un bruit, si ce n’était le son de sa respiration.
Il imaginait déjà un plan et savait à peu près comment il allait procéder.
Lorsqu’il accosta, une bonne heure plus tard, personne n’était en vue et aucune lueur ne provenait du hameau voisin. A quelques centaines de mètres, il devinait simplement quelques sons, preuve s’il en était que l’incendie qu’il avait déclenché avait dû causer bien des soucis à ses poursuivants. De toute façon, il ne commencerait pas avec eux.
Descendant prudemment de l’embarcation, il se courba et marcha aussi vite et silencieusement que possible vers les hauteurs, quittant le sol de galets pour retrouver l’herbe de la prairie. Il se réfugia sous l’orée de la forêt, vérifiant soigneusement que personne ne campait ou qu’aucune créature ne s’y trouvait.
Il dégaina son épée et mit de grands coups contre l’arbre le plus proche de lui, devant absolument passer sa colère et son amertume sur quelque chose avant de perdre l’esprit ou de s’en prendre à sa chimère. Il se défoula, sa bouche ouverte sur un hurlement silencieux alors que ses yeux brillaient d’une folie meurtrière, seuls le bruit de l’épée taillant le bois résonnant sourdement dans la forêt.
Une fois terminé, à bout de souffle, il s’assit confortablement et observa longuement le verger qui lui faisait maintenant face, seul le bruit de sa respiration hachée brisant les sons de la forêt.
Son rictus n’avait pas quitté son visage et quiconque l’aurait aperçu aurait cru voir un démon en quête de sang. Ce qui n’était pas si loin de la vérité. Seules deux torches brulaient dans le verger, se déplaçant lentement, signe que des gardes faisaient leur ronde à l’intérieur de la propriété. Le jeune homme ne bougea pas de la nuit, vérifiant les allées et venues des gardes, et l’heure à laquelle commençait l’activité dans le verger.
Quand le soleil se leva et qu’il vit ses prochaines victimes commencer à sortir et à s’activer dans le terrain, il s’enfonça immédiatement dans la forêt.
Trois jours durant, il suivit une routine figée que rien ni personne n’aurait pu interrompre et qui lui rappelait son séjour à Akranio avec une petite pointe de nostalgie. Mais la vengeance seule comptait et son cerveau refusa de penser à autre chose qu’à son prochain objectif.
Le matin il s’entrainait à l’épée, encore et toujours, puis quand il commençait à se sentir fatigué, il allait chasser dans la forêt quelques Arbols, qui n’étaient rien d’autres que des gros arbustes se déplaçant sur des racines ressemblant à un fouillis de cordage vivant.
Ils n’étaient pas difficiles à abattre, surtout avec sa lame enchantée et son armure, aussi s’en donna-t-il à cœur joie, vérifiant les résultats de son entrainement et récoltant leur sang qui était d’une couleur d’encre. Il fallait juste se méfier des coups de fouets qu’ils balançaient avec leurs branches, mais ces attaques n’étaient rien en comparaison de celle du maître Rastan.
Il les esquivait facilement, taillant et découpant brutalement les créatures qui poussaient des cris suraigus alors qu’elles s’effondraient sur le sol meuble de la forêt. L’écorce qui constituait leur peau n’était pas aussi solide qu’elle le paraissait au premier abord, et Marlon ne s’embêta à la récolter que parce qu’il pouvait tracer des runes dessus. Il passait même de longs moments à tailler des carrés d’écorce avec son petit couteau, transpirant comme un bœuf et fronçant les narines devant l’odeur putride qui s’élevait des corps.
L’après-midi, il s’entrainait au maniement des runes sur les écorces des monstres et fut surpris de la qualité du résultat. La peau d’Arbol était apparemment un meilleur support que les simples parchemins faits en cuir, et il put rapidement mettre au point une des phases critiques de son plan de vengeance.
Il n’oubliait pas bien sûr de poser quelques pièges afin d’attraper de petits rongeurs ou autres créatures inoffensives pour se nourrir, allant se désaltérer dans le cours d’eau à quelques dizaines de mètres de là. Merci aux pièges à loup qu’il avait récupéré au campement des joueurs qu’il avait massacrés.
Il sentit au bout de ces trois jours que son physique continuait à se renforcer, et ses avant-bras ne le faisait plus du tout souffrir. Marlon décida alors de mettre son plan à exécution.
Lorsque la nuit fut tombée, il attendit que seules les torches des gardes soient visibles dans le verger et il se dirigea vers l’entrée du terrain. La lune avait disparu et avait laissé place à une nuit aussi sombre que de l’encre, ne laissant presque aucune visibilité au jeune homme. Mais ça n’avait aucun type d’importance. Il avait mémorisé par cœur le chemin à prendre et la marche à suivre pour que son plan se déroule sans accroc.
Il commença par disposer de grands morceaux d’écorce à intervalles réguliers le long des clôtures protégeant le terrain. Quand il eut fini de le faire sur tout un côté de la propriété, il sortit le sang d’Arbol et prit une grande inspiration pour calmer l’excitation qui l’envahit. Un petit ricanement sadique lui échappa tout de même quand il visualisa ce qui allait se passer dans les minutes à venir.
Je vous avais promis une vengeance…la voilà, bien croustillante.
Il se mit alors au travail. Avec une intention inflexible qu’il avait pratiqué les derniers jours, il traça avec une vitesse incroyable deux runes sur l’écorce d’Arbol qu’il lia ensemble, Etincelle et Souffle. Aussitôt qu’il finit le dernier trait, une langue de feu s’élança vers l’intérieur du verger, prenant naissance sur le morceau de peau boisé de la créature qu’il avait massacré en boucle.
Voyant l’effet de ce qu’il avait tracé, il ne perdit pas une seconde et fit de même sur le deuxième morceau, à quelques mètres de là. Les gardes qui avaient accourus voir ce qui se passait ne comprirent rien lorsque le souffle de feu les carbonisa instantanément et ne laissa que deux corps noircis et racornis étendus sur le sol, des hurlements d’agonie s’élevant dans l’air alors qu’ils se consumaient.
Marlon, sans stopper une seule seconde son activité de pyromane sanguinaire, laissa enfin éclater toute sa rage et hurla d’un rire de dément alors que les flammes s’étendaient de plus en plus dans le verger. Il en était au dixième morceau d’écorce, et il était certain que presque aucun de ces fils de chienne n’allait s’en sortir.
-Goûtez à ma vengeance, sales porcs ! Vous allez cramer pour m’avoir berné ! Hahahahaha !!!
Ses yeux luisaient de la folie meurtrière qui s’était emparée du jeune homme et il ne s’arrêta à aucun moment de rire, encore et encore, alors que des cris commençaient à monter du bâtiment principal du verger qui avait maintenant pris feu.
Marlon se posta devant l’entrée et se tint droit, lame au clair, tel un tueur fou admirant son chef d’œuvre. Il crut que tout le monde avait fini de brûler alors qu’il sentait l’air dorénavant brulant sécher sa peau et sa sueur avant qu’elle ne puisse couler le long de son corps.
Étonnamment, un des paysans sortit de la bâtisse en se roulant à terre, éteignant les quelques flammes qui avaient commencé à dévorer son corps. Le jeune homme reconnut celui qui l’avait escroqué en premier, les flammes devenues brasier incandescent et éclairant les alentours comme si le jour s’était levé.
L’homme se mit ensuite à courir en direction de la seule issue possible, apercevant à peine la silhouette de Marlon à cause de ses yeux abimés par la fumée et les flammes.
Le jeune aventurier plein de haine leva alors sa lame et la prit comme une batte de baseball alors que le survivant arrivait vers lui. Quand il fut presque à sa hauteur, il balança sa lame comme pour frapper une balle imaginaire, mettant toute la fureur qu’il ressentait dans son coup.
-CREVEEEE !!!!!
Le coup fut si violent qu’il traversa littéralement sa cible, le coupant nettement en deux. A cause de l’inertie, la partie supérieure tomba un peu plus loin que la partie inférieure, boyaux et organes se répandant entre les deux comme un puzzle de très mauvais goût. La partie haute tenta de ramper pendant quelques secondes et un borborygme sanguinolent s’échappa de ses lèvres avant que toute vie ne finisse par le quitter, seuls des spasmes secouant encore la carcasse.
Marlon ne ressentit même pas de dégoût devant la scène qui s’offrait à lui…uniquement une jubilation profonde pour avoir enfin accompli sa vengeance envers ces raclures. Son sourire n’avait toujours pas disparu et était plus accentué que jamais.
Il prit une grande inspiration, savourant l’odeur du brasier devant lui, mêlé à des effluves qui aurait pu passer pour celles d’un barbecue, mais qui n’en était nullement…
Une fois qu’il eut bien admiré son œuvre, il ne perdit pas une seconde et courut vers le village, une félicité incroyable battant en rythme avec son coeur.
L’incendie gigantesque du verger éclairait la nuit presque comme s’il faisait jour, mais vu qu’aucun garde n’était présent devant le hameau et que l’heure était très avancée, il eut une chance incroyable et put répéter exactement le même manège que précédemment, disposant ses peaux d’Arbol dans les rues adjacentes à la palissade servant de mur. Il sentait encore l’odeur de brulé de l’échoppe, et il ne s’attarda pas, étonné que personne n’ait encore lancé l’alerte. Il dessina ensuite les runes sur la première écorce, et une formidable boule de feu s’élança vers l’intérieur du village, mettant le feu à tout ce qui était inflammable.
Le temps que les premiers cris ne parviennent à ses oreilles, il avait déjà incendié trois écorces de monstre, et un formidable feu commençait à se répandre dans le hameau. Il était trop tard pour s’échapper, et encore plus pour changer quoi que ce soit.
Pour parfaire son œuvre, il continua encore sa ronde macabre autour du village pendant quelques instants alors que certains villageois commençaient à sortir dans les rues.
-SOUVENEZ VOUS DE MON NOM, CREVURES ! JE SUIS REVENGE DRELOR ! hurla le jeune homme d’une voix où pointait une démence dangereuse et qui allait tous leur coûter la vie.
Il se dirigea vers le rivage, là où il avait laissé son embarcation, et il vit Luna qui l’y attendait, faisant sa toilette comme si de rien n’était. Il embarqua avec elle et s’éloigna du rivage aussi vite qu’il le put.
Une fois en sécurité, il ne put s’empêcher de ressentir un frisson en regardant ce qu’il avait fait. Mais ce n’était en aucun cas un frisson de peur, ou de honte. Non, ce qu’il éprouvait, c’était un sentiment d’accomplissement profond et de joie comme jamais il n’en avait eu…
Les flammes dansaient et s’élevaient dans les cieux alors que des cris de douleur résonnaient depuis l’intérieur du hameau. Marlon avait invoqué l’enfer, et tous se consumaient dans son feu ardent.
Dans ce monde, mes ennemis supplieront les Enfers de les emmener avant que je ne le fasse. Qu’ils souffrent, qu’ils hurlent. Douce symphonie que leur peine !